Le mot du jour

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LA VOIX DE L'ÉCHO

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jeudi 31 juillet 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 18








Amour dans les champs



Suite 18



Tapi au pied d’un ormier, il attendit que la plainte cesse de résonner dans ses oreilles pour oser allonger le cou et essayer grâce à ses fibrilles de mieux en déterminer l’origine… Les ondes qui s’amenuisaient dans l’éther lui indiquèrent une provenance différente de celle de la rivière. Les Martes auraient-elles quitté leur refuge aquatique pour se livrer à leurs débauches dans un pré ? Jules n’avait pas mentionné cette possibilité et Arsène en avait conclu, sans doute un peu rapidement, qu’elles ne quittaient jamais le lit du Portefeuille. Perplexe, il n’osa pas bouger de peur d’exciter la convoitise des diablesses. L’inactivité lui pesait d’autant plus que la faim ravivée par la proximité d’un fabuleux repas le poussait à prendre des risques. Il voulut en avoir le cœur net. Lentement, il s’avança à pas feutrés vers un massif de sureaux et d’aubépines, lieu probable où les créatures devaient s’être assemblées. Un nouveau son s’en échappa. Il ne s’agissait pas cette fois d’un gémissement, mais plutôt d’un murmure suivi d’un ânonnement rauque et bref. Puis un râle se mélangea à un gloussement qui se mua en un soupir de contentement. Arsène se faufila sous les grappes de baies noires au pied d’un sureau et inspecta la petite clairière qui s’étendait derrière son abri végétal. Il distingua très nettement deux formes humaines qui au lieu de se tenir debout ou assises comme à leur habitude étaient allongées sur un plaid écossais et s’agitaient dans des mouvements qui lui parurent désordonnés et bien peu habituels. Il reconnut la chemise à carreaux style western préférée du fils Blandin et sous lui, échappant d’une robe vichy retroussée haut, les guiboles affriolantes de la Moune.


Les ébats dont il était devenu le spectateur involontaire le laissèrent un court instant interloqué. Il est vrai que la vie monacale de son bon maître ne l’avait guère préparé à surprendre deux humains en péché de chair. En revanche, il était parfaitement au fait de l’accouplement de ceux de son espèce et il lui fallut peu de temps pour réaliser de quoi il retournait. La curiosité l’emporta sur le sentiment gênant de s’être transformé en voyeur. Sa culture générale s’en trouva profondément modifiée et il fut surpris par l’étendue et la diversité des pratiques sexuelles des humains ainsi que par la durée de leurs rapports. L’observation prolongée commença à l’ennuyer. Après tout, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat, comme les humains se plaisaient à le dire quoique cette affirmation lui laissât toujours une impression désagréable. Aussi, fut-il bientôt satisfait quand il vit le fils Blandin, rouler sur le côté, mine béate, joues en feu et pantalon sur les chevilles. La Moune se redressa sur ses coudes, pivota gracieusement sur sa gauche et vint déposer un tendre baiser sur les lèvres de son amant.


« Pourvu qu’ils ne remettent pas ça ! » pensa Arsène en laissant échapper un soupir de chat.


Les deux tourtereaux se prodiguèrent encore quelques caresses, mais ayant, pour le moment, épuisé leurs forces, ils se blottirent l’un contre l’autre dans un contact plutôt chaste et romantique.


- Tu m’aimes, mon Jérôme ? murmura la Moune.


Le fils Blandin l’enveloppa d’un regard à la fois tendre et possessif.


- Bien sûr, que je t’aime… ma Mounette.


- Alors qu’est-ce que t’attends pour m’épouser ?


Le visage du fils Blandin se referma aussitôt. Il se leva en rajustant son pantalon, puis chercha dans la poche de sa veste étendue sur l’herbe de la clairière un paquet de cigarettes et un Zippo. Le temps qu’il prit pour allumer sa clope indiquait autant son embarras que l’envie de faire diversion et de reléguer aux oubliettes le contenu de cette seconde question. Apparemment la Moune ne l’entendait pas de cette oreille. Elle revint à la charge avec obstination.


- Quand est-ce qu’on se marie ? Je suis sûre que le père serait d’accord, quant à la mère, elle ne demande que cela. Elle en a marre de me voir traîner dans ses jupes. J’ai l’âge et toutes mes amies sont déjà mariées ou fiancées, alors qu’elles sont bien moins belles que moi. Tu veux que je finisse vieille fille ? Et d’abord qu’est-ce qui te dit que je n’attends pas un bébé de toi ?


Le visage de Jérôme devint livide et la cigarette trembla entre ses lèvres.


- Tu…


- Nan, je te chambre… Je t’ai fait peur, hein ? Suis pas enceinte, enfin pas encore… ajouta t-elle en caressant son ventre plat.


- Ben ça, oui, tu m’as foutu une sacrée trouille… C’est pas très malin de plaisanter avec ce genre de truc. Se marier, on a encore le temps. Faut que j’assure d’abord ma carrière et mon mandat à présidence de la SCAB se termine en fin d’année. Laisse-moi trouver de quoi faire bouillir la marmite et élever comme il se doit une gentille famille. Tu sais que je n’aime que toi et combien je désire qu’un jour tu deviennes ma femme…


Arsène qui avait appris à déchiffrer les sentiments rien qu’en scrutant les visages des humains pendant qu’ils parlaient, releva chez le fils Blandin une crispation des lèvres qui démentait formellement ses propos. Il mentait, pour Arsène c’était une évidence. Pourtant la Moune parut boire les paroles de son Jérôme et se jeta dans ses bras au risque de roussir quelques mèches à l’incandescence de la cigarette.


- Tu sais après le cauchemar que j’ai fait cette nuit, je n’y croyais plus vraiment…


- Tiens toi aussi t’as fait un cauchemar ? répliqua Jérôme, visiblement satisfait de changer de sujet.


- Oui… je devais être morte, parce que je m’étais transformée en fantôme et que j’errais sur les toits. T’imagine, moi qui ai le vertige… et puis, ça sentait le brulé… ça puait la mort même si tu veux savoir… et tu y étais toi aussi et le Cormaillon, et l’Augustin et cette garce de Marthe… Oh, mon Jérôme, c’était horrible, comme si tous ces gens voulaient s’étriper… que de la méchanceté autour de nous…


- Bizarre, j’ai fait à peu près le même rêve. Mais il y avait aussi Jules, tu sais le cantonnier et puis deux autres formes, mais je ne me souviens plus très bien. Pas vu mon père par contre. Tu l’as vu, toi ?


- Ton père, non… c’est pareil, je ne me souviens plus… tout cela était embrouillé et tellement horrible que je préfère oublier. Et pourquoi que ton père, il aurait été là… ? Tu vois mon Jérôme, même nos cauchemars sont les mêmes. Ce serait pas le signe qu’on est faits l’un pour l’autre ?


- Plus qu’un signe ma Mounette… une certitude. Mais ne traite pas la Marthe de garce. Je suis convaincu que c’est une femme adorable.


Arsène fronça le museau. Ce type mentait comme il respirait.



©Catherine Dutigny/Elsa, juillet 2014


à suivre...

mardi 29 juillet 2014

MARCEL FAURE - 0106 à 0110 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX DE MARCEL FAURE (deux premiers épisodes Tippi Votre Echo)






CLIQUER SUR LA VIDÉO SONORE








Vendredi 6 janvier 2012 



Visages éventrés par la vie
Jardins abandonnés
Cœurs meurtris
Lèvres qui ne savent plus l'amour
Mots titubants d'alcool


Visages poupins de la malbouffe
Sous le cheveu terne
Ravages des cernes
La dépression pour compagne
Et la faim sans fin


Visages perdus dans l'essaim des ans
Que mille chemins parcourent
Les joues qui tombent jusqu'au cou
La peau si claire
L'œil si las
À contempler demain.




Samedi 7 janvier 2012



Y a-t-il une frontière entre prose et poésie ? Je n'en suis pas sûr. C'est pourquoi ici, je mélange les genres. Petites nouvelles, vieux souvenirs, instants saisis presque sur le vif, poèmes, il me semble que chacun tire l'autre vers une nouvelle aventure, dans une autre dimension. On parle aujourd'hui de prose poétique ou encore de poèmes en prose, mais plus le poème s'éloigne de sa forme classique plus il échappe à toutes classifications.
J'ai lu chez un grand auteur dont le nom m'échappe " c'est à celui qui écrit de décider si sa production est, ou non, un poème." Mais c'est aussi au lecteur de construire son propre poème avec tout ce qu'il est.
Dans sa préface à "Travaux d'approche " Michel Butor pense que cette frontière "s'amenuise"... " devient de plus en plus poreuse".




Dimanche 8 janvier 2012 


Le langage en soi est une aventure qui traverse les siècles et que nous prenons comme une évidence. Jamais nous ne pensons à nos ancêtres aux premiers sons échangés dans les tréfonds de l'humanité. Des cris qui se transforment, se structurent, se répondent, oui le langage est d'abord un cri pour exister, pour survivre. Merveilleux cri premier dont l'écho se répercute jusqu'à nous et qui, de génération en génération a gagné en clarté.
Attention, je ne suis pas un spécialiste du langage, loin de là, mais cette longue plainte, puis ce chant, je le sens dans mes tripes et il anime mes poèmes. Et je me vois en transe, dans une grotte, posant ma main sur la voûte et louant cette main pour l'éternité avec un peu d'ocre.
Ma main, ce fabuleux poème qui transpose les sons en écriture. Ce n'est cependant que de la poussière d'ocre qui les anime. En soufflant dessus plus ou moins fort, dans un sens ou dans l'autre, le dessin qu'ils forment est différent. Les peintres préhistoriques l'avaient déjà compris en nous proposant plusieurs versions d'une même œuvre.




Lundi 9 janvier 2012 


Je suis encore tout embué du monde du travail, mais jamais je ne passerai le revers de ma main sur la vitre. Ce serait comme renier mes origines, trahir mes amis, ma famille, et cette fatigue qui pèse encore sur mes épaules. Mais je suis aussi un peu un scientifique fou, une sorte de chercheur d'espoir et de bonheur. En remuant la fange des idées et des révoltes, nous sortirons ensemble du labyrinthe qui nous retient.
Nous ne sommes encore que des chevaux fatigués et aveugles au sortir de la mine. Le chasseur de rêves que je suis ne se laissera pas conduire sans bruit à l'abattoir, même si ma voix ne porte pas plus loin que le bout de mon nez.




Mardi 10 janvier 2012 



Ohirondelle.fr ne répond plus. La grande migration peut-être... La Chine l'Inde, la Laponie, où donc est-elle partie ? Loin des prétentieux manoirs de l'Europe, un jour, c'est plus fort qu'elle, elle s'envole fuyant les monastiques enseignements, l'ombre du Collège de France et de ses grands recteurs.
C'est elle qui m'a donné mon premier cours de poésie, par grand froid, à l'angle d'un bois venté qui sifflait nos oreilles de sa mélancolie d'été. Alors vous écrivez ? Et dans la foulée elle m'avait expliqué la naissance du romantisme en le situant dans le grand courant, toujours en mouvement, de notre littérature. Puis elle avait enchaîné sur la nécessité d'aller chercher au plus profond de soi, de se méfier des clichés et de chercher sans relâche le mot juste, tout en veillant à la beauté du résultat.
Ohirondelle.fr ne répond plus. Que dirait-elle aujourd'hui de cette traduction de sa pensée. Plus tard, elle m'a offert un curieux livre d'un poète arabe. L'auteur Khayyãm; certains de ses quatrains font un surprenant éloge du vin :

Sache ceci : que de ton âme tu seras séparé,
Tu passeras derrière le rideau des secrets de Dieu.
Sois heureux... tu ne sais pas d'où tu es venu
Bois du vin... tu ne sais où tu iras.


Ohirondelle.fr je ne sais où tu t'en vas, mais tes conseils avisés me manquent. Tu les dispenses là-bas, sans trop te soucier de la notoriété de l'établissement, dans ces lointains où l'on apprend notre langue. Et lorsque tu reviendras, je te saluerai comme tu aimes à l'être : souriant, mains jointes et courbant le dos, rendant ainsi hommage à la femme de cœur et à la terre qui la porte.







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 0107





dimanche 27 juillet 2014

JAVA - « 176 EN NOIR ET BLANC » PARTITION 6 - QUATRE MAINS ANNA LOGON ET JAVA

MISE EN VOIX JAVA
sur une partition de Bela Bartok 1ere sonate pianiste "Makaosama"

Un piano de concert possède 52 touches blanches, 36 noires
À quatre mains, cela fait 176 petites notes qui s’entremêlent...

Tour à tour, les plumes d’Anna et Java se croisent
et en canon se répondent,
Voici leurs partitions...



CLIQUER SUR LA PARTITION CI-DESSOUS








« 176 EN NOIR ET BLANC »


FINAL





      Il avait écouté avec un ravissement qu’il ne cherchait même pas à dissimuler. Dans les doigts du pianiste la musique était devenue matière et eau, les croches s’étaient faites grappins, les portées torrents tumultueux. Mais si la musique avait ce pouvoir d’inspirer le chaos, lui, pouvait il continuer à l’aimer? Il détestait les décombres et la nuit, mais il endossait soir après soir, par le choix de ses interprétations le costume le plus sombre, il était l’ombre, l’Autre la lumière. Pourtant il ne croyait pas avoir démérité de l’instrument, il aimait ce piano autant que sa propre vie, pour autant ses prestations musicales depuis quelques temps n’attiraient que reproches et quelquefois injures. On avait besoin de gaieté, de notes cristallines à satiété et leur rôle n’était que d’être les messagers d’un bonheur mélodique.


               Il n’y arrivait plus, alors il ne produisait plus en solo, les gens ne se déplaçaient plus pour son nom seul, il avait été obligé de recourir aux duos. Alors il servait de faire valoir, chacune de ses interprétations mettait l’Autre en sous la lumière, malgré tout il continuait, le piano était non seulement son gagne-pain, mais aussi sa raison de vivre. Allons, il lui fallait en finir. Ses deux mains se posèrent doucement sur l’ivoire des touches. Aujourd’hui, il ne partirait pas sous les huées. Il commença par un Allegro moderato, même si c’était un univers sombre qui sortait de ses doigts, la frénésie du tempo et l’alternance avec des animatos aux sonorités simples allégeaient son propos. Plus que jamais son interprétation dessinait les deux faces d’une même pièce. Il soufflait le chaud et le froid. Il amena l’auditoire dans une sorte de sarabande hiératique et la fit tout aussitôt sauter dans des ruisseaux d’eau pure et joyeuse, avec des allégros endiablés avant de reprendre des sonorités plus graves. Il fit sourire et pleurer. Il donnait ainsi à écouter le monde tel qu’il le voyait et l’entendait, heureux et triste, alerte et lourd, généreux et assassin.


               Il ne quitta pas ses doigts des yeux, il ne posa son regard ni sur l’autre pianiste qui lui faisait face ni sur la salle. Cette fois personne n’était parti, tout au moins il ne décelait aucun mouvement. Il lui sembla alors qu’il avait gagné le cœur de tous. Il se demanda si après tout cela avait de l’importance ? Enfin ses doigts cessèrent leur course, un long silence s’ensuivit.


               Ils se levèrent ensemble, ils firent tous les deux le tour de leur Steinway et saluèrent. Il sentit alors une main dans la sienne. Ils étaient deux, ils avaient toujours été deux.


               À ce moment seulement les applaudissements commencèrent, la salle était toujours dans l’obscurité, il y avait ce noir intense devant eux et ces claquements de dizaines de paumes qui se rencontraient encore et encore, lorsque les premières lumières s’allumèrent il vit que tous étaient debout.


               Après deux rappels ils quittèrent la scène définitivement, ils rejoignirent leur loge après s’être chaleureusement remerciés l’un l’autre, se promettant d’autres rencontres, d’autres rendez-vous, d’autres applaudissements. Plus tard, un œil attentif aurait vu un homme sortir au bras d’une jeune femme et après quelques minutes, un autre poussant un fauteuil roulant dans lequel était assise celle qui devait être son épouse… Tous deux riaient, riaient… Les ruines de la ville semblaient moins laides ce soir...






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samedi 26 juillet 2014

ANNA LOGON - « 176 EN NOIR ET BLANC » PARTITION 5 - QUATRE MAINS ANNA LOGON ET JAVA

MISE EN VOIX ANNA LOGON

Un piano de concert possède 52 touches blanches, 36 noires
À quatre mains, cela fait 176 petites notes qui s’entremêlent...

Tour à tour, les plumes d’Anna et Java se croisent
et en canon se répondent,
Voici leurs partitions...




Partition N° 1


Partition N° 2


Partition N° 3


Partition N° 4







BANDE VIDÉO -AUDIO ICI






CHOPIN - Étude Op.10 No.2 - A minor chromatique


            À gauche, les yeux malicieux semblent à leur tour provoquer leurs comparses : « Ah tu veux jouer au chat et à la souris ? Alors jouons sans angoisser l’auditoire... ». Dès la première mesure de l’Étude Opus 10 N°2 de Chopin, le public se rassoit.  Sans la moindre hésitation dans leur réponse, les doigts agiles entament leur course chromatique, se pourchassent l’un l’autre sur la plaine neigeuse, voltigeant sans heurt sur les roches sombres. Primesautiers, ils vont et viennent avec adresse sur le clavier virtuose. La mélodie s’amplifie tournoyante du parquet jusqu’aux lustres. Sans s’essouffler, dans la forêt du parterre, le courant d’air tourbillonne décidé. Déjà il virevolte entre les fauteuils faisant courber les troncs, étourdissant les têtes sur son passage. Effréné, il se gonfle en spirale ascendante, arrache toute frondaison. Les feuilles s’envolent du pupitre en friponnes volutes, emportant les clés et les appogiatures. Les croches se multiplient en double, en triple en ricochant sur les velours des tentures. Les bécarres, les dièses et les bémols se dévergondent sans demi-teinte en ellipse sans fin... Puis la course s’amortit en un seizième de soupir.

            En face, un regard noir le dévisage, ces tendres harmonies l’ennuient ...









CHOPIN - Étude Op.10 No.4 - C sharp minor



            Comme pour répondre aux préférences dissonantes de son protagoniste, le pianiste poursuit s’exaltant sur l’Opus 10 N°4 pour porter l’estocade. Les doigts et l’instrument s’unissent, évanescents. En transe ils fusionnent en une seule onde frénétique. Le flot de musique se déchaîne, elle se fait conquérante. Les véloces triolets dévalent bouillonnant dans les allées, les gruppetto débordant descendent en cataractes des balcons. Bientôt, la salle se noie dans les vagues ondulantes, qui se ruent tumultueuses. Tels des coquilles de noix flottant sans amarre, les fauteuils voguent secoués par la houle démontée emportant les mélomanes submergés. Ils cramponnent le pavois, mais déjà chavirent sous les furieuses modulations. Échevelées, les sonorités s’élèvent en murs vertigineux, et cinglent les mezzanines. Scélérate, leur intempérance se fracasse sur les lisses, explosant en mille fougueuses tonalités. Les triolets redescendent en écumeuses cavales, se propagent avec célérité dans les coursives et le hall. Sans tremolo ni défaillance, la Musique décide alors de porter le dernier assaut, il sera crescendo ! L’espace tout entier se dilate en une puissante vibration. Le frontispice fragilisé se fend sous la dominationde ce cyclone devenu impérial ! Sous l’estoc et la taille de l’accord final, la Musique le jure, corbeille, cintres et pilastres dégringoleront sur les lambourdes !
            ... Quand la poussière reposa son nuage sur le parquet, ne restaient debout que deux courbes noires encore entremêlés. Trois pages de partition voltigeaient plus haut telles les feuilles d’un automne trop précoce. Adieu édifice, concert, cintres, fronton... Fauteuils arrachés, tentures par terre... ruinés... Sottise fratricide, affrontement guerrier, les noires contre les blanches, bémols et dièses déchaînés... Plastronnade achevée... Désolation...

            Frère de cordes, hisseras-tu enfin pavillon blanc ?





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et





Le grand final à lire sur la page de Java

jeudi 24 juillet 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 17








La truite




Suite 17




Il faillit lui rétorquer que cela le regardait également, lui, sa femme et les enfants, mais il se sentit las et soudain pressé de changer de sujet.

- D’accord Marthe, je ferai ce que je peux et te tiendrai au courant du résultat de mes recherches. Je reprends le car de 15 heures. Je mangerais bien un petit morceau avec toi si tu n’y vois pas d’inconvénient. Le whisky, sans grignoter quelque chose, je n’ai pas l’habitude et il commence à me monter à la tête. D’ailleurs, ça sent bon dans la cuisine… tu as préparé quelque chose ?

Elle se détendit un peu et lui adressa un sourire qui la rajeunissait de vingt ans.

- Des œufs en couilles d’âne… ça te dirait ? J’ai déjà préparé la sauce, je n’ai plus qu’à les faire pocher. Ce sera vite fait, plus une salade accompagnée de mes fromages. En dessert, un Poirat, comme mémé le préparait, avec les fruits du verger. Il tiédit au four… tu vois, tout est presque prêt. Je mets la table et dans cinq minutes on pourra commencer à manger. Si tu veux m’aider, les couverts sont toujours à la même place. Juste avant, pourrais-tu me mettre ce chat dehors… Je ne supporte pas un matou dans mes jambes quand je fais la cuisine et quelque chose me dit que ton protégé est du genre quémandeur…

Arsène sursauta. Il pensait s’être fait oublier et ne s’attendait pas à ce que la Marthe ait gardé en tête sa présence. L’homme élégant se leva du canapé et se dirigea vers lui, les bras ballants, paumes ouvertes en signe d’impuissance.

- Désolé mon vieux, mais la patronne ne veut pas de toi à l’heure du repas. Si tu as faim, tu vas devoir te débrouiller avec les moyens du bord. Il y a des tonnes de petites truites qui frétillent dans le Portefeuille… tu devrais y jeter un coup d’œil…

Il accompagna son conseil d’une longue caresse sur le cou d’Arsène, puis obliqua vers la porte d’entrée qu’il ouvrit largement en prodiguant des « Allez, suis-moi… », fermes, quoique peu menaçants.

Le chat comprit qu’il était inutile d’insister et, pour tout avouer, il ressentait un grand besoin de s’oxygéner les neurones. Il en avait appris tellement en si peu de temps que sa pauvre tête frôlait l’explosion. Un étau enserrait les os de son front à en faire craquer les cartilages. Fidèle à sa promesse il avait tenté de mémoriser chaque phrase pour la rapporter textuellement à Jules. Hélas, depuis cinq minutes les mots s’entrechoquaient en désordre dans son cerveau, ceux de la Marthe se mélangeaient à ceux du gentleman. Qui avait dit quoi ? Et d’ailleurs qu’avaient-ils dit ? Une logorrhée embrouillée lui tenait lieu de rapport circonstancié d’enquête. Sa carrière d'inspecteur démarrait sous de mauvais auspices. Il franchit le seuil de la porte en titubant, une expérience toute nouvelle dont il se serait fort bien passé. Voici donc ce qu’éprouvait le cantonnier au sortir du bar « Aux Demoiselles ». Une horreur ! Comment les humains pouvaient-ils rechercher cette sensation d’ivresse ? Un haut-le-cœur terrassa le restant de ses forces.

La cour de la ferme tanguait et il s’emmêla les pattes avant de se retrouver le postérieur affalé sur les pavés disjoints qui bordaient le bâtiment. Tandis qu’il essayait de retrouver ses esprits, la porte claqua dans son dos renfermant derrière elle les effluves d’un repas et ses secrets intimes. Un petit vent frais vint chatouiller ses moustaches et Arsène avala une grande goulée de cet air qui en pénétrant dans ses poumons rassasia l’hémoglobine de ses globules rouges qui se gorgèrent d’un oxygène salvateur. L’effet fut presque immédiat. Un semblant d’ordre chronologique et des pans entiers de la conversation remplacèrent le galimatias qui lui tenait lieu de mémoire. Il se redressa d’abord avec précaution et une fois bien calé sur ses quatre pattes, s’approcha de la porte pour glaner de nouvelles confidences. Hélas, ses deux suspects s’étaient retranchés dans la cuisine dont aucun son ne filtrait. Il patienta un peu, puis abandonna l'espoir d'en apprendre davantage.

Un léger gargouillis monta de ses entrailles. Les humains avaient parlé d’un repas. Le mot seul de repas suffisait à déclencher en lui des tiraillements de l’estomac. La recommandation du frère de la Marthe lui revint en mémoire et quand le mot truite remplaça le précédent, s’imprima aussitôt dans son cerveau, la silhouette élancée gris-verdâtre, aux flancs peints de tons dégradés, constellés de points noirs et rouges, légèrement circonscrits de rose ou de bleu, du poisson de ses rêves. Il saliva d’avance, pointa le museau en l’air pour déterminer le meilleur chemin qui le conduirait aux berges du Portefeuille. Une odeur aqueuse, minérale et boisée provenait de l’ouest et signait sans aucun doute possible, la présence d’une rivière. C’est alors que la mise en garde de Jules lui revint aussi à l’esprit, preuve que son cerveau fonctionnait de nouveau à plein rendement. « Y’a des Martes chez la Marthe ! » bougonnait la voix avinée du vieux cantonnier.

Il tendit les deux oreilles en direction du couchant à l’affût du moindre chant ensorceleur. Le bruissement des feuilles à demi roussies des charmes bordant les rives et le gazouillis ponctué des « tchissic », « tsilip » et « tsitsi » des bergeronnettes grises le rassurèrent. Rien d’inquiétant, rien de maléfique. Du coup, son ventre lui cria avec virulence famine et il se décida à tenter sa chance. Jules n’était-il pas au même instant en train d’apprendre à pêcher à Charlotte ? Si sa mise en garde contenait une once de vérité, il n’aurait pas eu l’inconscience d’emmener sa fille avec lui. Tout cela n’était qu’un fatras d’élucubrations d’ivrogne.

Arsène traversa la cour en diagonale, puis se fraya un chemin entre les longues tiges brunies des cirses qui avaient envahi un champ autrefois cultivé, en contrebas de la ferme. Le soleil était au zénith et la campagne jouait les prolongations estivales. Le chat ressentit un profond bien-être à la caresse des rayons sur son pelage lustré. En aval sur sa dextre, il discerna une masse rouge vif partiellement cachée par les ormiers marquant la limite d’un chemin vicinal. S’en dégageaient des émanations d’huile, d’essence et de pneus chauffés à blanc. Arsène négligea cette nouvelle information qui encombrait inutilement son cerveau. L’odeur de la rivière était bien plus alléchante et c’est d’une foulée souple qu’il parcourut une centaine de mètres. Il touchait à son but et l’excitation le gagna. Au moment de franchir une ultime haie qui lui barrait le passage, ses muscles se figèrent tétanisés par l’effroi. Des gémissements venant de nulle part striaient l’air et déchiraient le staccato des gouttes d’eau d’une cascade. Enfin, une plainte lugubre s’envola vers le ciel d’un bleu azurin.


©Catherine Dutigny/Elsa, juin 2014

à suivre...

mardi 22 juillet 2014

MARCEL FAURE - 0101 à 0105 de La danse des jours et des mots


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Dimanche 1er janvier 2012 



Ô ma muse mémoire, que sera la moisson cette année ? Orphée sera-t-il le chantre de mes jours ? J'éloignerai de moi toute idée de l'enfer. Se souvenir, est-ce se retourner ?
Ô ma muse ensemence mes mots de fontaines jaillissantes, de frondaisons secrètes et de fenêtres ouvertes. Pénètre ma maison aux quatre vents offerte. Viens murmurer des ombres écarlates sur le festin des jours.
Ô ma muse, embrase mes élans. Transporte-moi vers ces îles lointaines d"épices et de corail. Les flammes enchanteresses, le soir, grésilleront d'étoiles.
Ô ma muse tranquille, par-dessus mon épaule, corrige mes erreurs et mes égarements, ces graffitis informes sur la page pour te décrire, cette ébauche indigne de ta beauté.
Ô ma muse effrontée, déshabille mon rêve que je le touche de ma réalité. L'écume au bout des doigts je te dessinerai la vague et la mer et l'envoûtante langueur de la douceur de vivre.





Lundi 2 janvier 2012




Cette vieille histoire de maquereaux qui refait surface. C'est à cause du téléphone. Quelqu'un jette des mots sur la ligne. Je ferre d'un coup sec et hop je ramène une boite de maquereaux à la moutarde toute penaude au bout de l'hameçon.
Surréaliste mon histoire ? Attendez, j'explique.
La sœur aînée de Lloydia est atteinte de téléphonite aiguë, une maladie assez répandue et qui se propage comme une pandémie depuis l'avènement des forfaits illimités. Lorsque son appel survient aux alentours de 19 heures, c'est dire que nous ne sommes pas près de manger. Je patiente une heure, deux heures, deux heures cinq... je résiste, deux heures dix... je craque. Et je me jette dans les réserves pour ouvrir sur le champ ces fameux maquereaux en boite, pour les dévorer à même la boite au risque de me couper un morceau de langue.
La grande bavarde, informée du fait et incapable de réduire la durée de ses appels, m'a offert un Noël, cette conserve pour reconstituer mes réserves. Cette histoire a fait le tour de la famille et des amis. Depuis, régulièrement, soigneusement plié dans du papier cadeau, mes maquereaux rappliquent.
Belle sœur, vas y, jette toi sur ton combiné, compose notre numéro. J'ai du stock. Je ne mourai pas de faim.






Mardi 3 janvier 2012 



Je ne suis qu'un vieux maquereau qui a mis ses muses sur le trottoir. Douze mots, s'il vous plait, douze malheureux mots pour un petit poème. Lustrez vos pommettes, chaussez la jupe fendue et au boulot les filles.
Allez y Calliope marchez la première et haranguez la foule. Clio passez donc la sébile des siècles, Erato voyons rhabillez vous il y a des enfants, et vous Euterpe, sur votre lyre, jouez pour que danse Terpsichore. Melpomène restez un peu en retrait, je n'ai pas envie de drame aujourd'hui. Polymnie, c'est à vous mimez la comédie écrite par Thalie. Plein de votre folie joyeuses amies, je partirai avec Uranie visiter Uranus.



Douze petits mots pour un poème
Fantasques et bohèmes
Toute ma vie





Mercredi 4 janvier 2012 




Mon frère si fragile, toi qui connais le nom des sources, sous tes pieds nus, tu comptes un à un les grains de sable du désert. Tu vis sobrement dans l'angle perdu des siècles, à la lisière des mondes et des cultures.
Mon frère si noueux, si sec, tu suis encore les étoiles pour trouver l'oasis et tu tangues inlassablement sur ta chamelle préférée, jonglant avec tes réserves d'eau et les prochains jours de marche.
Tu racontes parfois ce fou de Théodore, un blanc celui-là, si vieux et presque transparent, qui cherchait désespérément une plante pour en sauver une autre. Et ramassait parfois un caillou disant – c'est un morceau d'étoile.
Mon frère, qui sait l'arche lézardée de la terre et qui économise jusqu'à ton souffle pour survivre entre les roches nues, griffées par le vent, lorsque je descends ma poubelle débordante d'inutiles, je trie la moindre miette et je la répartis comme il se doit, parce que je t'aime pour toutes les leçons de vie que tu nous donnes.
Mon frère si fort, toi qui rêves parfois de pluies lorsque la nuit recouvre la maigre palmeraie, je ne sais pas pourquoi aujourd'hui je pense à toi. Et si tu me maudis souvent, toujours ta porte s'ouvrira pour moi, l'étranger inconsistant.






Jeudi 5 janvier 2012 




J'ai toujours rêvé d'un voyage au long court, avec pour seul bagage un sac à dos et pour compagnon, cette vieille paire de jambes maintenant un peu rouillée. Partir de la maison, faire le tour de la méditerranée, se perdre d'oasis en oasis, pour aller buter un soir sur la pointe de l'Afrique.
Assis dans mon fauteuil, il est facile d'aller s'engloutir dans la beauté du désert. Traverser les saisons sur le lacis des routes, un courage que je n'ai jamais eu. Alors je voyage de visage en visage et je regarde parfois si fort que j'en suis impoli.










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dimanche 20 juillet 2014

LILIANE COLLIGNON - Basquiat, la violence picturale face au racisme et à l'injustice
















Basquiat, la violence picturale face au racisme et à l'injustice






Anecdotiques et publicitaires les graffitis? Transférés sur la toile, les graffitis sont à vendre.

De l’ombre à la lumière, des cellules de prison aux catacombes, du métro à la rue, les graffitis explosent dès 1968 à New York, gagnent les galeries d’art, les musées américains, les expositions parisiennes. Basquiat est le nouvel archétype de cet art spectaculaire envahi de formes et de lettres symboliques, confié au jet de la bombe de peinture, qui entre dans l'histoire de l'art.


L’histoire des graffitis


Les graffiti existent depuis deux millénaires, on les observe dans les premières communautés maya, viking ou chrétienne; ces inscriptions ont parfois une importance historique et sociale où s'expriment le multiculturalisme et le désir d'être vu et lu, dans les endroits les plus exposés et parfois risqués.


Les graffiti urbains se développent souvent dans un contexte de tensions politiques : pendant les révolutions, sous l'occupation, à l’époque du Mur de Berlin…Leurs auteurs laissent une trace en affirmant un style et une identité destinés à s’inscrire dans le partage de leur territoire. En quelques années, tags et graffitis se sont sophistiqués et sont devenus de véritables tableaux.


Les mythologies sacrées


Basquiat prend la mesure de la dimension chaotique de la vie et de la grande ville américaine ; New York, au début des années 1980 s'est transformée en un no man's land où règnent l’anarchie, la violence et la drogue.


Sa vision s’exprime dans un mélange de culte vaudou et de Bible, de bande dessinée et de publicité, de héros afro-américains de la musique et de la boxe. Les accents primitifs de ses origines porto-ricaine et haïtienne, qu’il revendique, se mêlent à l'iconographie du martyr dans ses portraits et autoportraits.


Crânes, masques, couronnes, flèches, crucifixions hantent ses tableaux. Ses spectres noirs Profit I (1982) auréolés d’une couronne d’épines se présentent à la fois comme Christ martyr et comme personnification de la colère et de la révolte. Ses personnages, au dessin enfantin, semblent jaillir du tumulte, menaçants de toutes leurs dents ébréchées, serrées dans un réseau grillagé. Les yeux sont des trous béants, les oreilles décollées de la tête; les bras sont longs, toujours levés prêts à l’action.


Le mouvement et les sons


La musique et la danse, le rap naissant, le slam mais aussi le jazz, le be bop accompagnent sa création. Le style est un débordement de symboles graphiques et auditifs ; les arabesques colorées et les couleurs stridentes créent une saturation; des signes indéchiffrables se situent au niveau pré figuratif et pré verbal de l’art. Les jeux de mots et de sonorités, les listes traitées comme des refrains, les masques et les têtes de morts omniprésents forment un glossaire simple mais peu lisible.


La peinture de Basquiat se réfère autant à l'art primitif, à l'Art brut ou à Cobra qu'à la grande tradition américaine, de Rauschenberg à Cy Twombly.


Basquiat garde l’empreinte des graffitis de ses débuts : couleurs vives et textes à thèmes signés du nom de SAMO (pour « Same Old Shit ») accompagné d’une couronne et du sigle du copyright. À partir de 1984, il réalise des peintures avec Andy Warhol jusqu’à la mort de ce dernier en 1987. La sienne arrivera trop tôt malgré une production abondante dont la cote ne cesse de monter.




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Mon amie Liliane qui signe cette chronique le 28 novembre 2011 m'invite aujourd'hui à y mettre mon grain de Tippi !

Quelle responsabilité !

 J'espère ne pas être trop hors sujet en concluant votre immersion originale dans cet univers d'Art contemporain, par cette vidéo insolite :

Exposition NOWART
 "De l'Impressionnisme au Street Art"

que j'ai plaisir à vous faire visiter sur une page de Votre Écho. Merci de vos fidèles écoutes.










Tous droits réservés
Chronique de Liliane
à retrouver ici