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LA VOIX DE L'ÉCHO

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samedi 26 avril 2014

AMARANTHE - LES VAGUES












Mon Chéri,

C’est cette vieille habitude qui me fait t’écrire. Ne t’inquiète pas, je sais bien que ce n'est pas facile pour toi de me répondre. Mais je ne désespère pas, j’attends un signe.

Sais-tu que depuis que ta voiture a percuté ce petit parapet, s'est envolée de la falaise et est venue finir sa course dans notre petite crique d'amour, je n’ai pas eu un instant à moi ? Cette petite plage faite de sable et de galets, j'ai toujours su qu'elle était jalouse. Tu te souviens, quand nous regardions les vagues qui venaient pleurer sur les rochers ? En fait, elles me disaient : "un jour, je te le prendrai !"

Quand je suis arrivée, le soleil plongeait dans l’océan, comme un amoureux éconduit et ses larmes de sang embrasaient l’infini. Il y avait un monde fou : les pompiers, la police, des voisins... Toi qui aimais ton intimité, tu as été servi. On m'a tenu par le bras pour descendre le petit chemin, notre petit chemin. C'était incongru, inconvenant.

J'avais la sensation d'être dans l'oeil du cyclone. On m'a dit qu'il fallait "que je te reconnaisse". Et vois-tu, quand ils ont levé le drap, je n'ai rien reconnu du tout, je ne t'avais jamais vu sous cet angle, si absent, si lointain. J'étais là, dans cette chaleur collante, le sang battant contre mes tempes, avec dans mon estomac un tsunami en formation. Je me voyais et je me disais : "mais qui est cette pauvre femme qui doit reconnaître ... " ce qui n'était pas toi ! Toi, tu t'étais fait la malle. D'ailleurs, je me demande si je ne t'ai pas entendu me dire, au moment où ils ont soulevé ce maudit drap, de ne pas m'inquiéter, que tu m'attendais, que tu me ferais signe. Je le sentais dans chacun de mes nerfs chauffés à blanc, prêts à se répandre par les pores de ma peau. J'ai hurlé : "ce n'est pas lui" et un filet de voix que je ne connaissais pas a déchiré ma gorge.

Ils ont voulu me convaincre du contraire. Tu te rends compte ? Voilà en quoi ils croient, en de petits papiers plastifiés. Mais moi qui sais chacune de tes odeurs, qui connais le grain de ta peau, le son de ta voix même quand tu ne parles pas, le feu de tes yeux, on ne me croit pas, on me dit qu'il faut que je sois raisonnable.

Je rêve : il faudrait être raisonnable dans une vie qui est tout sauf logique et raisonnée ! Ce n'est pas toi, ce n'est plus toi, tu t'es sauvé, tu as eu bien raison.

Moi aussi, j'ai essayé de me sauver. Je suis remontée sur la route en courant. Et c'est là que j'ai vu cette jeune femme, que j’aurais pu trouver charmante dans d’autres circonstances.

Elle pleurait tant la pauvre ! Pour un peu, il aurait fallu que je la console. J’avais du mal à la comprendre – il faut dire que j’étais un peu sens dessus dessous. Elle n’arrêtait pas de dire que d’habitude elle ne buvait jamais quand elle allait prendre le volant et que donc par conséquent, ce qui est fort logique, cela avait été le petit verre de trop. Qu'en plus elle avait été obligée de répondre au téléphone juste avant le virage. Quand elle t'avait vu, elle avait pris peur.

C'est fou, pour un peu, c'est elle qu'il fallait réchauffer, chouchouter, materner, câliner.

Elle pleurait de plus belle et la suite tu la connais : tu as voulu l’éviter et comme toi aussi tu roulais vite, le petit parapet ne t’a pas retenu. Celui-là, je me suis souvent demandé à quoi il servait. Maintenant je sais : à rien. Au moment de prendre ton envol, tu as dû la trouver belle, cette inconnue, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, je te connais, tu l'as peut-être même imaginée dans tes bras, ne le nie pas et je te pardonne, c'était en quelque sorte ta dernière cigarette. Bref, elle s'est retrouvée seule avec son téléphone portable. Puis elle s'est décidée pour la première fois de la journée à faire quelque chose d'utile. Elle a appelé les secours, et quand je dis utile, c'est une façon de parler puisque cela ne t'a pas servi à grand-chose.

Pour un peu elle m'aurait attendrie tant elle pleurait sur toi. Quand elle a réalisé qu’elle t’avait laissé partir si loin sans chercher à te retenir, elle a dû s’en mordre les doigts, toi, mon si beau soleil. Elle a raté son saut de l’ange mais réussi le tien.

Puis ils m'ont rendu ton corps pour que moi, je lui rendre les derniers honneurs. On m'a emmenée un peu partout et à un moment, on m'a dit qu'il fallait que je choisisse la couleur de ta dernière demeure. J'ai dit que moi je voulais m'allonger avec toi dans cette dernière demeure et attendre que tout s'arrête mais que je me fichais complètement de sa couleur. Ils m'ont regardé affligés et je n'ai plus rien écouté. De toute façon, ce n'était pas toi.

Et quand nous étions autour de cette fosse dans laquelle ils s'évertuaient à faire descendre une boîte dans laquelle ils voulaient me faire croire que tu étais couché, je t'ai vu. J'étais là immobile, les joues fouettées par le vent qui hurlait, toutes les épines de ces fleurs rouges qui s'enfonçaient dans ma chair, pas parce que je te disais un dernier adieu, mais parce que je me demandais comment te rejoindre quand j'ai senti un souffle. Je me suis retournée et je t'ai vu. Et je crois que tu m'en as voulu parce que je n'ai pas couru vers toi. Mais comprends-moi, Mon amour, ils me retenaient, et "pour mon bien", c'est ça le comble. Je te criais de m'attendre mais tout ce qu'il savaient faire, c'était de s'affairer autour de moi comme des oiseaux de mauvais augure. Et tu m'as tourné le dos, tu t'es éloigné sans un mot. J'ai raté mon rendez-vous avec toi et je leur en veux beaucoup.

L'autre jour une amie m'a dit : "il faut laisser du temps au temps !"

Eh bien, je fais preuve de beaucoup de mansuétude et de magnanimité en lui laissant sa chance à celui-là mais il ne m'aide pas beaucoup et je ne sais toujours pas par quel bout prendre ton départ. J’hésite un peu entre te rejoindre et rester ici. Imaginons que tu repartes par l’autre côté pour revenir : je ferais quoi moi, là-bas sans toi ? De plus, c'est grand, de l'autre côté du monde. Et je pourrais bien me retrouver en tête-à-tête avec le néant. Donc je t'attends ici. Mais je fuis de toute part, une vraie béance.

Je ne joue même pas à « et si », cela ne sert à rien. J'essaie de faire sans toi ou plutôt avec toi mais autrement.

Souvent, je descends jusqu'à notre crique, celle où il y a ce si beau rocher sur lequel ta voiture s'est encastrée. Je me concentre sur lui et je te parle. C'est drôle, j'ai l'impression de le voir battre, comme un coeur. J'essaie de comprendre ce qu'il me dit. Du coup, je ne peux même pas le haïr. Je sens le goût de l'eau salée et je me dis que je pourrais me sentir si bien si tu étais là. C'en est presque insoutenable. Alors je regarde le soleil. Tu te rappelles quand je disais : "au soleil que je suis bien, les p'tits tracas ne sont rien ?" Mon Amour, j'ai toujours cet appétit pour ta peau de velours mais j'avoue que le parfum de la mer m'est un peu amer depuis que je ne peux plus la toucher. L'eau qui danse entre les rochers dansent surtout dans mes yeux. J'essaie de jouer à rêve ou réalité, je vois nos pieds nus dans l'écume mais enfin, il y a toujours une bonne âme pour me rattraper avant que je ne m'envole vraiment.

Il parait qu'il faut que je sorte, que je fasse des rencontres ! Très bien, samedi dernier, j'ai pris un avion. Tu te rappelles quand nous étions allés sur cette île ? Tu m'avais dit : "nous sommes au bout de l'Europe". Tu voyais des bouts de l'Europe partout. En Crête, face à la mer de Libye, à Lisbonne, au Cap Finisterre, aux Canaries...

Donc je suis allée sur nos traces. Tu veux que je te raconte ?

Jeudi, je vais acheter un timbre. J’en profite pour acheter un de ces tickets à gratter, tu sais, un ces jeux où c’est toujours celui qui est devant ou derrière qui a le bon numéro. Eh bien cette fois je gagne. C’est bien la preuve qu’heureux au jeu, malheureux en amour.

Je me suis dit qu’on allait les dépenser ensemble, ces fichus euros. Et me voilà partie sur un coup de tête et j'avais confiance parce que toi, jusqu'à maintenant, tu as été mon meilleur coup de tête.

Je t'ai cherché partout. Je t'ai appelé partout. Tu n'es pas venu ou alors tu étais bien caché. Comment veux-tu que ... ? J'ai couru sur chaque plage, sur chaque rocher. À chaque fois que je voyais une vague se dresser, fumante, écumante, mon coeur bondissait dans ma poitrine : tu allais enfin me parler. Tu comprends, les mers et les océans se rejoignent et forment un même et seul corps. Tu es là, Ma Divinité, tu roules tes muscles sous cette immensité. Parce qu'ils n'ont pas voulu me croire, mais ce corps, ce n'était pas toi, tu en étais sorti à temps. Avant qu'ils ne l'enferment dans la petite boîte. Je t'ai vu t'envoler et te poser sur la crête d'une vague. Tu t'es fait la belle, enfin libre. Un dernier pied de nez.

Si ça se trouve, comme tu fais toujours tout à l'envers, tu remontes les fleuves, les rivières, tu reviens à la source. Tu as toujours été un grand farceur.

L'autre jour, quelqu'un m'a dit que quand je me serai libérée de toi, je rencontrerai quelqu'un et qu'à nouveau je serai amoureuse !!! Comment peut-on être si à côté de la plaque ! Une vraie dérive. J'ai dit que je ne voyais pas comment concrètement, je pourrais bien faire l'amour avec quelqu'un d'autre que toi. Allez, avoue, toi aussi tu trouves que c'est inconcevable. Et puis j'ai ajouté que prisonnière avec toi, c'était ça la vie et que je n'avais pas du tout envie de me retrouver libre dans le vide.

Ce quelqu'un m'a dit que je devais regarder devant moi. C'est curieux comme idée puisque tout est derrière. Les gens ont vraiment de drôles d’idées et de drôles de manies, la dernière en date étant de vouloir à tout prix que je ne pleure pas quand l’envie m’en prend. Incroyable ! Mes larmes font peur et pourtant, elles ne parlent que de toi, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. J’ai le droit de m’accrocher à mes larmes car le jour où elles aussi se seront fait la malle, peux-tu m’expliquer ce qui me restera ? Rien.

On m'a aussi dit que je devrais parler à quelqu'un. Pour quoi faire ? Comme si être malheureuse, éprouver de la douleur était une maladie !

Tu le vois bien, Mon Amour, je suis mal entourée. Je te serais donc profondément obligée de m’envoyer un signe, quel qu’il soit, même tout petit. Une goutte de pluie qui ne parlerait qu’à moi, la trille d’un oiseau, un éclair dans ma nuit blanche, un souffle, rien qu’un souffle. Tu m’enverrais un rêve et un peu du parfum de ta peau. Un effleurement, rien qu'un petit baiser, là, à la naissance du cou. Un peu de ta chaleur ne serait pas de trop.

Ah, j'oubliais, si tu veux que je vienne, si tu t'ennuies trop, surtout dis-le moi, je trouverai bien un moyen !

Ton petit Chat




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