MISE EN VOIX ELSA
Les locos
Je
vous emmène à Uyuni, au contact des déserts de sel et de terre,
montez nous n’allons pas loin mais le dépaysement sera total si
vous êtes faits de sensibilité et de questionnements,. Même
redescendus du marche pied, vous n’oublierez jamais le paysage.
J’ai enlevé mon nez rouge et je l’ai mis à l’avant de la
loco, il est notre sauf conduit, notre réserve de bonne humeur, son
élastique nous rattache au monde. Vous êtes prêts ?
C’est
le bout d’un monde connu ou le début de nulle part, un bout de
terre bolivienne sur laquelle mon imaginaire a tracé l’extrémité
du monde habité. Si notre planète était plate, nous serions sans
aucun doute à sa frontière, en équilibre au bord d’un monde qui
continue à s’inventer des futurs inaltérables alors qu’ils ne
seront demain que des passés imparfaits.
Sa
couleur est celle de la tristesse, de l’ennui, le bruit celui d’un
vent sec, entêtant et les odeurs ne sont que les fragrances d’un
métal agonisant rongé par une rouille, dont on ne sait si elle est
due au sel du Salar ou au pinceau dont on ne sait quel divinité.
Ce
lieu oublié des hommes est sans aucun doute le pentacle magique où
se sont donnés rendez vous l’histoire et la dérision comme une
porte enfin entrouverte ; comme une langue tirée à la pseudo
immortalité des choses et des êtres. Cela ressemble à une
bouffonnerie grandiose et à un hymne à la gloire du temps qui
passe.
Sorties
d’un passé que l’on voudrait lointain, deux, trois, dix
locomotives orphelines de leurs wagons sont posées là arrivées
d’on ne sait où. Engagées sur des rails rongés, sinistres
longerons enfoncés dans une terre qui les avale centimètre après
centimètre, elles interrompent là d’une manière définitive les
voyages mécaniques pour y prolonger celui du rêve et de l’absurde.
Ici, les machines aujourd’hui silencieuses demeurent immobiles et
figées pour toujours, dans un dessein sacrificiel et n’ont
maintenant plus rien d’autre à faire que laisser celui qui les a
forgé et assemblé s’interroger sur la vie et la mort. Un dernier
sommeil qu’une main anonyme à décider de rejeter d’un éclat de
rire en demandant d’un trait de peinture blanche un technicien
d’urgence. Pour faire comme si….
L’humour
du désespoir et la poésie se sont invités sur les ventres
métalliques dévoreurs de charbon noir et peignent ensemble, dans ce
cul du monde un tableau irréaliste entre songe et réalité. Pour
qui veut chercher, il y a peut-être là, l’âme de
l’industrialisation et des symboles qui nous parlent de nos
existences en en interrogeant le sens.
Dans
ce paysage qui n’en est pas un, de vieux enfants étranges viennent
jouer à construire d’autres futurs ferroviaires à ces monstres
manufacturés encore dressés sur des roues fatiguées dans un monde
chimérique où le néant n’existe pas.
Il
y eut ce jour là, un petit d’homme monté sur la première plate
forme, son « Tchou, tchou » sonore effaça d’un coup le
cimetière, redonna du bleu au ciel et fit briller quelques instants
les robes cuivrées des vieilles dames. La terre est redevenue ronde
et j’ai bien cru voir les rails sortir de leur gangue de terre.
Rien ne fut plus vivant à ce moment que cet endroit abandonné.
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voyage s’arrête ici, n’oubliez pas le guide
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