♥ à Zib
Les
amoureux de Sandun
Il est une
légende perdue dans les rus du ciel, entre rires et larmes, sur la
terre de Guérande – celle de l’étang de Sandun, ou plutôt,
celle de l’amoureuse de Sandun.
Son prénom
s’est égaré dans les gerçures des temps anciens, mais il n’est
pas besoin de définir ce qui est. Venez à Sandun, son empreinte s’y
dessine, vous la reconnaîtrez, lors que vous me lisez. La révolution
gronde et si les chouans, à plus de six mille mirent à mal la
nouvelle République, la noblesse connut ses heures de déchante et
de larmes.
Les
chouans de Vendée sillonnaient la contrée en ces temps troublés
d’affrontements. La Bretagne était belle et l’or coulait dans
les pichets, à peine troublé. Les hommes fiers frappaient d’estoc
et les femmes pleuraient. La demoiselle de Sandun était de
celles-là, qui craignaient chaque jour le fracas des sans-culottes
aux hauts de chausse des servants du roi.
Son
amoureux, bien né, était de ceux-là. Il ne dédaignait pas se
frotter aux corvées, remonter les cordées et botteler le foin et se
frottait souvent aux gueux des galetas – nés comme lui sur la
terre fertile, aux falaises rouges, parfois.
Ses amis
d’autre endroit l’avisaient, bons enfants, des menaces tricolores
en pays penestois. Il
s’éclipsait alors en terres fortifiées sur le roc haut perché
d’ar
Roc'h-Bernez,
fief encore sûr au roi. La fougue impétueuse du jeune homme se
lassait vite du goulet majestueux de l’estuaire et du calme de la
Vilaine. Il s’élançait alors, d’un galop, droit devant vers sa
belle, sans souci, ignorant du ricanement des armes et du lys, le
sang.
Il
s’en fût, des batailles auxquelles il échappa, et son impatience
lui valut la vie sauve, à l’assaut d’ar
Roc'h où cordes et cris
résonnent encore aux joints des pierres lavées.
Sa chance était telle que sa
réputation dépassa la région, de Nantes à Quimper, de Brest à
Saint-Brieuc, et suivant la Vilaine de l’Oust au Meu, de la Seiche
au Don, du Semnon à l’Isac – courant en pays chouan telle une
traînée de poudre à canon.
Sa
belle en fut bien chagrine, craignant plus chaque instant à mesure
que sa renommée grandissait, frémissant plus, chaque nuit, aux
bottes des chouans qu’il recevait. Ses amis, pour les foins, se
passèrent de lui. Ils en prirent quelque ombrage et, chafouins,
omirent de l’aller quérir lorsqu’en grandes manœuvres la
République se mit.
Il
ne s’en soucia point et alla de sa mie, à l’envi, vanter tous
les délices aux chouans ébahis. La cour de la demoiselle s’en vit
agrandie, à l’effroi qu’en toute raison elle avait. Les
batailleurs aguerris retrouvaient quelque lustre aux pieds d’une
dame qu’ils savaient illustre.
Las !
Les gueux, aventureux et autres besogneux en firent babillage et l’on
sut partout qu’en pays de Guérande, les suppôts du roi faisaient
affront au bon peuple et à sa révolution.
Dès
lors, la machinerie huila ses rouages et s’ourdit le complot.
Un soir
d’été limpide où crissaient les grillons — à l’heure où
rougit le ciel et lors qu’en sa demeure la belle donnait fête, sa
maisonnée, assaillie, fut réduite au silence. Les genêts s’en
trouvèrent écarlates de honte et périrent en un instant. Les
hortensias, livides, en perdirent la tête et les bruyères seules,
en leur modeste parure se tinrent pour témoins de sinistre
devanture. L’assaut fut donné de toutes les fenêtres et les
chouans, si vaillants, pourfendant les manants s’écroulèrent sous
le nombre, rendant sang aux tapis et tripes au couchant. Les oiseaux
s’enfuirent vers le large, laissant place à ceux de proie. Une
mare sur le chemin accueillit avocettes élégantes, aigrettes et
pluviers, laissant aux mouettes les embruns des rochers. Le ciel
nappé de nuages tira le voile sur la demeure, mais le cri de la
demoiselle s’étira jusqu’à l’estuaire, s’effilocha par les
criques et les anses aux heurtées de granit, par les falaises
rouges, en crescendo de honte et de douleur à l’odieux arc-boutage
des gueux blanc-bleu. Le rouge fut sa couleur, maculant sa blancheur.
De tous les outrages qu’elle subit, elle ne dit pas un mot et s’en
fut dans la nuit en tout abandon, délaissée, déflorée et grosse
jusqu’au cœur du fruit de leur labeur.
Jamais
elle ne dira, au croisé de leurs yeux qu’elle en a reconnus, des
natifs de ces lieux. Leur fureur lubrique nourrie de bolées d’or
n’a pas eu chagrin pour celle qui, naguère, leur servait à boire
aux assemblées, au bras de cet ami, par la grâce de la guerre,
ennemi devenu. Elle a lavé sa honte à l’océan rageur, ouverte au
ressac qui l’a rejetée sur la grève, inondée de pleurs. Elle l’a
cherché, lui, son cœur empli de craintes pour l’aimé en péril,
car c’est lui qu’ils cherchaient, Lui, pour le tuer.
Elle a
couru sans fin, de Guérande à Pénestin, taillant dans les fougères
odorantes à travers bois et champs. Elle a laissé sa trace sur le
sable humide des plages, déchiré ses pieds nus aux rochers, sous la
lune étonnée de cette ombre blanche aux bras qui tournoyaient.
Ivre de
folie et de chagrin, elle marchait de nuit au matin, sans larmes, et
les gueux s’écartaient devant cette folle sacrée que rien
n’arrêtait. Car la honte qui tenaille les tenants de la trahison
leur rongeait les entrailles et nul ne se prit d’en finir une bonne
fois.
Elle a
suivi sa trace, celle de Lui, son amoureux en fuite qui par les bois
sans fin la cherchait, Elle, son âme aimée qu’il n’avait su
protéger. Il avait su les cris. Il avait vu le lit, les cadavres
éventrés, les têtes découronnées. Chaque corps il a soulevé,
autant de coups de pistolet, craignant de l’y trouver. C’est une
fillette qui lui a conté avoir vu sa dame, en chemise se fondre dans
la nuit sans fond. Pris d’un espoir insensé, il s’est résolu à
la trouver et, du matin à la nuit, bravant les gueux et les
estourbis il a suivi les sentes, les ruelles et les rochers,
haranguant marées, crabes et mouettes, les sommant de lui montrer la
route vers le cœur de sa bienaimée.
De
Pénestin à Guérande, il a marché sans fin, les yeux noirs de
supplice, le ventre serré de colère, sous la cime des pins. Dans le
creux des fougères parfois, il a cru la trouver, reconnaître sa
couche, humer son parfum, mais en vain. À la nuit, épuisé, il
tombait en pleurs sous le couvert des forêts, gravant, éperdu, ses
affres aux troncs puissants des géants chenus.
C’est
ainsi qu’un soir, il a chu, s’abreuvant à la mare de Sandun
après une longue marche qui le laissait fourbu.
Las !
Dans son harassement, il n’avait pas vu le pas des chevaux dans la
vase, l’empreinte des bottes imprimée en outrage sur les herbes
couchées, brisées, piétinées. La lueur des sabres sous la lune,
reflétée sur l’eau sage, lui ouvrit les yeux, mais bien tard.
Quatre gueux mal fagotés dans des uniformes si bleus lui firent fête
à coups de lame et de mousquets qu’il contra tant et si bien que
trois, il trancha ! Le quatrième, bon couard, se prit à bramer
si fort que le val en trembla et s’empressa de pousser loin la
vocifération qui sentait fort la pisse et l’effroi.
Las !
Une escouade proche s’y rua et sans plus réfléchir, pourfendit le
capon, le chie-en culotte, dépouillé dans l’affaire de l’uniforme
si bleu qui ne lui seyait guère. L’alangui se crut un instant
sauvé, mais la clameur qui résonnait encore vint tout droit aux
conscrits. Forts de son entendement et de la duperie, ils en furent
bien aigris et entrèrent en furie.
Loin, trop
loin, Elle, avait compris. Qui d’autre que son aimé aurait pu
susciter tant d’épouvantement en son pays ? Il était donc
ici, à Sandun où elle passait pour la neuvième fois, Sandun, où
il avait, près de la mare aux vœux, scellé leur amour d’un
baiser sur les yeux.
Elle court
à perdre haleine, prise d’un effarement immense. Le fracas de la
troupe la pousse vers le guêpier, vers Lui, qu’enfin ! elle
va retrouver.
Le galop
des haridelles fuyant sur l’eau la fait défaillir. Elle surgit,
silhouette blanche en lambeaux sur le champ de bataille et le voit,
étendu, les yeux vers le ciel, moucheté par la mitraille. Elle
crie, il tressaille. Couchée sur son côté, de sa bouche elle
reçoit son premier baiser, terre bleuie de fer en épousailles. Ses
yeux tournent au vitrail – elle le serre, le réchauffe, le couvre
de ses cheveux en oriflamme, ferme de ses doigts les plaies et
fredonne à son oreille une comptine tendre. Il chuchote sa flamme en
répons, il s’étiole, et d’un dernier baiser reçoit pour le
passage le souffle de ses lèvres en ultime message.
De son
corps nu elle a couvert le sien, les yeux rivés au ciel, y cherchant
son étoile. De sa robe blanche en marée étale elle a paré sa
couche en linceul à son âme. Elle s’est évadée, perdue dans les
nuages, le lait de ses seins en fleuve intarissable. Le lait de son
ventre meurtri a submergé les prés et noyé les vilains. Le lait de
sa vie a enfanté la vallée de cette eau limpide qui plaît aux
oiseaux. Aigrettes et avocettes s’en firent gorges chaudes et de ce
jour, naquit une blanche oiselle, la Tippistrelle picoreuse qui
parcourt les rives sur ses fines pattes rouges dans une quête sans
fin, celle de Lui, celui qui jamais ne reviendra.
Car le
fruit de cette eau est celui de la forfaiture des traîne-misère,
des assassins, des faucheux et si la mare originelle s’étend
désormais jusque vers la Brière en chevelure dense aux reflets de
ciel bleu, hébergeant hérons et busards au même gîte que la
gracieuse Tippistrelle, ce n’est pas qu’Elle a pardonné, non.
Elle veille sur la rive, le corps offert en roc, glorieuse en
manifeste pour nous dire qu’en ce pays comme ailleurs, la femme est
et restera.
Ses seins
se sont creusés pour avoir trop pleuré mais ils gardent de cette
eau pour les plus assoiffés. Son ventre arrondi s’offre au siège
des promeneurs pour une rêverie dont je sors après vous y avoir
promenés.
Les
blanches Tippistrelles suivent les sentes sur les pas des amoureux,
du couvert des fougères aux cosses des genêts, rappelant leurs
origines aux hommes de ce temps, fruits de guerres fratricides et
d’amours meurtris, et les hampes roses des herbes folles qui
frissonnent de nos émois déclinent au vent les strophes d’une
rengaine que l’on entend, parfois, quand se tend l'étole du
couchant.
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De
Guérande à Pénestin
Je
t’ai cherché en vain,
Mon
tendre, mon aimé, digue dondaine
Tu
gisais à Sandun.digue don don.
Le
cidre coulait à flots
Aux
mâles râles, sanglots
Des
lames, aux sangs mêlés, digue dondaine
Au
baiser de la faux, digue don don.
Le
cidre coulait à cris
Je
te cherchais en vain,
De
Guérande à Sandun, digue dondaine,
Tu
gisais, mon chagrin, digue don dé.
Mes
cheveux sur tes yeux bleus
L’horizon
dans les miens
J’ai
vu mon ventre rond, digue dondaine,
Et
les pleurs de mes seins, digue don don
Et
la terre de mes larmes
A
uni nos destins
Mon
tendre, mon aimé, digue dondaine,
Une
Tippistrelle est née, digue don dé. Bis
Ève
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Ma Tippistrelle, merci de cet honneur fait par ta voix qui a su faire vibrer ce texte ! Petit hommage à ton pays où j'ai bourlingué à mes heures de jeunesse, et aux demoiselles de Sandun ! Tu y feras pèlerinage pour moi, au détour d'une ballade, la pierre demeure gravée pour nous laisser tout imaginer... Zibous ma belle, bonne soirée et un grand merci !
RépondreSupprimerJe pèlerinerai à ta santé ma chère Ziboune ! C'est un beau cadeau que cette Tippistrelle ! Et de Guérande à Pénestin, chantons notre amitié au cidre d'or ! (c'est le seul alcool que je consomme !!!) Ziboux à toi et bravo pour ce conte et cette chanson singulière !
SupprimerAh, je bois plus raide que toi, mais j'aime aussi le cidre, alors trinquons ma belle !
SupprimerQue j'adore cette ecriture et cette voix merci les filles, continuez. J'aime tes contes Zib, ses mots, tes expressions, je reve d'écrire comme cela. Où se trouve ton inspiration ma belle? putain c'est fort "qui sentait fort la pisse et l'effroi" et tout le reste...
RépondreSupprimerMerci
Java
à la tienne ami Java ! Tchin au cidre d'or et à toute bolée !!! Bises
SupprimerMerci mon Java, l'inspiration est sensorielle, tant pour les odeurs que pour le visuel, c'est emmagasiné en moi. Tchin les amis, à tout l'or du cidre qui est en nous !
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