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jeudi 16 octobre 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 28







Résistance apprenant le maniement des armes




Suite 28




Les deux hommes se regardèrent dans le blanc des yeux sans ciller. Jules attendait la suite autant qu’il la redoutait. Proche du but, il hésitait à connaître la vérité. Soudain, cette enquête qu’il avait menée avec Arsène lui parut bien autre chose qu’un innocent passe-temps destiné à tromper sa solitude et apaiser un sentiment diffus de vacuité dans son existence. Elle était éminemment dangereuse et pour la première fois il se demanda s’il saurait faire un bon usage de la confidence, qu’en insistant à peine, il était à deux doigts de provoquer. Si Armand avait continué sa phrase en lui livrant directement le nom il n’aurait pas plongé dans un tel désarroi. Son ami avait calculé juste. En se taisant, celui-ci le mettait dans une situation pénible où il testait sa volonté d’aller au bout des révélations. Il baissa la tête, incapable de soutenir le regard d’Armand qui sondait son âme et tripota machinalement son écharpe posée sur ses genoux. Le tic-tac imperturbable d’une horloge rythmait son hésitation. Arsène avait cessé de jouer avec une boulette de papier tombée à côté d’une corbeille et fixait son ami dont il ressentait le malaise. Il s’approcha et vint se caresser à ses jambes d’abord tout doucement, puis en insistant de plus en plus fort. Privé de parole en présence d’Armand, il essayait avec ses propres moyens de félidé de transmettre à Jules le courage suffisant pour oser franchir le pas. Il se concentra à l’extrême et libéra dans son frottement toute la force de sa détermination. Les ondes transmises décidèrent le cantonnier. Il redressa le buste et se racla la gorge.

- C’est qui ? demanda-t-il, la voix enrouée par l’émotion.

Armand sourit et alluma une Gitane Maïs. Il inspira une profonde bouffée, leva la tête vers le plafond et les lèvres tendues en forme de « o », expulsa des ronds de fumée de circonférences parfaitement identiques. Puis, estimant avoir suffisamment mis à mal la patience de son ami, il se pencha en avant et reprit d’une voix sourde, comme pour éviter de réveiller des fantômes.

- Tout cela est bien ancien Jules. Laisse-moi d’abord resituer les faits. Tu m’as connu à un moment où l’on m’avait demandé de renforcer votre réseau pour récupérer les armes parachutées par les anglais. En réalité c’est le maquis FTP du Limousin qui m’avait confié cette mission temporaire. Comme tu le sais après la mise en place du STO en février 1943 de nombreux jeunes gens en âge d’aller travailler en Allemagne avaient rejoint le maquis. J’étais à l’époque un militant communiste bien décidé à virer les Boches de France, un peu plus vieux et expérimenté, puisque j’avais rallié dès 1936 les Brigades internationales en Espagne, que toutes ces nouvelles recrues qui n’avaient jamais touché une arme de leur vie. Je formais des gars pleins d’enthousiasme, mais parfaitement ignorants du maniement d’un fusil-mitrailleur Bren MKII. Très vite, j’ai repéré un jeune type qui comprenait au quart de poil et qui montrait des qualités de sang-froid remarquables. Je n’ai pas été le seul à distinguer ses aptitudes et rapidement on lui a confié des missions de plus en plus risquées. Un an plus tôt, on avait dynamité à Ussel la centrale électrique d’une fonderie Gnome et Rhône qui fabriquait le moteur 14N dont était équipée l’aviation de Vichy et dont les Allemands dotèrent leurs Messerschmitt. Le gars en question, même s’il n’avait pas participé à l’attentat en parlait sans arrêt… comme une véritable obsession. À croire qu’il avait une dent personnelle contre la firme, ou contre quelqu’un qui y travaillait. En juillet 1943, on a fait fort… avec quatre opérations où le type que tu recherches s’est distingué pour au moins d’eux d’entre elles. Le service de renseignements des SS, lSicherheitsdienst, n’a pas tardé à réagir. Alors on a commencé à s’en prendre aux collaborateurs et également à viser l’économie. Tu te souviens peut-être de ces fameux « arrêtés du maquis » avec les listes des prix des denrées agricoles, du tabac, affichées sur les murs, sur les arbres, où l’on menaçait les contrevenants d’amendes à verser à la Résistance lorsqu’il ne s’agissait pas de la destruction des exploitations à l’explosif pour ceux tentés d’aligner leurs prix sur le marché noir. L’ambiance était tendue et a déclenché soit de la complicité, soit de la crainte chez les paysans. Malheureusement ces dispositions ont eu également pour effet de ranimer de vieilles querelles de clocher, des haines et l’esprit de vengeance avec des dénonciations par dizaines aussi bien auprès du maquis qu’auprès des autorités allemandes. En 1944 ça a dérapé un peu plus et la guerre entre résistants et collaborateurs a fait de nombreuses victimes avec parfois des innocents. Entre règlements de comptes et justice partisane la frontière était fragile, d’autant que des droits communs se faisaient passer pour de véritables maquisards. Comment pouvait-il en être autrement, quand la gendarmerie elle-même prenait la défense de Vichy et poursuivait ce que l’on appelait alors des terroristes ? Tout ce que je peux te dire, Jules, c’est que nous avons tous quelque chose à nous reprocher et que ton gars, a plus de hauts faits à son palmarès dont il peut s’enorgueillir que de crimes sur la conscience… Ronald a transmis des plans, pour certains vrais car il pesait sur lui de terribles menaces, une grande partie de sa famille continuant à vivre en Alsace, d’autres trafiqués, car il détestait les Allemands… Rien n’est tout noir, ni tout blanc. Et quand bien même… le gars qui l’a donné a payé sa dette d’une manière exemplaire. De plus, avec le temps, il a changé… Tu peux me croire sur parole…

Jules ne mettait pas en doute la sincérité du journaliste. Il l’avait écouté avec attention. Néanmoins la curiosité continuait à le tenailler. C’était plus fort que lui. Armand connaissait le nom et manifestement entretenait toujours des relations avec cet homme. Il lui fallait en découvrir l’identité. Il serait toujours temps après de juger à tête froide, s’il devait oui ou non livrer l’information à la Marthe. D’après Arsène, Jean, son frère, lui avait promis d’enquêter de son côté. La vérité éclaterait tôt ou tard. Mais si le coq du père Baillou l’avait précipité, lui et non Jean au cœur de cette histoire par le biais d’un sortilège démoniaque, il devait se rendre à l’évidence : il avait un rôle majeur à jouer dans l’élucidation de ce mystère. Lui ainsi qu’Arsène, pensa-t-il, en songeant à ce chat qui parlait et qu’il avait entraîné dans son enquête. Il lui fallait gagner la confiance d’Armand, l’amener à prononcer ce nom sans plus attendre. Il reprit à l’intention de son ami l’argument selon lequel la Marthe ne cesserait de traquer le coupable et lui laissa entendre qu’elle avait menacé de prendre un grand avocat parisien pour défendre sa cause avec l’aide d’un proche. Il resta vague sur les circonstances dans lesquelles il avait été informé de sa décision tout en jetant des regards inquiets sur Arsène dont il redoutait la susceptibilité. Le bougre serait-il capable de rester coi s’il s’attribuait les mérites de ces confidences ? Le chat contemplait sa boule de papier feignant l’indifférence. Jules, rassuré, jura au journaliste sur la tête de sa fille qu’il garderait pour lui le nom du coupable. Il jura en croisant les doigts, ce qui n’échappa pas cette fois au matou.

Les précisions apportées par Jules déplurent à Armand. En son for intérieur il aurait préféré que son vieux compagnon lâche l’affaire. Si la Marthe était décidée à faire du scandale, son journal en parlerait et ce serait lui qui par un malencontreux retournement de circonstances se retrouverait en fâcheuse posture. Il tabla sur l’ancienne complicité qui le liait à Jules, sur les souvenirs des heures sombres passées côte à côte dans des  moments où tous les deux avaient risqué leurs vies pour choisir de parler.

- Tu es aussi têtu qu’une mule. Si je n’ai rien dit jusqu’à présent c’est par égard pour une personne que j’admire et qui est un frangin.

- Toi, tu as un frère ?

Armand éclata de rire avant de poursuivre plus sérieusement.

- Non, un frangin… On est tous les deux francs-maçons. C’est mon parrain… N’écarquille pas les yeux comme cela! C’est une démarche tout à fait honorable et sa propre admission à la Loge devrait au contraire te rassurer sur son honnêteté, sa franchise et son exemplarité. On n’entre pas en maçonnerie comme on s’inscrit dans un club de sport… Il s’agit d’un engagement spirituel et fraternel précédé d’une enquête des plus sérieuses. Si la discrétion est de rigueur, cela ne me gêne absolument pas de te le dire. J’en parle peu, cela ne regarde que moi, mais c’était aussi une façon de te préciser que ce type m’est proche et que nous nous faisons confiance. Je tairai son vrai nom. En revanche, puisque ta curiosité n’a pas de limites, je te confie son nom de guerre. À toi d’évaluer le mieux possible, en ton âme et conscience, la portée de cette confidence. Il se nommait Le Fox...

- Le, le quoi ? balbutia Jules.



©Catherine Dutigny/Elsa, octobre 2014
à retrouver sur le site iPagination





à suivre...



6 commentaires:

  1. J'ai adoré cet épisode car il décrit vraiment au top les événements de 1944 (même si j'y étais pas !!). En effet, tout n'est pas blanc et noir, les maquisards qui n'en étaient pas, les collabos, les femmes tondues dans la même haine de vengeance, c'était un pur régal comme d'habitude !! Et maintenant les francs-maçons !!! Le fox ! Un nouveau zorro ? Ah comme je l'aime mon évasion aussi CASQUETTE BIEN BAS à la magicienne Tippi qui sait si bien donner vie aux mots et à toi Elsa pour nous enchanter par tes mots ! Merciiiii à toutes les deux ! Vous êtes géniales ! Arsène aussi !!! BRAVO et surtout merciiiiii ! Bisous à toutes les deux et une belle et douce journée !!

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    1. Toujours un grand merci à toi Chère Eponine si fidèle ! Et oui en effet tout n'est jamais tout blanc ou tout noir, mais comme tu le dis, tout de même, tondre les femmes ou gentillesses du genre, est très gris foncé ! Arsène ne s'y trompera pas ! Quant au Fox, c'est marrant, je pense à quelqu'un... mais motus et écho cousu !

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    2. Le fox est un clin d’œil hommage... mais je n'en dirai pas plus... :-) s'il m'arrive dans de courtes nouvelles d'être très tranchée et de prendre résolument parti... en revanche dans mes romans, c'est rarement le cas. Trop d'années passées professionnellement à étudier le comportement humain et la personnalité pour ne pas avoir acquis quelques réflexes que l'on retrouve dans mes écrits... :-) Cela dit, comme les lecteurs aiment bien aussi les héros très ceci ou cela.. je sais me faire violence... parfois... :-)... attendons la suite... Bises à toutes les deux! signé Catherine Dutigny/Elsa (même si le commentaire va apparaitre en anonyme, car je ne suis pas sur mon ordi)

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    3. Oui oui Elsa, excuse-moi si mon commentaire prête à confusion. Quand je dis que j'ai une petite idée pour l'identité du Fox, je ne parle pas de l'hommage rendu, je parle bien de celui qui se cache derrière ce nom de guerre et donc les suppositions que je me fais toute seule !
      Merci en tout cas d'être passée nous voir de là où tu es ! Bisous, Arsène est sage, je ne l'entends pas !

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  2. En réalité Tippi, je répondais à Eponine (rires)

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