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mercredi 18 juin 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 12










Suite 12

Jules arqua les sourcils en signe d’étonnement. Il dévisagea le matou d’un air circonspect. L’entendre parler était une chose, mais l’entendre imiter un acteur mettait à mal le peu de raison qu’il lui restait. Il était pourtant trop fatigué pour continuer à se poser des questions.

- La mission que je te confie est de première importance. Tu vas devoir espionner la Marthe, car tu es le seul à pouvoir t’approcher d’elle sans éveiller ses soupçons et déclencher sa colère. Elle se méfie trop des hommes. Les chats, je ne sais pas, je ne lui connais aucun compagnon à quatre pattes en dehors de quelques chèvres qu’elle continue à élever sur ses pâturages. Surveille ses faits et gestes, note dans ta tête tout signe qui te semblera bizarre ou en relation avec les fantômes de cette nuit. Il te faudra tout observer et venir me rapporter jusque dans les moindres détails son comportement et si possible, introduis-toi chez elle et vérifie qu’elle y a bien fait bruler du bois dans la cheminée… 

Arsène s’attendait à pire et ne voyait pas ce qu’il y avait d’impossible à réaliser dans cette mission. Le plus dur serait sans doute de pénétrer dans la demeure de la Marthe, mais un chat sait profiter du moindre moment d’inattention des humains pour se faufiler, ni vu ni connu, dans des lieux réputés pour être autrement inaccessibles.

- C’est tout ?  demanda t-il, avec une pointe de déception.

- Ben, c’est déjà pas mal… car tu vas devoir faire cela toute la journée et que…

Jules interrompit sa phrase et se tortilla, l’air bien embêté.

- Et que… reprit Arsène que l’embarras de Jules intriguait.

- Heu… comme tu sais, le Portefeuille coule en bas du terrain de la Marthe. Et justement c’est là qu’habitent des Martes… je veux dire des Martes logent aux pieds de la Marthe… enfin… je veux dire… y’a des Martes chez la Marthe… t’as compris ?

Arsène leva vers Jules un regard plein d’incompréhension. Le vieux devait être fortement atteint par son eau-de-vie pour sortir un tel salmigondis d’inepties.

- Non, pas vraiment… Ne pourriez-vous pas être plus clair ?

- Oui, bon, je t’explique… les Martes, c’est comme des Fades, mais en bien plus méchant. Quand les eaux sont basses dans le Portefeuille, on arrive à distinguer leur grosse marmite de pierre où elles essaient le plus souvent en vain de faire bouillir de l’eau et on entend à des lieues à la ronde leurs cris et leurs vociférations. Elles connaissent des chants qui envoûtent les animaux qui servent à les nourrir et dont elles ont au préalable prélevé la graisse pour en faire des baumes de beauté. Celui qui cède à leurs charmes est sûr de finir en ragoût et en crème antirides. J’sais pas si elles ont déjà goûté du chat, mais j’voudrais pas que tu fasses les frais de leur passion de la découverte… et vu que t’es pas mal dodu, ça risquerait de leur donner des idées pour renouveler leurs carnets de recettes… Faudra que tu sois vigilant… Quand elles ont fait ripaille, à la tombée de la nuit, elles tentent de séduire les bergers et les laboureurs de retour des prés et des champs pour les attirer dans leurs filets et je ne te dis pas la suite… des orgies dont les pauvres ressortent les couilles vidées et définitivement impuissants. Mes excuses le chat, fallait que je te mette en garde…

Arsène tenta de hausser les épaules comme il l’avait vu faire chez les humains. Hélas, sa morphologie ne lui permit que d’esquisser la moitié d’un gros dos. Cela ne suffit pas à entamer sa détermination. Les Martes de la Marthe n’avaient qu’à bien se tenir… Un chat que le diable avait pris sous sa coupe pouvait relever tous les défis.

- Soyez sans crainte mon brave homme… elles ne savent pas à qui elles ont affaire… Je me boucherai les oreilles et avant qu’elles ne m’attirent dans leurs filets, de l’eau aura passé dans le Portefeuille. Je file maintenant chez mon maître qui doit s’inquiéter de mon absence. Je viendrai demain soir vous faire mon rapport. Vers vingt heures, si cela vous gonvient… Zut! Convient ! À moins que vous ne prolongiez tard dans la nuit votre enquête au bar « Aux Demoiselles ».

Jules marqua le coup. La dernière remarque était perfide et Arsène s’en voulut d’avoir cédé à la tentation de rappeler à Jules sa dépendance à la boisson. Après tout qui était-il pour donner des leçons ? Le bonhomme venait de lui donner la chance de sa vie en lui ouvrant grand les portes de l’aventure et il lui faisait confiance. Deux raisons suffisantes pour faire preuve de plus d'empathie.

- Je ne souhaitais pas vous vexer et je vous présente mes excuses. À vingt heures, donc… Si vous pouviez maintenant m’ouvrir la porte ? Il faudra penser à y poser une chatière… Bonne nuit, cher ami!

- Bonne nuit, le chat !

Le cantonnier entrouvrit le lourd panneau de chêne. Dehors, la brume s’était dissipée et une myriade d’étoiles éclaboussait de leurs lumières scintillantes les rues de la cité endormie. D’une démarche souple et ondulante, Arsène rejoignit les ombres découpées par ces lumignons célestes et s’y dilua comme par enchantement.



©Catherine Dutigny/Elsa, mai 2014



à suivre...

3 commentaires:

  1. Et voilà Arsène prêt !! Puisse-t'il se méfier des martes ! Ce serait malheur que le voir finir en crème anti-rides ! Pauvre de lui !

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  2. Déjà que certains sont chassés pour leur fourrure! Mais là, je suis d'accord avec toi... une crème anti-rides... l'horreur! (rires)

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  3. Comme tu dis, quelle horreur ! Pauvres petites bêtes !!!! Sniff !!!

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