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jeudi 14 août 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 20









Corvair





Suite 20



Jérôme considéra la Moune avec dédain. Il s’apprêtait à lui répondre poussé par une furieuse envie de la remettre à sa place, mais il préféra garder le silence et replia consciencieusement le plaid laissé à l’abandon sur l’herbe froissée et jaunie de la clairière. Les mains toujours plantées sur ses hanches, la Moune l’observa faire et son énervement s’accrut dans des proportions équivalentes à l’apparente indifférence de son amant. Quand il revint vers elle, la couverture pliée sous son aisselle gauche, elle tenta vainement de croiser son regard et en éprouva du dépit. Il l’ignorait et se dirigeait à présent vers le chemin vicinal où il avait garé sa Chevrolet Corvair.

- Attends-moi ! Tu ne vas pas me planter là, toute seule !

Son cri plaintif était dépourvu d’hostilité et signait une forme de reddition, voire de renoncement. Le fils Blandin s’arrêta de marcher, puis se tourna vers elle. Il avait repris un visage avenant, la gratifia d’un sourire un peu forcé dont elle ne remarqua pas la facticité, trop heureuse de le voir disposé à l’attendre. Elle se précipita sur Arsène qui était resté en retrait de l’altercation, le blottit dans ses bras et le serra contre sa poitrine, puis courut en direction de Jérôme. Le chat n’osa pas se rebiffer et goutta sans malice à l’odeur de vanille qui imprégnait le sillon de ses seins. Arrivée à la hauteur de son homme, celui-ci tendit le bras en avant, lui intimant de stopper.

- Qu’est-ce que tu fais avec ce chat ? Tu ne penses pas le prendre avec toi ? Jamais un chat ne montera dans ma décapotable… Des sièges en cuir qui m’ont coûté une fortune… laisse-le … s’il a su venir jusqu’ici, il saura parfaitement retourner tout seul au village… Je t’en prie Mounette… tu m’en demandes trop… Je te dépose chez tes parents, mais le greffier reste là. C’est à prendre ou à laisser…

La Moune esquissa une moue boudeuse et resserra son étreinte sur Arsène qui, pour le coup, faillit étouffer.

- Tu es toujours en colère contre moi ? Ho ! Jérôme, je te demande pardon… je ne sais pas ce qui m’a prise… Si c’est pour ton père… oublie ce que j’ai dit. J’ai perdu la tête. Je ne voulais surtout pas te blesser… Pour le chat, je te promets de le garder sur mes genoux et il ne fera aucun dégât à ta belle voiture. Il sera sage comme une image et après m’avoir déposée à la ferme, je le mettrai sur ton tapis de sol où il restera bien tranquille jusqu’à ce que tu le ramènes dans le bourg. Pas vrai le chat que tu seras sage ?

Elle avait enfoui son visage dans la fourrure d’Arsène et ses longs cheveux l’enveloppait d’une vaporeuse parure. Elle berçait l’apprenti inspecteur avec tendresse comme l’on berce un nouveau-né le soir pour l’endormir. La scène devait avoir un charme indéniable car le fils Blandin, après avoir laissé mourir un soupir sur ses lèvres, ne manqua pas de s'attendrir.

- Ma Mounette… il n’y a que toi pour me faire craquer ainsi. Bon, c’est d’accord, prends ton protégé avec nous dans la voiture, mais s’il me fait la moindre connerie à bord, tu en seras responsable… Allez, viens avant que je ne change d’avis… et embrasse-moi pour la peine.

Elle ne se le fit pas dire deux fois, se lova contre lui et Arsène dut prendre son mal en patience, écrasé entre deux poitrails, l’un musclé, l’autre moelleux, le temps d’un long et fougueux baiser. Ils remontèrent le sentier à menues foulées, ne ménageant ni les embrassades ni les mots doux dont s’abreuvent habituellement les amoureux.

Quelques cirrus s’effilochaient dans le ciel sans pour autant menacer un soleil qui amorçait sa courbe descendante vers l’horizon. Lorsqu’ils arrivèrent en vue de la décapotable rouge sang, Jérôme fredonnait « Only You » des Platters en roulant les « r » comme un authentique berrichon. La Moune était aux anges. Elle avait retrouvé son tempérament primesautier, riait par petites saccades au vol lourd d’un Vulcain au-dessus des orties bordant le chemin, au zinzinulement d’une fauvette charbonnière perchée dans un noisetier et couvait son amant d’un regard admirateur, tout en caressant Arsène dans le sens du poil. Jérôme poussa la galanterie jusqu’à lui ouvrir la porte du passager et l’aida à s’installer dans la voiture, non sans jeter un coup d’œil inquiet au chat qu’elle continuait de câliner dans ses bras. Quelques secondes plus tard, il faisait ronfler le moteur puis démarra dans un geyser de poussière et de gravillons. Arsène apprécia moyennement ce départ en trombe ainsi que le bruit infernal d’un moteur qui lui était inconnu. De plus, le vent qui s’engouffrait dans l’habitacle brouillait son odorat. Il peinait à respirer et d’instinct se coula entre les cuisses de la Moune pour échapper aux turbulences.

- Tu vois comme il est sage… s’esclaffa-t-elle en désignant la retraite équivoque du matou.

Jérôme en découvrant que le chat reposait non seulement entre les cuisses dénudées de sa belle, mais surtout à même le siège en cuir de son automobile grimaça un sourire qui exprimait plus de contrariété que d’amusement. Il fit un effort sur lui-même pour lui répondre sur un ton badin.

- Ha ! le coquin… Finalement, je préfère le voir dans tes bras, ma Mounette… Comme cela, près de ta gorge, je trouve qu’il ferait une splendide étole pour cet hiver…

La Moune lui décocha un léger coup de poing dans les côtes qui eut pour effet immédiat de provoquer une embardée qu’il rattrapa un peu trop vivement, l’arrière de la voiture chassant dangereusement vers le fossé. Il arriva néanmoins à reprendre le contrôle, les mains crispées sur le volant.

- Oups ! on l’a échappé belle…  balbutia la Moune, dont les traits s’étaient brusquement figés.

Le charme était rompu et le restant du trajet se déroula en silence. Le fils Blandin arrêta sa voiture à la hauteur du grillage délimitant l’entrée de l’élevage de poulets du père Baillou.

- Tu ne viens pas saluer les parents ? questionna la Moune.

- Une autre fois, répondit d’un ton sec Jérôme. Je dois rentrer à la maison. J’ai des papiers de la coopérative à lire, à contrôler et à signer. Et puis, ma mère m’attendait pour déjeuner… Tu les salueras pour moi… Heu ! au fait, tu es sûre de ne pas vouloir garder le chat avec toi ?

La Moune refusa tout net et déposa Arsène sur le tapis de sol devant son siège. Elle embrassa goulument son Jérôme après lui avoir recommandé de déposer le matou sur la Place de l’Église à deux pas de chez son maître, puis, d’une démarche légère elle pénétra dans la cour de l’élevage en agitant, sans se retourner, le bras en un gracieux au revoir. Une fois seul, le fils Blandin considéra d’un œil torve le passager qui remettait un peu de discipline dans des poils tournicotés par le vent.

- T’as intérêt à ne pas m’emmerder, toi… grinça-t-il en démarrant sur les chapeaux de roue.

À peine avait-il parcouru une centaine de mètres qu’il profita d’un virage en épingle à cheveux pour stopper le moteur. Il s’assura que l’on ne pouvait l’observer depuis la ferme du père Baillou, et se pencha afin d’ouvrir la portière du côté passager.

- Allez dégage…

Il accompagna son ordre d’un geste brusque de la main pour effrayer Arsène. Monumentale erreur qu’il regretta aussitôt, car l’apprenti inspecteur espérait ce genre d’occasion bénie pour se venger des insultes proférées un peu plus tôt à son encontre. Bandant ses muscles à l’extrême, il bondit sur le siège toutes griffes sorties et s’échappa de la voiture emportant dans sa fuite, un mince lambeau de cuir d’un rouge écarlate.




©Catherine Dutigny/Elsa, juillet 2014



à retrouver sur le site iPagination




à suivre...



2 commentaires:

  1. Alors là, pour le coup, je suis bien contente car je ne l'aime pas du tout ce Jérôme Blandin, c'est un rustre et la pauvre Moune est bien naïve, je suis contente de retrouver Arsène !! Je savais bien qu'il était plein de ressources ! Tout comme vous deux Elsa et Tippi, voilà tout !!! Merci et casquette bien bas, je cours lire la suite si elle est publiée car dans mon enthousiasme, je n'ai pas vérifié !!

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  2. Rires! Eponine tu as raison ce Jérôme Blandin fait figure bien goujate ! Heureusement notre Arsène et même La Moune savent se défendre !

    Merci de ton engouement ! (un mot d'amour d'Arsène qui adore les GUE !)

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