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dimanche 20 avril 2014

EMECKA - LA VISITE


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LA VISITE




Sur le pas de sa porte, elle me fit un dernier signe de la main.

Son image s’estompa lentement dans mon rétroviseur mais mon regard ne pouvait s’en détacher. Une larme entreprit de rouler sur ma joue sans que je puisse dire si elle était de joie ou de mélancolie…Quand la brume de l’étang eut définitivement blanchi le minuscule miroir de mon véhicule, mes pensées revinrent à leur point de départ. Deux heures plutôt, en effet, je faisais le chemin inverse et franchissais timidement, respectueusement les larges grilles de la vieille bâtisse. Une folle et intime excitation me dominait alors…

Que s’était-il passé pendant cet arrêt du temps ? Un moment de grâce comme il est rare d’en vivre aussi intensément dans une vie. Mais peut être est-il temps de reprendre cette aventure à son origine ?

Nous avions convenu par téléphone, d’un rendez-vous, chez elle. Un ami m’avait communiqué son numéro, ayant lui même vécu cette aventure. Une longue route fut nécessaire pendant laquelle, nerveux, je griffais mon impatience avec une pointe d’agacement comme celle titillant un prurit irrépressible. Chaque obstacle routier, chaque panneau m’invitant à ralentir me faisait l’effet d’un retardateur belliqueux que je me plaisais cependant, à vaincre comme Hercule face au lion de Némée.

J’avais pris ma décision quelques jours auparavent après une longue réflexion et au prix de quelques sacrifices personnels et même familiaux. J’avais presque tout pensé, tout envisagé. Du moment de la rencontre aux échanges que j'avais imaginé timides, hésitants et maladroits. N’ayant pour ainsi dire jamais connu une telle situation, du moins seul, j’étais finalement dans un exercice initiatique. Je me savais indécis par nature et là, j’anticipais mes difficultés à choisir doutant soudain de ma sensualité face aux merveilles qui m’attendaient.

Enfin je secouai le battant de la cloche aux faussures dorées qui pendait à l’entrée entourée de lierres bien curieux. Après une longue attente, elle m’ouvrit.

Une vieille dame aux pas incertains me conduisit dans un univers où, de suite, les fruits de mes impatiences envahirent mon regard, mon esprit. Il y en avait partout, sur les murs, au sol, de toutes tailles et de toutes les couleurs. Mon cœur s’emballa, me laissant interdit, sans mot ni lucidité. La voix chevrotante de la vieille dame m’invita à m’asseoir.

Je venais d’entrer dans la maison de « Gabo », un artiste peintre qui m’a continûment fait rêver et qui a en quelque sorte donné du sens à mon propre parcours. Chacune de ses œuvres me chavire, me bouleverse, me tempête, me cyclone littéralement. Gabo est mort au bout de son pinceau, accroché à la nature il y a maintenant sept ans. L’ayant rencontré lors d’expositions, nous avions partagé un peu de techniques et beaucoup d’affectif, il faut bien le dire ! C’était aussi un amoureux des belles lettres et de la poésie à l'origine de notre rencontre. Mais, visiter son atelier, sans lui, était pour moi, entrer dans le cœur de ses tubes, dans la genèse de ses harmonies. Il m’avait tant conté la moindre des molécules de son inspiration puisée dans les fleurs de son jardin, dans chacun des lotus de son étang et dans les nombreux aromes de ce qu’il appelait « ses toiles brutes ». Il était bien là, présent par son absence, omniprésent devrais-je dire. Par ses toiles et par sa muse de toujours, gardienne désormais de son temple.

Et je venais précisément faire cet acte d’amour suprême qu’est l’acquisition d’une de ses œuvres.

La vieille dame dont les yeux brillaient de tendresse pour celui qui venait « reconnaitre » son peintre de mari disparu, m’offrit les douceurs de quelques souvenirs et de délicieuses confidences. Immobile sur ma chaise, je goutais intensément le plaisir d’être. D’être là. Majuscule et altier, le temps avait eu la délicatesse de s’arrêter. Mais le meilleur était à venir. « Suivez-moi » me dit-elle en prenant la direction de l’atelier. Mais je l’aurais suivi au bout de la galaxie !

De caresses en tendresses, de soupirs en arrêts respiratoires, j’errais entre les toiles de tout format comme un enfant dans un magasin de jouets. Sortant celle-ci de son antre, portant cette autre à la lumière, je succombais mille fois et me relevais toujours dans le suprême espoir de nouvelles défaillances. Chaque peinture me disait un bout de lui, de ce long moment d’amour qui l'avait fait naitre dans ses mains, entre ses doigts et sous ses coups de pinceaux. Gabo se disait peintre-paysan tant son œuvre s’apparente à une récolte méticuleusement réfléchie. Peintre apparemment abstrait, il représente en réalité la moindre étamine et le plus subtil des lichens. On ne regarde pas ses toiles, on y pénètre par tous les pores. Il s’agit réellement d’un envoutement artistique.

Alors, choisir ! Telle fut ma douleur…

L’élue fut allongée au fond de mon coffre de voiture et déjà aimée comme cet enfant appelé « désir ». La vieille dame semblait heureuse pour moi ; cependant je ne pouvais m’empêcher de penser que je venais de lui enlever une partie d’elle même. Alors, dans cet instant de doute peint de joie, de nostalgie, de merveilleux et de félicité je laissai la voiture avancer lentement vers les lourdes grilles.

Je remerciai la nature de ces lieux magiques de m’adresser le brouillard nécessaire à l’estompe de notre adieu. L’humidité de nos yeux faisant figure du dernier glacis de notre si belle rencontre.

Pourtant, chaque jour désormais, mes yeux sont heureux.



De nombreuses oeuvres sont encore en vente mais...dans son atelier! Pas de site internet sauf quelques mentions locales. Le clic sur le tableau vous conduit vers l'une d'elles.


Un immense merci à Liliane Baron pour son attention, son aide, ses conseils, ses corrections et sa grande gentillesse.




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2 commentaires:

  1. "La reconnaissance est la mémoire du cœur" disait Andersen. Le mien a battu d'émotion à l'écoute de cette magnifique lecture et je t'en suis infiniment...reconnaissant.

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    1. Émotion et reconnaissance amplement partagées ...

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