Le mot du jour

Qui suis-je?


LA VOIX DE L'ÉCHO

POUR LE PLAISIR DE TOUS: AUTEURS, LECTEURS, AUDITEURS...

mardi 26 mai 2015

MARCEL FAURE - 0266 à 0270 de La danse des jours et des mots








Mercredi 13 juin 2012 

- Attendez-moi !
J’obtempère en pressant le bouton adéquat de l’ascenseur.
- Je suis votre nouvelle voisine de palier, se présente-t-elle.
La conversation aurait pu en rester là, mais, entre voisins , il faut bien faire connaissance. Coup d’œil rapide sur la capacité de l’engin pour me rassurer. Sous un tablier à fleurs d’une autre époque, la nouvelle venue a, en effet, une certaine envergure. C'est bon, il nous reste de la marge. À moi d’accueillir.
- Alors, ce déménagement ! Ça s’est bien passé ?
- En gros, oui. (J’imaginais difficilement en maigre) Mais pour le lit, dit-elle …
La phrase en suspension m’invite à poursuivre. C'est facile, il suffit de répéter le dernier mot de façon plus ou moins interrogative.
- Le lit ?
- On n’a pas pu lui faire prendre l’ascenseur !
Celui-ci ouvre ses portes sur le hall du rez-de-chaussée. J’esquisse un pas vers la sortie. Aucune esquive possible ! Elle s’accroche à ma manche, me retient presque de force.
- Il est trop grand. C'est à cause de mon mari. Vous comprenez, (pas encore) il mesure plus de deux mètres. Alors vous pensez ! dit-elle, pendant que l’ascenseur nous entraîne de nouveau vers les étages supérieurs.
Voilà, c’est ma nouvelle voisine : très encombrante, un rien collante, bavarde juste ce qu’il faut, vêtue façon mamie années 60, et maintenant muette … Ou presque.
- Ben alors ! Il est rapide celui-là ! conclut-elle, pendant notre périple ascensionnel.



Jeudi 14 juin 2012 

- Attendez-moi !
C’est ma voisine. Je ne vous la présente plus, sauf à dire qu'elle a remplacé la feuille de salade qui nous a quittés, sans laisser d'adresse, pour fuir ses créanciers. Depuis qu'elle a emménagé, c’est un état permanent chez elle que d’être ma voisine, sa raison d’être. Je ne peux que m’exécuter. Me voilà coincé contre la cloison du palier avec pour seule compagnie cette espèce de mappemonde avec un collier tahitien imprimé autour de la taille, de l'hibiscus qui descend du nombril jusqu'aux genoux. Quelques jours qu’on se connaît. Tout juste si elle ne me tape pas sur le ventre. J’ai beau me taire, fermer les yeux, détourner la tête, bailler ostensiblement, rien. Elle démarre au quart de tour.
- Faut que j’aille faire des courses. J’ai plus rien dans le frigo.
À croire que son amant, c’est le frigo ! À croire aussi qu’elle me surveille par l’œilleton de sa porte, et dès que je referme la mienne :
- Attendez-moi !
Elle me hante, me persécute, me met, en quelque sorte, au défi de sortir sans elle. Si, par inadvertance, elle ne se précipite pas sur le palier, dès que j’y apparais, elle me manque aussi. Elle est une sorte de drogue dont je deviens dépendant. Je patiente un peu. Je laisse passer un ascenseur. Je me tasse tout au fond de la cage vide. Je mets une option sur l’énorme place vacante.
En quelques jours, elle a rempli ma vie. Si elle rapplique, je déborde. Si elle m’oublie, je m’inquiète. Pour elle qui manque à l’appel, pour Double Mètre, son mari, que je n’ai encore jamais croisé, pour son cabas trop lourd, pour une extinction de voix probable, pour, pour, pour.
Mais elle est bien là. Avec les poussinettes, je n'ai plus le temps de rien. Alors c’est tout pour aujourd’hui.



Vendredi 15 juin 2012 

- Attendez-moi ! Encore ? C’est la voisine.
Heureusement que je n’en ai pas toute une kyrielle comme celle-là ! Pourtant, dans son genre, c’est une beauté : imposante en diable, une voix à réveiller tout l’immeuble, aujourd'hui impeccablement vêtue d’un ample tablier imprimé, vous l’aviez remarqué dès le premier jour où elle s’est installée sur votre palier. Le mien en l'occurrence ! Pas le genre à provoquer votre flamme cette beauté tonitruante ! Non… Plutôt envie de partir en voyage pour l’oublier. Impossible.
C’est quelqu’un tout de même. Aujourd’hui elle est particulièrement inspirée. Elle a troqué la fleur pour l’oiseau. Toute une ribambelle entourant la mappemonde. Une utopie de colombes blanches prêtes à l’envol, déborde de son ventre proéminent.
Ouf ! Voici l’ascenseur. Il démarre avant qu'elle n’ait eu le temps de fermer sa porte.



Samedi 16 juin 2012 

Les mots, comment les apprivoiser, ils sont tant et tant, toute une kyrielle. Ils tournent, tournent, s’envolent, refusent de se fixer, partent à la ribambelle, flopée flottant informe, insaisissables. Vous draguez les voyelles, elles vous prennent pour un voyou. Vous sonnez les consonnes, elles vous snobent. Alors vous tentez la virgule et c’est le point qui vous laisse en suspension ! Vous lancez l’invective, vous jetez l’anathème. Rien, rien n’y fait. De la cédille à l’accent circonflexe, tout contribue à vous rendre perplexe. Ils ruent les mots, ils ruent entre les parenthèses et se sauvent illico. Puis moqueurs, ils vous narguent à la périphérie du cerveau. Et pourtant, ils sont là, imprimés bien serrés, sur le tablier de la voisine qui sort de chez elle en hurlant : « - Attendez-moi » surgissant juste au moment où vous avez le doigt sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Dans l’étroite cage elle se presse contre vous et vous enfonce dans l’estomac le mot «maladroit. » Alors vous comprenez. Pourquoi vouloir tout saisir à la fois ! Vous vous laissez guider par le hasard. En voici un qui pointe sur l’immense poitrine : patience. Il n'est pas vraiment écrit, mais il s'empare de votre intimité et vous l'appliquez en souriant bêtement à ce visage poupin, ravi de faire la route avec vous. Vous recyclez quelques mots de la veille qui se bousculent à nouveau dans ce réduit où vous étouffez.
Et vous attendez.



Dimanche 17 juin 2012 

Nuance  : un peu mais pas trop sinon je m’y perds.
Flamme  : un peu mais pas trop sinon je m’y brûle.
Utopie  : un peu mais pas trop sinon j’espère.
Kyrielle  : un peu mais pas trop sinon j’erre.
Quelqu’un : un peu mais pas trop sinon je lui présente… qui vous savez.
Beauté  : un peu mais pas trop sinon je m’enflamme.
Encore  : un peu mais pas trop sinon je suis malade.
Oiseau  : un peu mais pas trop sinon je m’enfiente
Voyage  : un peu mais pas trop sinon je fatigue.
Inspiré  : un peu mais pas trop sinon j’explose.

Ensuite : peut-être …









Une occasion de découvrir "Le KOICECA" de Henri Maleysson !




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0266

0267

0268

0269

0270






Vous pouvez continuer à suivre les épisodes du journal poétique de Marcel Faure sur le site iPagination. La Danse reprendra ici sur l'Écho en septembre. 



Bel été à tous Amis de la Danse des jours et des mots et de l'Écho !



mardi 19 mai 2015

MARCEL FAURE - BOUQUET DE VOIX pour La danse des jours et des mots - De 0455 à 0463


BANDE AUDIO ICI

BOUQUET DE VOIX
Par ordre de parution : Naïade, Mathieu La Manna, Evelyne De Gracia, Java, Louyse Larie, Aubrée, Zibelyne, Elsa, Anna Logon.



Introduction : 


Une bise printanière souffle aujourd'hui sur la danse et retrousse les jupons de ses jours en un léger désordre temporel. J'ai cueilli les fleurs de mon jardin ainsi que celles de mon écho pour faire froufrouter les plus belles nuances et intonations en un bouquet de voix pour notre ami et poète de chaque jour Marcel Faure et pour sa très chère Lloydia, voyageurs fidèles de Poèmie via « la danse des jours et des mots ». 
Un, deux, trois, Naïade, Mathieu LaManna et Evelyne De Gracia ouvrent le bal de leurs jolies voix, quatre, cinq six, Java accompagne Louyse Larie et Aubrée en trois doux menuets de notes exquises, et enfin, sept huit neuf, Zibelyne, Elsa et Anna Logon avec élégance font la révérence qui ponctue ce bouquet tout neuf ! 
 Grand Merci à toutes et à tous ! Et dansez maintenant !





Mercredi 2 janvier 2013 (MISE EN VOIX PAR NAÏADE)

 Écrire, une belle façon de capturer des rêves.
Dehors la lumière réinvente la terre ...
À chaque instant.
Et je ne suis qu'une infime diffraction du temps.
Dans un silence lézard
Je m'enroule.
Passe une belle trouvaille
Je la plaque sous le stylo.
Tributaire de l'incertain,
Des trajectoires infidèles,
De la sonorité des plumes,
J'interroge mes entrailles
À la recherche d'un écho.
Alors,
Alors seulement,
De ma langue tactile,
Je happe la vie crescendo.



Jeudi 3 janvier 2013 (MISE EN VOIX PAR MATHIEU LAMANNA )

Je suis un artisan. La matière que je travaille, ce sont les mots. Sont-ils déjà ébréchés lorsque je les dispose en vrac sur la table ? Non, ils ont déjà tellement servi qu'ils rutilent de la patine du temps. Mais ils ont su rester rebelles et refusent souvent de se soumettre. Alors j'invoque les poètes
Sous mes yeux la pigmentation prend forme, la coloration s'affirme, la construction s'élabore. Je monte le four en température. De grands à plats s'animent. Je me laisse traverser par des tonalités nouvelles, des fugues, des impromptus, jusqu'aux graduations écarlates.
J'aime ces mélanges chatoyants, nés de rien, qui n'ont pas d'autres buts que celui d'un bruissement léger à mes oreilles, qui sont comme la fleur dans son vase, inutile, irréelle mais essentielle à la beauté du jour.



Vendredi 4 janvier 2013 (MISE EN VOIX PAR EVELYNE DE GRACIA)

 Atmosphère particulière de mon bureau. Le soir tombe, la lumière s'écarte peu à peu pour faire place à une pénombre diffuse. Bientôt le bouillonnement des constellations envahira le ciel.
Les bruits diffus de la maison, le sourd bruit de fond de la rue, loin, très loin dans les cercles extérieurs du temps ... Je suis dans le ventre d'un livre s'ouvrant, se refermant. Ma main sur la tranche, mes yeux dans le moelleux des mots. J'ai peur de me lever, d'allumer l'électricité et de briser ainsi le charme.
Je ne lis plus. Il fait trop sombre. D'un doigt, je caresse le granulé de la page, entre désir et plaisir.



Samedi 5 janvier 2013 (MISE EN VOIX PAR JAVA)

 Rose c'est son prénom, celui d'une fleur, une splendeur destinée à mourir. Toute sa vie Rose s'est jardinée, fardée, maquillée, confiant souvent ses cheveux au coiffeur, maintenant au perruquier. Rose est malade, malade d'avoir trop vécu, d'avoir trop aimé, d'avoir trop fumé.
Rose branchée sur la vie, à se battre avec son syndicat, à se battre pour ses enfants, à se battre avec les fins de mois, Rose branchée sur les perfusions à se battre pour quelques instants de plus avec les siens.
Rose toujours à cœur perdu, à cœur ouvert, à cœur joie, toujours à danser, faire la fête, à partager, partager seulement les instants de bonheur donnant plus qu'elle ne possède et tant pis pour son banquier.
Rose secrète, épuisée par tout ce tourbillon, toute cette fumée, tous ces gens portés à bout de bras – Mais que veux-tu, je ne peux pas faire autrement – Rose veillant sa mère la nuit et ses enfants le jour. Rose à bout de souffle, pompée jusqu'au moindre atome d'oxygène – Un peu d'aide Rose ? – Mais non tout va bien.
Rose si fière, trop fière, jamais ne lâchant prise, toujours sur la barricade et riant plus fort que tous, Rose dont le vent emporte les derniers pétales qui retombent en pluie joyeuse, pour une dernière fête, sur ceux qui l’aiment.



Dimanche 6 janvier 2013 (MISE EN VOIX PAR LOUYSE LARIE)

 À la surface un peu floue de la conscience, des lambeaux de phrases, des imprécisions positives. Elles émanent aux frontières de la méditation, lucioles envoûtantes, filaments enchevêtrés de lumières, petits legos multicolores qu'il faudra encastrer pour faire sens.
Dans la nuit silencieuse, rien n'est encore acquis. La nuit n'est qu'une image, il pourrait tout aussi bien faire midi et plein soleil, dans l'ombre titanesque de Verlaine ou Rimbaud, mon gargouillis insignifiant n'en serait pas moins jubilatoire.
Ce n'est que le regard de l'autre qui me rend moins populaire, moins intéressant, moins génial que mon voisin de palier. Ma soif impétueuse n'assèchera jamais la rivière. Pourtant, lorsque je lève mon verre, que je trempe mes lèvres à cette encre, un paysage s'amalgame et se forme. Du magma s'élève mon chant.



Lundi 7 janvier 2013 (MISE EN VOIX PAR AUBRÉE)

 Sur un fond vert sombre, quelques repères blancs, discrets, presque flous et que bercent une brise de printemps. Une branche expose sa dentelle au vent. En observant mieux, le fond de la photo n'est qu'un amas de fleurs dont le blanc se noie dans le vert, se perd dans le flou comme s'il hésitait à affronter la lumière, comme si le soleil ne frappait que l'extrémité de la beauté qu'il s'apprête à dévoiler.
C'est la première photographie qu'a choisi de nous montrer Shinzo Maeda, photographe japonais, dans son livre "Arbres et brindilles."
Un botaniste dirait de cette photo qu'elle n'est pas bonne. On n'y distingue aucun détail qui permettrait une identification de l'arbre (de l'arbuste ?). Mais le propos de l'artiste n'est pas de nommer mais de partager un instant de grâce, de mettre en évidence une fragilité tout en suggérant la profusion flamboyante de l'arrière plan.
La branche prend alors la dimension d'un Haïku, la sobriété d'un Ikebana et en assume la construction. Elle se divise en trois rameaux de différentes tailles dont seule la partie supérieure du plus grand, capte des étincelles de blancheur. Si le rameau central a du mal à s'extraire du magma de l'arrière plan, le rameau extérieur, presque plaqué au cadre tente timidement de proposer une ébauche , un essai de ce que sera l'inflorescence quand elle aura capturé la lumière. Les pétales largement ouverts, encore laiteux, regardent leurs aînés souriants, pleinement épanouis, à l'objectif alors qu'un savant jeu d'ombres donne à ces derniers une profondeur qui intime à la méditation.
Assis dans mon fauteuil, je perds peu à peu le contrôle de mes pensées. Des effluves agréables chatouillent mes narines. Je m'absente au-delà du réel dans un univers flexible où le poids de mon corps se fait plume. Le tableau est en moi et je pense bourgeon, étamines, pistil. Bientôt je serai fruit ou seulement radeau dérivant sur l'air. Immobile, j'aspire au vide absolu renonçant à tout ce que j'étais. Et mes yeux flamboyants chantent un hymne au printemps.



Mardi 8 janvier 2013  (MISE EN VOIX PAR ZIBELYNE)

   Oh combien je suis stupide ! En rendant compte d'un monde imparfait, je cherche à éliminer toutes les imperfections d'un monde futur. Mais le principal obstacle, justement, n'est pas tant de supprimer tout ce qui ne va pas. Quel serait donc ce monde parfait où chacun trouverait sa place. En dehors des évidentes banalités : bonheur, félicité, sécurité matérielle et alimentaire comment s'organiserait vraiment la vie !
Faudrait-il réserver à chacun une île déserte, sans même la possibilité de construire un radeau, pour éviter tout pugilat ? Supprimer le téléphone, Internet et la bouteille à la mer pour éradiquer toutes les insultes ? Même la notion de droit devrait être revue, chacun voulant user de son bon droit pour posséder, exiger, interdire parce que le droit pour tous, ne va jamais sans sa cohorte d'interdiction pour chacun.
Alors j'érige la solitude comme principe absolu. La solitude adoptant la solution de l'escargot qui se retire dans sa coquille à l'approche d'un conflit. Plus de combattants, plus de conflits. Une solitude active et bienveillante ne restant dans cette coquille que le temps nécessaire à l'apaisement. Utopie, utopie ...
Dans la violence des mots du poète il y a ce désespoir à se savoir si près de pousser la porte de cette utopie sans jamais y parvenir. Dans la violence des mots du poète, il y a cette lucidité à reconnaître en chacun ses propres imperfections. Dans la violence des mots du poète, il y a aussi ce point ultime de fusion entre deux corps, entre deux univers au sommet de l'amour.
Il faudrait savoir bondir entre les interstices du temps et dans un même mouvement tordre le cou à toutes nos pirouettes.



Mercredi 9 janvier 2013  (MISE EN VOIX PAR ELSA)

 Idéogrammes indéchiffrables.
Le ciel comme une énigme

Où dorment les réponses

Des chimères rapaces
Déchiquettent mes rêves

Ô condor mon frère
Protège bien ton nid

Là où s'endort l'enfant
Niche les nouveaux mondes

Là dorment les réponses



Jeudi 10 janvier 2013  (MISE EN VOIX PAR ANNA LOGON)

 Ce n'est pas un songe. Le soleil emmagasiné tout l'été est toujours là. Parfois le jour s'encanaille avec le gris, gronde comme un orage revanchard; qu'importe puisque les plaisirs diffus de la contemplation déploient leurs trésors. Mes yeux se fixent sur un point imaginaire. J'ai la faiblesse de croire que je m'envole.
Oh je n'ai pas de serres, pas de bec tranchant, même pas de plumes, seulement des yeux perçants. Pourtant je ne sais plus vraiment qui je suis.
Plus de parole. Exilé volontaire parmi les poussières cosmiques, minuscule fragment qui poudroie, invisible dans les décoctions méticuleusement dosées de la vie, j'expérimente l'incroyable fusion entre l'exploration intérieure et la matière qui me contient.
Et je sais.
Nous ne sommes que la préhistoire de ceux qui viendront.





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NB: c'est avec grand plaisir que je relaie chaque épisode de "La danse des jours et des mots". Les parutions sur le site iPagination (année 2013 - dont voici les neuf premiers épisodes ci-dessus) sont en avance sur celles de l'Écho (année 2012); voilà pourquoi j'ai parlé de "léger désordre temporel" dans mon introduction.

Les liens de la danse des jours et des mots sur l'Écho :
MARCEL FAURE








Et avant de fermer cette page...


Des mots et une poésie de circonstances ! 
Alors... Dansez encore ! Longtemps, longtemps !







jeudi 14 mai 2015

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS - SUITE 45







Le Petit Train Rébus




Suite 45



Il se demanda si Charlotte n’avait pas décidé de lui pourrir l’existence. Il contempla sa fille qui, armée d’une petite cuillère, tentait de faire ingurgiter à la poupée du chocolat chaud au risque de ruiner la précieuse robe blanche dont celle-ci était vêtue. Il renonça à s’y opposer, craignant de provoquer une nouvelle crise de larmes. Les paroles de Christine lui revinrent en mémoire ainsi que la crainte que les tribunaux ne confient sa fille à sa mère. Jules, de par son éducation, avait une confiance aveugle dans la justice. Pourtant il n’ignorait pas que dans le bien de l’enfant, les jugements rendus allaient dans le sens de la mère. Avait-il réellement le choix ? Tout en mastiquant le croûton de la baguette, il parvint à la conclusion qu’il valait mieux trouver un arrangement à l’amiable que de se voir retirer la garde de Charlotte. En réalité, depuis la visite de Michèle, cette idée ne le quittait plus, en dépit des coups de colère, du sentiment de révolte qu’elle déclenchait à chaque fois. Une bataille perdue d’avance que l’attitude de Charlotte ne faisait que confirmer. Il décida de s’accorder encore un peu de temps de réflexion avant de téléphoner à son ex-femme. Du temps aussi pour trouver les bons mots, les meilleurs arguments qui lui permettraient de négocier au mieux, de préserver les liens passionnés qui l'unissaient à sa fille, le tout sans perdre la face. Une goutte de chocolat macula la robe blanche de la poupée. Charlotte couina. Jules la consola en l’assurant qu’il y avait des choses plus graves et plus importantes dans l’existence.

Les fêtes de fin d’année se passèrent dans une relative indifférence. La municipalité pour respecter le deuil de son maire avait renoncé à faire tirer depuis les remparts du bourg le traditionnel feu d’artifice du 31 décembre. Quelques rares privilégiés réveillonnèrent en regardant sur leur poste de télévision La piste aux Étoiles jusqu’à ce qu’un incident technique n’interrompe sa diffusion, cédant la place au Petit train-rébus qui tourna en boucle de longues minutes, mettant à l’épreuve des neurones déjà anesthésiés par des excès d’alcool. Des pétards éclatèrent vers minuit, mais le froid intense et le vent glacial qui sifflait dans les ruelles, découragèrent les plus intrépides des gamins et les renvoyèrent dans leurs pénates. Dernier signe indiscutable de la sobriété des festivités, le bar « Aux Demoiselles » régurgita ses derniers poivrots un peu avant une heure du matin.

 Dès les premières semaines de janvier, Arsène dut se rendre à l’évidence. Il s’ennuyait chez Jules comme un rat mort. Une expression qui ne le faisait guère saliver. Son hôte et ami, trop occupé par la suite à donner à la lettre de l’avocat de Michèle, délaissait l’enquête. Quant à Charlotte, elle avait repris le chemin de l’école et l’instituteur lui confiait des exercices, toujours les mêmes, à faire le soir chez elle. Cela devenait lassant. Il proposa au cantonnier d’aller rôder du côté de la Marthe plus par besoin d’activité que dans le réel espoir de glaner de nouvelles informations. Le bonhomme n’essaya ni de l’encourager, ni de l’en dissuader. Le chat frustré par ce qu’il interpréta comme du désintérêt, se décida à agir sans l’aide du cantonnier. Il attendit un jeudi où Jules devait s’absenter et où Charlotte n’avait pas école pour mettre son plan à exécution.  Profitant des bonnes dispositions de la fillette à son égard, il lui proposa une petite promenade récréative dans les environs du bourg.

- On ne va pas rester enfermés toute la journée ici. Regarde par la fenêtre Charlotte. Regarde ce beau soleil ! Cela te dirait de rendre visite à une charmante dame qui habite dans une ferme avec plein d’animaux ?

La gamine délaissa sa poupée et sauta de joie dans sa chambre.

- Oh oui ! Une dame ! Des animaux ! Oui, oui, oui…

Arsène fut surpris et chamboulé par ce débordement de joie aussi spontané que bruyant. Ne commettait-il pas une erreur en l’entraînant dans son plan ? Charlotte ne tenait plus en place. Il était  trop tard pour faire marche arrière. Il hésita un dixième de seconde, puis finit par lâcher :

- Oui Charlotte, une dame adorable qui sera très heureuse de faire ta connaissance. Et encore plus heureuse si nous lui apportons un petit message écrit par ton papa.

Voilà, c’était dit. Arsène avait franchi la frontière qui lui aurait permis de laisser Charlotte en dehors de son enquête. Un frisson lui parcourut l’échine. La gamine était si heureuse et si loin d’imaginer ce qu’il avait dans la tête.

- Un message ? De papa ?

- Oui, un message pour la dame. Il l’a rangé dans la commode de sa chambre. Moi, avec mon corps de chat, je ne peux pas le récupérer, mais toi, tu le trouveras sans difficulté. C’est un papier qu’il a plié en deux. Un tout petit mot de rien du tout, mais qui fera très plaisir à la dame.


Arsène se sentit terriblement honteux de mentir à Charlotte.

- Mais j’ai pas le droit ! Papa ne veut pas que je fouille dans ses affaires.

-  Ce n’est pas fouiller, c’est juste récupérer un bout de papier. Tu connais ton papa. Toujours la tête un peu en l’air, surtout quand il abuse de son eau-de-vie. Un petit verre par ci, un petit verre par là… Ce papier, il aurait dû l’apporter à la dame depuis bien longtemps. Seulement, il a oublié. Tu verras, il sera très content que nous l’ayons fait à sa place…

Arrivé à ce stade de mensonge et de félonie, si un chat avait pu rougir, Arsène aurait ressemblé à un tas de braises ardentes. L’espoir que Charlotte refuse de chercher dans la commode de Jules traversa son esprit. C’était sans compter sur son pouvoir d’attraction et de persuasion sur la gamine. Sans plus tergiverser, elle se précipita dans la chambre de son père. Arsène entendit le grincement d’un tiroir que l’on ouvre, puis un cri de joie qui déchira son cœur. Charlotte réapparut en tenant à la main le papier où Jules avait écrit en massacrant l’orthographe : « Celui qui a donné Ronald s’apele Le Fox ».

- J’ai trouvé, j’ai trouvé ! chantonna-t-elle, en agitant le papier.

- C’est parfait, répondit le chat d’une voix étranglée. Maintenant habille-toi chaudement et mets tes bottes fourrées. Range le papier dans l’une de tes poches et dépêche-toi. Il ne faut pas traîner. Nous devons être rentrés avant le coucher du soleil.

Arsène faillit ajouter « et avant le retour de ton père ». Il attendit que la petite se change et enfile manteau et bottes, en s’interdisant de penser aux conséquences de son initiative. Sans s’en rendre compte, il sombrait dans le déni. Quand Charlotte fut prête, il avait réussi à se convaincre qu’il l’emmenait faire une balade de santé.

Sous les rayons du soleil, la neige accumulée sur les toits fondait et de grosses gouttes d’eau tombaient des gouttières les obligeant à marcher au milieu de la chaussée pour éviter de se mouiller. Ils croisèrent quelques villageois qui ne s’étonnèrent pas de les voir se promener ensemble sans la présence protectrice de Jules. Le chat avait gagné une renommée qui forçait le respect et inspirait confiance. Ils empruntèrent les escaliers qui descendaient jusqu’au bar de l’Augustin. Arsène fut surpris de constater que le rideau de fer n’était pas levé, puis s’en réjouit car cette fermeture leur évitait de se retrouver face à de nouveaux curieux, ou pire, face à Jules. Après avoir traversé la départementale, il guida la fillette vers le chemin vicinal qui menait au Portefeuille et longeait par la gauche les prés et la ferme de la Marthe. L’épaisse couche de neige qui en recouvrait la surface était labourée par de profonds sillons, traces de larges pneus et des scories de boue projetées sur la base des troncs des ormiers signalaient le passage récent de lourds engins ou véhicules d’importance. À peine, avaient-ils parcouru une vingtaine de mètres qu’une sirène stridente les plongea dans l’effroi. Surgissant d’un virage, une longue voiture équipée d’une alarme lumineuse et clignotante fonçait sur eux. Ils eurent juste le temps de se jeter dans le bas fossé pour échapper à l’accident. Le chat reconnut dans le monstre de ferraille hurlante, une ambulance semblable à celle qu’il avait vue le jour où Jérôme avait perdu la vie. Tandis qu’il suivait des yeux le véhicule qui regagnait la grand-route, Charlotte en larmes, les fesses profondément enfouies dans de la neige fondue, réclamait son père. La balade virait au drame. Arsène parvint grâce à des mots affectueux à calmer Charlotte, mais au moment où enfin rassurée elle acceptait de continuer à le suivre, un fourgon de la gendarmerie déboucha à son tour du virage et s’arrêta à leur hauteur. Un gendarme en descendit pour s’adresser à la fillette.

- Qu’est-ce que tu fais là petite, avec ton chat ? Tu habites le bourg ? Comment t’appelles-tu ?

Charlotte renifla un grand coup, bredouilla son prénom et son nom, donna son adresse en précisant qu'elle était la fille d'un célèbre cantonnier, puis présenta avec fierté au gendarme Arsène comme la mascotte du bourg. Le pandore ne parut nullement impressionné par le pedigree du matou. En revanche la présence de l’enfant, qu'il jugea un peu simplette, sur le chemin vicinal l’inquiétait et il lui conseilla de rentrer au plus vite chez elle. Au moment de remonter dans le fourgon, il se retourna, les sourcils froncés.

-  Rentre je t’ai dit, ce n’est pas un conseil, c’est un ordre. Ce qui s’est passé là-bas ne te concerne pas. Ce n’est pas un truc pour une gamine et ce n’est pas un truc non plus pour un adulte, même pour un gendarme. Allez rentre chez toi, ou je te fais monter dans ce fourgon de force et te ramène chez ton père en moins de deux.

Son visage était aussi blanc que la neige qui ensevelissait les prés de la Marthe, et ses yeux légèrement humides.



à suivre...



©Catherine Dutigny/Elsa, mai 2015
Texte à retrouver sur iPagination








Des wagons de souvenirs !




Jamais trop tard !

Chacune des images animées ci-dessous vous mènera aux liens de ce roman d' Elsa, pour le savourer dès son prologue ou tout simplement pour vous souvenir de tous les bons moments passés en compagnie de notre ami Arsène ! 









mardi 12 mai 2015

MARCEL FAURE - 0261 à 0265 de La danse des jours et des mots







Vendredi 8 juin 2012 

Alors, avant tout était en noir et blanc, nos yeux devaient être bien tristes. Mélina, pensive sur une photo en noir et blanc, s'imagine une vie sans couleurs. Comment expliquer toutes les nuances du gris ?
Derrière cet étonnement, ta question revêt une pointe d'angoisse, comme si l'on pouvait revenir en arrière et qu'un jour, toi aussi, tu ne verrais plus qu'au travers de ces deux extrêmes de notre palette visuelle.
Oui, poussinette, un jour nous reviendrons en arrière puisque nous cassons tout et que nous vivons à crédit sur les ressources naturelles. Mais rassure- toi, dans le brouillard permanent de la pollution, les couleurs seront toujours là. Il y a des choses que, malgré notre acharnement, nous ne détruirons jamais.



Samedi 9 juin 2012 

La couleur est là, dans la lumière, dessinée par l’ombre qui l’encadre. Une brassée d’éclats d’or sur des fenêtres, fermées. Dans l’obscurité absolue, l’innommable se cache. Dans l’ombre s’enfouissent les amours interdites. Dans la lumière, il ne se passe rien. Plus rien. Tout est trop visible, repérable. Surtout pas de vague, pas de plage, pas d’air. Ici l’on ne vit pas, Monsieur, on survit en attendant la nuit. Et c’est déjà beaucoup.
La nuit tombée, l’ombre est totale, le noir absolu, une première patrouille part en reconnaissance, presque timidement. Des fois que la lumière nous jouerait des tours, se cacherait un court instant derrière la lune. Mais non, feu le jour abandonne la rue. Et ça s’électrise. Et ça scintille. Voici que de l’ombre jaillit la civilisation. S’ouvrent les fenêtres, s’interpellent des voix. Des regards se dessillent. On rassemble quelques voitures pour un grand brasero. Odeurs de merguez et de frites. Raï, rap ou valse, on danse, on s’amuse, vite, vite avant que l’aube ne nous surprenne et ne jette ses premiers traits mortels.
Déjà les guetteurs crient les premiers avertissements. D’abord sans se hâter puis de plus en plus vite, la foule se précipite vers les couloirs, vers la sécurité. Les rayons assassins frappent en premier le haut des immeubles. Vite, vite, se ferment les volets sur les fenêtres closes hermétiquement. Plus un pouce de peau ne doit être exposé. L’astre, dieu déchu, s’élance à l’assaut de la terre qui a perdu sa couche d’ozone.
Deux traits noirs soulignent l’éclatant désastre de la vie, condamnée à la nuit. Dans la clarté, nos vieux rêves esseulés s’ennuient. Dans l'album de vieilles photos couleurs, synthèse d’une Babel morte. J’entends le jour qui pleure dans les rues désertées.



Dimanche 10 juin 2012 

Le désir ... Comme un bourgeon jamais rassasié ... Une puissante émotion printanière, même en plein hiver ... Bouillonnement qui balaye la réalité ... la raison ... Quelle raison ?
Je suis profondément humain et déraisonnable et si mon corps bien sagement assis, offre l'illusion d'un grand calme, dans mon crâne, quelle tempête !
Non pas l'envie, le désir ... immense, inexplicable ... Inexpliqué. Comme un cheval qui soudain s'élance au galop. Sentir ses muscles jouer, ouvrir à fond la vanne des poumons ... L'air dehors, dedans, partout. L'heure vient caresser mes tempes ... Et le monde à refaire.
Alors je ris de ce qui coule en moi, de ce qui me confond avec ma terre ... et me satisfaire de la menue monnaie de quelques secondes.



Lundi 11 juin 2012 

Au-dessus des nuages, bien au-dessus des nuages, planent des rêveurs au long cours. Bien enracinés dans la terre nous espérons les voir passer, mais nous n'avons pas la patience des tournesols. Toute la journée, ils tendent leur cou vers le soleil. Voici que le regard du rêveur s’attache un instant à eux. De longs filaments de mots s’échappent, tissent une puissante trame. Et recommence la lente migration quotidienne de la lourde tête brune, auréolée d’or.
Au-dessus des nuages, bien au-dessus, un rêveur bien rodé, propose avec humour et douceur, un chevalet, quelques pinceaux et des couleurs.
Avant de peindre, l'homme s'interroge sur ce mouvement immuable de la plante. Avec patience, avec passion, s'élabore un dialogue de gestes. Quel instant saisir. Juste à l'aube où la tige redresse le buste, plein midi, plein soleil et l'ombre écrasée et brûlante, où ( ? ) le soir alors que le cou se tend vers les dernières lueurs.
L'homme empli d'incertitudes et fatigué de chaleur, plie le chevalet, rassemble les pinceaux et dans un grand soupir, s'en va. Sous son bras, une toile vierge.
Avec un grand sourire, là-haut dans le ciel, Van Gogh s'endort.



Mardi 12 juin 2012 

Ici, tout est en place. La colline verdoyante, le soleil par-dessus, l'appartement sans luxe mais confortable et la fenêtre ouverte sur la canopée qui masque les immeubles proches, la fraîcheur matinale qui nous rend plus léger.
Le présent debout, calibre une douce journée. Et je suis, dans mon habit de terre, à labourer mon cœur et le tien. Notre vieux désir de l'autre craque un peu mais n'a rien perdu de son sel. En tutoyant ta langue, j'élargis la fente du bonheur.















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