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samedi 19 avril 2014

JEAN-LUC MERCIER - LE NÈGRE SOIE








Le Nègre Soie *







Acte 1 – La grâce

C’est la grâce qui absorbe immédiatement le regard. Cette silhouette robuste et fine à la fois, dans une mouvance ouatée, toute en pleins et en déliés. Chacun, la suivant, s’émerveille devant ces pas affirmés, mais légers, cette aisance du corps, cette liberté des bras. La grâce. Personne pourtant ne reste indifférent quand, dans un pas pivoté presque plus beau que tout autre, Moussa révèle soudain son tendre regard d’airain.

Beau, naturellement beau, son visage est un troublant mariage de douceur et de virilité. Traits fins, mais affirmés sous une peau palissandre. Moussa est une œuvre que la nature à voulu de chair plutôt que d’art. Trop beau pour ne pas être suspect, me dira-t-il un jour. D’une beauté culturellement inacceptable ! Moussa n’a pourtant fait que naître sans rien demander.

Alors, il va jusqu’au bout de lui-même. Il est apparu un jour ici dans les rues de la ville – car même dans le pays des « droits de l’Homme » il a compris que seuls certains secteurs de certaines villes lui permettraient peut-être de vivre encore un peu. Il est apparu, stupéfiant dans sa somptuosité… tout en bleu lagon vêtu, organza écumeux, voiles de tulle, mitaines de soie et Borsalino en feutre tout aussi bleu ! Une inconvenance presque, dans le pesant décor des grisailles omniprésentes. Improbable, furtif, résurgent, il est une apparition qui s’efface aussi vite, qui passe sans pauses, et qui ne pose jamais.

Dans ces moments là, absent pour chacun, présent pour tous, il est prégnance au point d’imposer sans rien dire un silence coi partout sur son passage. Moussa n’est point, mais son aura émané à nul n’échappe. D’outre culture, d’outre mode, d’outres pensées, il est cet absolu d’excentrisme sans arrogante excentricité, une chimère androgyne sans la moindre incongruité… le corps d’un viril apollon sous l’apparence d’une déesse sublime !

Partout, s’il est, il y a d’abord, il y a toujours d’abord, l’émotion, surtout l’émotion, et peut-être la crainte, le doute, l’admiration, la stupéfaction, l’incompréhension.

Moussa est une abstraction, une utopie, la vision infraliminaire des doutes qui nous habitent, de nos gênes incertains.

Pas un teigneux n’échappe à l’effet de surprise, même si son statut de teigne lui injecte bien vite le contre poison à sa léthargie d’ébahi. Derrière toute moquerie, toute insulte, tout regard justicier il y a un angelot têtu qui susurre à tous, implacablement « Putain ce mec… il faut quand même avoir des couilles pour oser faire ça ».

Et de fait… il faut l’immensité d’un courage du désespoir pour oser. Voilà comment j’ai croisé Moussa. Voilà comment je suis aussi resté coi. Voilà comment j’ai vu ensuite et chaque fois l’étendue de ses silencieux pouvoirs et la puissance de son être même au cœur de l’agora. Il porte en lui un Christ en croix.

Jaune safran, avec Bibi de plumes et voilette,

Blanc de neige aux paillettes cristallines sous un iconique Akubra à la blancheur immaculée,

Orange d’orpiment profond et capeline aux agrumes, à large bord,

Chrome, tungstène, cadmium… et fascinator d’argent !

Je saurais plus tard que l’éclat des couleurs est à la hauteur de ce qu’il aimerait vivre, simplement. Mais plus fort encore, il ne veut pas que le sang qui sèchera sur son corps sous les coups de la lapidation reste invisible sur la noirceur de sa peau. Il sait la puissance de l’image, la force de celles qui peuvent marquer des esprits. Sur la neige ou le safran s’écriront de son sang les hiéroglyphes de sa souffrance. Moussa est un condamné au sursis provisoire et fragile.

Semaine après semaine, ses flamboyances irréelles s’imposent à mon esprit. Entrapercevoir Moussa ne suffit pas. Il me faut le croiser, attraper d’abord plus que furtivement son regard lointain, puis l’accrocher enfin, pour qu’il accepte ce sourire discret avant qu’il ne s’évapore. Pré-étape essentielle avant toute tentative d’approche plus constructive. Étrangement, lui qui, une fois la surprise qu’il suscite estompée, essuie classiquement d’effroyables insultes et quolibets d’une certaine minorité vexée de se voir voler la vedette, et de cons ordinaires aussi, lui que l’on traite de « sale pute » et de « pédale », de « travelo » et de « pervers », de « honte pour les enfants », et que sais-je d’autre venant d’intégristes de toutes religions, lui donc a ce pouvoir de me transformer littéralement. Et je sens bien que sur ce terrain-là je ne suis pas seul, même si peu osent succomber. Je me trouve midinette et groupie, même si rien de sexuel ne se déclenche en moi.

Il est œuvre vivante qui, telles la plupart des plus grandes, est née dans le terreau de la souffrance.

La fascination, l’attirance, elles sont pour ces questions qui résonnent en moi : d’où vient-il ? Qui est-il ? J’ai peur que telles interrogations ne soient que celles d’un voyeurisme ordinaire. Mais je me dois d’approcher cet être étrange, obscur et irradiant. De sa grâce infinie semblent transparaître des richesses intérieures hors du commun. Il est vrai que « En dehors du commun »… littéralement je m’y sens si souvent depuis mon enfance, mais là, face à lui, je me découvre soudain d’une banalité des plus affligeantes.






Acte 2 – L’apparence


Moussa parlait peu, très peu ; souvent un français rare, et distillé avec parcimonie. Sans préciosité. Moussa lisait Prévert, pensait Eluard, citait Saint-John Perse. « Sur toutes baies frappées de rames étincelantes, sur toutes rives fouettées des chaînes du Barbare »... ou plus longuement parfois Maupassant ou Ronsard. « Je veux lire en trois jours l’Iliade d’Homère / Et pour-ce, Corydon, ferme bien l’huis sur moi… Au reste, si un Dieu voulait pour moi descendre/Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer ».

Moussa écoutait aussi. Vincenzo Bellini, Antonin Dvorak… ou les Carmina Burana. O Fortuna ! L’expression du bon goût s’ajoutait sans cesse à sa grâce et sa délicatesse. Ô ce mec, ce qu’il m’a fait pleurer.

Qu’ai-je connu de lui ? Tout ce qu’il avait à offrir. Et bien peu de son histoire effroyable.

« Je suis WoMan » écrivait-il rarement, qu’il disait autrement : « The third entity », et dans sa tête cela avait une signification d’une immense profondeur. Il ne pouvait comprendre la fadeur de nos « travesti » et « transsexuel », pas même « homosexuel » bien sûr. Il ne se sentait rien de tout cela. Il en était beaucoup plus. Des mots choquants, vexants, fondamentalement indélicats et irrespectueux pour quelqu’un qui, dans sa tête et son cœur, ne comprenait ni l’idée de déguisement ni l’idée de sexualité dans la perception de son être. Nul ne devrait être apprécié par sa sexualité ni son « travestissement », puisque ni l’un ni l’autre ne peignent l’âme qui habite un corps. Ce fut d’ailleurs sa première plus grande déception dans la découverte de notre langue. Lui qui la croyait si riche en comprit bien vite la pauvreté dès lors qu’il s’agit d’ouvrir son cœur aux autres. Et ce reflet linguistique de notre société fut une grande désillusion. Révélatrice d’ailleurs d’autres réalités.

Il croyait qu’un peuple qui n’utilise qu’un seul mot pour parler d’amour a logiquement le cœur très grand pour aimer tout le monde !

Il avait pu in extremis dans un périple incroyable et cruel fuir le pays, le village, la famille, la culture, le dialecte qui devaient logiquement être les siens. Parce qu’en Ouganda on diabolise ces gens-là. Pas de nuances, pas de place au doute, plus de sentiments ni maternel ou paternel, ni familial, ni humain, sauf celui du mépris et de la haine, de la peur surtout. Tout homme trop beau, trop soigné, pas assez « virilement » vêtu, qui ne compense pas cela par une relation affichée avec une femme, et plus surement par la polygamie, est suspecté de pratiques sataniques détruisant l’être humain et le condamnant à une mort spirituelle. Tout alors est déviance et assimilé à un seul état : l’homosexualité. Et la contagiosité de cette dernière est viscéralement redoutée. Moussa avait trouvé piètre refuge dans les bas-fonds de Kampala, grossièrement vêtu de haillons d’hommes, assurant les plus viles besognes. Vivre dans la terreur… puisque se sachant culturellement inacceptable, il savait que, ce que la police ne fait pas, c’est la population qui s’en occupe… par le lynchage ! Il avait eu à le voir.

Moussa avait si bien gardé en lui cette épouvantable frayeur de glaive au-dessus de sa tête que même en France il ne put y échapper. Il savait disait-il que tôt ou tard il finirait lapidé, tué, massacré. Avait-il tort ? Que pouvais-je démentir ? La haine n’est-elle pas l’ordinaire cultivé par bien des gens au point d’en pousser certains à effacer ce qui les dérange ? Il fallait juste lui apporter les preuves que des femmes et des hommes avaient en eux fondamentalement une foi en l’humanité, car jamais il ne put découvrir cela en Ouganda. Qui sait d’ailleurs que dans ce pays-là il se prépare au XXIe siècle, un projet de loi condamnant à mort « l’homosexualité » ? Approbation faite de l’archevêque qui appuie les propos de celui de Yaoundé (Cameroun) « L’homosexualité est une infamie et mérite d’être condamnée ».

Bon sang que les religions peuvent protèger des monstres !

L’homosexualité condamnée… Alors que dire d’un être qui se sait fondamentalement homme et femme ?

Moussa en était psychologiquement à ce point affecté que, dans une logique que seul lui pouvait imaginer, il mit tout en œuvre pour être un homme, un bel homme… avec des apparences de femme, de belle femme. Il n’y aurait que l’apparence… et quelle apparence. Il ne serait jamais au quotidien de sa vie ce qu’il était au fond de lui. Il n’offrirait d’ailleurs jamais son corps à personne, pas même à lui-même.





Acte 3  – La chambre de bonne


Moussa s’était résolu à accepter des présences « bienveillantes » aux abords de sa bulle. Mais il était apeuré sans le montrer. Peur de la trahison, peur de la déception, lui qui avait le courage incroyable d’affirmer par l’image, à la face de tous, ce qu’il était par la force de ce qu’il vivait… ou ne pouvait vivre. Il gardait en lui des mystères immenses. Mais offrait son regard pour qu’on y lise dedans. Tout son regard ! Troublante communication. Il fallait oser plonger en lui en effaçant tout ce que peut signifier dans nos cultures tel pas franchi. Qui ose encore regarder ? Qui ose encore se laisser regarder ? Jeu terriblement dangereux puisqu’il faut retrouver les confiances disparues. Ce qui semblait naturel pour lui fut une épreuve d’une infinie richesse pour ceux qui l’ont côtoyé. Mais une épreuve quand même, qui ne pouvait se franchir qu’en acceptant de ne pas se questionner sur ce qu’il y avait à lire en nous.

Se regarder plutôt que de jacasser et paraître. Pourquoi ne sait-on plus ainsi se regarder ? Les yeux sont les portes entre des mondes mutuellement inconnus et d’une infinie richesse. Sas sans faux-semblants où la nudité des sentiments réciproques dévoile autant qu’elle enrichit.

Il y avait en lui un grand livre de vie, des essentiels de philosophie, les interrogations vitales sur le sens de tout ce qui nous échappe… et bien sûr, le raton laveur de Prévert. Et sa compagnie n’était que moments de délices instillant lentement, mais immuablement de grandes paix intérieures. Moussa taisait tout ce qui n’est pas bon, disait avec mesure tout ce qui est bon. Bien que né dans un milieu sans instruction et presque inculte, Moussa avait plus de culture que la plupart de ceux qui naissent dans les milieux les plus favorisés. Aspiré littéralement et littérairement par les délices d’apprendre.

Moussa était et reste à mes yeux le rêve absolu de l’inaccessible humanitas, recélant en un seul être toutes les forces conjuguées de la femme et de l’homme. Nul fruit défendu ici pour parasiter l’exaltation. L’être sublimé… mais l’impensable aussi à l’époque des sexualités débridées. Combien de soubresauts la vie a-t-elle tentés avant de réussir à prendre sa place ? Combien faudra-t-il de soubresauts avant qu’humanité et humanisme épanouissent leur signification la plus noble ? Moussa est une de ces secousses, trop aboutie dans un contexte hostile. Erreur chronologique ? Peut-être, mais quelle invite à la réflexion !

Les jours semaines et mois passants, arriveraient immanquablement l’envie de comprendre ce qui échappe inévitablement à la logique déductive, même des plus attentifs. Comment cet être incroyable, mais issu de la grande misère pouvait-il s’offrir d’aussi somptueuses tenues ? Moussa le savait bien. La question s’imposerait à tous ceux qui le côtoieraient. Et en acceptant la présence d’autrui, il acceptait de fait un jour devoir livrer un peu de ses secrets. Car enfin, un aussi minuscule petit chez lui traduisait bien une condition toujours des plus modestes. Moussa assurait une multitude de petits services rémunérés dans un accoutrement ordinairement masculin qui le faisait affreusement souffrir. Il avait appris à ne plus exister durant ces longs moments-là. Il savait qu’il aurait sa revanche. Et au bout de trois ans, il a commencé à l’avoir. Sa boite en fer était enfin suffisamment pleine pour qu’il puisse épanouir son incroyable talent.

« Je suis un Nègre Soie », me dit-il un jour. Il savait exactement toute la portée de cette homonymie. Bien sûr, immanquablement, la superbe poule à la peau noire et au plumage de soie s’impose à l’esprit et le parallèle d’avec Moussa WoMan flamboyant dans les rues est évident. Mais il y avait plus que cela. Quelques instants plus tard, il se leva et ouvrit l’une des deux portes de placard de son appartement miniature. Un placard vide ! Mais un fond de placard mobile qui s’ouvrait en fait sur un lieu magique de douze mètres carrés, quinze peut-être. Une ancienne chambre de bonne, avec sa propre porte d’entrée donnant sur un étroit escalier, débouchant lui-même sur une sombre impasse inhabitée ! « Mon entrée WoMan » a-t-il juste dit. Il avait compris que de l’autre côté de la cloison de sa pièce à vivre il y avait une autre pièce. Il prit le temps de trouver, mais il trouva comment on y accédait par l’extérieur et à qui elle appartenait. Petite chance dans sa vie, cette chambre insalubre et oubliée était vide, et la vieille dame propriétaire avait accepté de lui louer pour quelques sous mensuels. La suite ? Un bout de cloison fine tombée au fond d’un placard, et Moussa Man vivait d’un côté, Moussa WoMan entrait sortait de l’autre.

Un lieu magique… et quelle magie : l’antre d’un créateur-styliste-couturier-modiste ! Des pièces de tissus de couleur et de mille objets brillants aux allures précieuses, des fins de série, des échantillons, des trésors découverts dans les puces et les salles des ventes, un vaste petit fourbi déniché patiemment et acquis avec les sous accumulés peu à peu. Machine à coudre, fer à repasser, craies, ciseaux de couturière, aiguilles et fils… et d’autres objets étranges tous là pour couper, former, modeler, assembler. Moussa avait tout appris, chez l’un, chez l’autre, dans des revues et reportages. La plume, le feutre, le satin, la dentelle, l’organza, la soie, la broderie, le coton, la laine, toutes les matières ou presque, dans toutes les manières ou presque.

La perfection de son ouvrage pouvait mettre au défi les maîtres en la matière. Il était un maître, l’arrogance hautaine de certains et le train de vie déconcertant d’autres en moins.








Acte 4 – Le Montecristi Panama

À l’insulte que lui avaient faite tant de gens dans sa vie, Moussa avait décidé de répondre courageusement par la beauté de ses créations joyeuses. Puisqu’il pensait qu’un jour ou l’autre la haine de beaucoup finirait par le tuer sous l’indifférence de bien d’autres, il voulait quand même laisser les traces d’un spectre de lumière pour la mémoire de celles et ceux qui portaient un autre regard sur lui. Offrir des couleurs.

Ce qu’il n’avait pas tout à fait imaginé, c’est le pouvoir de sa grâce joyeuse sur autrui. Rares furent ceux qui connurent Moussa. Beaucoup par contre, par le ravissement plus ou moins bien dissimulé qu’il engendrait chez eux, lui servait sans le savoir de bouclier humain aux effets malveillants des différentophobes de tous genres. Sûrement que plus d’une fois il a échappé à la violence et aux agressions en tous genres… mais il avait compris que tôt ou tard il les subirait pour de bon. Si en Ouganda sa beauté était sa condamnation, en France elle était son sursis. Drôle de Monde ! Drôles de cultes antagonistes. Mais demain ? Que serait un pantin ridé et ridicule !

Moussa était une définition de la dignité, pas un bouc émissaire qui se plaint et s’apitoie ni un souffre-douleur qui s’expose. Né dans la misère, ayant vécu bien des années dans la misère, ayant combattu bien des années surtout pour exister, seulement exister sans plier aux jougs d’autrui, quel âge avait-il quand il offrait la somptuosité la grâce et les couleurs à 8 000 km de son pays natal ? Trente ans, peut-être ? Il n’en savait rien. Le temps ne se compte pas quand on est miséreux. Il avait juste appris à mesurer la durée du sursis que la vie lui avait enfin accordé ici, dans la ville : exactement sept ans.

C’était beaucoup, énormément pour lui. Moussa avait la sensation profonde que la trêve ne durerait plus. « Je ne serais pas un fardeau ni un combat pour ceux qui m’ont offert leur sourire » m’a-t-il dit, a-t-il dit à quelques autres aussi.

S’il avait fait le choix d’être un homme au visage d’homme offrant les charmes d’une belle femme et de la magie en plus, c’était pour bien signifier la force du combat en son for intérieur et en celui de tous ceux qui sont comme lui. Il s’était sacrifié en acceptant d’être appelé toujours Moussa, que l’on dise « il », « lui », « monsieur ». Il ne croyait pas en Dieu. Comment aurait-il pu ? Et pourquoi ? Il disait juste que si Dieu existait il aurait soufflé aux oreilles des Hommes l’existence d’un troisième « sexe ».

Un jour d’automne, Moussa fit son bilan. Il n’avait pas été lapidé. Il avait eu à subir moult insultes, quelques coups portés, mais pas de véritables tentatives de massacre. Il était allé au bout de ce qu’il pouvait faire. Il était fatigué, épuisé même à force de dompter les luttes internes. Il pouvait mourir sans laisser s’écrire avec son sang les hiéroglyphes de sa souffrance sur la neige ou le safran.

Peu après, Moussa fit ses adieux, à nous, un à un. Il partirait bientôt. Il voulait voir l’océan, découvrir enfin l’espace et la liberté.

Je n’en saurais pas plus. Personne ne saurait. Mais tout le monde savait. Des mots furent vains. On ne retient pas l’oiseau qui prend son envol. Alors Moussa ! Plus que tout autre il a tracé seul son chemin en se sortant de la fange. Moussa était un mystère, un rébus complexe et riche à décoder, mais un être dont la liberté si chèrement acquise n’aurait supporté aucune entrave.

Moussa est mort, je le sais. Ces choses-là se disent en nous. Il voulait sa délivrance. Quand ? Comment ? Où exactement ? L’essentiel n’est pas là. Il avait en lui les pouvoirs de disparaître de manière aussi énigmatique qu’il était apparu.

Moussa n’a pas existé. Ça, c’est essentiel et dur à accepter. Moussa est un rêve, une illusion, une fragrance oubliée dans les airs, que le vent efface. Naître nulle part, disparaître nulle part, n’être rien ni sur aucun registre !

Peu de jours après son adieu, j’ai reçu une enveloppe. Dedans une photographie… la grâce. Une silhouette robuste et fine à la fois, dans un mouvement, tout en pleins et en déliés. Somptueuse vision en noir d’obsidienne aux éclats stellaires, et couvre-chef d’exception : un Montecristi Panama noir de Jai. Juste un Nègre Soie digne et magnifique, un être étonnant, trop précoce précurseur d’un espoir humain.



Ô ce mec, ce qu’il me fait pleurer



« Au reste, si un Dieu voulait pour moi descendre/Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer »
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* Moussa n'est pas un personnage de nouvelle. Sous un autre nom il a existé. la plupart des éléments ici relatés se sont produits, et l'histoire est narrée avec la puissance des ressentis.


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