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mercredi 1 avril 2015

DURANDAL - LE KALÉIDOSCOPE













LE KALÉIDOSCOPE



Sur la devanture du magasin de ma mère, les passants pouvaient lire en lettres capitales : Jeux pour Salons, Cercles et Cafés. La boutique plus que centenaire servait de point de repère sur le boulevard. Ma mère y vendait toutes sortes de jeu de société, de jeux de cartes, de beaux jeux en bois… Des chariots, des chevaux à bascules voisinaient les échiquiers en bois précieux et les figurines en ivoire. Elle suivit l’évolution du marché et sur les conseils d’un représentant, elle monta un rayon de farces et attrapes.


Elle vendait aussi des kaléidoscopes un peu particuliers. Ils se présentaient sous forme d’un tube dans lequel des formes colorées et géométriques apparaissaient au fur et à mesure que l’on tournait l’appareil. L’orifice obscur devant lequel il fallait placer son œil supportait une feutrine noire. Le spectacle offert par ce tube magique valait le coup d’œil mais ce n’était rien en comparaison du spectacle qu’offrait le client après avoir reposé l’appareil : un cerne noir du diamètre du tube entourait son œil pour le plus grand plaisir des personnes présentes dans le magasin. Le client était le seul à ne pas voir le rond noir sur son visage et il se demandait pourquoi tout le monde riait autour de lui. Ma mère lui conseillait de se regarder dans les miroirs placés au fond de l’étagère. L’effet du kaléidoscope saisissait les plus flegmatiques. Ils lançaient un « Oh ! » dans le magasin. Ma mère arrivait à garder son sang-froid pour ne pas rire. Elle souriait et tendait un mouchoir au client qui riait de bon cœur en songeant aux prochaines victimes de la farce qu’il jouerait chez lui s’il achetait l’objet qui offrait ce spectacle merveilleux. Ma mère conseillait aux acheteurs de frotter le bord de la feutrine contre un bouchon de liège brûlé pour obtenir l’effet escompté.

Ce que je fis, lorsque le premier avril, j’apportai ce tube à merveilles à l’école. Ce jour-là, nous avions une interro de maths sur les repères orthonormés. Je laissais le tube magique sur mon bureau. Le professeur, en blouse blanche, écrivit l’énoncé de l’exercice sur le tableau noir. Nous nous concentrions sur nos copies au bruit des règles et des stylos que nous manipulions pour tracer les axes x et y. Notre professeur passa dans les rangs comme il le faisait à son habitude. Je m’apprêtais à dessiner un cercle lorsque je sentis sa présence à mes côtés. Il saisit l’objet, je levai le nez. Il ne me demanda pas d’explication et regarda à travers l’orifice. Il trompa son ennui quelques minutes, il s’en mit plein les yeux. Il observa l’ingénieux mécanisme de l’appareil. Il le reposa sur mon bureau et me sourit pour me remercier du spectacle. Un beau cercle noir entourait son œil. Je m’efforçai de ne pas rire, comme ma mère savait si bien le faire.


Mais quand il retourna à son bureau sur l’estrade, tous mes camarades éclatèrent de rire. Le pauvre homme vécut un grand moment de solitude. Moi, je me cachai derrière le dos de mon voisin de devant, je rentrai les épaules, je craignais qu’une main géante m’extirpe de mon siège. Un de mes amis eut la bonne idée de crier « Poisson d’Avril » et les rires redoublèrent. Notre professeur ne comprit pas la cause de l’hilarité générale. Je me souviendrai longtemps de son regard qui, je ne sais pourquoi, ressemblait à celui de mon poisson rouge. Le prof restait calme, il souriait ahuri et décoré de son étrange monocle. Il cherchait en vain ce qui dans sa tenue prêtait à rire, il redoutait le pire. Ce fut une élève du premier rang qui lui indiqua que son œil portait un cercle noir. Il prit son mouchoir, se frotta et constata les dégâts. La cloche sonna, je m’enfuis de la classe mais au moment de franchir la porte, j’entendis mon nom prononcé. Je revins sur mes pas et me dirigeai vers l’estrade comme un condamné vers l’échafaud.

Nous restâmes tous les deux dans la salle de classe. Il me demanda de sortir le kaléidoscope. Sais-tu comment fonctionne cet engin, me demanda-t-il ? Non, avouai-je ! Il passa le doigt sur la collerette noire et quand il vit la suie sur sa peau, il comprit le vilain tour que je lui avais joué. Tu vas étudier cet appareil, tu distingueras les axes, des centres de symétrie des rosaces qu’il présente et lundi, tu nous feras un exposé sur le résultat de tes recherches. Il jouait les grands seigneurs, il ne me collait pas, il préférait me torturer.


Et le lundi, sur l’estrade, j’essayai d’expliquer tant bien que mal le jeu de miroirs de l’appareil. Le prof vint à mon secours. Au cours suivant, il me soumit devant la classe à une série d’exercices concoctés par ses soins et il nous donna un devoir non surveillé (dns) sur un secteur du kaléidoscope. Par un fait exprès, les axes et les centres de symétrie collaient parfaitement à notre programme. Mes camarades de classe me bénirent ! Quand le mode de formation des images kaléidoscopiques fut éclairci, il me demanda de dessiner une rosace entière et de la colorer. Je passai un temps fou à repérer les endroits où poser les couleurs justes. Au bout d’un moment je saisis la technique, je faisais tourner ma feuille afin de repérer plus vite les endroits où poser les bons coloris. J’exhibai mon travail devant toute la classe, un oh d’admiration envahit la salle. Le prof me demanda s’il pouvait conserver ma rosace. « En souvenir », me dit-il en souriant. Il l’inséra dans la couverture plastifiée de son classeur et promena mon travail à la vue de tous.



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2 commentaires:

  1. Et voilà l'arroseur arrosé !! Voyage au pays des souvenirs ! J'en avais un quand j'étais gamine et j'adorais regarder ces figures scintillantes ! Pour moi, c'était tout simplement magique ! Merciiii pour cette balade ! CHAPEAU BIEN BAS à tous les deux ! J'ai ri aussi ! GENIAL !!

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  2. Notre chef de gare adore nous diriger dans ces contrées où le rire couvre le bruit de la locomotive. Merci de ton écoute fidèle auditrice. Un billet pour le voyage au pays des souvenirs.

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