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jeudi 20 mars 2014

Elsa/Catherine Dutigny - Carnets secrets - Prologue

















Carnets secrets




Prologue



La tentation est grande, au moment où je trempe ma plume dans l’encrier, d’écrire sur la page blanche, cette phrase tant de fois lue et tant de fois prononcée : il était une fois…

Libre à vous de penser que l’usage d’une plume Sergent Major et d’un vieil encrier m’autorise l’emprunt de cette phrase à Charles Perrault et que des fées vont bientôt au fil de ces pages agiter leur baguette magique sous le nez de dragons crachant de la lave.

Il vous est également autorisé d’imaginer - un lecteur a presque tous les droits - que j’inscris ces mots sur un antique grimoire, aux pages jaunies et à la tenace odeur de moisi. Mais il serait pourtant dommage qu’emportés par cette même imagination, vous attendiez des lignes qui vont suivre un catalogue de recettes magiques, de pratiques sulfureuses. Non, je ne vais pas vous livrer la quintessence d’un savoir ésotérique que j’aurais, toujours selon votre fantaisie, accumulé tout au long d’une vie bien remplie d’alambics et de cornues fumantes. Désolé de vous décevoir, je n’ai nul talent divinatoire, pas le moindre globule rouge de Nostradamus ne coule dans mes veines et si j’habite une contrée peuplée de fades, de pierres-sottes et de meneux de nuées, je vous assure avoir les pieds bien calés sur le plancher des vaches, la tête qui raisonne à l’endroit et non à l’envers.

Tout ce que je m’apprête à vous conter, je le tiens d’un cantonnier, pardon… d’un « Agent de travaux des Ponts et Chaussées » aujourd’hui disparu, qui venait, il y a fort longtemps, reposer ses os usés par de laborieux travaux départementaux, dans un fauteuil Voltaire auprès d’un feu de cheminée dans ma demeure et réchauffer ses entrailles assoiffées du vin épicé que j’avais coutume de lui préparer.

Point de grimoire, non plus ; c’est sur un cahier d’écolier à petits carreaux que je vide ma mémoire, ou plutôt la sienne, pour la simple et bonne raison que je dispose d’un stock de cinq cents cahiers vierges, modestes reliques d’une vie consacrée à tenter d’alphabétiser. Oui, ne vous en déplaise, j’aime entendre l’acier crisser sur la surface du papier, et je n’ai jamais pu m’habituer à la raideur d’un Bic et encore moins à la froideur d’un feutre, soit-il à gel, en nylon, à la pointe extra-fine, fine, moyenne ou large... Ces instruments glissent, alors qu’il faut qu’une plume bataille, livre une lutte sans merci pour trouver les mots justes, traduire les sentiments avec finesse, décrire les situations simples comme les plus compliquées. Il faut qu’elle interpelle son maître, lui brise le poignet pour tester sa résolution à aller au bout de son récit. Mon cantonnier n’aurait guère apprécié que je me serve d’un ordinateur. D’ailleurs, il est décédé bien avant que je n’en fasse l’acquisition. Ce qu’il m’a confié est trop étrange, pour que je prenne le risque qu’un hacker vienne violer mon disque dur, lire ce texte à mon insu et le diffuser sur internet. Pourquoi pas le signer de son nom, par-dessus le marché ? Remarquez, je ne vois guère ce qui pourrait dans cette histoire l’intéresser. Il ne trouvera ici, rien de ce qui le fait saliver sur la toile. Et s’il aime l’univers des mangas, les films d’Hayao Miyazaki, que je ne dédaigne pas, loin de moi cette pensée, il risque d’être rapidement déçu par l’univers que je tente de ressusciter.

Tiens, je n’avais pas envisagé cette possibilité ! Si je commence mon récit par « il était une fois », et que je sois un jour dans l’obligation de le transformer en tapuscrit, tout pirate informatique laissera vite tomber son chapardage. Trop ringard ? Tant mieux ! Et puis, j’aime bien cette formule qui traduit exactement le doute dans lequel je suis immanquablement plongé lorsque je feuillette mes notes prises lors des interminables monologues de mon vieil ami et confident. Toutes ces confidences… les a-t-il réellement vécues ou les a-t-il rêvées ? Par prudence, étant donné le contenu délicat de certaines des révélations qui émailleront ce texte, et mon incapacité à en assurer la véracité, je suis contraint de changer les noms des lieux et des protagonistes. Certains d’entre eux ont engendré une descendance procédurière ; je suis bien placé pour le savoir, la plupart d’entre eux ayant râpé leur fonds de culottes sur les bancs de mon école !

Employons donc cette formule toute faite, qui laisse la place au doute, au merveilleux et au cruel…



Il était une fois, un petit village du Berry niché sur un éperon de granit, au cœur de la contrée du Boischaut qui surplombe une vallée profonde où le bocage dense et sinueux épouse les courbes naturelles d’une rivière. À le voir ainsi perché, vigie de pierre sur la mer verte des haies, des buissons sarmenteux, des roches moussues, surveillant nonchalamment les troupeaux de chèvres rousses paissant au pied des cormiers séculaires, guettant le vol des canards sauvages, serpentin aérien qui projette son ombre sur les chemins creux, on a le sentiment que la vie à cet endroit s’est figée à jamais. On pense à ceux qui s’y établirent en des temps immémoriaux et chaque tertre de terre, possible cachette d’une précieuse sépulture, avive nos sens tandis que les vers d’Hésiode affleurent à notre bouche :"Ils vivaient comme des dieux, le coeur libre de tout souci… Lorsqu'ils mouraient on eût dit qu'ils tombaient endormis." Tandis que ses toits se pressent les uns contre les autres en une mosaïque carmin et ocre brune, ses terrasses cascadent, lourdement chargées de plantes médicinales et lorsque l’on tend l’oreille avec juste ce qu’il faut de finesse, il est possible d’entendre le murmure discret du ruisseau que nous nommons traîne et les plaintes des martes, ces esprits mâles et femelles qui poursuivent de leurs imprécations flutées les laboureurs des champs de la plaine. Si les lourds murs de granit de nos demeures s’appuient et se confondent aux remparts de l’ancienne cité médiévale, c’est pour concentrer leurs forces et dresser un mur inviolable à la Grand’bête ou chien blanc dont le seul souffle décime les hommes et les troupeaux. C’est là que tout commença une tiède soirée de novembre quand le coq noir du père Baillou se fit couper la tête.


©Catherine Dutigny/Elsa mars 2014
à retrouver sur le site iPagination




à suivre...



3 commentaires:

  1. J'avais oublié de laisser un commentaire, je voulais dire que je m'étais délectée et que ce préambule augure bien des mystères !! Que va t'il se passer dans ce village si tranquille....... Suspense assuré !!!!

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    1. Une mise en bouche Eponine... en espérant que la suite va te plaire autant... Merci d'avoir laissé un commentaire... chose assez rare pour le souligner avec gratitude.

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    2. C'est plaisir pour moi que semer mes mots à l'envie sous tes superbes écrits, appel au magnifique et à la rêverie !! Merci chère amie !

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