MISE EN VOIX JAVA
Sixième partie Prose
Madame…
Mais vous me faites sourire, Diable, me voilà bien attrapé. Dois-je
monter en tribune, Madame, ou même sur un simple tonneau pour vous
faire reconnaître comme l’une des nôtres.
Je
rêvais, ma douce amie, de vous faire retourner dans vos palais et
voilà que vous abandonnez ici vos adjectifs ampoulés ou passés par
la censure de je ne sais quel maître en poésie pour prendre du
peuple, l’accent des faubourgs.
Je
rêvais, je l’avoue de vous faire reconnaitre que c’était bien
dans vos salons que l’on se gaussait de nos verbes, ceux-là mêmes que vous revendiquez maintenant.
Oyez,
faites le savoir à vos armées, la poésie rimée se met au service
de tous. Le mot au service de l’image et de l’idée,
je veux être le témoin de ces changements. Je ne doute
pas Madame de la franchise de vos propos et si vous saviez comme mon
cœur se réjouit à vous lire. Mais saurais-je oublier les
récitations creuses et vides que des instituteurs aussi formatés
que vos poésies rimées m’ont imposées comme symbole d’excellence
de la langue française ?
Madame,
le ver est dans le fruit.
Pour
des rimes, on fait pour le beau, pas pour l’esprit.
Vous
me poussez sur les terres de la culpabilité où je ne vois qu’épines
et roches anguleuses, un territoire enlevé aux hommes où souffle un
vent mauvais et putride où le ciel n’est fait que de voiles
opaques et sales et où sont inscrits au sang leurs pires
agissements. Est-ce donc de là madame que je dois vous répondre ?
Dois je pousser ma voix jusqu’à vous restée sur les terres de la
compréhension ?
Vous
raccourcir, Madame ? Vous l’êtes déjà suffisamment dans
votre nombre de mots, je ne mettrais point votre perruque et votre
tête sur le billot, la poésie n’en possède point. Si je ris,
souffrez que je m’offusque également de vos propos. Le bourreau
exécute la sentence. La trace de celle-ci, Madame, je ne l’ai pas
vue, pas plus les minutes d’un procès. Imaginez-vous que je ferais
de ce banc où nous nous entretenons, une salle de justice ?
Madame, de nos mots sont sortis l’abolition de l’esclavage et en
des temps moins anciens celui de la peine de mort. Oui je sais Victor
Hugo, en rimes, avait déjà fait souffler un vent de révolte sur
cette dernière, sous son texte « l’échafaud » et je
lui rends ici cet hommage…
Jusqu’à
il y a peu, Madame,
vos
rimes occupaient palais épiscopaux,
maisons
de maîtres.
Mais
jamais vos poètes de salon
ne
s’étaient attardés sur le sinistre couperet.
Mais
brisons-la, Madame,
la
révolution n’en abolit point,
je
le sais,
le
sinistre usage.
Mon
propos, vous auriez tort de le croire, ne porte pas sur vos origines,
appelons un chat un chat, madame, les rimes m’ennuient pour la
plupart.
J’ai
beau me sermonner,
rien
n’y fait,
j’ai
beau me pincer,
je
m’endors.
Pourtant
je l’avoue quelques-unes me rappellent parfois un caramel savoureux
et volé ou une maitresse exquise, mais au final la plupart du temps,
le goût n’est guère délectable et la caresse est légère. En
tous cas mon bonheur est éphémère. C’est me direz-vous ce qui en
fait sa caractéristique, mais j’ai besoin de plus de quatre
lignes et de rimes pour me rappeler le goût de la
friandise et les courbes de la belle coquine.
Vous
avez raison, les poètes de tout temps se sont emparés de vos
effets, mais ils ne s’en servaient pour certains, que pour être
entendu de leurs maîtres. Pour n’être point traités de
« populace », ils s’habillaient alors de rimes pour
passer les murs de vos prisons, mais ce n’étaient là qu’habits,
Madame, que vos siècles imposaient, ce n’étaient là qu’attributs
pour que la parole soit entendue. Débarrassée de ceux-ci, la belle
s’est envolée et si on l’emprisonne encore, c’est pour sa
liberté car celle-ci a rompu ses chaines quand elle le peut.
Mais
je vous l’avais promis, Madame, si gagné à votre cause ne suis,
ne voyez pas en moi un ennemi. Nous avons en quelques phrases
choisies, défendu chacune nos positions. Et ne puis que me rendre à
l’évidence, si les deux sont faits du mot, c’est la main qui
tient la plume qui fait la différence en poésie rimée comme en
prose.
Ne
voyez pas en moi le glaive implacable, car juste le mot, j’ai du
mal à l’écrire.
J’aime
la poésie, Madame, n’en doutez point.
J’aime
voir le soleil se lever sur la nuque d’une femme,
sur
ses cheveux détachés,
m’éblouir
des rayons de ce dernier sur sa peau cuivrée,
de
leur course jusqu’aux carreaux de la fenêtre de la maison voisine
où un chat endormi sur son rebord rêve de la souris sous sa griffe.
J’aime
ces petits voyages où les mots m’emmènent, j’aime ces rivages
inconnus où ils me laissent, empli de rêves ou de solitudes, de
peines ou de gaieté, à chercher dans mon âme leur résonnance qui
leur donnera encore plus d’existence et de vacuité. Si ces
paysages foulés sont de rimes faites j’y courrais de bruyère en
bruyère sans me demander combien j’ai de pieds pour le faire et si
c’est en prose je le ferais aussi et s’il le faut j’y
ramperais. J’aime bien voler du temps à l’oubli pour respirer
encore des parfums interdits, m’enivrer d’absinthe, rouler dans
le fossé et pisser contre la jambe d’un réverbère.
Vous
voir ici pétrifiée, Madame, même sous le chant des oiseaux
m’amènerait un chagrin que je ne supporterais jamais… Nous
sommes sœurs du verbe, vous voir mourir serait me voir mourir
moi-même. Allez, Madame, je vous avais promis un tripot il est à
deux pas de là, allons lever nos verres à la santé des poètes et
roter sur ceux qui les oppriment.
Tous droits réservés
Dernier volet de ce quatre mains
Prose
ou Poésie
Paré
de l'une ou l'autre,
Que le printemps soit
!
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