MISE EN VOIX D'UN ÉPISODE PAR MARCEL FAURE
Mardi 24 avril 2012
Le
présent me racole. Dans le vert tendre des premières feuilles, le
printemps fleurit de blanc la colline. La terre brune colle aux
bottes des jardiniers qui préparent le sol pour les semences. Déjà
quelques jeunes pousses de salades pointent le bout du nez.
Quelqu'un
installe un épouvantail, une œuvre d'art multicolore dont les
tissus s'agitent fièrement dans la brise légère et parfumée. Les
portes ouvertes des cabanes dévoilent un bric-à-brac hétéroclite
d'outils, de vêtements de travail, d'oignons tressés de la
précédente récolte et quelques vieilles chaises qu'on sortira
l'été venu.
D'une
parcelle à l'autre, on échange des plants, des graines, des
conseils. On regarde le ciel trop bleu. Ici, on espère et on aime la
pluie.
Mercredi 25 avril 2012
Mon
père dans son potager sans fleur. Rentabiliser au maximum pour
adoucir les fins de mois. Souvent il s'en allait mendier une rose
chez ses copains jardiniers pour l'offrir à Lloydia.
Jeudi 26 avril 2012
Au
magasin farces et attrapes
Des
figures de circonstance
Ricanent
dans la vitrine
Passe
dans la rue
Un
corbillard et sa suite
Faces
de carême
Masques
grimaçants
Face
à face
Rictus
et faux semblants
Le
veuf lorgne déjà
Sur
le doux espacement
Entre
les deux orbites
De la
belle cousine
Entiché
d'une rosse
Le
corbillard s'en panne
D'un
brusque coup de frein
Ce
coup de reins expulse
Du
coffre le cercueil
Et la
morte en furie
Nous
serons trois mon Cher
À
faire péché de chair
Sous
le marbre alanguis
Ô
cadavres exquis
Au
magasin farces et attrapes
Cotillons
et Champagne
Et
tristesse aux orties
Vendredi 27 avril 2012
Surtout
ne me demandez pas d’où sort ce poème loufoque qui me surprend
autant que vous. Je pourrai pourtant expliquer comment a surgi "
farces et attrapes" expression qui est venue s'agripper à
"cadavre" et "sexe" dans un texte où il était
question de la "place du mort".
Comme
si ces mots ne voulaient pas, ne pouvaient pas, mourir et qu'ils
voulaient encore de la fournaise du monde, un recyclage de reste en
quelque sorte.
Vous
voulez un indice pour retrouver l'auteur en question ? Le voici :
"
Si seulement l'avenir diminuait
On
comprendrait qu'il faut en laisser"
Et j'affirme ce
que d'autres nieraient : je n'ai aucune imagination. Dans le grand
télescopage des hommes et des cultures, je n'ai rien inventé qu'un
poète n'ait dit.
"Il
arrive à la page de penser toute seule"
Samedi 28 avril 2012
J'ai
une dent contre moi, mais ce n'est qu'une dent de lait. Je ne fais
pas trop souffrir. Mes plaies cicatrisent trop vite et ne produisent
que rarement des poèmes torturés que j'attendris aux rythmes de mon
cœur. Autrement dit, j'ai plutôt une bonne nature avec moi-même
comme avec les autres. Et si je me noie, je garde toujours la tête
hors de l'eau.
Je
suis inachevé, trop doux avec la cruauté qui perd de la puissance
en s'enfonçant dans mes chairs et trop imperméable aux soubresauts
du monde pour qu'ils m'atteignent vraiment.
Mais j'ai une colère froide contre la bêtise et l'indifférence
que j'égorgerai volontiers. Par la fissure de vos paupières, mes
mots couteaux.
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