BEAUTÉ
J’ai toujours eu un grain pour la beauté…
C’est vrai, très tôt elle me fascina, tout le monde en parlait et je ne savais ni la définir, ni la reconnaître. J’appelais à l’aide pour la débusquer. On m’adressa des réponses les plus fantaisistes mais pas toujours fausses. Un marin, sûr de son fait, m’affirma sous l’autorité de sa casquette qu’il fallait voir trois choses sur le globe : un cheval au galop, une fille qui danse, un bateau qui file sous le vent… Je suivis son conseil mais au bout d’un moment les hippodromes me fatiguèrent… Ses autres propositions ne valaient guère mieux.
Je crus emprisonner la beauté le jour où je fixai sur la pellicule la rosée piégée sur une toile d’araignée. Ce collier de perles respirait entre les feuilles d’un églantier. Sur le papier, je vis la tristesse de la grille d’une prison.
Je visitai des musées, je vis de belles toiles, je ne peux le nier. L’une d’elles m’hypnotisa, je succombais mais le lendemain, un autre tableau la supplanta. Pourtant, un vrai mouvement agitait la chevelure de cette femme qui semblait vouloir me parler mais…
Sur ma route, je rencontrai un tourneur sur bois, les copeaux giclaient et sifflaient sous son ciseau, je restai bouche bée, à regarder cet homme œuvrer tandis qu’une statuette prenait vie sous son outil. Il me demanda ce que je cherchais… Il arrêta ses machines, prit une flûte et joua quelques notes d’un air de Mozart… Je vis une larme couler sur sa joue. « Si je monte au paradis un jour, c’est sur cette musique que je veux y aller. » Je ne me préoccupais de ce genre détails. Je réécoutai cent fois ces trente secondes magiques de Mozart sans comprendre davantage le pourquoi de cette beauté inaccessible, cette correspondance avec quelque chose inscrit au plus profond de moi. Je n’oublierai jamais le son aigu du ciseau. Le tourneur me dit:
- Va te promener vers le soleil couchant, traverse les champs et entre dans la ferme près du bosquet d’arbres, tu demanderas après Georges, il te révèlera peut-être ce que tu cherches.
Dans une pâture, je vis un veau qui tétait sa mère. Ce spectacle se suffisait à lui-même. Un magnifique spectacle, le petit ne semblait pas fini, ses membres étaient ou trop longs ou trop courts, ses articulations trop grosses. Je m’arrêtais plusieurs minutes devant cette paix innocente comme la création. Je sortis mon appareil-photo. Georges vint à ma rencontre, il sortait prendre l’air… Je lui dis combien la beauté tranquille de ces animaux m’apaisait.
-Les nuages mouvants condensent plus de beauté que les appareils photos, me dit-il en regardant mon appareil. Il faut voir le ciel de Verlaine par-dessus le toit, si bleu, si calme… pour comprendre la beauté.
Il me parla de rythme, de son, d’abstraction… mais aussi de ses petits riens auxquels on se raccroche lorsque tout ne va pas au mieux… J’étais un peu dépité.
-Sais-tu seulement jouer aux échecs ? Il y a plus de beauté dans un raisonnement mathématique que dans toute une contrée.
Il me renvoyait à mes études. Sur ma route, une patineuse me dépassa. Chaussée de ses patins à roulettes, elle balançait ses bras dans une belle cadence. La grâce d’une danseuse, l’élégance en plus, ses jambes partaient de droite et de gauche… Je l’imaginais arrivant chez elle et délaçant ses souliers magiques sur le pas de sa porte, essoufflée mais heureuse comme une gagnante…
Un papillon me sortit de ma rêverie, cette fleur multicolore voltigeait près de moi, il changeait sans cesse de direction, j’aurais volontiers suivi son vol hasardeux à la découverte du monde mais nous n’avions ni le même dieu, ni les mêmes capacités.
Je vis le sourire d’une vieille femme marmottant sur le pas de sa porte, elle tricotait et partageait ses secrets avec elle-même. Elle me confia que le rire d’un enfant pouvait, à lui seul, bouleverser le monde: un rire à gorge déployée, quand un enfant ne sait pas encore parler, un rire qu’il utilise le rire comme toi la parole… alors le rire submerge la famille dans une vraie communion.
Les rires de mes enfants condensent mes plus beaux souvenirs mais les enfants sont partis et mes souvenirs meurent près de mes albums-photos.
Un jour, je m’arrêtai devant le jardinet d’une maison proprette. Un banc invitait les passants à s’asseoir pour y raconter leurs histoires. Je m’y suis assis. Un homme m’avoua qu’il ne vit jamais plus beau sourire que celui de son père lorsque celui-ci l’accueillit après des années de brouille. Je ne me suis jamais fâché avec mon père !
J’ai toujours cherché la beauté mais le spectacle que je préfère aujourd’hui et dont jamais je ne me lasserai, c’est celui devant lequel nous nous émerveillons, ta main dans la mienne, lorsque le soir, nous allons admirer les pousses de notre potager, ces jeunes pousses qui nous poussent…
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C'est beau, tout simplement.
RépondreSupprimerUne pauvre errance pour un maigre inventaire. Merci à toi, fidèle lectrice.
SupprimerTous ces grains semés par ta voix magique, mis bout à bout forment la Beauté tout simplement,dans son sens le plus noble ! Ce texte est superbe ! Il y a tant de beauté dans la contemplation de la nature et dans l'approche de l'autre mais ce que j'ai aimé par-dessus tout, c'est le final de toute Beauté ! CHAPEAU BIEN BAS A TOUS LES DEUX pour cette superbe ballade ! Je me suis régalée comme toujours ! Bisous ma Tippi Magicienne et merciiii, c'était génial ! BRAVO !!
RépondreSupprimerMerci beaucoup Eponine, je suis d'accord avec toi pour ce qui est des mots de Durandal et comme toi j'ai adoré les derniers vers qui subliment ce beau chemin parcouru tout au long du texte. Merci bien sûr aussi pour les compliments que tu ne manques jamais de m'adresser ! Bisous Gavrochette !
SupprimerDéfinir la beauté relève de la gageure. On peut lever le voile ici ou là pour en débusquer de petits bouts. L'ensemble forme un tout un peu disparate mais la voix de Tippi fait le lien et donne une cohérence au texte. Merci.
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