Pages

mercredi 9 avril 2014

MATHIEU JAEGERT - Lui, c'est quelqu'un








LUI, C'EST QUELQU'UN



Je voulais être quelqu’un. Cette idée fixe s’était incrustée durablement dans ma tête un matin, après avoir croisé mon voisin. J’entends déjà certaines voix s’élever en affirmant que chacun d’entre nous est unique. Oui, mais je venais de comprendre qu’être un peu plus unique que les autres présentait d’indéniables avantages. J’avais donc eu affaire à Brice, l’étudiant occupant un appartement au deuxième étage, juste au-dessus de chez moi. Notez bien qu’il aurait pu habiter juste en-dessous, cela n’aurait rien changé à l’histoire, je pense que c’est important de le préciser. Je ne sais pas pour qui il s’était pris, mais il s’était permis de me prendre pour quelqu’un d’autre. Autant vous dire que je l’avais mal pris. Pas lui, mais le fait qu’on me prenne pour un autre alors que j’avais mis tant d’années à savoir qui j’étais, et à me sentir bien comme cela. Lui, je l’avais pris avec des pincettes car il était schizophrène. Enfin c’est Jean-Luc qui l’affirmait, et je lui faisais confiance. Un comble, non ? Le type qui en plus de se prendre lui-même pour d’autres, prenait les autres pour ce qu’ils n’étaient pas. Bref, je ne m’étais pas attardé mais ma décision avait coulé de source. Il fallait que je devienne quelqu’un coûte que coûte ! En étant connu, ce genre de mésaventure ne devrait plus arriver.



Je m’étais tourné vers Jean-Luc, justement, mon voisin d’en face. Bien sûr, « me tourner » était une expression puisque je n’avais eu qu’à lever la tête. Et d’ailleurs, dans cette affaire, qu’il vive juste en face de chez moi n’avait pas plus d’importance que pour Brice, vous l’aurez compris. Lui, ce n’était pas n’importe qui ! J’avais donc tout fait pour me glisser dans sa peau. Côtoyer un illustre personnage devait m’empêcher de rester un illustre inconnu. C’était sans compter sur sa réaction ! Un sacré caractère ce Jean-Luc. Une fois saisi que je voulais me mettre à sa place, il m’avait remis à la mienne, avant même que je n’aie eu le loisir d’esquisser le moindre mouvement. Comme s’il ne me remettait pas ! Comme quoi, la place devait être enviable ! Je n’avais pas insisté mais j’étais revenu à la charge quelques jours après de manière beaucoup plus subtile. J’avais fini par me sentir un peu lui, tout en ne notant pas de changement quant à mon statut. Aucune éclaboussure de célébrité ne parvenait jusqu’à moi. J’étais un peu perdu. J’étais lui et moi à la fois. Je souhaitais me démarquer, mais c’était précisément en cherchant à être singulier que j’étais devenu pluriel. Je ne savais plus qui j’étais et où j’habitais. Oui d’accord, il m’aurait suffi de relire le début de ce texte pour me situer, mais quand-même, avouez que c’était troublant. Je ne savais plus à quel Saint me vouer. Il y avait de quoi en perdre son latin. Heureusement, je n’avais jamais fait de latin, c’était sans doute ce qui m’avait sauvé !



Une idée m'avait alors traversé l'esprit. Et si je changeais de nom ? En me renommant, je deviendrai par la force des choses renommé...




Texte protégé et déposé 
sur le blog de Mathieu
ici


Ainsi qu'une très belle interprétation de ce même texte par Christian Carpentier à découvrir sur l'iPaginaSon 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire