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dimanche 22 juin 2014

ALLISON - L’HYPERACTIVITÉ, PAR PETIT-ANGE (EXTRAIT 2)

















L'hyperactivité, par Petit-Ange 



(extrait - Partie 2)





On commence alors à chercher chez les autres des manifestations de cet ailleurs qui se trouve dans notre tête, tant le besoin de partager ce dont nous n’arrivons pas à parler est fort en nous ; nous cherchons un écho, une sorte de résonance d’un autre esprit sur notre fréquence, et c’est pour cela que nous n’avons la sensation de nous épanouir pleinement qu’à travers des relations que l’on qualifie de fusionnelles : cela débloque quelque chose en nous, nous aide à nous localiser dans le temps et l’espace en nous affirmant dans la réalité.
Une relation fusionnelle crée de la difficulté, et cette difficulté naturelle détruit l’ennui qui restreint nos capacités : le meilleur moyen de stimuler un enfant hyperactif est à mon avis de créer de la difficulté autour de lui, des épreuves, des occasions pour lui de prouver et développer ses compétences de manière ouverte. Il est important que les parents se rendent compte que leur enfant découvre le TDAH en même temps qu’eux, et qu’il est nécessaire qu’ils fassent l’effort de mener leurs recherches sur ce trouble conjointement avec l’enfant pour que celui-ci prenne conscience qu’il peut en parler et poser des questions qui l’aideront à se construire une identité concrète.
Et éviter une phrase trop facile : « Je ne suis pas médecin, je ne peux pas t’aider/comprendre ».
Être seule face à mes parents ne m’a pas empêchée d’être sensible à leur influence ; mais, une fois encore, c’était tout ou rien…
En effet, bien que je ne me sois jamais sentie liée à mon père, je le comprenais tellement que je me sentais toujours obligée de revenir psychologiquement à lui : sa personnalité forte, en prenant pied dans mon esprit, est devenue une étrange schizophrénie que j’ai mis du temps à maîtriser sans pour autant parvenir à la faire disparaître. D’autres ont suivi, les personnalités les plus fortes continuant à vivre de manière autonome dans un coin de ma tête ; c’est un sentiment d’intrusion que certaines personnes provoquent en moi sans le savoir, et je dois sans cesse lutter pour ne pas être submergée par ces caractères qui ne sont pas moi.
Alors, malgré la fatigue, je dois me forcer à maintenir une sorte d’attention interne afin de combler chaque faille dans laquelle pourrait s’engouffrer quelque chose que je ne saurai contrôler.
Cet aspect de l’hyperactivité est pour moi le plus perturbant, celui dont je n’ai jamais parlé lorsque l’on m’a demandé ce que je ressentais en tant qu’hyperactive. Les autres ont déjà si peur de nous, certains établissements nous refusant même dès l’enfance, ou nous acceptant à contrecœur ; savoir que nous sommes en permanence sur le point de basculer dans un état tel que seule la terreur qu’il nous inspire nous permet de lutter à chaque instant de notre existence ne ferait que nous exclure davantage, nous obligeant à nous haïr nous-même en absorbant la haine des autres envers nous et leur peur pour nous fragiliser encore plus.
Et oui, même les monstres peuvent pleurer.

J’ai eu la chance d’avoir été acceptée en primaire en dépit de mes problèmes de comportement, et n’en avoir jamais été exclue ; mais je me suis récemment sentie impliquée émotionnellement dans un fait divers qui m’a rappelée cette période : un enfant s’était pendu à un porte-manteau de son école après avoir été humilié par son institutrice (qui fut blanchie lors de son procès.).
J’ai eu quelques institutrices qui ont essayé de m’aider et me comprendre, et que j’aime recroiser à l’occasion ; cependant, je me souviens des heures passées seule dans le couloir silencieux et, plus encore, des après-midi dans le bureau de la directrice.
Assise par terre, le dos contre la surface lisse de l’armoire, posée là comme quelque plante verte et de telle manière que personne, en entrant dans la pièce, n’aurait pu m’apercevoir. Les motifs du sol sont à jamais incrustés sur ma rétine, chaque détail, jusqu’au calendrier délaissé mais toujours accroché au mur contre lequel je posais ma tête en essayant d’oublier mes membres qui perdaient lentement leur sensibilité, oublier le désespoir que j’éprouve chaque fois que je ne suis pas assez forte.
Je vivais ça comme un rejet de mon existence : là où une punition s’étend rarement au-delà d’une dizaine de minutes, j’étais ainsi « oubliée » pendant tout l’après-midi sans rien, et mon cœur d’enfant en a beaucoup souffert : aujourd’hui encore, lorsque je me retrouve seule, je ressens ce besoin étrange que quelqu’un me rassure en reconnaissant mon existence, en m’assurant que même seule je ne suis pas oubliée.




Les motifs s’incrustent dans la rétine de Petit-Ange, s’immiscent sous les paupières closes.
L’inertie est douloureuse, laisse trop d’espace à ses pensées vagabondes et désespérément indéfinies.
Elle-même se sent bien trop petite pour cette pièce trop grande. Trop d’espace dans un espace étranger, dans lequel elle est réduite à l’état de meuble, chose immobile posée dans un coin, entre une armoire et deux murs.
Petit-Ange ne se sent même plus humaine, si être humain c’est être comme eux. Elle n’est pas comme ça, pas ça, et elle sent la fracture en elle sans pour autant parvenir à mettre des mots sur son malaise, sa souffrance, mais aussi ses questions : sorte de « qui suis-je ? » abstrait qui résonne entre les murs du bureau vide. Lui non plus ne peut pas sortir.
Petit-Ange n’aime pas cette punition qu’elle est seule à subir, elle le sait. Le silence et l’inaction sont un blanc qu’elle doit mais ne peut couvrir.
Alors s’écoule un temps qui n’existe pas, au rythme d’un calendrier qui depuis bien longtemps ne compte plus, ni les mois.
Parfois, c’est dans le couloir que Petit-Ange cultive ses lacunes, mais debout, piétinant dans le vide. Parfois.
Ce n’est pas une mauvaise élève, pourtant ; et la rengaine des maîtresses est reprise trop facilement par les parents de Petit-Ange : « Tu pourrais faire tellement mieux si tu t’en donnais les moyens ! »
Des efforts qu’ils demandent sans cesse, l’effort d’être reconnaissant envers ceux qui lui font du mal.
Sous prétexte d’éducation…





Si la violence de notre vie nous perturbe, celle de nos actes nous condamne : enfant violent, enfant méchant ? La frontière est fine et aisément franchie, chemins de traverse pour une synthèse bâclée.
La violence sert à provoquer une action pour tromper l’ennui… certes. Mais aussi, surtout, à nouer un contact avec l’autre : notre incapacité à communiquer verbalement nos pensées nous pousse à chercher chez l’autre une réaction vis-à-vis de nous ; ainsi, notre conception de la violence, surtout dans ce qui touche la vie en communauté (comme l’école ou la famille), ne contient pas la notion de souffrance, de faire du mal à l’autre, même si nous mettons du temps à apprendre à nous contrôler, à ne pas nous laisser submerger.
Être à l’origine de la souffrance de quelqu’un d’autre, quel qu’il soit, peut nous bouleverser sans aucun rapport avec la gravité réelle des faits, et ce à n’importe quel âge ; des tâches de regret sur la peau de chagrin qu’est notre cœur d’enfant méchant.
Et pauvres parents ! En dépit de tous leurs efforts, ils ne peuvent pas changer cet enfant ingrat qui leur cause tant de soucis…
Il suffirait de pas grand-chose, pourtant, mais c’est beaucoup plus facile de payer un psy : au fil des séances, l’impression d’avancer dissuade de s’impliquer, puisqu’après tout « c’est une affaire de professionnels » ; et puis, le psy « a l’habitude ».
Oui, vous avancez. Vous avancez même si vite que vous ne nous entendez même plus vous appeler loin, loin, loin derrière.
Enfant méchant qui traine des pieds sur le chemin de la vie ou du supermarché, bloc de matière presque vivante, presque morte. Trop d’énergie, pour être sûr de ne pas s’effondrer sous le poids d’une tête de plus en plus lourde. L’énergie de se distraire sans la volonté d’aller plus loin.
Mais tout n’est pas toujours comme ça.
Parfois, aussi, la lumière jaune de fin d’après-midi s’échappe des nuages noirs pour caresser une façade familière ; ou alors un mot, un son, une porte vers quelque chose de nouveau, simple mais immense : plaisirs rares et solitaires car incompris, bras ouverts ou fermés de déjà grande personne.
Le temps qui s’écoule semble nous ignorer : hier, aujourd’hui et demain fusionnent pour ne plus former qu’un ensemble informe qui prend parfois la couleur d’un rêve ou deux.
Je suis ça aussi, parfois.
Incapable comme le vieux calendrier de mon enfance de compter les mois qui nous séparent de ton départ : c’est tout comme, mais tu es là encore, quand même…
Amour inconditionnellement étouffant, déficit profond d’attention de la part d’amis versatiles, imaginaires ou inaccessibles : est-ce un crime pour un enfant que de vouloir se faire aimer de n’importe qui, enfant ou adulte, pour peu que l’on sente chez cette personne une douceur, une prédisposition à nous aimer ? Et que nous ressentions spontanément une sorte d’élan affectif qui nous fasse transgresser quelques principes d’une morale d’adulte que ne comprenons même pas ?
Trop jeune pour les adultes, trop différente pour les enfants, j’ai pris le surnom d’Avalon au collège ; prisonnière d’un espace-temps entre deux mondes si opposés, sans appartenir ni à l’un ni à l’autre.
Beaucoup de punitions, la violence me permettant seule d’exprimer des choses que j’éprouvais sans pour autant les comprendre, ni parvenir à mettre des mots dessus : chacune est si vaste, si forte et pleine d’autres choses, si complexe qu’aucun mots, même les plus scientifiques, puissent me permettre de la partager dans son ensemble.
C’est une frustration permanente pour nous, et une véritable source de peine très tôt dans notre vie : nous aimerions tellement pouvoir partager cela avec ceux qui nous entourent, alors que ceux-ci voient dans notre silence un refus de communication ; quand on veut, peut-on toujours ?
Notre côté perfectionniste nous pousse alors souvent à adopter le raisonnement suivant : si je ne peux me faire comprendre qu’en partie, ou mal, alors pourquoi ? Pourquoi s’acharner, pourquoi lutter dans une guerre qui ne nous apportera rien, hormis de nouvelles blessures ?
Moi aussi, j’ai abandonné.
Parce que je pouvais faire des choses impossibles. Parce que j’avais tellement de choses en moi qu’ils n’avaient pas. Des idées, des défis, la force et le pouvoir de créer, de voir, de comprendre.
J’étais tellement mieux qu’eux, préférant toujours la difficulté pour récolter la gloire que je méritais.
Parce que j’étais possessive, aussi. Je ne supportais pas que mes amies aient d’autre amie que moi, et l’idée qu’elles m’abandonnent m’a obsédée dès l’école primaire.
J’ai abandonné parce que c’était facile. « J’y peux rien, ils ne savent pas. Ils ne comprennent pas, ne peuvent pas comprendre ».
Parce que ça me donnait quelqu’un à blâmer quand je tombais. Perdre, alors, m’apportait davantage que réussir, parce que je pouvais regarder mes parents et penser : « si j’ai abandonné, c’est à cause de vous. »
J’ai abandonné, et passé ma vie à faire des conneries en baissant les yeux.

Tristesse, fatigue, frustration, injustice parfois ; autant d’émotions qui peuvent paraitre banales pour n’importe qui, mais qui nous poussent à renoncer à toutes les tentatives potentielles de communication assez jeune ; pour autant, si nous avons l’impression qu’une personne est « ouverte » (sensation dont nous avons conscience aussi intensément que du rejet), nous avons besoin de nous lier à elle dans un élan expansif spontané, si passionné et absolu que ça tranche avec notre attitude habituelle : nous avons conscience, quelque part, que ce n’est pas dans les règles comportementales des autres que de se conduire ainsi, mais l’espoir que représente cet espoir de partage nous submerge, nous pousse à ne pas en tenir compte ; notre conduite sera alors qualifiée de choquante, inappropriée, effrayera par l’intensité et l’intimité que l’autre pensera percevoir dans cette offrande d’affection.
C’est pourtant ce qu’il y a de plus pur en nous, d’une sincérité absolue, et je pense que le simple fait d’éveiller cela suffit à réparer quelque chose en nous, quelque chose qui n’a pas de nom.



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