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Mardi 14 février 2012
Un
banc mouillé de soleil. Un soldat de plomb étendu sur le sable. Un
pied l'écrase, l'enfonce plus profondément, le tue encore. Des
enfants s'affrontent à l'épée de bois, au pistolet en plastique.
Je te tue. Tu es mort. Tous les pigeons ont fui.
Un
banc forteresse imprenable. Premier territoire à défendre. Méchant.
Salaud. Une première amitié brisée. Maman il m'a fait mal. Et ma
mère qui répondait : t'avais qu'à pas jouer avec lui. Aujourd'hui
les mamans modernes s'invectivent. Menaces de plaintes. Ça peut
rapporter gros un bobo d'enfant.
Sur
le banc, les deux garnements réconciliés partagent un gâteau
pendant que les mamans continuent de se crêper le chignon. Et moi je
vois des images de guerres, d'enfants soldats. J'ai mal.
Pourtant,
enfant j'ai joué moi aussi à ces jeux de grands. Général, je
manoeuvrais des armées de boutons. Mes troupes passaient du guéridon
à la chaise, montaient une embuscade sous la table et se rangeaient
sagement dans une boite métallique, à grands coups de balai.
Ces
boutons, il m'en reste encore quelques-uns dans la malle à couture.
Parfois ils s'aèrent le temps d'une veste. Toujours soigneusement
récupérés, c'est mon enfance que je recycle indéfiniment.
Mercredi 15 février 2012
Photographies
prises avec le télescope de Hubble. Comme si l'on regardait au
travers d'un caléidoscope. Images que le profane ne sait
interpréter. Féeries abstraites pour nous et qui représentent
pourtant ce réel qui n'est plus. À l'échelle de l'univers, nous
n'intéresserons probablement jamais personne. À l'échelle de la
Voie lactée, nous n'aurions même pas le rôle d'un poil à gratter.
Et pourtant, cela nous démange toujours d'être le centre du monde.
L'œil
du chat nous regarde, tapi au-delà de notre entendement. Il ne
paraît pas hostile, seulement attentif à ce que nous sommes. Des
équations si nombreuses entre cette représentation du ciel et nous.
On croit toucher les étoiles du doigt, avec des mots, avec un
tableau. L'art n'est qu'une pâle imitation de la beauté des
nébuleuses et de l'implacable violence des soleils qui explosent.
Dans la course vers l'infini, de quoi nous rapprochons-nous si ce
n'est de nous-mêmes et de l'humilité que nous devrions adopter
devant tous les mystères à découvrir.
Photographies
de Chris et de ses enfants, beautés des hommes, grandeur des regards
innocents. En chaque homme l'immensité des possibles. L'exploration
infinie des âmes. Déjà dans le sourire de ses deux filles, un
nuage. La terre vue, du ciel, est belle avec ou sans nuages.
Soudain
les correspondances fictives deviennent plus réelles. Et Chris si
vivant, les mêmes yeux rieurs que ses garçons et ce sourire prêt à
croquer l'avenir. Rien que notre bon vieux soleil à nous, et la
terre et l'eau.
Jeudi 16 février 2012
La symphonie des mondes se déroule tranquillement sans se soucier de
nos convulsions. Je m'écarte du mieux que je peux du point de fusion
où s'agglutinent les passions, les désirs, les regrets. Astéroïde
fou, ma trajectoire incontrôlée poursuit sa course d'encre noire.
Dans ce désordre apparent, je rencontre des frères, des sœurs, on
se frôle un instant, on échange la couleur de nos yeux, l'adresse
d'une île déserte, la date du prochain arc en ciel... et notre
amour désespéré des hommes. Au milieu des charniers de la
consommation, nous survivons.
À l'âge des cavernes aussi nous aurions survécu, nous avons
survécu. Nous sommes les fils des mots essentiels catapultés dans
la mémoire collective. Enfance, amour, partage et quelques autres,
comme autant d'étoiles dans le gris des jours.
Vendredi 17 février 2012
Chaque
jour, il nous faut convaincre la maman de Camélya de lâcher du
lest. L'aînée des poussinettes ne doit pas vivre dans ce brouillard
permanent qui m'a englué si longtemps. Il faut qu'elle parte en
classe verte. Elle serait d'ailleurs la seule à se morfondre sur les
bancs désertés par ses amies.
L'argent
? Non, non, maman se fait un point d'honneur à assumer. Le matériel
qu'il faut réunir et emporter ? Nous avons de quoi fournir en sacs
de couchage, sacs à dos, trousses de toilette... La religion ? Non,
pas vraiment, Camélya sait reconnaître un morceau de porc dans son
assiette et les astuces d'évitement pour ne pas l'avaler, et puis,
souvent, il suffit de dire.
Alors
? C'est maman qui a peur, qu'il faut rassurer. Non elle ne se perdra
pas dans les bois, oui la maîtresse a l'habitude, non ce ne sont pas
trois jours de vacances. Mais l'argument qui semble décisif, c'est
le retard pris à l'école. Pour coucouner les petiotes, il nous faut
coucouner la mère et ne jamais baisser la garde.
Plus
d'un mois avant le départ. Affaire à suivre... Armer le propulseur
à idées jusqu'aux dents, sans oublier toute la panoplie des
sourires, et compter sur Camélya qui va tanner sa mère et jouer sur
l'effet d'usure.
Samedi 18 février 2012
Si
j'avais dû penser ce monde, je t'aurais inventée et je t'aurais
nommée Lloydia. Alors j'aurais dû aussi inventer les fleurs et les
plantes, les rivières et les fleuves, et les mers, et les océans,
et les lacs pour refléter la lune et les étoiles. Mais c'était
déjà fait, alors je me suis contenté de t'aimer et chaque colline,
chaque montagne m'a renvoyé l'écho de ton nom.
Et
tu remplis chaque page de ma vie.
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