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dimanche 25 janvier 2015

DURANDAL - L’HORLOGE DE MA GRAND-MÈRE





Tic tac et talons hauts !


L’horloge de ma grand-mère



Ma mère se levait de bonne heure pour traire les vaches, ensuite elle allait à la messe. Mon père s’occupait de la ferme le matin et tous les après-midi, il était parti jouer aux cartes à St Joseph, au bistrot situé en face de l’église, c’est dans cette paroisse que se réunissaient les bet’azels (c’est ainsi que l’on appelle les joueurs de belote par chez nous).  

Il m’arrivait d’aller le chercher quand il faisait semblant de ne pas entendre les sept coups au clocher de l’église. Parfois, il ne revenait pas d’ailleurs, il passait la nuit enfermé dans l’arrière-salle aveugle du bistrot à taper le carton. Je crois qu’il ne savait même plus l’heure qu’il était, il n’avait pas de montre, il n’avait d’autre horloge que le soleil, du moins le matin, parce que l’après-midi, la notion du temps lui échappait. Il vivait avec les bet’azels dans une joyeuse camaraderie.



Un soir, ma mère m’envoya à St Joseph chercher mon père. J’arrivai au mauvais moment car Marie apportait des verres de bière aux joueurs. Machinalement je me suis retourné lorsqu’elle s’éloignait avec les verres vides. Cela sentait bon la soupe à St Joseph, c’était samedi, je pressentais que mon père ne reviendrait pas manger chez nous. Les plis de la robe de Marie s’agitaient dans un mouvement de balancier, un balancier comme celui de l’horloge de ma grand-mère. Georges, qui  était le plus glauque de la troupe, essaya d’imiter les ondulations de Marie pour se moquer de moi. Pas bien malin mais pas un mauvais bougre dans le fond. Quand je sortis de l’antre des Betazels, il me cria à la cantonade : « Fais de beaux rêves ». Mon père le fustigea du regard et lui dit de fermer sa grande gueule. Cela me rassura d’être soutenu par la voix de mon père. S’il ne l’avait fait, je n’aurais peut-être plus osé franchir la porte du St Joseph.


Je ne savais pas que l’ondulation de la robe de Marie allait me poursuivre toute ma vie. Je me suis longtemps demandé si les filles faisaient exprès de s’agiter comme le balancier de l’horloge de ma grand-mère. J’essayai plusieurs fois, lorsque j’étais seul, de me balancer ainsi que je les voyais faire. L’exercice me parut d’autant plus difficile que je ne savais pas si je le faisais correctement. Faute d’avoir les yeux derrière la tête, le miroir ne m’apportait pas un grand secours.


Un jour, j’entendis dans la bouche de Brassens une mélopée qui me laissa perplexe: « J' lui enseignai le moyen d'bientôt faire fortune en bougeant l’endroit où le dos r'ssemble à la lune ». Il expliquait lato senso que pour marcher de la sorte, un apprentissage était nécessaire. Peut-être les filles apprenaient-elles à marcher comme elles apprenaient à sauter à la corde ou à jouer à la marelle ?


Je continuais mes observations, je suivais les filles qui portaient des hauts-talons. Était-ce un truc pour amplifier le mouvement. Je profitai de l’absence de ma mère pour essayer ses chaussures à talons. C’était diablement casse-gueule ce machin-là, je compris pourquoi ma mère les mettait si peu souvent mais je me demandais pourquoi les femmes se donnaient tant de mal pour ondoyer de la sorte ? Pour moi, cela relevait de la coquetterie. Elles se maquillaient, portaient des cheveux longs… Elles utilisaient tous les subterfuges pour se différencier.



Pendant les vacances de Pâques, ma tante m’invita quelques jours chez elle, elle habitait près de la Préfecture.  Ma mère était contente que j’aille chez sa sœur « à la ville », elle disait que cela me sortait, qu’il fallait que je m’habitue parce que je ne vivrais pas toute ma vie dans une ferme… Je me demandais ce qu’elle voulait dire quand-même. Qui allait s’occuper de mes lapins si je n’étais plus là ? Un matin, je pris l’autocar et Fabien, mon cousin vint me chercher au terminus. 



Lorsque mon cousin prenait ses cours de piano, ma tante allait faire ses courses et m’emmenait avec elle. J’aimais bien l’accompagner, il y avait du monde, cela bougeait, on rencontrait des gens qu’on n’avait pas vus la veille. Je demandais sans cesse à ma tante qui étaient ces gens, elle me répondait qu’elle n’en savait rien. J’ai cru un moment qu’elle me mentait, qu’elle ne voulait pas leur avouer que j’étais son neveu, elle avait honte de moi. Dans mon village, je connaissais tout le monde, je ne faisais pas tant de manières. 


Lorsque ma tante entrait dans un magasin, je restais devant la vitrine et je regardais les gens passer. Enfin, surtout les femmes, je les voyais s’éloigner et j’observais le regard des hommes. Certains d’entre eux se retournaient pour suivre d’un regard concupiscent la femme qu’ils venaient de croiser. Je crus vraiment ce jour-là que les femmes ondulaient pour se faire remarquer. Mais cet étrange mouvement ne se voyait que lorsque les coquettes montraient leur dos. Peut-être s’agitaient-elles ainsi pour dire au revoir ?


Ma tante prit l’habitude de me laisser sur la grand-place pendant qu’elle faisait ses emplettes, moi j’adorais cela, je me régalais de voir autant d’animation autour de moi. Je restai sans bouger à mon poste d’observation comme une buse sur un poteau télégraphique. Ma tante s’en étonna d’ailleurs auprès de ma mère.

Mon cousin jouait avec son épée dans une salle d’armes tandis que ma cousine faisait des cabrioles dans un gymnase. La ville avait ceci de magique, non seulement il y avait des magasins où vous trouviez toutes sortes de choses que vous ne voyez jamais chez nous mais vous pouviez pratiquer des sports que l’on ne voyait qu’à la télé. À la campagne, nous jouions aux flibustiers avec nos épées en bois sur le parvis de l’église quand Monsieur le Curé avait le dos tourné. Fabien, engoncé dans son casque et son brocart blanc maniait le fleuret sur la piste.

Dans le jardin, nous nous amusions parfois avec nos bâtons en bois. Bien sûr, il savait manier l’épée et il voulait absolument que nous respections les règles car à ce jeu-là, il me dominait mais moi je voulais me battre, rouler dans l’herbe, le plaquer au sol, jouer de tout mon corps, avoir mal… Mon cousin n’aimait pas jouer à la bagarre. 

Un jour, alors que Fabien prenait son cours de piano, j’accompagnai ma tante à une compétition de gymnastique à laquelle participait ma cousine. J’espérai que ces jolies gymnastes, habillées en baigneuses, me révèlent le secret du balancier ? Elles marchaient d’un pas décidé et n’ondulaient pas comme les femmes que je voyais dans la rue. Quand elles couraient, je me concentrais sur leurs silhouettes mais tout cela allait trop vite pour que je comprenne l’explication du phénomène qui me tracassait. Après cette compétition, je pensai que ce mouvement de pendule qui animait les femmes n’était pas naturel mais qu’elles usaient de ce stratagème pour faire leur intéressante et attirer le regard des hommes. D’ailleurs, les robes à crinoline du Grand Siècle, aperçues dans mon livre d’Histoire, prouvaient par leur extravagance que les cocottes aimaient accentuer l’amplitude du balancier.

Le mystère restait entier. Un jour, une femme sanglée dans des pantalons étroits (à cette époque, la mode ne parvenait pas à s’implanter dans nos bourgs) passa devant moi, je la suivis pour comprendre le mécanisme d’un tel chambardement. Cela bougeait dans tous les sens, je n’y comprenais plus rien au point que je me demandais si elle n’allait pas se retourner hilare et me dire : « je le fais bien ».



Plus tard, j’ai eu l’occasion d’aller à la plage mais le mystère de lhorloge de ma grand-mère ne me préoccupait plus autant, j’avais passé l’âge, je cherchais à percer d’autres mystères.


Et puis il valait mieux ne pas s’arrêter à cela, il fallait parler aux donzelles de manière diserte, d’un air détaché, comme si tout allait de soi et que le monde nous avait révélé tous ses secrets. Mes obsessions de jeunesse s’effritèrent, d’autres les remplacèrent.




Au décès de ma grand-mère, j’ai insisté pour récupérer son horloge. Le copain de Fabien n’a pas compris pourquoi je revendiquai cet objet avec autant de véhémence.




Tous droits réservés


Un petit tour de lune avec Brassens, ça vous dit !





6 commentaires:

  1. Superbe ! Un pur régal ! je me suis franchement délectée ! J'ai adoré cette métaphore du balancier de l'horloge, c'est vraiment finement trouvé, et puis merci à Durandal car j'ai fait un saut en arrière petite-fille chez mes grands parents à la campagne ! C'est tout à fait cela, il a su très bien capter les us de ces personnes. C'est fluide, dès les premières lignes, je me suis laissée embarquée avec délectation dans la barque des mots ! Merci toi la magicienne pour nous offrir de si beaux textes ! CHAPEAU BIEN BAS à tous les deux + des bisous et une douce semaine loin de toute peine !!

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  2. J'allais oublier et le grand Georges en prime, c'est que du Bonheur !! Merci, il faut que je rejoigne vite les plumes amies mais les jours ne sont pas assez long mais je viendrai sois-en sûre ! re-gros bisous et BRAVO pour cette truculente histoire !!

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    1. Ravi de raviver tes souvenirs ! Qui écrira le pendant féminin de ce texte ? Il s'ennuie tout seul sans sa vis-à-vis. Merci de ton écoute.

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  3. Délectable ! Je me suis régalée en lisant ton texte Durandal et en écoutant ta voix Tippi. J'ai adoré tes interrogations sur l'ondulation du dos des femmes. As-tu trouvé la réponse depuis que l'horloge vit chez toi ? Un grand merci à vous deux !
    Agathe

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    1. Sympa cette visite Agathe ! Merci beaucoup ! J'en avise tout de suite Durandal !

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    2. Il est des questions que l'on aime se poser et auxquelles on redoute de trouver des réponses. Merci

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