Son cadeau ? C'est Eve Zibelyne elle-même qui nous l'offre en un conte de bons petits chats, qui traverse sans dater, tristement, quelques constats de fin d'année. Sa table, son toit, son cœur, son temps, s'il en est une qui sait les partager, c'est bien elle, notre Zib. Toujours à l'écoute de qui sait entendre l'autre... Et quand elle pense "Réveillon", La Zib, elle pense d'abord à qui ne restera pas dehors — au sens propre comme au figuré... Pour ton anniversaire chère Zibelyne, — oh que non, tu ne l'as pas volé ! —, permets-moi de te conter en trois actes, tes propres mots illustrés par tes soins :
Mais qui a volé
le réveillon ?
En trois actes !
Cliquez dans l'ordre 1,2,3, sur chaque illustration de Zib
Tout lu ?
Alors vous aurez sûrement compris,
qu'un beau cadeau pour notre amie Eve Zibelyne, c'est par exemple de
Parvenu à la poterne, Poubelle se chauffe sous la lanterne en réfléchissant. Il a sur les babines le goût des chapons. On ne va pas partir sans se battre, ce n'est pas juste !
D'un
bond, il saute sur la poterne et regarde au loin. Ses yeux perçants
trouent la nuit.
—
Il y aura réveillon cette année ! Restez en sécurité, je sais
comment faire pour éviter les laquais et les chiens.
Et
Poubelle court à toute allure jusqu'à la grande bâtisse. D'un coup
de dent, il arrache un gros nœud doré et l'enroule autour de son
cou. Les vitres lui renvoient l'image d'un chat de bonne famille
habillé pour la fête. Parfait ! On va voir ce qu'on va voir !
Poubelle
rentre fièrement par la grande porte, ronronnant aux jambes d'une
dame emmitouflée de fourrure aussi blanche que lui, au nez et à la
barbe du laquais qui le croit accompagné. Il fait du charme de ses
yeux bleus, récolte caresses et juteux morceaux de roi. Le réveillon
est succulent et il se régale sans retenue.
Mais
il faut faire vite avant que quelqu'un ne s'alerte. Un câlin par ci,
un ronron par là, et il se glisse sous les tables. Les convives
parlent et boivent des bulles. Quelle drôle d'idée. Des bulles, ça
ne nourrit pas !
D'un
bond, il escamote un chapon. Un autre bond, une langouste, puis deux,
un rôti, de la charcuterie descendent sous la table. Un chat blanc
sur la nappe immaculée, qui y prêterait garde ? Personne ne l'a vu.
Plus vite que l'éclair, Poubelle a amassé un butin de roi.
Il
va et vient, et sort faire pipi, passant comme un prince devant le
sbire des méchants qui ne se questionne pas. D'un miaulement, il
appelle ses compagnons qui accourent. Une étole pour La Grise, un
pompon doré pour Carcasse, et la famille entre dignement dans la
fastueuse demeure. Enfin presque, car Carcasse fait une glissade
extraordinaire sur le sol brillant comme une patinoire.
Comme
par enchantement, il s'attire les bravos des dames qui s'extasient
devant cet adorable chaton.
—
Mais, très chère, vous savez bien ! C'est le petit chat de
Carlotta. Elle m'a fait voir sa photo l'autre jour.
—
Qu'il est mignon, un amourrrr de peluche !
—
Oui, je crois qu'il a le même âge que sa petite fille, c'est un
cadeau de la Reine?
Chacun
regarde Carcasse avec toute la considération qui lui est due.
La
Reine ! Carcasse en a le tournis et s'étale à nouveau pour le plus
grand bonheur de La Grise et de Poubelle qui profitent de
l'attroupement pour esbigner les provisions sous le nez du laquais
qui n'en peut mais.
Comment
pourrait-il pourchasser de nobles animaux offerts par la Reine ?
En
fait, il rit sous cape de voir ces imbéciles se faire chaparder les
victuailles de leur réveillon par leurs chats, et il a résolu de ne
rien dire.
Un
miaulement donne le signal de la poudre d'escampette et Carcasse fait
la boule de poils jusqu'à la porte dans l'hilarité générale.
Les
gens sont retournés à leurs bulles. Les laquais ont remplacé les
victuailles sans mot dire, et les chats s'en sont retourné
tranquilles, le ventre bien rebondi.
Mais
les méchants méritaient punition. On ne vole pas impunément le
réveillon !
Et
de toutes parts, la nouvelle a couru. Les chats sont arrivés de
partout. Tous les chats perdus, les abandonnés, les galeux, sont
venus.
Les
inutiles décorations arrachées aux arbres ont paré leur maigreur
et leurs puces de mille feux et la horde grimée est entrée en masse
dans la grande salle du festin.
Oh,
ils n'ont pas fait les yeux doux !
Oh,
ils n'ont pas amusé la galerie !
Ils
se sont rués sur le buffet, dérobant les plus beaux morceaux,
piétinant les saumons, arrachant les cuisses des poulardes.
Miaulant
farouchement, ils ont arraché les nappes blanches.
Ils
se sont agrippés aux belles robes des dames qui tentaient de les
arrêter.
Ils
ont lacéré la peau des hommes qui s'interposaient.
Ils
ont brisé les bouteilles de bulles, mais les bulles ne bullaient
plus sur le sol glacé. Ils ont arraché les tentures et emporté
tout ce qui était consommable sans que les gens puissent les en
empêcher.
En
quelques minutes, tout était dévasté. Les chiens endormis dans
leur chenil ne pouvaient être lâchés dans l'affolement hystérique
des gens.
La
caméra filmait sans états d'âme le carnage du réveillon.
La
horde des chats eut tôt fait de sortir du parc des maudits, et toute
la nuit, la fête bat son plein dans le hangar à bateaux.
C'est
le plus beau des réveillons ! Miaulaient les chats galeux.
Brr,
brr, crotte de rat !
Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ !
Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
La
chanson de Poubelle a fait le tour de la ville.
C'est
la chanson des galeux, des exclus, des laissés pour compte, des
fainéants, des crasseux, des drogués, des alcooliques, des pédés,
des femmes, des parasites, des jeunes, des vieux, des artistes, des
taulards, des gouines, des apprentis, des Noirs, des piétons, des
Arabes, des Français, des chevelus, des fous, des travestis, des
anciens communistes, des abstentionnistes convaincus, tous ceux qui
ne comptent pas pour les voleurs de réveillon.
C'est
la chanson de l'espoir, celle qui nous dit que, dans l'adversité,
tout est possible, et que les gueux ne sont pas toujours ceux que
l'on croit.
En
hommage à Coluche, parce qu'on ne doit pas baisser les bras.
Poubelle
voit bien le petit rôti de porc sur la gazinière, mais il y en a
juste pour trois chats de bonne taille, pas pour des gens ?
La
fenêtre d'à côté ne fait entrevoir que la solitude d'un
grand-père assoupi devant la télévision. Ici, pas de
réveillon.
Poubelle
commence à s'inquiéter. Mais
aussi, pourquoi décorer les maisons s'il n'y a pas à manger ?
Non,
ils ont dû se tromper de jour ? Pourtant, les gens passent avec des
paquets.
Des
petits paquets,
se dit le chat blanc. Tout à sa faim, il n’a pas fait attention.
Il y a moins de cadeaux.
Poubelle
se rappelle ce que la télévision du Bar Tabac raconte. Les gens
sont devenus pauvres. Déjà, il y en a qui dorment, comme eux, dans
les poubelles.
—
Ah non ! Si personne ne remplit les poubelles et que les gens
viennent y habiter, ça ne va pas !
La
Grise reste interdite. Elle n'avait jamais cru ça possible. Ce que
dit Poubelle est effrayant. Vivre avec les gens, bien sûr, mais si
personne ne remplit les poubelles, que va devenir Carcasse ?
Une
idée horrible lui traverse l'esprit.
— Si
les gens n'ont plus rien, crois-tu qu'ils nous mangeront, comme les
poules et les lapins ?
Poubelle
miaule de fureur et de crainte. Il ne faut pas que les gens
deviennent trop pauvres. Il en va de leur survie.
Manger
du chat ? Oui, ils en sont capables. Ça vous caresse un jour et le
lendemain vous êtes dans la casserole en miroton.
Brr,
brr, crotte de rat !
Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
Carcasse
chante en jouant avec une tomate roulée du sac plastique. Poubelle
redresse la tête. Non, il faut garder espoir, rien n'est perdu !
—
Continuons, ordonne-t-il !
Le
froid se fait glace, les cristaux de givre ornent les fenêtres.
Les
trois chats se sont enfoncés dans l'ombre d'un parc, à la recherche
de quelque souris égarée. Une immense maison allumée de toutes
parts attire nos compères. Ici, la fête est fastueuse. Poubelle
n'en revient pas.
Des
jambons, des buissons de langoustines, des langoustes décorées de
papillotes blanches, des rôtis juteux, longs comme une limousine,
des chapons, des pains de lotte?
Les
chats hument avec délice les délicieux fumets. Ainsi, c'était donc
ça. La fête, c'est ici et ces gens ont dû inviter tout le monde
pour déguster ces somptueuses victuailles. Les braves gens !
Les
matous vibrent d'envie. Ils se dirigent vers les cuisines, persuadés
de recevoir un plantureux festin de Noël.
Las,
quelle ne fut pas leur terreur !
De
hideux cerbères affublés de livrées ridicules se jettent sur eux
et les chassent à coups de matraque.
D'énormes
Bas-Rouges, de gigantesques Dogues se lancent à leur poursuite dans
une ronde infernale. Les Rottweilers arrivés en renfort hurlent et
déchirent les arbres de leurs crocs férocement acérés.
Les
matous n'ont dû leur salut qu'à la proximité du parc. Les troncs
généreux ont tendu le dos pour les réfugiés, et les basses
branches ont fouetté les chiens. Carcasse a pissé de peur. Poubelle
n'en dira rien, mais il s'est fait dessus aussi.
Les
molosses ont hurlé, hurlé. Ils ont assailli les arbres en vain. Le
refuge était sûr.
Lorsque
les gens, fatigués de leurs cris, les ont renfermés, nos amis n?ont
pas demandé leurs restes?
Ce
parc était maudit. La lanterne de bienvenue n'était que mensonge.
Ici, pas de partage.
—
Ces gens ont volé le réveillon ? Dis, maman ? Ils ont volé toute
la nourriture ?
—
Oui mon petit chéri, je crois que tu as raison. Ces gens n'ont pas
de cœur. Ils ont tout pris pour eux, alors qu'il y en aurait pour
tous. Ce sont eux, les coupables !
Parvenu
à la poterne, Poubelle se chauffe sous la lanterne en réfléchissant.
Il a sur les babines le goût des chapons. On ne va pas partir sans
se battre, ce n'est pas juste !
D'un
bond, il saute sur la poterne et regarde au loin. Ses yeux perçants
trouent la nuit.
—
Il y aura réveillon cette année ! Restez en sécurité, je sais
comment faire pour éviter les laquais et les chiens.
Poubelle
se frotte les moustaches. Atchâ ! Qu'il fait froid !
- J'ai
les pattes toutes engourdies. Atchâââ?
Poubelle
a les moustaches humides et le bout du nez gelé. Vite, cherchons une
cachette abritée pour ronronner en paix... La rue est noire, presque
verte, comme un crapaud de terril. Poubelle en a assez de cet hiver
qui ne fait que commencer. Mais,
les poubelles sont pleines de bons restes. Les femmes préparent les
fêtes de Noël et donnent de bons morceaux, même pas pourris. Bien
sur, elles donnent moins que du temps de l'arrière grand chatte
Lulu. Elles ne font plus cuire le fumet de poisson qui embaumait les
arrières cuisines. Le magasin le prépare pour elles et les belles
arêtes de Noël deviennent rares. Poubelle sait bien qu'il n'y perd
pas au change, après les fêtes, les queues de langoustines,
crevettes, homards vont lui emplir la panse...
Ce
qu'il adore, c'est le bon gras jaune du foie gras de canard. La mère
Poulard lui en donne de beaux morceaux dans une petite écuelle. La
mère Poulard vend des volailles délicieuses. Elle les expose en
vitrine, la tête cachée sous l'aile comme si elles dormaient.
Poubelle
s'en pourlèche les babines, assis sur l'avancée de la vitrine. Les
clients rient de le voir gratter à la vitre, et parfois, ils lui
jettent un petit bout de jambon en sortant.
C'est
que Poubelle est un beau chat. Une magnifique bête au poil blanc
comme la neige. Les dames fondent devant ses yeux bleus et les
enfants caressent son poil tout doux. Poubelle vit dehors, depuis que
sa maîtresse est partie. Elle a oublié de l'emmener dans le camion,
mais elle lui a laissé son panier au bas de l'immeuble. L?ennui,
c'est que le méchant concierge l'a jeté.
Alors
Poubelle a rejoint la Confrérie des Chats Hurlants. Pas besoin de
changer de quartier et de fournisseur. Qui aurait pu soupçonner que
ce beau matou tout propre vivait seul, abandonné, en rêvant de son
canapé ? La
mère Poulard, peut-être. Mais
ce soir, Poubelle se sent bien seul dans le froid mouillé. Les
vitrines brillent. Les maisons habillées de couleurs se remplissent
de bruits joyeux. C'est
le soir du réveillon. C'est
le deuxième réveillon que Poubelle passe dehors. Il est triste. Sa
maîtresse lui manque, les bons petits plats aussi. Une
boule de poils le heurte en miaulant. -
Carcasse ! Une
chatte efflanquée court derrière la boule. Elle s'arrête net en
voyant Poubelle. -
Qui es-tu ? Je ne te connais pas ? La
chatte souffle. ? Pscht, pscht?
Poubelle
répond par une chanson :
Brr,
brr, crotte de rat ! Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ! Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
Surprise,
la chatte cesse de souffler. Le chaton curieux dresse ses oreilles
pour apprendre la chanson.
Brr,
brr, crotte de rat ! Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ! Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
La
glace est brisée, et La Grise conte son histoire. La même que celle
de Poubelle, ou presque. Elle était cachée dans le hangar à
bateaux depuis quelques mois, avec ses petits. Il
ne lui reste que Carcasse. Les autres ont disparu,
mystérieusement. La
faim et les odeurs du réveillon l'ont fait sortir de son abri, mais
Carcasse ne tient pas en place.
Brr,
Brr, caca de rat ! Chante
Carcasse en sautillant.
Un
bruit de porte. Une dame sort une poubelle. Vite, les trois félins
se précipitent. Les petites pattes de Carcasse s'activent à
déchirer le plastique. -
Le petit se débrouille bien ! Admire Poubelle qui trie dans le sac
éventré. Déception?
Le sac sent bon, mais il ne contient que du plastique et des briques
de carton. Carcasse lèche un sachet de sauce. Rien d'autre que des
plats préparés, pas de bonnes choses. Tristement,
les chats errent de maison en maison. Pas de gras doré, pas de
crevettes odorantes, pas d'os à rogner.
Maman
? Qui a volé le réveillon ? Questionne le chaton.
La
Grise ne sait pas quoi dire, elle ne comprend pas. D'autres
maisons, des chants, mais pas de réveillon.
D'un
bond, Poubelle est sur une fenêtre. Il en aura le cœur net ! Les
gens causent fort. Ils boivent ce vin qui a la couleur du miel, ce
vin qui les rend fous. Sur la table, des gâteaux secs, du saucisson
et des olives. En cuisine, une femme s'affaire. Elle ouvre quelques
huitres. Maigre
pitance pour des matous, mais ce sera toujours ça de pris. En fin de
soirée ils pourront revenir lécher les coquilles. Pas de bonnes
odeurs. Mais que vont-ils manger ces gens ? Poubelle voit bien le
petit rôti de porc sur la gazinière, mais il y en a juste pour
trois chats de bonne taille, pas pour des gens ?
Des amours nées hier à l’Amour pour demain – message et prière d’âme et cœur d’humain
Il y a ces amours de chair, il y a ces amours de sang. Il y a cet amour inscrit au fond de nous, un appel vital, un élan salvateur, message de gênes à l’espèce pour lui assurer son existence. Cet amour inné, qui bien peu se commande, sans mérite, et que pourtant sans cesse on glorifie.
L’amour convoité, l’amour recherché, l’amour conquit ou conquêtes, l’amour trophée ou trophées, et puis un jour l’amour piège, amour résigné que l’on affirmera choisi. Petite vanité. Comme s’il ne pouvait y avoir qu’un seul être prédestiné, celui qui ne se trouve qu’après longue quête par vents et marées… Amour victorieux d’une lutte acharnée ! Allons, allons… mais peu importe puisqu’il y aura le plus souvent toi, moi, toi et moi, des fruits sûrement, lui, ou elle, ou eux, nous trois, nous quatre, ou même nous dix… mais surtout eux, avec toi, avec moi, trop souvent sans nous deux… et pfft, un jour les oiseaux s’envolent ! Et après, parfois toi et moi encore, parfois toi sans moi avec d’autre(s) moi sans toi avec d’autre(s), ou seuls, seul. Mais une histoire de nous, écrite depuis quelques millions d’années, inscrite dans l’histoire de la vie, avec juste quelques vers en plus, quelques roses avec ou sans épines, quelques bijoux, ou des pacotilles, tous aussi inutiles, des accessoires pour certains, du viagra pour d’autres. Un nid, parfois cocon, parfois prison, aussi.
Pâle victoire, maigre conquête, les honneurs sont faciles. Ah ces amours là… quelle affaire. Et les musées se remplissent, puisque ces amours se peignent, se sculptent, s’immortalisent au cas où elles seraient immortelles ! À moins que ce ne soit par peur de les voir s’éteindre. Et les bibliothèques croulent sous les rayonnages trop lourds de recueils et de lettres ; comme si rien ne semblait n’avoir jamais été dit, il faut en ajouter. Mille fois ressassées, mille fois peintes ou sculptées, dix mille fois chantées, ces amours qui ne sont que des recettes de cuisine dont tous les ingrédients nous sont pourtant imposés. Mais voilà que chacun se prend à croire que son amour est si grand que jamais la Terre n’en connut de pareil, et que la Terre doit savoir que nul autre ne saurait l’égaler. Et comme brame son rut le cerf, nous voilà, avec tellement plus de délicatesse dira-t-on, étalant à l’humanité entière d’ordinaires sentiments camouflés sous de subtils mensonges. Puisque personne ne peut décrocher la lune, chacun décroche comme il le peut le pompon au manège, pour l’offrir amoureux comme un cadeau précieux.
Qu’importe ! Reliquat de compétition intraspécifique, tout est dit : course au plus bel hyménée, mots enflammés écrits en lettres d’or… et gagne l’admiration celui qui s’affiche le plus fort. Impose respect par débauche de moyens et de mots, surtout de moyens. Affirme qu’il existe encore des rois pour le vermeil, et des vassaux. Un peu de tulle et quelques dragées suffiront pour ces derniers. Et pour les vassaux des vassaux, ou les oubliés, un regard, un mouton peut-être, ou rien en tout cas qui ne mérite quelque émerveillement.
Et pourtant, pourtant… il n’y a rien de grand dans ces amours-là ; avec ou sans richesse, dans le satin ou dans le lin, habillées de Guerlain ou dévêtues sans parfum, du nord au sud… rien que de l’ordinaire. Elles ne sont pas choisies. Rien qui ne soit inventé, rien qui ne soit le fruit d’une volonté. Effrayante égalité puisqu’en matière d’inné, les nantis n’ont pas plus d’amour que les pauvres. N’en déplaise à ceux pour qui noces de vermeil, noces d’or ou de diamant, n’est qu’une affaire d’argent… des matières éternelles pour des amours fugaces dont il ne restera rien dans quarante-cinq ans, pas plus que dans cinquante et encore moins dans soixante.
Il y a donc ces amours qui nous rendent tour à tour chacun conquérant, idiot, romantique, jaloux, chose, tendre, vengeur, bestial, hypocrite, menteur, docile, attentif, terriblement égoïste… l’appel sauvage. La pulsion charnelle. La tension hormonale ! Une des grandes clés qui régit le monde, et son économie, qui écrit des lois et anéantissent des pouvoirs, qui font et défont des fortunes, dont les intrigues interagissent jusqu’au cœur des politiques et des fois, qui ébranlent les plus forts et toutes les certitudes. Plus encore, beaucoup plus encore… car des amours charnelles naissent d’autres amours, maternel, paternel, fraternel. Amours claniques qui nécessairement en découlent et que seules les scories de la vie altèrent parfois. C’est beau n’est-ce pas ? Mais c’est l’appel sauvage. Rien que l’appel sauvage. Non dira-t-on. Si pourtant. Et bien des Hommes ont peine à reconnaître qu’à quelques gouttes de Dior prêtes, qu’à quelques fantaisies artistiques prêtes, les pongidés ne font rien de moins que nous, et bien d’autres espèces sûrement. Manquerait plus demain que l’on découvre en leurs cris, en leurs gestes les prémices de chants et de danses, de créations d’art. Mais seront-ils là demain ? Avons-nous besoin de ces empêcheurs de tourner en rond, de ces cousins gênants ? Peut-être tant que nous saurons croire que nous leur sommes bien supérieurs… car sinon que nous restera-t-il d’autre que les revues « people », les téléréalités, ou pléthores roucoulades par SMS interposés, pour démontrer que nos amours sont autres que l’appel sauvage !
À moins que…
Non, ce serait folie ! Comment pourrait-on imaginer telle utopie ! Il faudrait pour cela tant d’Évolution encore avant que… !
Osons, osons quand même.
À moins, donc, que l’Homme comprenne qu’il existe un amour plus fort que tout. Un amour tellement plus grand, tellement plus beau et méritant que seules la conscience, l’intelligence et la spiritualité peuvent engendrer. Un amour véritablement volontaire, conquérant, initié, cultivé, dispensé, multiplié, fruit seul d’une grandeur absolue, fondamentalement antagoniste aux amours sauvages, affranchie du naturel, conciliable et concilié avec lui pourtant. Si aujourd’hui encore on dit « chassez le naturel, il revient au galop », ne peut-on imaginer qu’un jour on chasse le naturel pour révéler l’Amour ? Parce qu’il est vrai que cet amour là, n’a rien de naturel, ni charnel, ni paternel, ni maternel et bien plus que fraternel. Peut-être est-ce pour cela que nous ne savons pas encore tout ce qu’il peut engendrer de grand.
Nul être au monde n’a potentiellement ce pouvoir qui nous est donné de donner des ailes à cet amour-là, déjà né, mais presque toujours tu, étouffé, anecdotisé, secondarisé, ridiculisé même. Où approprié par des religions, chacune à sa façon, comme si l’amour n’avait d’existence que par la parole de Dieu ! En matière d’amour, et de cet amour là, chacun, seul, est Dieu, puisque Dieu est en chacun. Sans foi, sans croix, ou au-delà de toute foi, de toute croix, il faut oser penser ces choses-là. Il faut le vouloir et savoir que nous ne serons des Hommes que le jour ou nous aurons compris l’Amour pour autrui ; car il est sans conteste le plus incroyable défi qu’il nous soit donné de relever. L’Amour pour tout ce qui nous permet aujourd’hui d’être et de penser aussi, et bien sûr, puisque sans cela nous ne serions que sauvages. Il fallut 2270 fois les 200 000 ans d’existence de l’Homo sapiens pour que celui-ci commence à jouer avec des silex. Homo sapiens n’étant que le 1/2270ème du temps de l’existence de la Terre. Et que dire de l’Univers dont l’Homo sapiens n’en est que le 1/6885ème ? Tant de milliards d’années pour qu’à peine nés nous mettions le feu à la Terre en tapant sur des silex, et que nous nous coupions au passage. Il est vrai que les silex sont comme des lames de rasoir. Et que sommes-nous face à plus grand, à cet espace/temps dont nous ignorons tout. Rien. À peine sommes-nous dotés d’une conscience que nous l’oublions déjà. Des milliards d’années pour qu’après moult balbutiements l’élu dans cette course s’amuse encore à jouer à guéguerres, à s’accrocher à sa condition d’animal tout en le niant ; à faire l’arrogant, à celui qui sait ; à se croire tout puissant parce qu’il a remplacé
ses griffes par des missiles à ogives nucléaires,
ses poils par des moulés haute couture
son bain de boue dans sa soue par des bains de vapeur dans son sauna
sa quête de proies et de tubercules par sa recherche de la brasserie branchée
ses jeux dans l’herbe par sa PlayStation
et ses coups de crocs pour établir la hiérarchie par des grèves à répétition.
Non, ce ne sont pas les GPS qui nous traceront le chemin de l’Amour, alors… cessons de faire nos enfantillages de derniers nés trop gâtés. Soyons sérieux… il n’y aura pas d’autre chance : un petit déhanché de la Terre, un hoquet céleste, et pfft, nous disparaissons.
Alors, qu’attendons-nous ?
Fortuite ou création, notre existence est à ce jour l’aboutissement de tout ce que nous persistons à vouloir ignorer tout en le sachant. Que d’efforts, de colères et d’échecs, que de convulsions géologiques, que de chimie, de physique, d’essais biologiques avant que tant de ressources créées nous autorisent à être et à en user ! Toute l’humanité est un cadeau à elle-même, et nous voilà tels les chats sauvages dans notre territorialisme d’individu, telles les mangoustes dans nos territorialités de groupes !
Nés fondamentalement d’espèces sociales, ou à territorialité grégaire modérée, nous voilà à combattre pour l’individu plus que pour la société, pour la propriété plus que pour la planète ! Quel gâchis ! Fiers de notre amour copulatoire, fût-il fort agréable et si bien affiché, fiers de nos progénitures comme si nous avions inventé l’art de nous pérenniser ! Et nous voilà exhibant les poitrines remodelées ou voilant les corps, vaniteux au point de se gonfler les pectoraux ou le poil des barbes, c’est selon, mais incapable de se vouer enfin à la seule cause qui nous sauvera peut-être, à la seule en tout cas qui un jour fera disparaître les mots guerres, haines et précarité de la bouche de nos enfants. Il est vrai qu’il est plus facile de leur laisser le bébé. Il est vrai que cet amour-là nous oblige à, nous impose de, nous contraint à, nous prive de. C’est dur de partager, dur d’admettre que nous en avons trop quand d’autres n’ont rien, dur de sourire à une gueule qui ne nous revient pas, dur d’accepter que bien des vérités appartiennent à tous, dur de s’obliger à d’autres modèles de vie, d’autres façons de penser. Tout ce que nous savons faire depuis nos origines dans nos amours conjugaux et (ou) parentaux, tout ce qu’il nous est donné de le faire en conscience, toute cette voie tracée… et il nous faut encore hésiter alors qu’il suffirait de transposer ! Il y a tant de pas à faire encore que nous ne pouvons sans cesse transformer les bancs pour nous reposer un peu en méridiennes pour de longues siestes. En Amour comme en toute chose, trop attendre éteint les ardeurs.
Mais peut-être les mots sont il faux, peut-être les songes ici sont surfaits, peut-être l’Humanité s’assoie sur son apothéose sans l’avoir même sentie passer. Préférant le joug et la gloire, la guerre et la paix, la misère et les ors, les bidons villes et les bunkers dorés. Il resterait alors la damnatio memoriæ pour effacer de l’histoire de la Terre l’existence même de l’Homme et l’essence de ce qu’il aurait pu seul créer… l’Amour.
Peut-être alors que par tous ses tentacules le dieu unique né des pensées polythéistes d’antan sourira en pensant que la théodicée, pas plus que lui-même n’avait de sens. Mais très en colère, il n’aura d’autre choix que de s’oublier à lui-même.
Quel que soit la foi ou la non-foi, il est possible de croire en l’Amour, possible de croire que tous ensemble nous pouvons croire en cet Amour et tenter avec envie et volonté… OSER, maintenant !