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mardi 5 août 2014

MARCEL FAURE - 0111 à 0115 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX PAR MARCEL FAURE (1er épisode)






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Mercredi 11 janvier 2012 

Nadège vient grignoter quelques papillotes, toujours le prétexte des devoirs. Soudain elle pouffe de rire.
— C'est mon papa dit-elle.
Papa Abderrahmane, avec ses trois filles, est allé en voiture attendre maman à son travail. Dans le quartier du Marais, près de la grande mosquée, il gare sa voiture le long du trottoir. Un homme passe en boitillant et s'arrête sous le nez de mes amis. Sa chaussure lui pose problème, la semelle droite ne tient plus que par un fil. Il ôte son lacet et entoure semelle et chaussure pour faire une réparation de fortune. Évidemment le lacet casse. Abderrahmane ouvre sa vitre, fait signe à l'homme de s'approcher, enlève ses propres chaussures et les lui donne. Par chance la taille correspond.
— je n'allais pas le laisser rentrer ainsi chez lui, explique-t-il.
Mais ce qui fait rire Nadège, ses sœurs et maman, plus que ce don inattendu, c'est de voir papa conduire la voiture en chaussettes.
— C'était trop rigolo, il avait un gros trou au pied gauche.
Surtout tellement beau ce geste gratuit et spontané. Dans la même situation que mon voisin, jamais je n'aurais pensé faire cela. Je n'aurais pourtant même pas eu à me déchausser. Souvent j'ai une vieille paire de chaussures de marche en réserve dans le coffre.



Jeudi 12 janvier 2012 

Sous l'abribus, j'attends le tram. Fatigué d'avoir trop piétiné dans les magasins avec Lloydia, je m'assieds à côté d'une jeune fille à faciès, comme on dit dans la police. Je tousse.
— La fumée vous gène, je vais l'éteindre dit-elle en montrant sa main tenant une cigarette.
— Non, non dis-je, nous sommes dehors, profitez-en.
Elle tire encore deux ou trois bouffées, puis écrase discrètement son mégot en faisant mine de farfouiller dans son sac.
Jeune inconnue si prévenante, savez-vous combien de gens, avec ce visage si caractéristiquement pâle des occidentaux, auraient eu cette belle délicatesse ? Avec leurs gros cigares empestant l'opulence, ils continuent tranquillement, indifférents à ceux qui les entourent. Et leur prétendue politesse n'est que parade de vieux schnocks.



Vendredi 13 janvier 2012 

Souvent, dans la rue, nous sommes agacés par des jeunes gens qui crient, plus qu'ils ne parlent entre eux. Crier n'est pas un délit me dis-je souvent, faisant semblant d'être un peu sourd. Je les appelle les singes hurleurs. Ils paradent ainsi au milieu d'une troupe hétéroclite avec, parmi elle, la présence d'une jeune fille.
Parfois le vacarme devient insupportable, provoque l'énervement de la foule. Personne n'ose intervenir contre cette bande d'énergumènes échevelés fumant de tous leurs naseaux. Vous savez, ... ces histoires de passants poignardés pour presque rien dont les journaux nous abreuvent...
J'ai cependant une certaine tendresse pour eux, me rappelant le temps où à leur âge et avec quelques copains, nous chantions à tue-tête : " Les bourgeois, c'est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient bête, les bourgeois, c'est comme les cochons, plus ça devient vieux plus ça devient...C. "




Samedi 14 janvier 2012 

Et la respiration profonde du monde, celle qui n'a que faire des soubresauts des siècles, étoffe mes poumons. Je subis son emprise et je m'engouffre dans le silence. Je sens en moi éclore des graines de soleil. La trépidante oscillation des jours avale les années, qu'importe quand je murmure des éclats de lune. La sève des grandes migrations me traverse. Tantôt je vole avec les cigognes, tantôt je me perds dans les méandres du Gulf Stream qui me conduit de la blancheur immaculée du Pôle Nord jusqu'aux profondeurs du Pacifique bien au-delà de l'Australie. Je me marie aux vents. J'accumule les signes et tout mon corps s'amplifie. Je suis une grenade mûre.
Peu à peu, je me détache et me disperse.



Dimanche 15 janvier 2012 

Cette sensation de plénitude que j'évoquais hier, souvent elle me surprend. Surtout ne pas lui résister... Elle n'est pas liée à un évènement heureux ou malheureux pas plus qu'à une transe provoquée par l'alcool ou la drogue. En profiter... Un voile s'écarte. Une image s'insinue, s'impose. Toute la masse encombrante de mon corps disparaît.

Puis, tout aussi brusquement, l'heure froide me givre sans ménagement. Plus de mots ! Plus de sentiment ! Rien ! Un bloc de glace.














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1 commentaire:

  1. Tout d'abord de superbes mots et évocations humanistes, une bien belle jolie leçon d'humilité, puis ensuite cette brise, ce souffle de poésie qui est là, présent dans chaque phrase ! Superbe ! Un régal, aussi casquette bien bas aux deux artistes et un grand merci pour cette belle évasion !!

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