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vendredi 26 septembre 2014

LOŸS PÉTILLOT - XI B







STALAG - ARTISTE PEINTRE LOŸS PÉTILLOT





"Onze B. 
C'est le nom du stalag où un tout jeune homme a passé cinq ans barbelés en Allemagne, loin des siens, ,entre 1939 et 1944. Ce poème, écrit en ces temps difficiles, portait son espoir. Il nous est transmis par sa fille, Joëlle Pétillot. "






XI B


Ils surgirent tout d'un coup
après le pain d'épices
en passant par le vasistas
(l'habitude des portillons automatiques)

Ce fut d'abord un vélophage de la Garennes-Colombes
qui humait l'Auto avec un tarin à piquer des gauffres
un vrai museau de resquilleur
Il atterrit, les pieds dans le plat,
(le vieux plat qui n'a qu'une oreille
et où mourait doucement une pomme de terre
chaque jour renaissante)
Un gentil zéphyr d'avant-guerre
l'avait raflé au métro St Lazare
alors qu'il sortait par l'entrée
pour attraper le midi vingt-trois.

Nous le serrions sur notre coeur
notre coeur poussiéreux
gros de larmes de quatre ans
quand il s'écria :
"poussez pas !"


Un petit vieillard
serrant d'une manche prudente
une serviette fatiguée
le téléscopait par derrière
Il s'excusa vaguement
le saluant d'un melon myope
et partit
d'un pas menu et circonflexe
de professeur de mathématiques
tourner autour du poêle
qu'il prenait pour une vespasienne

"De la belle !de la belle ! rien que de la belle !
eraillait une voix de vin blanc-citron
C'était la marchande de laitues.
Le corsage blanc étalé sur son commerce,
elle ombrait le trottoir de la rue Lepic
d'une jupe en cloche
Un accroche-coeur bien ciré
posait sur son front
un point d'interrogation castillan
Une grosse bulle d'indifférence
où se reflétaient les arches du Palais Royal
enfermait une sarrigue séculaire
tâtant dune main de momie
la liste des lots non réclamés
qui passait la tête par la poche de son ventre
Sémaphore aux armes de Lutèce
double comète argentée,
l'agent Leclerc
stoppait d'un trille impérieux
une cohorte de scarabés ronflant
se flairant le croupion
se tâtant du pare-choc
La Simca, poisson pilote
collait au ventre du Madeleine-Bastille
requin vert au nez de bull-dog.
Le cabriolet deux cent un louchait de ses yeux jaunes
sur une matrone-panhard
en robe de mariée
tirant ses jupes sur des pieds ballons
Un éphèbe casqué de gomina
contenait, d'un discret gant de pécari,
une mercédès écarlate ;
elle rotait à petits ronrons
par un oesophage annelé
lui traversant six fois
un nez en ciseau à froid.

Un insecte équilibriste à thorax de laine
sinuant comme un toréro,
se bloquait des deux roues
devant une ligne de champignons blancs.
Il repartit, à l'arraché,
pour essaimer la "sixième"
dans des séchoirs
où des dames mangées d'ombre
pendaient une presse cosmopolite
avec des pinces à linge.
Un Noir de la place Blanche
corps de flanelle grise
glissant sur des fuseaux crevettes
 

arborait une petite tête de Prosper brûlé
coiffée d'épinards.
Une fille aux lèvres impossibles
promenait un incendie d'Oréal
à travers des vieillards truqués
et des sauterelles asexuées
sorties du fashionable;
elle fendait la foule d'un sein cônique,
comme une figure de proue.

Derrière un bouquet de coucous
un cocu à carreaux
montait un tandem aluminium
 
gréé d'une poupée aux cuisses de café crème
(Toto de Billancourt
qui la filait depuis Fontainebleau
avait découvert ce jour là
qu'il y avait des biches au bois)


Un Potawe au golf courait la gueuse,
Yves le Boulanger la soulevait
entre le pouce et l'index
le front frangé comme un bébé japonais
et le clairon au poing gauche
Un Jules à la sauvette sortait d'un pébroque subtil
des thunes de cravates
(Allez la p'tite dame, rien que d'la qualité !)


Le zouave de l'Alma
attendait d'un pied immuable
le prochain raz de marée...

Une péniche bicolore
à contre-courant
exhalait une âme de mazout
 
en forme de pneu...

Un télégraphiste illuminé
essayait de capturer une ablette
entre Bercy et le viaduc d'Auteuil...



Les bouquins séchaient
dans des boites incolores,
qui faisaient la queue
sur le parapet...

Notre Dame s'envolait
sur un nuage de pigeons



"Je vais chercher le jus"
Dit l'homme de vaisselle,
d'un oeil humide


Fallingbostel
Mars 43
 



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5 commentaires:

  1. Merci à Tippi et Joëlle pour ce magnifique partage troublant de vie parisienne. Des tournures imaginées non dénués d'humour viennent renforcer le besoin ... d'échappatoire.
    Un bravo posthume à Loÿs.

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    1. Merci Anna d'être passée et ravie que cela t'ait plu et émue autant que moi.

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  2. Merci pour lui, Anna, je ne manquerai pas de lui transmettre... ;-) Et Tippi, ton "dire" est vraiment bien.

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    1. Tous les mercis que j'aurais à te "dire" ne sauraient traduire l'émotion que j'ai ressentie devant votre talent partagé à Loïs et à toi.
      Ce n'est pas un coup de cœur, ce sont des petits bouts de mon cœur qui ont frémi ici.

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  3. Merci à la magicienne Tippi pour m'avoir fait découvrir ta très belle illustration de ton papa et aussi surtout pour ce très beau texte qui saute, virevolte, la vie qui va et vient au milieu de l'atrocité devenue ordinaire en ces temps troubles mais dis-moi Joëlle, je suis curieuse mais je ne me souviens plus de ton pseudo sur Ipagination, pourrais-tu me le dire s,t,p ! Casquette bien bas à vous deux les artistes sans oublier ton papa auquel tu rends un bien bel hommage mérité en nous faisant partager ces mots !! Bisous à vous deux et une lumineuse et douce soirée enchantée !

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