Pages

dimanche 23 novembre 2014

ANNA LOGON - MANHATTAN MELODY




MISE EN VOIX JAVA ET TIPPI (voix de l'Écho)












« Manhattan Melody »


I

Collectionneur d’éphémères,
J’avançais dans la vie
Droit devant, sûr de tout,
Surtout de mes libertés
Que j’humais nez aux vents,
Sans jamais m’enchaîner.
Pharmacien des maux,
J’essaimais magicien
Quatre mots friandises
Anesthésiant les cœurs,
Pour consommer leurs corps,
Comptoirs de mes fast-foods.
Doigts frivoles,
Aiguillon désireux,
Appétits dégoulinants
Une ivresse enragée.
Promptement,
Je portais l’estocade,
Brefs à-pics décharnés,
Jouissance dénudée de plaisir,
Ni saveur ni lendemain,
Qu’il soit pire ou meilleur !

Sur Colombus Avenue,
Elle sortit de voiture.
Je ne vis que son pied,
Fin et assuré.
Le bout d’une chaussure.
Premier pas dans mon existence.
Ensuite, découvrais
Une cheville charmeuse,
Le contour du jarret,
Perchés en gratte-ciel.
Déjà, me régalais.
Pourtant j’en avais vu
De toutes les beautés,
Des musclés, des fragiles,
Du piment exotique
Au parfum clandestin.
La silhouette élancée
S’extirpa ondulante
De son bleu habitacle.
Nul besoin de bouquet,
Elle ne m’attendait pas.
Me fallait l’aborder,
Aucun mot parut digne.
Comment ? J’en restais coi ?
Ah, gourmandise inconnue...

II

Collectionneuse d’échecs,
J’escaladais l’existence
Droit devant, fière de rien,
Sauf de rêves fébriles
Glacés aux courants d’air.
J’avançais entravée
À l’ancre de mes maux.
Je renversais sur mes plaies
Des mots d’encre placebo,
Cautérisant le papier.
Dans la vie,
Il n’y a pas que le Q,
Bon sang, il faut du I !
Depuis, je ménageais mon cœur,
Comptable des morsures
Des guerriers de passage,
Confiants d’élans pressés,
Prétentions arrogantes.
Fuyais ces abordages,
Leurs bréviaires insipides
Abreuvés de « Je t’aime »
Superficiels, médiocres.

Sur Colombus Avenue,
Je garais ma voiture.
Puis me tordis le pied,
Injuriais l’effilé
Du talon de ma chaussure
Venant de se coincer
Sous ce maudit embrayage !
Dépêtrais chancelante
Ma silhouette énervée
Du sanglé habitacle.
Premiers pas dans la rue.
Alors, éprouvant
Une cheville douloureuse,
Le galbe bleui du mollet,
Sa brûlure artérielle,
Déjà je gémissais.
C’est là que je l’ai vu.
Ni beau ni musclé,
Au profil commun,
Finalement,
Rien de bien excentrique.
Puisqu’il se trouvait là,
Me fallait le héler,
Nul pas assez solide
Permettait d’avancer
Vers cet individu,
L’anonyme de la foule...

III

Premier soir, j’suis en retard.
À la moindre réflexion,
Je lui propose un verre
Et on conclut vite fait !
Si madame sait se taire,
Sans me prendre la tête,
OK, on ira au resto,
Eleven Park,
Un must sur Madison.
Soudain, je l’aperçois,
Jupe courte,
Elle avance.
Longues jambes,
Hanches cintrées,
Eh eh... Bonsoir, ma mignonne,
J’accélère mon pas.
Elle me sourit.
Soyons gentleman,
Un galant baisemain.
Ma tête s’incline,
Mes yeux plongent,
Apprécient
Col ouvert,
L’échancrure,
Dentelle blanche,
La naissance des seins
Déjà, j’imagine ma bouche
Sur ce mamelon pointu.
« Si nous prenions un verre ? »
King Cole Bar, 55th St.
Un Cosmopolitan pour elle,
Moi, une mousse
Ambrée comme sa voix,
Enivrante, sexy.
La soirée s’annonce bien.
« Je t’invite au resto ? »
Une table, deux bougies,
Trois fleurs, c’est parfait,
Les filles adorent ça.
Sous la nappe, je devine
Les cuisses croisées,
Tièdes.
Le songe se fait voyeur,
Bas ou collants ?
Elle parle beaucoup,
Mais, loin d’être sotte.
J’aime bien sa turbulence,
Un je ne sais quel...
Qui m’intimide.
Pff ! Dis pas n’importe quoi !
Mon vieux, sois sérieux,
Reprends-toi.
Je m’évertue d’être drôle,
Femme qui rit
Sera plus tôt dans ton lit !
C’est l’heure de l’addition,
Ah oui... Quand même...
Le temps passe, vite.
Allons à Central Park,
Ce banc sera très bien.
Soudain, je n’en peux plus
Lui mange les joues,
Dévore toute sa bouche.
Ses paupières se ferment,
Quand elle m’offre ses lèvres.
Ça m’électrise, m’échauffe.
Turgescence...
Sacré briscard, tu bandes !
Allons, mène-la dans ton lit,
Éperonne-la prestement !

Je te serre dans mes bras,
Et voudrais t’y garder.
Ta bouche coquine,
Ta main dans mon cou.
Oui caresse-moi encore, et...
Retiens-toi, mon gaillard,
Non pas elle, pas tout de suite...
Dis-moi vite « À bientôt »,
Please, deux petits mots,
Pour la première fois
Je pourrais les entendre.
Cette nuit, il faut nous quitter.
Tu me manques déjà,
Retiens-moi,
Ne sois pas éphémère...



IV

Le soir guette mon impatience.
J’épie ombres,
Signe d’une main,
Filament de voix.
Soudain, entre les hauts buildings,
Mes yeux se précipitent sur lui.
Il avance vers moi.
Voilà enfin l’instant.
L’agitation alentour devient floue.
La rumeur de milliers de pas
Filant aux logis
Disparait.
Je ne vois que lui.
Nos sourires se reconnurent.
Sur ma main, ses lèvres sages
En gracieux interlude.
Un verre préambule.
Je bois l’azur des prunelles,
Le velouté de sa voix,
En cocktail grisant.
Lueurs feutrées de l’auberge
Suaves agapes, grâces sucrées.
Plaisantes fariboles
Et riches bavardages
S’entrelacent.
Nos âmes fébriles tissent
Un face-à-face arc-en-ciel...
Balancier immobile
Dans les langueurs du soir.
Sur le banc s’attardant
Au cœur de Central Park
Mille joyaux tombaient
Sur mon visage clos
En fine nuée d’or.
Un délice,
Que dis-je, un vertige
Me parcourt les veines.
Les silences s’envoûtent
Sous le cobalt céleste,
S’entremêlent des mots
Aux douceurs hypnotiques.
Orfèvrerie nocturne
Dans l’havre de ses bras.
Ne pouvant nous quitter,
Sa bouche jamais rassasiée
Réaccoste en ondes infinies.
Encore et encore !
En vagues bondissantes
L’une au-dessus de l’autre.

Emporte-moi au loin.
Ne sens-tu pas
L’impossible couvre-feu
Naissant au creux de mes reins
Courir en vibrations lascives
Jusqu’au brûlant abîme ?
L’indécente intempérance
Me dévore la moelle,
Et toi seul peux l’étreindre.
Je me donne entièrement,
Soudainement voluptueuse,
Mon corps, ma raison.
Alors prends, vole, pille !
Mais par pitié...
Viens...


V

Avant les premières ombres
Et l’hiver de nos nuits,
Calmer l’horloge de l’entrée,
Nous rendre la mort patiente.
Faire du temps qui nous reste
La plus belle des ivresses.
Croquer toutes les pommes
De nos derniers Éden.
Dimanche, le soleil glissera
Ses douceurs en terrasse,
Sur la place du marché
Un nouveau fromager,
Une bouteille de vin
En garance nectar...
Un joyeux Saint-Amour !
Tendresses silencieuses
Entre nos doigts noués.
Nos regards toujours vifs
En complices dialogues.
Nos bras moins vigoureux
Où nos cœurs se blottissent,
J’entends battre le tien
Le long de ma poitrine.
Ma main toujours câline
Dans le creux de ton cou.
Deux gouttes et trois cachets
D’amour chaque jour,
En heureux pharmacien.
Ton affection se penche
Au-dessus de mes nuits,
Elle veille sur mon sommeil.
Tu caresses mon front, mes cheveux,
En m’écoutant dormir.
Notre tendresse si vivante
Depuis toutes ces années
Malgré les cailloux bleus,
Parfois, dans nos chaussures.
Alors, j’allais pieds nus,
Vers toi, tendais mon âme.
J’ai tant besoin de toi,
Comme je te suis précieuse.
Nous nous sommes appris,
Et parfois devinés,
Nos forces et nos faiblesses,
Les désirs, les refus.
Nos ardeurs subsistent
Aux corps qui s’affaiblissent.
Nos caresses apaisantes
Endorment nos douleurs.
Mon bel amant,
J’aime toujours tes baisers
Telle une pluie printanière.
Souvenirs dans nos veines,
Marqueurs guérisseurs
De notre mémoire...
Intacte ?

- « Et qu’avions-nous dîné ?

- Du foie gras en entrée,
Après, m’en rappelle plus...

- Qu’avais-tu pris en dessert ?

- Tes lèvres, ma douce, t’en souviens-tu ?

- Comme si c’était hier...
Quel bonheur, tout de même,
Que ce talon cassé !
Ça tient à peu de choses
La vie...
L’amour...

- Sais-tu, ma mignonne,
Sans ta foutue cheville,
Je t’aurai bien baptisée
Sur le capot de ta Pontiac !

- Oui oui, mon bel oiseau,
À l’époque, tu étais encore vert... »



Anna – 15 Mars 2014 ©




Un texte  inédit offert très généreusement par Anna à TippiRod VOTRE ÉCHO pour notre plus grand plaisir à tous ! MERCI ANNA !




9 commentaires:

  1. Pour la Xième fois je viens à nouveau de vous entendre tous les deux... Des clins d'oeil coquins dans les voix...
    Humm un régal, Merci à tous les deux !
    Bon dimanche

    RépondreSupprimer
  2. GRAND MERCI à Toi ma Belle Amie pour ce très très beau cadeau. J'adore ton style et cette rencontre est tout comme j'aime ! Toujours ton élégance au service de ta fantaisie et ... de ta sensibilité. Merci d'avoir fait se rencontrer nos voix à Java et à moi sur la voie de ton talent. Tu sais ma sincérité.

    RépondreSupprimer
  3. Un délice, que dis-je, un élixir ! Oui c'est ça ! Alors là CHAPEAU BIEN BAS à tous les trois, à Anna pour avoir écrit cette fabuleuse rencontre, c'est fou comme un talon cassé peut être le prémisse d'un amour naissant ! Vos voix toi la magicienne Tippi et Frangin Java avec des petits accents coquins, un pur moment de bonheur ! J'avais l'impression d'être comme un voyeur et j'ai aimé cela ! Foi de Gavroche, c'était sublime ! Merciiii à vous trois pour cet instant suspendu, gros bisous ! BRAVOOOO ET VIVE L'AMOUR !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Eponine, nous avons je crois chacun dans notre partition, que ce soit à l'écrire ou bien à la déclamer, pris grand plaisir à vous offrir ces mots "Rencontre" d'Anna. Un bon moment, vraiment ! Merci !

      Supprimer
  4. Un texte magnifiquement écrit, servi et valorisé par deux voix complémentaires accordées comme une partition de musique. Un grand concert classique de mots... Romantisme, sensualité et émotions. Bravo!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Contente comme tout de te lire en commentaire ma très chère Lointaine ! Je vais transmettre tes mots à Anna et Java.
      Merci d'y avoir entendu et lu un tel concert ! Merci chère Aliza !

      Supprimer
  5. Des scènes, des images, des émotions, c'est un beau film bien écrit et bien joué!

    RépondreSupprimer
  6. Je crois que le compliment nous va bien au coeur tous les trois ! Un beau film en effet ! Merci beaucoup Evelyne !

    RépondreSupprimer
  7. Je viens de découvrir cette histoire et ces lectures. Magnifique, vraiment magnifique. D'abord ce texte et ces deux visions qui se rejoignent avec cet allant de l'un vers l'autre. Et les lectures de Tippi et de Java qui se complémentent, très justes toutes les deux. Vraiment c'est pratiquement une représentation, un film come le dit Evelyne, tellement on voit vivre les personnages.
    Merci et félicitations à tous les trois.

    RépondreSupprimer