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jeudi 11 septembre 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 24








Panier en osier à double battant






Suite 24




Jules avala une grande goulée d’air avant d’entamer sa narration.

- À force de déblayer ou d’empierrer les routes départementales de tout le canton, d’en régler les accotements et talus, d’avoir nettoyé tous les ponceaux qui enjambent nos rivières, je connaissais la moindre aspérité du bocage, la hauteur et la qualité des bouchures, l’emplacement de chaque ferme, la profondeur des grottes naturelles, les corps de bâtiments abandonnés, anciennes écuries, étables, mégalithes recouverts par la terre. Je connaissais aussi tous les prés à l’écart des routes, des endroits où personne ne venait s’aventurer d’ordinaire. En 1943, y a un gars originaire de Bourganeuf qui me contacte et me propose d’intégrer une équipe de maquisards dont la principale mission est de récupérer les containers d’armes parachutés par les anglais. Le gars en question, c’était pas n’importe qui. Le colonel ! Un ancien as de l’aviation française de 14-18 et aussi un as de l’évasion, ce qui ne l’a pas empêché de finir dans cette saloperie de camp de Langenstein-Zweiter. J’saurai jamais s’il est mort d’épuisement à creuser des galeries où les Schleus voulaient enterrer des moteurs d’avions Junker ou s’il a fini pendu à une branche du « pin de la mort », réservé à ceux qui tentaient de se faire la belle. Vu son passé d’ancien prisonnier évadé de la Hollande, j’pencherais plutôt pour la seconde explication. Il avait bien connu mon père et comme qu’on disait en ce temps-là, ils avaient été de sacrés poteaux sur les bancs de l’école. Alors le chat, tu vois, un truc comme cela, ça ne se refuse pas. C’est pas compliqué à comprendre. Et j’ai fait ce qu’il m’a dit de faire jusqu’en 1944… jusqu’à ce que le réseau soit démantelé et que la plupart de mes copains aient terminé une balle dans la caboche ou soient envoyés dans un camp en Allemagne se faire exterminer. Sauf deux ou trois en dehors de moi, dont un qui va p’tête nous être utile. C’est à lui que j’pensais en t’écoutant parler.

Jules croqua dans une pomme Reinette dont le jus limpide et sucré mouilla les commissures de ses lèvres qu’il essuya du revers de la main.

- Je m’en doutais, vous êtes un héros…

Arsène n’avait pas encore touché à sa truite et couvait son ami d’un regard admiratif. Le cantonnier haussa les épaules, l’observa avec des yeux brillants, mais prit le temps de rogner son trognon avant de lui répondre.

- Tu parles d’un héros ! J’ai juste fait mon devoir et j’ai jamais tiré un coup de fusil en dehors de la chasse. J’peux même te dire que j’avais le trouillomètre à zéro, les soirs de pleine lune quand on allait récupérer la marchandise. Ha ça oui, j’en menais pas large… je ne devais pas être le seul, remarque… Bon, qu’est-ce que je disais ?… Ah oui, ça me revient ! Le gars auquel je pense, était en charge du phare blanc pour baliser le terrain au moment du largage. Armand qu’il s’appelle et on a gardé contact depuis. Il est journaliste au Populaire du Centre, au Popu, si tu préfères… Il y a pas plus débrouillard et sympathique que ce gars-là. Je peux compter sur lui, mieux que si c’était mon propre frère. J’vais lui écrire une p’tite bafouille et prendre rendez-vous chez lui sur Limoges. On ira lui rendre visite tous les deux. Y’a des trucs que tu comprends et qui moi, me passent là.

Il accompagna sa phrase d’un large geste de la main au-dessus de sa tête.

- Pas pour maintenant parce que je me vois pas avec ma hanche me trimballer en car jusqu’à la ville. Faut d’abord que j’aille me faire soigner chez le rebouteux. Lui, il saura me remettre d’aplomb. On a bien un nouveau médecin, un jeunot qui a une bonne tête, mais tu vois, le chat, jeunot et médecin, ce sont deux mots qui collent pas ensemble. On va lui laisser faire ses preuves au carabin avant que je ne lui confie ma vieille carcasse. Et puis, mercredi, il y a la cérémonie du 11 novembre et je ne laisserai à personne d’autre le soin de nettoyer les abords du monument aux morts, vu qu’il y a le nom de mon père dessus. Après faudra que je me fasse porter pâle à la mairie. Une occasion de plus pour voir la tête de Blandin et avec un peu de chance consulter les registres. Si la Marthe a accouché dans le patelin, je devrais retrouver une trace de la naissance. Ben, dis donc ça fait un bail que je n’avais pas autant de projets dans la tête ! Et tout cela grâce à toi ! J’te propose pas un coup de gnôle, t’as pas l’air d’apprécier, mais moi je vais me servir un verre et boire à notre collaboration ! Aïe zut ! vl’à un mot que j’aime pas trop… à notre amitié… oui, à notre amitié… Ben, t’as pas mangé ta truite ? C’est-y qu'elle est pas bonne ?

Arsène baissa le museau vers le poisson qui avait gardé l’odeur rance du beurre roussi. Effectivement, le plat dont il avait rêvé ne présentait plus guère d’attraits. Il ne voulait pourtant pas vexer son ami parti fouiller dans les bouteilles du placard. Il fit un effort surhumain ou « surfélin » pour être plus en accord avec son espèce, afin de chiper un morceau près de la colonne vertébrale ayant échappé à la trop forte cuisson. Le choix s’avéra judicieux et poursuivant la ligne jusqu’à la vertèbre caudale, il parvint à se rassasier et faire honneur aux dons culinaires approximatifs du cantonnier. Un toilettage méticuleux vint parfaire la fin du repas. De tout le discours du bonhomme, il n’avait gardé qu’une seule chose en tête. Ils allaient se rendre à Limoges. Limoges, une ville ! Pour Arsène, qui n’avait jamais dépassé les limites de la contrée du Boischault, une pareille escapade représentait le comble de l’aventure. Jules lui aurait proposé de traverser l’Atlantique à bord du paquebot France, inauguré quelques mois auparavant, qu’il n’aurait pas été plus proche de l’extase. Limoges ! Un nom qui revenait sans cesse dans les discussions des gens du bourg… une ville où son bon maître se rendait tous les mois dans sa rutilante Peugeot 203 pour, disait-il l’œil égrillard, « vaquer à ses petites affaires ». Un lieu certainement magique puisqu’il en revenait toujours la mine épanouie, sifflotant comme un pinson. Le chat avait noté également que Jules avait mentionné qu’ils prendraient le car. Là encore, une grande première. Comment fallait-il se comporter dans une grosse boîte en fer bien plus vaste, mais bien moins confortable que la voiture du fils Blandin ? Devrait-il se lover entre les cuisses de Jules ? Ce qui avait été doux et moelleux avec la Moune risquait de tourner au cauchemar entre les genoux cagneux du cantonnier. Il décida d’en avoir le cœur net.

- Devrais-je rester blotti sur vos genoux tout le temps du trajet jusqu’à Limoges ou y-a-t-il des sièges réservés aux chats dans le car ? demanda-t-il à Jules qui sirotait sa gnôle.

Le bonhomme fit claquer sa langue et pointa son doigt en direction d’un panier en osier à double battant, vestige de fort anciens pique-niques, qui prenait la poussière perché en haut du buffet.

- Tu voyageras en première classe… là-dedans…

Arsène considéra l’objet avec effroi. Et dire qu’il existait une troisième classe ! Son enthousiasme prit un sacré coup de chevrotine dans les moustaches.




©Catherine Dutigny/Elsa, août 2014





à suivre...



2 commentaires:

  1. Hi ! Hi! Je viens de me rendre compte que j'ai lu la suite 25 avant celle-ci !! Mais c'est bien sûr ! ainsi tout s'éclaire, je comprends mieux maintenant pourquoi cette décision de partir à Limoges, toujours autant de régal à vous lire aussi casquette bien bas à vous les deux magiciennes ! Bises et merciii !

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    1. C'est le problème Christine d'avoir deux rythmes de publication... En premier IP, puis Tippi qui enregistre pour son blog...Il y a toujours un décalage d'au moins deux chapitres... ;-) nous sommes des farceuses... Bizzzz à toi ♥

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