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dimanche 30 novembre 2014

EVE ZIBELYNE - LES AMOUREUX DE SANDUN








à Zib 




Les amoureux de Sandun

Il est une légende perdue dans les rus du ciel, entre rires et larmes, sur la terre de Guérande – celle de l’étang de Sandun, ou plutôt, celle de l’amoureuse de Sandun.
Son prénom s’est égaré dans les gerçures des temps anciens, mais il n’est pas besoin de définir ce qui est. Venez à Sandun, son empreinte s’y dessine, vous la reconnaîtrez, lors que vous me lisez. La révolution gronde et si les chouans, à plus de six mille mirent à mal la nouvelle République, la noblesse connut ses heures de déchante et de larmes.

Les chouans de Vendée sillonnaient la contrée en ces temps troublés d’affrontements. La Bretagne était belle et l’or coulait dans les pichets, à peine troublé. Les hommes fiers frappaient d’estoc et les femmes pleuraient. La demoiselle de Sandun était de celles-là, qui craignaient chaque jour le fracas des sans-culottes aux hauts de chausse des servants du roi.
Son amoureux, bien né, était de ceux-là. Il ne dédaignait pas se frotter aux corvées, remonter les cordées et botteler le foin et se frottait souvent aux gueux des galetas – nés comme lui sur la terre fertile, aux falaises rouges, parfois.
Ses amis d’autre endroit l’avisaient, bons enfants, des menaces tricolores en pays penestois. Il s’éclipsait alors en terres fortifiées sur le roc haut perché d’ar Roc'h-Bernez, fief encore sûr au roi. La fougue impétueuse du jeune homme se lassait vite du goulet majestueux de l’estuaire et du calme de la Vilaine. Il s’élançait alors, d’un galop, droit devant vers sa belle, sans souci, ignorant du ricanement des armes et du lys, le sang.
Il s’en fût, des batailles auxquelles il échappa, et son impatience lui valut la vie sauve, à l’assaut d’ar Roc'h où cordes et cris résonnent encore aux joints des pierres lavées. Sa chance était telle que sa réputation dépassa la région, de Nantes à Quimper, de Brest à Saint-Brieuc, et suivant la Vilaine de l’Oust au Meu, de la Seiche au Don, du Semnon à l’Isac – courant en pays chouan telle une traînée de poudre à canon.
Sa belle en fut bien chagrine, craignant plus chaque instant à mesure que sa renommée grandissait, frémissant plus, chaque nuit, aux bottes des chouans qu’il recevait. Ses amis, pour les foins, se passèrent de lui. Ils en prirent quelque ombrage et, chafouins, omirent de l’aller quérir lorsqu’en grandes manœuvres la République se mit.
Il ne s’en soucia point et alla de sa mie, à l’envi, vanter tous les délices aux chouans ébahis. La cour de la demoiselle s’en vit agrandie, à l’effroi qu’en toute raison elle avait. Les batailleurs aguerris retrouvaient quelque lustre aux pieds d’une dame qu’ils savaient illustre.
Las ! Les gueux, aventureux et autres besogneux en firent babillage et l’on sut partout qu’en pays de Guérande, les suppôts du roi faisaient affront au bon peuple et à sa révolution.
Dès lors, la machinerie huila ses rouages et s’ourdit le complot.
Un soir d’été limpide où crissaient les grillons — à l’heure où rougit le ciel et lors qu’en sa demeure la belle donnait fête, sa maisonnée, assaillie, fut réduite au silence. Les genêts s’en trouvèrent écarlates de honte et périrent en un instant. Les hortensias, livides, en perdirent la tête et les bruyères seules, en leur modeste parure se tinrent pour témoins de sinistre devanture. L’assaut fut donné de toutes les fenêtres et les chouans, si vaillants, pourfendant les manants s’écroulèrent sous le nombre, rendant sang aux tapis et tripes au couchant. Les oiseaux s’enfuirent vers le large, laissant place à ceux de proie. Une mare sur le chemin accueillit avocettes élégantes, aigrettes et pluviers, laissant aux mouettes les embruns des rochers. Le ciel nappé de nuages tira le voile sur la demeure, mais le cri de la demoiselle s’étira jusqu’à l’estuaire, s’effilocha par les criques et les anses aux heurtées de granit, par les falaises rouges, en crescendo de honte et de douleur à l’odieux arc-boutage des gueux blanc-bleu. Le rouge fut sa couleur, maculant sa blancheur. De tous les outrages qu’elle subit, elle ne dit pas un mot et s’en fut dans la nuit en tout abandon, délaissée, déflorée et grosse jusqu’au cœur du fruit de leur labeur.
Jamais elle ne dira, au croisé de leurs yeux qu’elle en a reconnus, des natifs de ces lieux. Leur fureur lubrique nourrie de bolées d’or n’a pas eu chagrin pour celle qui, naguère, leur servait à boire aux assemblées, au bras de cet ami, par la grâce de la guerre, ennemi devenu. Elle a lavé sa honte à l’océan rageur, ouverte au ressac qui l’a rejetée sur la grève, inondée de pleurs. Elle l’a cherché, lui, son cœur empli de craintes pour l’aimé en péril, car c’est lui qu’ils cherchaient, Lui, pour le tuer.
Elle a couru sans fin, de Guérande à Pénestin, taillant dans les fougères odorantes à travers bois et champs. Elle a laissé sa trace sur le sable humide des plages, déchiré ses pieds nus aux rochers, sous la lune étonnée de cette ombre blanche aux bras qui tournoyaient.
Ivre de folie et de chagrin, elle marchait de nuit au matin, sans larmes, et les gueux s’écartaient devant cette folle sacrée que rien n’arrêtait. Car la honte qui tenaille les tenants de la trahison leur rongeait les entrailles et nul ne se prit d’en finir une bonne fois.
Elle a suivi sa trace, celle de Lui, son amoureux en fuite qui par les bois sans fin la cherchait, Elle, son âme aimée qu’il n’avait su protéger. Il avait su les cris. Il avait vu le lit, les cadavres éventrés, les têtes découronnées. Chaque corps il a soulevé, autant de coups de pistolet, craignant de l’y trouver. C’est une fillette qui lui a conté avoir vu sa dame, en chemise se fondre dans la nuit sans fond. Pris d’un espoir insensé, il s’est résolu à la trouver et, du matin à la nuit, bravant les gueux et les estourbis il a suivi les sentes, les ruelles et les rochers, haranguant marées, crabes et mouettes, les sommant de lui montrer la route vers le cœur de sa bienaimée.
De Pénestin à Guérande, il a marché sans fin, les yeux noirs de supplice, le ventre serré de colère, sous la cime des pins. Dans le creux des fougères parfois, il a cru la trouver, reconnaître sa couche, humer son parfum, mais en vain. À la nuit, épuisé, il tombait en pleurs sous le couvert des forêts, gravant, éperdu, ses affres aux troncs puissants des géants chenus.
C’est ainsi qu’un soir, il a chu, s’abreuvant à la mare de Sandun après une longue marche qui le laissait fourbu.
Las ! Dans son harassement, il n’avait pas vu le pas des chevaux dans la vase, l’empreinte des bottes imprimée en outrage sur les herbes couchées, brisées, piétinées. La lueur des sabres sous la lune, reflétée sur l’eau sage, lui ouvrit les yeux, mais bien tard. Quatre gueux mal fagotés dans des uniformes si bleus lui firent fête à coups de lame et de mousquets qu’il contra tant et si bien que trois, il trancha ! Le quatrième, bon couard, se prit à bramer si fort que le val en trembla et s’empressa de pousser loin la vocifération qui sentait fort la pisse et l’effroi.
Las ! Une escouade proche s’y rua et sans plus réfléchir, pourfendit le capon, le chie-en culotte, dépouillé dans l’affaire de l’uniforme si bleu qui ne lui seyait guère. L’alangui se crut un instant sauvé, mais la clameur qui résonnait encore vint tout droit aux conscrits. Forts de son entendement et de la duperie, ils en furent bien aigris et entrèrent en furie.
Loin, trop loin, Elle, avait compris. Qui d’autre que son aimé aurait pu susciter tant d’épouvantement en son pays ? Il était donc ici, à Sandun où elle passait pour la neuvième fois, Sandun, où il avait, près de la mare aux vœux, scellé leur amour d’un baiser sur les yeux.
Elle court à perdre haleine, prise d’un effarement immense. Le fracas de la troupe la pousse vers le guêpier, vers Lui, qu’enfin ! elle va retrouver.
Le galop des haridelles fuyant sur l’eau la fait défaillir. Elle surgit, silhouette blanche en lambeaux sur le champ de bataille et le voit, étendu, les yeux vers le ciel, moucheté par la mitraille. Elle crie, il tressaille. Couchée sur son côté, de sa bouche elle reçoit son premier baiser, terre bleuie de fer en épousailles. Ses yeux tournent au vitrail – elle le serre, le réchauffe, le couvre de ses cheveux en oriflamme, ferme de ses doigts les plaies et fredonne à son oreille une comptine tendre. Il chuchote sa flamme en répons, il s’étiole, et d’un dernier baiser reçoit pour le passage le souffle de ses lèvres en ultime message.
De son corps nu elle a couvert le sien, les yeux rivés au ciel, y cherchant son étoile. De sa robe blanche en marée étale elle a paré sa couche en linceul à son âme. Elle s’est évadée, perdue dans les nuages, le lait de ses seins en fleuve intarissable. Le lait de son ventre meurtri a submergé les prés et noyé les vilains. Le lait de sa vie a enfanté la vallée de cette eau limpide qui plaît aux oiseaux. Aigrettes et avocettes s’en firent gorges chaudes et de ce jour, naquit une blanche oiselle, la Tippistrelle picoreuse qui parcourt les rives sur ses fines pattes rouges dans une quête sans fin, celle de Lui, celui qui jamais ne reviendra.
Car le fruit de cette eau est celui de la forfaiture des traîne-misère, des assassins, des faucheux et si la mare originelle s’étend désormais jusque vers la Brière en chevelure dense aux reflets de ciel bleu, hébergeant hérons et busards au même gîte que la gracieuse Tippistrelle, ce n’est pas qu’Elle a pardonné, non. Elle veille sur la rive, le corps offert en roc, glorieuse en manifeste pour nous dire qu’en ce pays comme ailleurs, la femme est et restera.
Ses seins se sont creusés pour avoir trop pleuré mais ils gardent de cette eau pour les plus assoiffés. Son ventre arrondi s’offre au siège des promeneurs pour une rêverie dont je sors après vous y avoir promenés.
Les blanches Tippistrelles suivent les sentes sur les pas des amoureux, du couvert des fougères aux cosses des genêts, rappelant leurs origines aux hommes de ce temps, fruits de guerres fratricides et d’amours meurtris, et les hampes roses des herbes folles qui frissonnent de nos émois déclinent au vent les strophes d’une rengaine que l’on entend, parfois, quand se tend l'étole du couchant.




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De Guérande à Pénestin
Je t’ai cherché en vain,
Mon tendre, mon aimé, digue dondaine
Tu gisais à Sandun.digue don don.
Le cidre coulait à flots
Aux mâles râles, sanglots
Des lames, aux sangs mêlés, digue dondaine
Au baiser de la faux, digue don don.
Le cidre coulait à cris
Je te cherchais en vain,
De Guérande à Sandun, digue dondaine,
Tu gisais, mon chagrin, digue don dé.
Mes cheveux sur tes yeux bleus
L’horizon dans les miens
J’ai vu mon ventre rond, digue dondaine,
Et les pleurs de mes seins, digue don don
Et la terre de mes larmes
A uni nos destins
Mon tendre, mon aimé, digue dondaine,
Une Tippistrelle est née, digue don dé. Bis



Ève Zibelyne  2014 - Tous droits réservés sur texte et illustration.



6 commentaires:

  1. Ma Tippistrelle, merci de cet honneur fait par ta voix qui a su faire vibrer ce texte ! Petit hommage à ton pays où j'ai bourlingué à mes heures de jeunesse, et aux demoiselles de Sandun ! Tu y feras pèlerinage pour moi, au détour d'une ballade, la pierre demeure gravée pour nous laisser tout imaginer... Zibous ma belle, bonne soirée et un grand merci !

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    1. Je pèlerinerai à ta santé ma chère Ziboune ! C'est un beau cadeau que cette Tippistrelle ! Et de Guérande à Pénestin, chantons notre amitié au cidre d'or ! (c'est le seul alcool que je consomme !!!) Ziboux à toi et bravo pour ce conte et cette chanson singulière !

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    2. Ah, je bois plus raide que toi, mais j'aime aussi le cidre, alors trinquons ma belle !

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  2. Que j'adore cette ecriture et cette voix merci les filles, continuez. J'aime tes contes Zib, ses mots, tes expressions, je reve d'écrire comme cela. Où se trouve ton inspiration ma belle? putain c'est fort "qui sentait fort la pisse et l'effroi" et tout le reste...
    Merci
    Java

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    1. à la tienne ami Java ! Tchin au cidre d'or et à toute bolée !!! Bises

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    2. Merci mon Java, l'inspiration est sensorielle, tant pour les odeurs que pour le visuel, c'est emmagasiné en moi. Tchin les amis, à tout l'or du cidre qui est en nous !

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