MISE EN VOIX PAR MARCEL FAURE (1er épisode)
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Mercredi 11 janvier 2012
Nadège
vient grignoter quelques papillotes, toujours le prétexte des
devoirs. Soudain elle pouffe de rire.
—
C'est mon papa dit-elle.
Papa
Abderrahmane, avec ses trois filles, est allé en voiture attendre
maman à son travail. Dans le quartier du Marais, près de la grande
mosquée, il gare sa voiture le long du trottoir. Un homme passe en
boitillant et s'arrête sous le nez de mes amis. Sa chaussure lui
pose problème, la semelle droite ne tient plus que par un fil. Il
ôte son lacet et entoure semelle et chaussure pour faire une
réparation de fortune. Évidemment le lacet casse. Abderrahmane
ouvre sa vitre, fait signe à l'homme de s'approcher, enlève ses
propres chaussures et les lui donne. Par chance la taille correspond.
—
je n'allais pas le laisser rentrer ainsi chez lui, explique-t-il.
Mais
ce qui fait rire Nadège, ses sœurs et maman, plus que ce don
inattendu, c'est de voir papa conduire la voiture en chaussettes.
—
C'était trop rigolo, il avait un gros trou au pied gauche.
Surtout
tellement beau ce geste gratuit et spontané. Dans la même situation
que mon voisin, jamais je n'aurais pensé faire cela. Je n'aurais
pourtant même pas eu à me déchausser. Souvent j'ai une vieille
paire de chaussures de marche en réserve dans le coffre.
Jeudi 12 janvier 2012
Sous
l'abribus, j'attends le tram. Fatigué d'avoir trop piétiné dans
les magasins avec Lloydia, je m'assieds à côté d'une jeune fille à
faciès, comme on dit dans la police. Je tousse.
—
La fumée vous gène, je vais l'éteindre dit-elle en montrant sa
main tenant une cigarette.
—
Non, non dis-je, nous sommes dehors, profitez-en.
Elle
tire encore deux ou trois bouffées, puis écrase discrètement son
mégot en faisant mine de farfouiller dans son sac.
Jeune
inconnue si prévenante, savez-vous combien de gens, avec ce visage
si caractéristiquement pâle des occidentaux, auraient eu cette
belle délicatesse ? Avec leurs gros cigares empestant
l'opulence, ils continuent tranquillement, indifférents à ceux qui
les entourent. Et leur prétendue politesse n'est que parade de vieux
schnocks.
Vendredi 13 janvier 2012
Souvent,
dans la rue, nous sommes agacés par des jeunes gens qui crient, plus
qu'ils ne parlent entre eux. Crier n'est pas un délit me dis-je
souvent, faisant semblant d'être un peu sourd. Je les appelle les
singes hurleurs. Ils paradent ainsi au milieu d'une troupe
hétéroclite avec, parmi elle, la présence d'une jeune fille.
Parfois
le vacarme devient insupportable, provoque l'énervement de la foule.
Personne n'ose intervenir contre cette bande d'énergumènes
échevelés fumant de tous leurs naseaux. Vous savez, ... ces
histoires de passants poignardés pour presque rien dont les journaux
nous abreuvent...
J'ai
cependant une certaine tendresse pour eux, me rappelant le temps où
à leur âge et avec quelques copains, nous chantions à tue-tête :
" Les bourgeois, c'est comme les cochons, plus ça devient
vieux, plus ça devient bête, les bourgeois, c'est comme les
cochons, plus ça devient vieux plus ça devient...C. "
Samedi 14 janvier 2012
Et
la respiration profonde du monde, celle qui n'a que faire des
soubresauts des siècles, étoffe mes poumons. Je subis son emprise
et je m'engouffre dans le silence. Je sens en moi éclore des graines
de soleil. La trépidante oscillation des jours avale les années,
qu'importe quand je murmure des éclats de lune. La sève des grandes
migrations me traverse. Tantôt je vole avec les cigognes, tantôt je
me perds dans les méandres du Gulf Stream qui me conduit de la
blancheur immaculée du Pôle Nord jusqu'aux profondeurs du Pacifique
bien au-delà de l'Australie. Je me marie aux vents. J'accumule les
signes et tout mon corps s'amplifie. Je suis une grenade mûre.
Peu
à peu, je me détache et me disperse.
Dimanche 15 janvier 2012
Cette
sensation de plénitude que j'évoquais hier, souvent elle me
surprend. Surtout ne pas lui résister... Elle n'est pas liée à un
évènement heureux ou malheureux pas plus qu'à une transe provoquée
par l'alcool ou la drogue. En profiter... Un voile s'écarte. Une
image s'insinue, s'impose. Toute la masse encombrante de mon corps
disparaît.
Puis,
tout aussi brusquement, l'heure froide me givre sans ménagement.
Plus de mots ! Plus de sentiment ! Rien ! Un bloc de glace.
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Tout d'abord de superbes mots et évocations humanistes, une bien belle jolie leçon d'humilité, puis ensuite cette brise, ce souffle de poésie qui est là, présent dans chaque phrase ! Superbe ! Un régal, aussi casquette bien bas aux deux artistes et un grand merci pour cette belle évasion !!
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