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Lundi 16 janvier 2012
Depuis
toujours, j'écris de petites phrases que je note soigneusement.
Elles m'accompagnent ainsi dans de petits carnets jusqu'à ce
qu'elles trouvent une place dans un texte. Beaucoup ont trait à la
poésie. Je vous en livrerai ici quelques-unes à commencer par
celle-ci qui interroge mon travail.
Hors de l'énergie du langage, ce que j'écris a-t-il un sens ?
Mardi 17 janvier 2012
Je
n'aime pas trop ce terme de « travail » que j'utilise
parfois à propos de l'écriture. Je n'en ai pas d'autre pour
traduire cette sorte de respiration cérébrale que j'expire noir sur
blanc. La buée des jours, volutes qui dansent et se posent, des
lettres s'enlacent et m'expriment.
Mercredi 18 janvier 2012
Face
à une maladie dont on ne sait que trop l'issue fatale, nous ne
devrions nous poser qu'une seule question. Pourquoi mon corps ne
veut-il plus de moi ? La réponse sincère à cette interrogation
produit parfois des effets inespérés.
J'ai
essayé d'expliquer cela bien maladroitement à un ami dont je devine
l'angoisse devant une échéance qu'il tente de reporter le plus loin
possible, avec un certain succès.
Sa
vie difficile lui a déposé sur les épaules, et ceci dès sa plus
tendre enfance, des fardeaux si lourds que bien d'autres auraient
résolus par le suicide. Lui, il force mon admiration par son courage
et sa soif de vivre. Mais parmi tous ces fardeaux, n'en est-il pas
un, enfoui si profondément qu'il n'en a jamais parlé et surtout pas
à la ou les personnes concernées.
Je
lui ai donc raconté cette histoire vraie dont je connais certains
des protagonistes.
Jovie
à 27 ans, c'est une jeune femme heureuse qui croque la vie à
pleines dents. Mais depuis un an elle s'inquiète beaucoup pour sa
maman, atteinte d'un cancer généralisé qui s'est aggravé semaine
après semaine. Souvent, elle enrage de ne pas être plus souvent à
ses côtés à cause de son métier qui l'éloigne de Marseille. Puis
une fin d'après-midi...
—
Allo, ici l'hôpital, si vous pouviez rentrer, votre maman ne passera
pas la nuit.
Jovie
se précipite, avale les kilomètres, se gare en catastrophe et
grimpe les escaliers jusqu'à la chambre. Maman est toujours en vie.
Elle l'attendait puisant au plus profond de ses réserves pour enfin
lâcher prise.
—
Ma fille, surtout ne m'interromps pas, je veux aller jusqu'au
bout. Ton père, celui qui t'a élevé et bien ce n'est pas ton
vrai père. C'était avant de le connaître. Un saisonnier. Il n'a
jamais su. Il s'appelait Forange et il habitait dans la région de
Lille.
Épuisée,
elle s'endort. Jovie qui depuis le début lui avait pris la main
devine plus qu'elle ne l'entend un souffle très faible, mais
régulier, apaisé.
Je
ne vous raconte pas les sentiments qui traversent la jeune femme,
hors sujet diraient le Maître. Elle finit par s'endormir, elle
aussi, dans le fauteuil près du lit.
Au matin lorsqu'elle se réveille un beau soleil caresse le visage de
sa mère qui lui sourit.
— j'ai faim dit-elle.
Une
semaine plus tard, encore très affaiblie, la maman de Jovie sortait
de l'hôpital mais plus aucun signe de ce foutu cancer dans les
analyses médicales.
Jeudi 19 janvier 2012
Mon
histoire aurait pu s'arrêter là, après vous avoir dit que Jovie
avait retrouvé son vrai père sans renier celui qui l'avait élevée.
Mais voilà...
Jovie
encore toute bouleversée court chez sa grand-mère.
—
Mamie, mamie, si tu savais...
—
Calme-toi ma chérie, calme-toi, je sais. Puis après un silence, tu
veux son adresse ?
—
Oui, l'adresse de ton père.
C'est
ainsi que Jovie apprend que Forange, peu après le mariage de sa
mère, avait refait surface. Mis au courant de la situation, cet
homme de cœur n'avait pas voulu perturber le jeune couple. Il se
tenait régulièrement informé de la vie de sa fille et tous les
ans, pour son anniversaire, il lui faisait un cadeau somptueux que
tout le monde attribuait à la grand-mère.
Aujourd'hui,
quelques années ont passé, le cancer n'est plus qu'une histoire
ancienne et Jovie entretient de belles relations avec son demi-frère,
son père et toute sa nouvelle famille.
Vendredi 20 janvier 2012
Je
sens parfois, lorsque je raconte ce genre d'histoire vraie, que je ne
suis pas à la hauteur de l'évènement, mon style devient trop
narratif, saccadé. J'ai l'impression d'écrire une rédaction pour
l'école et que le prof de français me dira "vous auriez pu
développer davantage. Et vous ne me livrez pas beaucoup vos
impressions face à la mort, puisque tel était le sujet."
Je
n'ose lui répondre :
—
La mort je m'en fiche, et lorsque
la mienne surviendra, mon seul regret sera de ne pas pouvoir
l'écrire.
Peut-être
faudrait-il que je rédige dès aujourd'hui, cet instant qui
viendrait clore la dernière page de ma vie.
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sur le site iPagination
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