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vendredi 26 septembre 2014

JOËLLE PÉTILLOT - GEORGES DE LA TOUR











Georges de la Tour


Le premier homme de ma vie restera à jamais pour moi une silhouette nerveuse, bouffarde de marin vissée au bec, visage mince et anguleux barré d’un sourire trop rare, et de longues mains aux doigts pleins sachant tout dessiner. J’ai grandi à ses côtés en trouvant, comme tout enfant, absolument normal tout ce qui l’entourait, la flopée de livres sur divers peintres, celle sur le far-west que je dévorais ; et cela parce que mon dessinateur de père, illustrateur fin et précis, ayant donné vie de son crayon agile à nombre d’histoires de cette époque, n’eût pas conçu tant il avait une haute idée de son métier, de dessiner « un indien ». Le moindre sioux ou cheyenne était représenté avec les attributs, vêtements, armes et chevaux d’un sioux, ou d’un cheyenne. Et s’il s’agissait d’un navajo... Eh bien il dessinait un navajo, certainement pas un apache.






Personne ne dessinait les chevaux comme lui.



Dans les divers ateliers qui furent les siens, se trouvait entre autres livres une petite brochure, probablement un catalogue d’exposition très ancien.

Les reproductions ternies n’en demeuraient pas moins fascinantes, et je tournais et retournais ces pages odorantes, fleurant le passé et l’inaccessible, où figuraient des personnages pensifs noyés d’une étrange pénombre. Une pénombre illuminée. La source de lumière, souvent masquée, était le plus souvent une chandelle, et la main de l’artiste était si habile qu’il me semblait la voir vaciller.



Oui, c’est ainsi que je fis connaissance avec la pénombre. Mais pas n’importe laquelle. La fausse obscurité, la lumière sourde, l’or diffus régnant sur les visages terriens et absolus nés d’un peintre au nom simple et doux que je répétais à l’envie, comme on fait d’un lieu mystérieux : Georges de la Tour.

Je me souviens qu’une note honorable en version latine me valut la promesse d’aller voir un jour, en vrai, quelques toiles accrochées sur les murs vénérables du Louvre.

Ce fut ainsi que je plantai mes douze ans pétrifiés face à une nativité dont la simplicité rustique me toucha, quand les ors et les colonnes entourant les madones aux voilages insolents de richesses me laissèrent, sans jeu de mot, de marbre.



Je suis restée un moment, terrassée par la douceur.



Les carnations veloutés, la grâce paysanne de cette Vierge enfin humaine, le sommeil profond de ce nouveau né qui se ressemblait, loin, si loin de ces petites choses graisseuses tenues par de maussades Marie sur certaines toiles apercues dans les salles précédentes, seigneur, ces bébés plein de plis ressemblaient à des vieillards miniature, pire, à des sharpeï.



Là , la lumière tombant en douceur sur les visages, la rondeur, ce bébé charmant que l’on voulait prendre un moment... La paix sur les hommes de bonne volonté, pourvu qu’ils aient une chandelle à portée de mains, et qu’ils la masquent un peu.






Le silence aussi. Georges de la Tour est le peintre de la lumière, celui de l’ombre, et du silence.



J’ai su d’autres peintres plus tard, éprouvé d’autres claques, connu d’autres rencontres de la même profondeur, sur la route d’Emmaüs, avec les pélerins peints par le Caravage, par exemple...

Mais jamais ce moment précis de la découverte, cet instant où ce que l’on croit connaître , parce qu’on a tourné vingt fois les pages d’une brochure usée, pulvérise toutes certitudes en faisant naître un regard.



Il me faut dire un peu plus : ce moment prenait aussi toute sa mesure parce que je l’ai vécu la main dans celle de mon père, cette grande et belle main aux doigts noueux qui savaient tout dessiner.



Cette main devenue bien trop légère depuis, sur mon épaule.




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Œuvres à retrouver ICI 






1 commentaire:

  1. Bravo comme d'habitude à la gentille magicienne Tippi qui a su si bien magnifier ton texte en nous partageant tous tes formidables ressentis, une bien belle évasion dont je me suis régalée, que dis-je ? Délectée ! Un récit tout en délicatesse,chatoyant, attirant ! Superbe Casquette bien bas à ma magicienne préférée et à toi Joëlle pour tes mots et un grand coup de casquette aussi pour les illustrations !!! Bisous à vous deux et une soirée enchantée loin de ce monde frelaté !

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