Vendredi 8 juin 2012
Alors,
avant tout était en noir et blanc, nos yeux devaient être bien
tristes. Mélina, pensive sur une photo en noir et blanc, s'imagine
une vie sans couleurs. Comment expliquer toutes les nuances du gris ?
Derrière
cet étonnement, ta question revêt une pointe d'angoisse, comme si
l'on pouvait revenir en arrière et qu'un jour, toi aussi, tu ne
verrais plus qu'au travers de ces deux extrêmes de notre palette
visuelle.
Oui,
poussinette, un jour nous reviendrons en arrière puisque nous
cassons tout et que nous vivons à crédit sur les ressources
naturelles. Mais rassure- toi, dans le brouillard permanent de la
pollution, les couleurs seront toujours là. Il y a des choses que,
malgré notre acharnement, nous ne détruirons jamais.
Samedi 9 juin 2012
La couleur est là, dans la lumière, dessinée par l’ombre qui
l’encadre. Une brassée d’éclats d’or sur des fenêtres,
fermées. Dans l’obscurité absolue, l’innommable se cache. Dans
l’ombre s’enfouissent les amours interdites. Dans la lumière, il
ne se passe rien. Plus rien. Tout est trop visible, repérable.
Surtout pas de vague, pas de plage, pas d’air. Ici l’on ne vit
pas, Monsieur, on survit en attendant la nuit. Et c’est déjà
beaucoup.
La nuit tombée, l’ombre est totale, le noir absolu, une première
patrouille part en reconnaissance, presque timidement. Des fois que
la lumière nous jouerait des tours, se cacherait un court instant
derrière la lune. Mais non, feu le jour abandonne la rue. Et ça
s’électrise. Et ça scintille. Voici que de l’ombre jaillit la
civilisation. S’ouvrent les fenêtres, s’interpellent des voix.
Des regards se dessillent. On rassemble quelques voitures pour un
grand brasero. Odeurs de merguez et de frites. Raï, rap ou valse,
on danse, on s’amuse, vite, vite avant que l’aube ne nous
surprenne et ne jette ses premiers traits mortels.
Déjà
les guetteurs crient les premiers avertissements. D’abord sans se
hâter puis de plus en plus vite, la foule se précipite vers les
couloirs, vers la sécurité. Les rayons assassins frappent en
premier le haut des immeubles. Vite, vite, se ferment les volets sur
les fenêtres closes hermétiquement. Plus un pouce de peau ne doit
être exposé. L’astre, dieu déchu, s’élance à l’assaut de
la terre qui a perdu sa couche d’ozone.
Deux
traits noirs soulignent l’éclatant désastre de la vie, condamnée
à la nuit. Dans la clarté, nos vieux rêves esseulés s’ennuient.
Dans l'album de vieilles photos couleurs, synthèse d’une Babel
morte. J’entends le jour qui pleure dans les rues désertées.
Dimanche 10 juin 2012
Le
désir ... Comme un bourgeon jamais rassasié ... Une puissante
émotion printanière, même en plein hiver ... Bouillonnement qui
balaye la réalité ... la raison ... Quelle raison ?
Je
suis profondément humain et déraisonnable et si mon corps bien
sagement assis, offre l'illusion d'un grand calme, dans mon crâne,
quelle tempête !
Non
pas l'envie, le désir ... immense, inexplicable ... Inexpliqué.
Comme un cheval qui soudain s'élance au galop. Sentir ses muscles
jouer, ouvrir à fond la vanne des poumons ... L'air dehors, dedans,
partout. L'heure vient caresser mes tempes ... Et le monde à
refaire.
Alors
je ris de ce qui coule en moi, de ce qui me confond avec ma terre ...
et me satisfaire de la menue monnaie de quelques secondes.
Lundi 11 juin 2012
Au-dessus des nuages, bien au-dessus des nuages, planent des rêveurs
au long cours. Bien enracinés dans la terre nous espérons les voir
passer, mais nous n'avons pas la patience des tournesols. Toute la
journée, ils tendent leur cou vers le soleil. Voici que le regard du
rêveur s’attache un instant à eux. De longs filaments de mots
s’échappent, tissent une puissante trame. Et recommence la lente
migration quotidienne de la lourde tête brune, auréolée d’or.
Au-dessus
des nuages, bien au-dessus, un rêveur bien rodé, propose avec
humour et douceur, un chevalet, quelques pinceaux et des couleurs.
Avant
de peindre, l'homme s'interroge sur ce mouvement immuable de la
plante. Avec patience, avec passion, s'élabore un dialogue de
gestes. Quel instant saisir. Juste à l'aube où la tige redresse le
buste, plein midi, plein soleil et l'ombre écrasée et brûlante, où
( ? ) le soir alors que le cou se tend vers les dernières lueurs.
L'homme
empli d'incertitudes et fatigué de chaleur, plie le chevalet,
rassemble les pinceaux et dans un grand soupir, s'en va. Sous son
bras, une toile vierge.
Avec
un grand sourire, là-haut dans le ciel, Van Gogh s'endort.
Mardi 12 juin 2012
Ici,
tout est en place. La colline verdoyante, le soleil par-dessus,
l'appartement sans luxe mais confortable et la fenêtre ouverte sur
la canopée qui masque les immeubles proches, la fraîcheur matinale
qui nous rend plus léger.
Le
présent debout, calibre une douce journée. Et je suis, dans mon
habit de terre, à labourer mon cœur et le tien. Notre vieux désir
de l'autre craque un peu mais n'a rien perdu de son sel. En tutoyant
ta langue, j'élargis la fente du bonheur.
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