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mardi 7 octobre 2014

MARCEL FAURE - 0151 à 0155 de La danse des jours et des mots


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Dimanche 19 février 2012 

Je rêve du corps de l'autre, susurre une voix masculine à la radio. Bribe qui s'insinue. Beaucoup ne se trouvent plus à leur goût. L'obsession de se plaire, de se séduire plutôt que de plaire à cet autre qui vous a séduit. Narcisse jaloux.
Et dans ce corps convoité inclut-il le cerveau ? Où ce désir se réduit-il à l'apparence : une musculature parfaite, une prestance, la ligne d'un visage ou d'un sexe différent.
Pesant, lourd, empâté, mon corps me convient parfaitement. Sûr qu'aucun bellâtre ne voudra me le piquer et pour le cerveau, je n'ai pas l'intention de trépaner qui que ce soit et tant pis si le génie de tel ou tel m'échappe, je ne cherche pas à m'aimer davantage.
Et tous ces pores par où l'air circule; me voilà montgolfière et dans le rêve d'un de mes fils qui voulait survoler notre maison avec ce drôle de ballon, masse énorme et pourtant plus légère que l'air.
Et mon corps aérostat se délecte de tous ces mots que le souffle chaud des poètes alimente.



Lundi 20 février 2012 

Mon corps a des limites que mon cerveau ne veut pas reconnaître. D'abord, il n'est jamais seul, pas comme l'autre, là-haut, enfermé dans son crâne, à mugir, toujours en quête de son âme. Et quand le fier taureau sans corne refuse toutes règles, l'autre plus bas, l'ignoble tas de viande, de viscères et d'os, il n'a plus qu'une solution : craquer.
Alors c'est la lente reconquête, l'âme fait preuve d'un peu de jugeote. Elle a intérêt si elle ne veut pas se retrouver dans la peau d'un fantôme, ou pire encore dans celle du Juif errant. Et c'est le jeu de la séduction qui commence.
Vas-y, mon vieux... oui, doucement, avale un anti-inflammatoire, passe sous la douche et masse-toi le dos avec le jet d'eau chaude. Voilà, tu vois, la douleur s'atténue... ton arthrose, je m'en occupe, j'envoie des troupes dans le sang, je gonfle quelques muscles tout autour. Maintenant, sèche-toi... Habille-toi chaudement ... Dommage que tu aies jeté cette vieille ceinture flanelle que ton père portait. Un peu de marche te ferait du bien, c'est bon pour l'arthrose... Va donc acheter le dernier Pennac.
Ni vu ni connu, voilà comment je m'entourloupe et que je suis là, dans cette librairie, à chercher le " Journal d'un corps."
Provisoirement épuisé... Moi aussi... Je rentre en bus.




Mardi 21 février 2012 

Qui es-tu, toi l'informe masse grandiloquente ! Que saurais-tu sans mon expérience du vécu ! Une sorte de chiffe molle. Voilà ce que tu serais !
N'est-ce pas moi qui t'ai dit, en touchant le feu avec ma petite main de bébé que la flamme, ça brûle, que les orties piquent et que le froid engourdit tes neurones au point de t'endormir ?
Assis sur les bancs de l'école, je t'ai bourré de mots, de concepts, d'informations et de... sensations en posant ma main sur la cuisse de ma jolie voisine. Et je ne peux même pas te déconnecter. Tu en profites pour me réveiller la nuit et me hurler tes bêtises dans mes oreilles. Oui, je sais, au matin j'ai oublié ce qui aurait pu être l'œuvre de ta vie.
En plus tu me reproches mon inattention, cause de ton ignorance, alors que c'est toi qui rêvassais pendant les cours de math. Tes yeux fuyaient par la fenêtre, en poursuivant un poème de Prévert.
Non je ne suis pas en colère, mais montre-moi un peu de respect, vieux complice, si tu veux que je continue à te nourrir, en compulsant cette revue que le facteur vient de te livrer. Alors changer d'activité. Non ? Une grosse migraine ? Ah, tu comprends mieux mon arthrose. Allez, j'arrête un moment d'agiter mes doigts sur le clavier. Tu pourras te reprendre tranquillement, petite nature !



Mercredi 22 février 2012

Souvent les gens sont attachés à leurs plaintes. Trouvez-leur une solution et ils sont désorientés. Le sentiment de frustration est un puissant moteur. Chaque grain de sable que le hasard met sur notre route augmente encore notre consternation et notre stupeur.
Alors, j'ai appris et j'apprends encore à contrôler mes désirs, à accepter le minuscule caillou dans la chaussure. Avec l'âge cela devient plus facile.
Aller chercher en soi ce qu'il y a de plus précieux et le silence devient palpable, constructif. Comme si la pureté intransigeante de la lumière anesthésiait toutes formes de vicissitudes. Et puis, nous sommes si nombreux à l'intérieur de moi, que mes afflictions s'estompent rapidement.



Jeudi 23 février 2012 

Notre tour est un véritable vivier pour les grenouilles de bénitier. Lloydia et moi, semblons les attirer. Encore il y a quelques jours un couple où nous en étions restés à " bonjour bonsoir ", a souhaité nous rencontrer. Ils prennent en charge à leur manière, les difficultés des parents de nos poussinettes. C'est surtout Madame qui s'exprime, elle semble avoir une foi sincère et profondément enracinée dont elle fait état sans pourtant tomber dans le prosélytisme. Une exception rare que cette grenouille.
Attentive aux petites misères des uns et des autres, elle sait rendre discrètement quelques services. Elle m'a fait repenser à ma mère, chapelet et eau bénite en provenance directe de Lourdes, mais remplissant les papiers administratifs des autres, tout en me demandant de remplir les siens. Du coup elle avait droit à des couscous monstrueux qui auraient pu la nourrir toute une semaine. Alors, j'en profitais.
Un jour, on lui demande de prêter sa cuisinière pour une circoncision. Elle comprend que l'on viendra cuisiner chez elle. Elle accepte. En fait, elle voit débarquer tous les hommes invités. Ils réorganisent la pièce de font en comble et rapidement ma mère se trouve poussée à l'étage du dessus dans la chambre où les femmes bavardent joyeusement en... arabe. Abondance de plats et de sucreries, un peu comme la première communion chez les catholiques, la fête quoi.
Un peu désorientée par cette aventure, en fin d'après-midi elle retrouve sa cuisine dans un état de propreté exemplaire.
À l'inverse de ma mère, qui à l'époque était déjà veuve, Les grenouilles de la tour coassent plus qu'elles n'agissent. La critique en bandoulière et les flammes de l'enfer dans les yeux, sans jamais voir personne, elles filent se geler les miches tous les dimanches, sur les bancs de l'église. Bon, un de ces jours, il faudra que je fasse un tri et que je noie les plus agressives dans ce fameux bénitier.










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2 commentaires:

  1. Une belle évasion constructive qui plus est, Marcel nous dresse un constat bien réel de tous ces petits Narcisse connectés à leur corps par des gadgets sans intérêt, juste pour savoir qu'ils existent, j'aime la sincérité et la sobriété des mots forts en ressentis ! Aussi casquette bien bas à tous deux toi Tippi car tu es une vraie et gentille magicienne et Marcel pour toutes ces notes qui nous font nous interroger ! Bravo à vous deux ! C'était génial !!

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    1. Merci pour notre Marcel et pour moi chère Eponine !

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