Le mot du jour

Qui suis-je?


LA VOIX DE L'ÉCHO

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samedi 31 mai 2014

JEAN-LUC MERCIER -PÉCHÉ CHOISI









Péché choisi


1 - Peut-être jaloux de ces gens qui se moquent d’ailleurs, peut-être jaloux de ces gens qui se moquent d’autrui ? Qui ne sont pas même indifférents à tout ce qui ne les concerne pas. Eux se mêlent de tout et n’en connaissent rien, ont avis sur tout et ne construisent rien. Moutons de la nation, qu’ils ne servent pas plus pour autant, défenseurs de certitudes inaltérées, pourtant nées d’incertitudes altérables. Qui ne demandent en retour qu’un peu de flatterie, un infime privilège, une coupe à exposer, une médaille à accrocher, un satisfecit à afficher ! Conditionnés d’abord à l’œstrogène et la testostérone, aussi insignifiants ordinaires que d’autres pourtant, prêts à se damner pour leurs idoles de pacotilles.

2 - Peut-être jaloux de ceux qui ne voient rien, ces béats permanents pour qui tout va bien, qui s’en remettent au destin ? Ces gens qui ne vont nul part sauf en terre très connue, qui ne vont au devant de personne sauf de ceux d’une communauté très choisie. Qui ne parlent que de leur rhumatisme naissant parce qu’il faut bien parler de quelque chose ! Ou du petit qui devient grand, parce qu’il n’est bientôt plus petit. Peut-être jaloux parce qu’ils savent changer de chaine quand ça parle de guerre, savent changer de trottoir quand l’autre dérange ? Là, ici, ailleurs… peu importe, de partout il y en a, indifférents à l’agitation du monde, ils ont leur vie à sauver, à mener paisiblement jusqu’au bout. Tous malades de gravissimes dénis.


Peut-être jaloux ?
Ô non, pas de l’1-2 !
Nul besoin d’être Homme pour n’être que cela !



Peut-être jaloux de ces gens qui regardent le monde par delà leur monde ! Ces philosophes qui ne le savent pas, ces sages qui s’ignorent. Ces bouviers nomades, ces meneurs de rennes, itinérants des terres infinies de sable brûlant, des royaumes des vents, des steppes froides, ces hommes et ces femmes, que l’on n’écoute pas, hors de nos temps, qui entendent bruisser la Terre en humant l’air, en s’inclinant devant des forces dont ils connaissent les puissances.

Peut-être jaloux de ceux qui ont laissé leurs corps à la terre, confiant leur âme à Dieu ! Partis en oubliant de respirer, un soir auprès du feu. Ces paysans ridés telles pommes au fruitier quand finit la saison, desséchés sans pourrir après avoir puisés aux tréfonds de leurs chairs jusqu’à la plus infime miette d’énergie… Parce que chez eux, quand de la céréale il faut faire le pain, on ne jette pas les miettes ! Humbles comme le sont ceux qui servent les autres, ils ont nourrit les hommes et partent nourrir le sol, se rangeant sagement aux vérités essentielles.

Peut-être jaloux de ces hommes d’estives, chevriers des cimes, bergers d’alpes ou planèzes ! Qui au secret de leurs burons font naitre des merveilles, pour ravir les palais au creux des masures, tomme ou Beaufort, Salers ou Cantal. Faiseurs de bonheur sans or ni diamant, insoumis au pouvoir de l’argent, libre d’émerveiller avec un bout de fromage. Sur la patine de leur visage, se dessine au bon air le sourire de ceux qui prennent le temps de sourire.

Peut-être jaloux de ceux qui, dans l’oubli d’une chartreuse, se tracent des chemins de lumière ! Déshabillés de superflu, offerts au labeur comme une noble prière. Qui s’émerveillent de la nuit, sans boite ni flonflon. Artistes sans gloire, penseurs sans prestige, qui cherchent d’autres voies que celles du paraître, fussent-ils peut-être à l’esprit ce que le culturiste est au corps. Mais preuves tangibles d’autres alternatives à choisir ou imaginer, ainsi ou autrement.

Peut-être jaloux du tailleur de pierre qui confronte son organique au minéral à dompter ! Qui n’a de pouvoir que soumis à des lois qui ne sont pas les nôtres. Sculpteur de cubes à bâtir ou d’allégories d’art. À façon d’artiste, artisan de toute façon, il manie l’intemporel, dessine les paysages de notre Histoire, y écrit nos traces à coups de burin. Remercie la nature qu’il honore, signifie à nos esprits consommateurs que le pérenne est la plus belle manière de ne point gaspiller. 












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jeudi 29 mai 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 9











Suite 9



- Après ce massacre, au mois de juin le Guingouin et ses maquisards encerclent Limoges pour forcer l’état-major allemand à négocier. La ville était comme une chausse-trape avec le Ronald coincé dans son usine. La Marthe a bien essayé de le faire revenir au bercail. Elle a tout tenté et fait taire ses réticences pour demander de l’aide au père Blandin, notre actuel maire, qui à l’époque prétendait faire partie de la résistance. Faut dire que le Blandin, elle l’avait repoussé dans sa jeunesse, mais pas fier de ce côté-là, il l’avait poursuivie de ses avances, même une fois mariée au Ronald. Les deux gars, ils avaient même fini par se foutre sur la gueule, un soir où le Blandin était allé trop loin, au bal de la Saint-Jean quand il en avait un coup de trop dans le nez. Y parait, mais ça c’est la Marthe qui le dit, que le Blandin lui aurait promis d’intervenir et de faire protéger le Ronald. Il avait des relations en haut lieu, qu’il disait. Déjà vantard ! M’est avis que la Marthe lui a concédé quelque chose en échange, car je connais le bougre et il fait rien pour rien. De l’oseille peut-être ou bien des largesses de celles que l’on consomme au creux d’un lit ou dans les meules de foin. La Marthe n’a jamais lâché le moindre mot sur l’arrangement conclu. En tout cas, s’ils ont couché ensemble, ils sont restés discrets. V’là la Marthe un peu rassurée et qui se prend à rêver de son homme bientôt à ses côtés. D’autant qu’au mois d’août, le Guingouin et ses troupes entrent dans Limoges désertée du gros des forces allemandes. La ville est libérée. La nouvelle se propage vite et tout le monde finit pour de bon par croire à la victoire. On sort les drapeaux tricolores qu’on accroche aux fenêtres, on chante, on se bécote dans le patelin… T’aurais dû voir la fête… le vin gris a coulé à flots. Tiens, rien que d’y penser, ça me donne soif…

- Ah non ! s’exclama Arsène dont la tête tournait à chaque nouvel effluve d’alcool.

La réaction lui avait échappé et pris dans l’ambiance du récit, il s’attendit à des représailles… Quels horribles sévices allait-il subir ? Le récit de Jules enflammait son imagination. Il retint son souffle, le regard fuyant, bien décidé à vendre chèrement chaque millimètre de fourrure. Pourtant, rien ne se produisit. Lorsqu’il leva ses grands yeux sur Jules, celui-ci fumait tranquillement sa pipe, perdu dans ses pensées. Une rapide inspection de la table lui prouva que la bouteille d’eau-de-vie n’avait pas bougé de place. Il se détendit peu à peu, relâcha un à un ses muscles, laissa échapper un soupir, puis murmura d’une voix douce :

- Donc, si je comprends bien, tout allait pour le mieux…

Ces quelques mots sortirent le cantonnier de sa rêverie.

- Tu plaisantes, le chat ! Tout allait pour le pire… Le Guingouin qui a libéré Limoges, j’tais dit tout à l’heure qu’il fallait s’en méfier. Ha ça ! Pour mener l’épuration, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère… les exécutions sommaires, ça n’a pas tardé. Remarque des bavures après ces années de guerre, les bonnes gens s’en foutaient. Il y a des tas de choses que l’on raconte sur lui mais tout cela est bien compliqué et puis tu sais les ragots vont bon train et il n’avait pas que des amis au sein du parti communiste. D’ailleurs ça l’a pas empêché d’être élu maire de Limoges après la guerre et puis, il parait qu’il en a bavé après. Non, tout ce que je sais, c’est que le pauvre Ronald a fait partie de la centaine de collabos arrêtés et qu’il a été jugé par ce que l’on appelait un tribunal d’exception. Lui, un collabo ! Tout cela parce qu’il avait traduit des plans et servi d’interprète auprès des allemands. Que des foutaises !  Bien après la guerre et parce que la Marthe voulait pas croire que son homme ait pu faire des choses dégueulasses, il y a eu une vraie enquête qui a démontré, sans aucun doute possible, que le Ronald était innocent. Ils ont dit que les informations qu’il filait aux boches étaient pleines d’erreurs et qu’il les a roulés dans la farine plus d’une fois… Un résistant anonyme à sa façon, si tu préfères… Comme à l’époque, il n’a pas pu se défendre dans les règles, pas eu d’avocat digne de ce nom, ils l’ont condamné à mort et collé au poteau.

- Ils l’ont tué ? demanda avec anxiété Arsène, sincèrement étonné et choqué que les humains tuent pour autre chose que satisfaire leur faim.

- Tout comme je te le dis… En réalité, il a été dénoncé, mais on ne sait toujours pas par qui… La Marthe, elle doit avoir son idée là-dessus et c’est peut-être ce qu’elle voulait nous dire ce soir… de l’eau est passée sous les ponts, mais cette femme c’est pire qu’un barrage fluvial. Elle accumule, garde tout pour elle, mais quand elle ouvre les vannes, c’est pire que la catastrophe de Malpasset…

- Vous croyez qu’elle connait le coupable ? Serait-ce le père Blandin qu’elle soupçonne ?

- Ben, je n’en sais pas plus que toi de ce côté-là. Le père Blandin et Cormaillon, le notaire ont tous les deux prétendu avoir fait partie de la résistance. Pourtant, c’est curieux, on ne leur a jamais décerné de décorations. Tu sais, du genre croix de guerre ou médaille de la résistance, même pas le Mérite agricole… S’il y avait une médaille des filous, en revanche ces deux-là seraient sûrement au grade de Commandeur. Remarque, le père Baillou vaut guère mieux dans le genre, vu le trafic de volailles qu’il faisait au marché noir. Même qu’à partir de 43, il s’est mis à élever du cochon. Quant à l’Augustin, c’est tout juste s’il n’est pas entré dans la milice et il ne cachait pas sa haine des alsaciens qui n’avaient pas rejoint de plein gré les forces allemandes et déblatérait sur ceux qui s’étaient réfugiés par chez nous. Il comprenait pas qu’ils ne se soient pas jetés dans les bras de ceux qu’il appelait les « champions de l’ordre » pour aller grossir le front de l’Est… j’peux te dire qu’il a fait profil bas à la Libération… Aussi transparent que sa bibine qu’il coupait à l’eau, à l’époque… Lui, un saoulard qui a bien failli boire son fond de commerce avant même son ouverture. Bon, je sais que j’ai pas de leçon de morale à faire sur le sujet, pendant la guerre j’étais sobre comme un chameau… c’est plus tard que je suis tombé dans la bouteille… bien plus tard…

La voix de Jules s’étrangla dans un hoquet qui ressemblait à un sanglot. Arsène sentit qu’il devait le réconforter avec des mots choisis.

- Tout cela n’est pas vraiment gai ! Moi, qui pensais être né dans un village idyllique dont la beauté des paysages s’harmonisait à la grandeur d’âme de ses habitants, je suis bien déçu… Je suis sûr pourtant qu’il existe dans ce fier village des honnêtes gens, ne serait-ce que mon maître, le vétérinaire, qui m’a recueilli, m’a soigné et nourri avec tant de dégoument... dé-voue-ment… tssssssss… Et puis, vous Jules, vous n’êtes pas méchant, n’est-ce pas ? C’est une chose que je sens instinctivement, un don béni qui nous fait, nous les chats, reconnaître les bonnes des mauvaises intentions de ceux de votre race. Et vous, j'en mettrais ma patte au feu,  vous êtes un homme bon !

Arsène regretta immédiatement sa dernière phrase, le feu tout comme l’eau, étant ses pires cauchemars.

Les paroles amicales d’Arsène firent naitre un sourire sur le visage du cantonnier, qui s’essuya les yeux avec sa serviette. Il paraissait subitement gêné d’avoir pleuré devant le matou et pour reprendre un peu de contenance, il se servit un nouveau verre d’eau-de-vie qu’il avala cul-sec, au grand dam muet de son compagnon.



©Catherine Dutigny/Elsa, mai 2014

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à suivre...


mardi 27 mai 2014

MARCEL FAURE - 0061 à 0065 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX MARCEL FAURE



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Mardi 22 novembre 2011 

Michel Butor, pendant une série de vingt émissions radiophoniques, nous a proposé "Une histoire de la poésie." Il raconte, presque au début, que Victor Hugo convoque les poètes, une longue liste de 99 noms. Cette liste, en soi, est révolutionnaire explique Butor parce qu'elle inclut entre autres, parmi les poètes anciens, un certain nombre d'auteurs de la bible. L'ancien testament n'est plus sacré, mais poétique. Une hérésie pour l'église catholique.
Dans un autre domaine, essayons une liste. À propos de cette rose par exemple, dont nombre de poètes se sont saisis. Allons voir si la rose donc ...
Amour, poésie, couleur, couleurs, pureté, deuil, Angleterre, François Mitterrand, latin, déclinaisons, universel, jardin, ornementation, décoration, peinture, plante, bois, confiture, parfumerie, Orient, commerce international, merde, ...
En établissant cette liste qu'il conviendrait certainement de compléter, j'étais parti sans préméditation, et soudain Lloydia me rappelle ce nom de roses que l'on donne parfois à nos déjections, accolé à commerce international, il exprime toute la réticence à ces échanges entachés d'exploitation et de profits démesurés.
Sur le rebord de ma fenêtre, mon bouquet perd ses plumes et m'offre un joli parterre de pétales blancs ourlés de rouge.


Mercredi 23 novembre 2011 

Vos énumérations, Monsieur Sollers, celles que je qualifiais à tord de remplissage, je les comprends mieux maintenant, quelques oiseaux contenant tous les oiseaux, un roman qui résume tous les romans, une étoile, un point d'ancrage dans notre siècle où viennent s'amarrer tous les auteurs du passé, un tremplin pour l'avenir de la littérature que le temps transforme à nouveau en base arrière, mais aussi un hommage à ce qui nous vient du fond du ciel, du fond des siècles.
Je me glisse par la petite porte. Je me fais tout petit, J'observe cette mise en relation. Plus forts que la dérive des continents, la présence à nos côtés des témoignages de l'humanité tout entière.
Je reprends votre livre où j'en étais resté : " Tout s'effondre et tout se révèle, c'est un enchantement et une chance à l'envers ... " Je ne suis qu'un voleur, mes dieux sont dans les bibliothèques.



Jeudi 24 novembre 2011 

Mes pétales finissent de sécher sur la fenêtre. Plutôt que de les jeter, je les mettrai dans un pot-pourri. Conserver tout l'hiver ces senteurs, me rassasier des couleurs. La beauté qui s'exprime magnifiquement, derrière la transparence du verre. Un trou dans les nuages. Une éclaircie qui ne touche que mon appartement.



Vendredi 25 novembre 2011 

Je bats les cartes, et toujours la même dame de cœur qui sort, dès la première donne. Tu es là, dans chacun des bruits quotidiens. Des bols s'entrechoquent, tu prépares le petit déjeuner, odeurs de pain grillé, confiture de mûres que nous avons ramassées cet été. Un jet d'eau, ton corps nu sous la douche. Un léger glissement sur le sol, tu caresses ma joue. La glissière de l'armoire à vêtement, un pantalon, un chemisier de couleur, jamais du noir, une petite veste douce et chaude.
Tu apparais dans l'embrasure de la porte, virevoltes, attends mon compliment.
— Tu ne me regardes même plus !
— Mais si, ta chaussette gauche est trouée.
Tu cherches ce trou taquin, sorti de mon imagination. Ce brin de colère te va si bien, comme ce chemisier parsemé de marguerites brodées et ce pantalon qui, sur la poche arrière, arbore MAYFLOWER, comme aussi les branches de tes lunettes où sont gravés de minuscules hibiscus. Tous les jours, je te respire comme une prairie au mois de mai.
J'allais oublier les myosotis de tes chaussettes.
Sur le sol, une boule de houx promène son inconscience jusqu'à ce que tu l'écrases.



Samedi 26 novembre 2011 

En route vers une grande surface. Participer à la grand-messe de la consommation. Du rouge agressif. Des lettres démesurément aguicheuses raturent un objet. De toutes petites sournoisement tapies dans un bandeau sombre.
Nous sommes braqués par des espèces de voyous publicitaires qui nous menacent. Toutes ces couleurs, ce luxe, cette joie. Nous croyons à un jeu, mais non.

— le progrès ou la vie ?
Et nous, bêtement :
— le progrès, le progrès !

Nous rentrons chez nous, le dos courbé sous le poids des courses et méchamment lardés par cette batterie de couteaux en céramique dont nous n'avions que faire l'instant d'avant. Pas de sang, pas de cadavre, pas d'assassin.






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dimanche 25 mai 2014

ALIZA CLAUDE LAHAV - L'ARBRE DE PANDORE












L'arbre de Pandore


Vous traversez la place de l'église, la grande place, celle où se trouve la fontaine et où se déroule le marché trois fois par semaine. Suivez la rue étroite qui monte un peu, si vous êtes en vélo vous aurez du mal parce que ça grimpe pas mal. Puis prenez sur votre droite, longez les maisons jusqu'à la sortie du village et continuez tout droit sur le chemin de terre qui traverse les vignes. A peu près un kilomètre plus loin, après un tournant, vous le découvrirez, majestueux par sa haute taille et la largeur de son tronc, planté là depuis des dizaines et des dizaines d'années, au milieu d'une verte prairie. C'est le chêne le plus ancien de la région, nul ne pourrait dire quand et qui l'a planté, il est là depuis la nuit des temps et tous les villageois le connaissent bien. Qui ne s'est pas reposé sous son ombrage par les grosses chaleurs d'été ? Qui n'a pas trinqué et mangé un bon casse-croûte, le dos calé à son tronc, durant les vendanges ? Qui ne s'est abrité sous son feuillage touffu lors d'une averse subite ? Qui n'a pas un peu folâtré auprès de lui, par une belle nuit de pleine lune ? Tant de noms, de cœurs transpercés de flèches, de mots coquins, sont gravés sur son écorce que l'on pourrait en faire un livre d'or.



Durant toutes ces années il a été témoin de tous les événements, grands et petits, qui se sont passés au village. C'est qu'il en a vu et entendu de toutes sortes ! Des pique-niques bruyants, des chuchotements doux, des bisous charmants, des transactions douteuses, des querelles d'amoureux, des disputes de couples, des divergences de voisins, des rires d'enfants, et même monsieur le curé qui venait chaque dimanche à l'aube répéter son sermon. Il a vu des liens se faire et se défaire, des visages heureux et d'autres miséreux, des disputes et des réconciliations, des amours et des haines. Il est le réceptacle des confidences des environs. Je devrais dire " il était ", on ne s'y habitue pas, mais c'est au passé qu'il faut parler de lui maintenant.



Le malheur arriva une nuit d'orage, une nuit que les habitants du village n'étaient pas prêts d'oublier, et pour cause, rien ne serait plus pareil après cette nuit houleuse. L'incident s'est produit depuis bien des années, mais pour les villageois il reste une référence dans le temps :
Ceci était "avant" ou "après" l'orage, disaient-ils d'un air entendu, certains d'un air rigolard et d'autres en baissant les yeux. 



La journée avait été exceptionnellement chaude, une chaleur lourde et sèche, des températures jamais atteintes dans cette région montagneuse. Les anciens ne se souvenaient pas d'une telle canicule depuis cinquante ans et plus. Les fermiers avaient dû cesser le travail des champs en début d'après midi tant l'atmosphère était lourde et l'air irrespirable. A la tombée du jour le ciel assombri était sillonné d'éclairs et des nuages de plomb commençaient à s'amasser au loin. On avait rentré les bêtes, seuls les chiens hurlaient la gueule pointée vers l'horizon; les chats, eux, le dos arrondi, se cachaient dans les recoins les plus obscurs. Les vieux avaient abandonné le pas de leur porte et même les enfants avaient cessé de chahuter…


C'est alors que la colère du ciel s'abattit sur la terre. La colère ? Que dis-je ? La rage… une vraie crise de folie furieuse. Tous les éléments étaient de la partie, des bourrasques de vent, des tornades de pluie, des éclairs fulgurants, des coups de tonnerre abasourdissants, tous absolument déchaînés.


Au petit matin le calme était revenu, un calme humide et froid, une aube sinistre ! Ce n'est que vers le milieu du jour que la nouvelle se répandit dans le village. Un fermier qui était monté sur ses terres, avait découvert le grand chêne abattu sur le sol, fendu sur toute sa longueur par la foudre. Le géant, le majestueux, le robuste, était là, allongé inanimé, tranché des racines au faîte, ses branches brisées, ses feuilles éparpillées sur la terre détrempée, ses glands dispersés jusqu'à plusieurs mètres de son épave. 



De son écorce malmenée, de sa chair écorchée, s'échappèrent à la débandade tous les secrets, petits et grands, que le colosse avait absorbé durant tant d'années. Quelques générations de secrets, emprisonnés jusque là dans les fibres vitales de l'arbre, se virent libérés en cette nuit d'orage par un seul coup de tonnerre. Désemparés par cette délivrance soudaine, les secrets s'envolèrent, invisibles mais bruyants, vers les maisons du village. Mais voilà, comment savoir où aller ? Comment connaître la destination de chacun, l'adresse appropriée ? Ils errèrent donc un peu au hasard dans les ruelles, sur la place du marché, sur le parvis de l'église, en jouissant de cette liberté nouvelle. Puis doucement, insidieusement, ils s'infiltrèrent dans les maisons au gré de l'instant, sans se soucier de la discrétion qui est, en général, dans leur nature. Comme une tornade ils passèrent de bouches à oreilles, se répandant dans le village plus vite qu'une épidémie de choléra et semant une zizanie collective incroyable. Les rumeurs et les ragots firent rage, souvent à voix basse mais également à la cantonade, dans les foyers et sur la place publique. Jusqu'au confessionnal qui fut à l'écoute de détresses et de repentirs quelquefois un peu tardifs. Tous les habitants participèrent à colporter les secrets soudain révélés au grand jour, comme s'ils étaient la propriété de tous, chacun les modelant à sa façon.



Durant des jours et des nuits, le village tout entier fut en effervescence. Un village entier malade de tristesse et de colère, de rancœur et d'amertume, de nostalgie et de doux souvenirs. Il y eut des cris et des pleurs, des rires et des soupirs, des mésententes et des complicités et surtout des explications à n'en plus finir.
Puis les jours passèrent, les secrets, qui n'en étaient plus pour personne, perdirent leur intérêt, et l'on s'aperçut que rien n'avait changé, le village avait résisté à la tourmente. La vie reprit son cours, au rythme des saisons, des naissances et des disparitions. Au rythme des intempéries. 



Dans les mémoires le grand chêne restait présent comme une cause de discorde, ce n'était pourtant pas ce qu'il méritait. Le monarque déchu était resté là, au milieu des champs, abandonné, sans vie. Son vieux tronc desséché et ses branches brisées restaient les dernières preuves de la violence de l'ouragan qui s'était abattu sur le village. Les enfants venaient y jouer et explorer les reliquats du géant, en contant son histoire à leur façon. Seule une petite fille à l'intelligence pointue en tira conclusion, elle dit au petit garçon qui la suivait partout où elle allait : 



" Les grands sont bêtes, ils n'ont rien compris ! Même si ça prend des milliers d'années les secrets sont toujours découverts, un jour ou l'autre… "

Et le petit bout d'homme, les yeux déjà débordant d'amour, répondit :
" Y vaut mieux rien leur dire, moi je le dirai pas, c'est promis !
Ce sera notre secret, tu veux bien ? "


A côté de l'arbre mort une pousse nouvelle sortait de la terre.




©Aliza Claude lahav

octobre 2002

à retrouver 

samedi 24 mai 2014

JACQUELINE WAUTIER - À L'ORIGINE










À l'origine



Patience qui s'impatiente.
Et silence ; qui s’en-crie à chair vibrante.
Attente  - bonheur en frisson !

Moment vacillant qui s’instance d’éternité ;
Pris au ciel d’Utopia, ensemencé à cœur grisé.
Promesse d’un peut-être bercé d’un rêve blond…

Futur qui s’emprésence.
Ouverture qui s’enferme à l’intangible essence…
Et tangente - d’un éclat de toi ! 


Durée prise à l'amplitude d'une densité nouvelle.
Si près, si loin : là!
Là où l'adverbe de lieu s'éprend du hors-là;
Où le pluriel accouche du singulier :
De nos âmes éclaboussées, nos cœurs emballés, corps oubliés  – de ce qui se donne et s’abandonne…

Là ?
Où l'avenir se promet ingénument au plus que parfait :
A l'origine du monde, l'origine de moi   - entre-deux!
De lui et moi, de moi à toi…
D’entre nos rêves, d’entre mes creux :
Lieu du commencement où la forme prend sa matière, y dessinant patiemment la voie d'un élan.

Matrice …
Où prennent corps les désirs des hommes et leurs espoirs et leur quête d'éternité.
Lit du plus joli mystère portant en voyage immobile l'histoire de nous:
Odyssée presque miraculeuse d'une matière en fuite ;
Parenthèse éclatant de sa fragilité l'éphémère sillon des vies humaines...

Berceau!
Où la vie s'entête, prise à quelques instants de grâce.
Intimité:
D'une brèche où l'âme se repose quand le cœur s'affole d'y écrire une histoire inédite.


Et je t'imagine, en apesanteur dans ma pesanteur; pris à quelques lambeaux de mes songes...
Rêve de substance, comme un possible à la source des ardeurs et de leurs obstinations.
Sursaut de rêve.
Désir de chair.
Ou matière à rêver?
Car je te sais, petite ombre, si forte; qui éclaire ma vie d'un rayon d'or volé à l'espace qui s'en libère.
Fragment d'infini :
En suspension dans mes frémissements, entre hier et demain.
Infime à l'aube d'un devenir, palpitant sous mes mains.
Entre lui et moi, vibrant d'une inconsciente impatience;
Entre deux néants, bouillonnant de puissances;
Et tissant de ta chair les liens qui nous raccrochent au futur.


De ces jours pris au piège de l'attente, des moments de doutes  - à ventre laminé au scalpel de mes peurs.
Des nuits où je t'invente, des heures où je te sens  - à cœur arrêté, à cœur emporté...
Des battements de mon corps qui te berce, du poids de ton silence, je suis pas à pas le chemin qui mène à toi :
De rêves en projets...
De murmures en musiques...
D'éclats en secrets.
De toi à moi;
Moi pour toi.
Jusqu'à l'apothéose d'une douleur prenant tout soudain le goût du bonheur : car ton cri allume la nuit, affirmant de son souffle si fragile la puissance infinie de l'amour.
Car tu m'emportes dans un tourbillon où mon âme éblouie se fond dans un lieu sans lieu, un temps sans temps repris à l'instant du dérisoire...
Car enfin tu enlaces l'avenir dans tes bras si menus : géant!


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jeudi 22 mai 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 8










Suite 8



Jules arbora soudain une mine grave qui impressionna le chat.

- Tout cela remonte à une quinzaine d’années, autant dire en des temps où ta mère n’était sans doute pas encore née. C’était la guerre… pas la Grande, celle où mon propre père a gagné ses galons d’officier alors qu’il sortait à peine des jupons de ma grand-mère et juste avant de se faire trouer la peau dans les tranchées… non, je te parle de cette saloperie de Seconde Guerre mondiale, celle qui coupa notre belle région en deux de part et d’autre d’une ligne de démarcation. Nous, dans le Boischaut Sud, nous sommes restés du bon côté de la barrière… enfin jusqu’au 11 novembre 1942, parce qu’après on a dégusté comme les autres. La Marthe, à l’époque était mariée à un grand costaud, rude à la tâche, qui s’appelait Ronald Müller. Le gars, c’était un alsacien, pure souche. Il avait débarqué dans le coin au début des années trente alors qu’il devait se rendre à Limoges où un travail d’ingénieur l’attendait. Entre lui et la Marthe, ça été le coup de foudre… faut dire qu’à l’époque, elle en faisait baver plus d’un, gaulée comme elle l’était, cette sacrée môme. Donc, le gars laisse tomber son boulot à Limoges, épouse la Marthe qui venait d’hériter d’une grosse exploitation agricole et s’en tire comme un chef ce qui ne lui valut à l’époque pas que des amis, vu qu’il vient d’ailleurs et qu’il se trimballe un accent teuton à découper des murs en béton. Mais bon, tant qu’il s’occupe de ses animaux et de ses champs, personne ne lui cherche des noises, sauf qu’il gagne pas mal d’argent et rachète d’autres terres. Là, déjà, il fait des envieux et en loucedé, ça commence à gamberger…

- En loucedé ? interrogea Arsène dont les connaissances linguistiques n’incluaient pas le verlan.

- Oui, en douce, si tu préfères… Où en étais-je ? Bon, je te passe les détails et j’en viens au plus important. Le Ronald échappe à la mobilisation générale, vu qu’il est trop âgé et continue à faire du blé, enfin façon de parler, car les céréales, c’était pas top son truc. Pas de quoi s’attirer de nouvelles amitiés, dans ce patelin de cupides. En 43, en août, si je me souviens bien, alors que les boches venaient d’occuper la zone nono, c’est comme cela qu’on appelait à l’époque la zone non occupée, un salaud qui s’appelait Paoli et qui bossait pour la Gestapo de Bourges échappa de peu à un attentat. Etant donné les représailles qui s’abattirent ensuite sur les maquisards et le reste de la population, les esprits s’échauffèrent et chacun choisit assez rapidement son camp. Une seule chose leur resta en commun : la haine des « yaya ».

Arsène écarquilla les pupilles en signe d’incompréhension. Jules, porté par son récit, finissait par oublier que le chat, n’était pas l’un de ses compagnons de beuverie du bar «Aux Demoiselles » et que les expressions populaires si familières à son habituel auditoire restaient mystérieuses au matou.

- Yaya ? éructa,  Arsène.

- Ben, dis donc le chat, tu ne connais pas l’allemand mais tu sais déjà le prononcer comme un vrai fridolin.

Arsène fit gonfler sa fourrure et soupira d'aise à ce qu’il prit pour un compliment.

- Ya, ça veut dire oui en allemand, et les alsacos ils avaient l’habitude de répondre « yaya ! » aux questions qu’on leur posait, tout comme les verts de gris. Tu piges ? Y’en avait plein en Haute-Vienne dès 39, des réfugiés vieux, adultes, jeunes, bébés et souvent parpaillots, enfin j’veux dire protestants. Ouais bon, j’vais pas non plus t’expliquer les religions… Donc le Ronald qui avait fait les grandes écoles et qui parlait allemand, v’là t’y pas que début 44, le directeur de l’usine de moteurs d’aviation Gnome et Rhône à Limoges le contacte parce qu’il a besoin d’un ingénieur interprète et qu’il se souvient que le Ronald vit toujours dans la région. Faut dire que le gars, on lui a pas vraiment demandé son avis. Les Schleus étaient derrière tout ça et ils n’aimaient pas vraiment qu’on hésite quand ils avaient décidé un truc. Il fait ses valises, embrasse sa Marthe qui s’arrache les cheveux, le supplie de rester, mais rien n’y fait et il prend le car pour Limoges. Pendant des mois, elle ne le reverra que quelques jours, par ci, par là, quand les frisés l’autorisaient à prendre quelques jours de repos. Du coup l’exploitation bat de l’aile, pas que la Marthe soit une feignasse, mais sans son Ronald, elle avait dû faire appel à de la main d’œuvre saisonnière, venue d’un peu partout, surtout d’Europe de l’est, fuyant les nazis et dans le tas y’avait des gars qui ne connaissaient rien, ni aux bestiaux ni à la terre, et même un qui, à ce qui paraît, l’aurait volé pour fuir en Espagne. Faut dire qu’à l’époque, c’était quand même chacun pour soi et pour sauver sa peau. Saleté de boches…

Arsène vit une larme se former au coin de l’œil du cantonnier et quand celui-ci tendit la main vers la bouteille d’eau-de-vie, il se garda bien de faire une remarque désobligeante car l’émotion de Jules, sans bien en comprendre les raisons, il la partageait, comme un cadeau empoisonné.

Un verre plus tard, Jules, dont les yeux humectés trahissaient tout autant la tristesse que l’enivrement, reprit d’une voix plus pâteuse son récit :

- Dans le coin, la résistance était assez importante. Les cocos, enfin les communistes, j’vais pas non plus te faire un cours de politique, avaient organisé la résistance dont le pivot était Georges Guingouin, dans le maquis limousin. Un gars fortiche pour organiser et mener le combat contre les allemands, mais tu vas voir, un gars aussi… pas totalement clair, du moins c’est mon avis. Quand les ricains ont débarqué en Normandie en 44, les Schleus ont vu rouge et décidé d’éliminer la résistance en frappant dur et quand les schleus frappent dur, c’est tout sauf de la rigolade. Je te dis pas les ratissages dans la région, y compris dans notre beau Boischaut. Ça tirait dans tous les coins…et la milice française s’est bien régalée avec leurs copains boches. Des têtes brûlées, des grands couillons ces miliciens, de la vermine que même un rat, il voudrait pas en grignoter les restes. Les maquisards ont salement morflé mais les petites gens aussi jusqu’à cette atrocité d’Oradour-sur-Glane, pas loin de Limoges, où ils ont tué tout ce qui tenait debout sur deux jambes ou avec une canne et les bébés aussi. Les Fritz, enfin les Schleus, si tu préfères, ne faisaient pas dans la dentelle d’habitude, mais là ils ont carrément pété un câble. Si tu voyais ce qui reste du village, mon pauvre Arsène, tu refuserais de te baguenauder au milieu des ruines, comme si l’odeur des cendres et du sang y était définitivement incrustée et que les fantômes des pauvres habitants y erraient toujours. Je te jure, les souris aussi, elles ont dû cramer.

Arsène enregistra cette dernière information sans réellement s’en émouvoir, car il avait des difficultés à suivre le débit saccadé de Jules et à ne pas perdre de vue simultanément des petits morceaux de lièvre, tombés sur le carrelage, à dix centimètres des pieds du cantonnier. Il prit pourtant une mine affligée de manière à rester en sympathie avec Jules et ainsi, l’encourager à poursuivre sa narration. Avec un peu de chance, le bonhomme plongé dans ses souvenirs ne le verrait pas chaparder cet ultime relief du repas. Son espoir fut comblé lorsqu’il entendit Jules se racler la gorge, signe que la suite des confidences était imminente.



©Catherine Dutigny/Elsa, avril 2014

à retrouver sur le site iPagination


à suivre...

mardi 20 mai 2014

MARCEL FAURE - 0056 à 0060 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX MARCEL FAURE



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Jeudi 17 novembre 2011

Un grand bruit dans ma chambre. Je me réveille en sursaut. Dommage, je flirtais avec l'éternité, une éternité fraternelle dans un décor feutré et vaporeux ... Et patatras.

— Ça fait mal.
Dans un halo bleuté un grand escogriffe barbu et ébouriffé se masse le genou en marmonnant.
— Comment dis-je, en prenant le ton de quelqu'un que plus rien n'étonne.
— j'ai perdu l'habitude d'enfiler un corps d'homme. Suivez-moi dit-il d'une voix si impérieuse et autoritaire que nul n'oserait le contredire.
Maintenant plus du tout rassuré, je murmure :
— Qui êtes-vous ?
— JE SUIS DIEU tonne-t-il
J'étais donc en présence de la Majuscule suprême qui venait de pénétrer par effraction dans mon intimité. Moi qui suis athée, je venais de prendre un sérieux coup sur la tête.
Et de m'expliquer : vous comprenez jeune homme (évidemment, par rapport à lui ...) comme promis dans les textes sacrés, je veux vous envoyer mon fils une seconde fois, mais avant je souhaite m'assurer que vous n'allez pas me le trucider à nouveau, parce que, honnêtement c'était pas vraiment écrit cette histoire de croix. — Là je carpe un peu de la bouche. — Et comme s'il lisait dans mes pensées ... j'espérais bien dit-il que cette fable d'Abraham et de son fils aurait été comprise, mais voilà ... suivit d'un long silence.

— Vous allez me servir de témoin, partons réveiller tous ces papes qui devaient préparer l'avènement pour les remettre au boulot.
Et nous voilà parti, chevauchant de tombeau en tombeau, soulevant une à une toutes ces pierres de marbre, réveillant un à un les vénérés Saint Pères, les catholiques, les orthodoxes, les pas très orthodoxes, les déviants, les assimilés, les Grands Rabbins, Le Prophète, les gardiens de La Mecque, tous les tenant d'un Dieu Unique, avec pour seule consigne, un grand rendez-vous au sommet du Sinaï.

Il s'agit de rétablir la seule vérité qui compte, m'explique-t-il lorsque nous abordons les premières pentes de la montagne sacrée, celle qui ne devrait même pas être un commandement, mais une évidence, aimez-vous les uns les autres.

Rassuré sur ses intentions par cette dernière phrase, j'ose enfin lui rappeler que je suis athée.
— J’avais besoin d'un témoin impartial.
Que croyez-vous qu'il advint. Tous ces saints pères, ces sages déplumés n'eurent qu'une seule hâte, celle de retrouver les attributs de leur défunte autorité. Qui sa crosse de fougère, pour les moins belliqueux, son gourdin pour les moyenâgeux, sa crosse de fusil pour les va-t-en-guerre, son chandelier massif et contondant pour les tenants de la vieille tradition. Arrivés en haut du Sinaï nous les trouvâmes en piteux état.

Avez-vous entendu la colère de Dieu ? Moi si. À coté, l'explosion d'un volcan, c'est de la bibine de chats. Craignez, craignez, le Châtiment de Dieu.
— Je vous condamne à vivre éternellement sur terre, hurla-t-il.
— Merci du cadeau, dis-je, en contemplant les bannis toujours à s'étriper.

Épuisé, il ne me répondait pas. Nous survolions la terre et pour me remercier, il me la laissait entrevoir tel qu'il l'aurait voulu, la perfection ronde, la splendeur blanche, la merveille azurée, la luxuriance verte, l'immaculée transparence de l'eau ... et soudain, cette question :
— À qui faut-il s'adresser pour devenir athée ?



Vendredi 18 novembre 2011

Si nous étions immortels, par manque de place, il faudrait arrêter de faire des enfants.



Samedi 19 novembre 2011

Suis-je vraiment coincé dans cette époque ? D'un point de vue purement matériel certainement. Physiquement je me contente d'y prendre le soleil et j'ai de l'empathie pour ce monde un peu fou. Mais je me réinvente hors des ornières et de la boue.

Je chante l'univers et l'univers me chante, dans tout ce qu'il a de jubilatoire et d'espoir, la sphère lisse du bonheur. Aimer les embruns de tes yeux autant que le clair de tes rires, l'amer de ton sourire, comme la vivacité joyeuse de ton regard. Le froid et le chaud, le sucré et le salé attisant mes désirs. Oser le monde plus beau pour toi, pour nous, pour nous tous.

Vu d'ici, de ma tour si banale et pourtant si multicolore, j'observe tous ces liens, fils d'or entre les hommes qui se créent un chemin dans le labyrinthe des maux. Petits gestes ou grandes solidarités, c'est égal. Toujours, quelqu'un, quelque part, tend une main, offre un sourire, échange quelques paroles gentilles, transmet son savoir, comme çà, gratuitement. Ils ne sont pas de leur époque. Ils dansent, ils chantent que rien n'est écrit.


Dimanche 20 novembre 2011

Le désespoir est un état d'esprit qu'il faut combattre. Sûr, la vie n'est pas drôle pour beaucoup d'entre nous, chômage, pauvreté, conditions de travail inadmissibles, handicap, santé ... qui provoquent l'angoisse du lendemain, mais aussi brisent les couples, et rejettent dans la marge bien des enfants.
Pourtant des gens surnagent. Jamais ils ne renoncent à vivre. Ils continuent d'aimer. Ils sont des joyaux que jamais aucun tas d'ordures ne réussit à avaler. Et surtout, ils gardent leur cœur ouvert, ils aident, ils s'entraident. Ils refusent cette sorte d'assignation à résidence que leur impose leur condition précaire.

 Oh, le désespoir, ils le connaissent bien, et l'abattement qui va de pair aussi, mais jamais ils ne pleurent sur eux-mêmes, mais sur les autres.
Et cela change tout. Le désespoir, ils le pulvérisent d'un sourire. Tous les jours, ils renaissent. Ils éclairent avec constance, avec acharnement. Ils me guident.

Souvent je suis triste, c'est vrai, mais désespéré jamais. Alors je fais ce que je sais faire un peu, quelques lignes pour eux, pour cette joie qu'ils dispensent, pour cette présence d'humanité au cœur de la tourmente, pour cette fierté qu'ils me donnent d'être un homme parmi les hommes, pour eux et pour tous ceux aussi qui oeuvrent avec eux.
Le désespoir, ce n'est qu'un sourire qui a pris un coup de couteau, et chacun d'entre nous peut suturer la plaie en partageant le sien.



Lundi 21 novembre 2011

Quelqu'un gratte à ma porte. Toutes timides, trois petites frimousses, mes trois petites mouettes rieuses du matin. S.O.S. devoirs en détresse.
Mes petites grabotes s'installent autour de la table, Camélya l'appliquée, Nadège la pressée d'en finir, et Mélina la curieuse. Du français et des maths ... Si je comprends les questions !

Bon, me voilà lancé dans la technique opératoire !!! ??? J'ignorais totalement que l'on commençait médecine dès l'école primaire. Ouillouiiouille, bobo ma tête, chacune à son tour, Camélya, passe-nous les bonbons pour nous donner des forces. Il me faut trouver des mots simples, très simples pour mes oisillons ébouriffés, aux yeux ravageurs et avides. Lloydia qui a toujours été très à l'aise avec les enfants, peste à côté de moi, rajoute son raisonnement sur le mien, mais sa vue ...

On aura appris quelques mots nouveaux après avoir bataillé entre doudou et nounours, enfin un ours brun ton doudou Nadège, qui mange du saumon (un poisson Mélina) et se promène sur la banquise lorsqu'il est blanc. Et oui, comme les hommes, les ours sont de toutes les couleurs. La banquise, Nadège, c'est un très, très gros glaçon, oui comme ceux du frigo, mais des milliards de fois plus gros, qui flotte sur l'eau. Un milliard, c'est bien plus grand qu'un million.

Maman qui n'aime pas savoir ses petites chéries loin de ses jupes revient pour la deuxième fois les récupérer. Dommage les filles, on fera des desseins une autre fois.
 J'te dis tu prends,  dit-elle, en insistant pour que j'accepte un sachet de petits pains sous plastique en provenance du discount le plus proche.
— Si t'as déjà, ti mets au congel.

— Qu'il est bon ce pain, même s'il joue un peu à l'élastique sous la dent.











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