Son cadeau ? C'est Eve Zibelyne elle-même qui nous l'offre en un conte de bons petits chats, qui traverse sans dater, tristement, quelques constats de fin d'année. Sa table, son toit, son cœur, son temps, s'il en est une qui sait les partager, c'est bien elle, notre Zib. Toujours à l'écoute de qui sait entendre l'autre... Et quand elle pense "Réveillon", La Zib, elle pense d'abord à qui ne restera pas dehors — au sens propre comme au figuré... Pour ton anniversaire chère Zibelyne, — oh que non, tu ne l'as pas volé ! —, permets-moi de te conter en trois actes, tes propres mots illustrés par tes soins :
Mais qui a volé
le réveillon ?
En trois actes !
Cliquez dans l'ordre 1,2,3, sur chaque illustration de Zib
Tout lu ?
Alors vous aurez sûrement compris,
qu'un beau cadeau pour notre amie Eve Zibelyne, c'est par exemple de
Parvenu à la poterne, Poubelle se chauffe sous la lanterne en réfléchissant. Il a sur les babines le goût des chapons. On ne va pas partir sans se battre, ce n'est pas juste !
D'un
bond, il saute sur la poterne et regarde au loin. Ses yeux perçants
trouent la nuit.
—
Il y aura réveillon cette année ! Restez en sécurité, je sais
comment faire pour éviter les laquais et les chiens.
Et
Poubelle court à toute allure jusqu'à la grande bâtisse. D'un coup
de dent, il arrache un gros nœud doré et l'enroule autour de son
cou. Les vitres lui renvoient l'image d'un chat de bonne famille
habillé pour la fête. Parfait ! On va voir ce qu'on va voir !
Poubelle
rentre fièrement par la grande porte, ronronnant aux jambes d'une
dame emmitouflée de fourrure aussi blanche que lui, au nez et à la
barbe du laquais qui le croit accompagné. Il fait du charme de ses
yeux bleus, récolte caresses et juteux morceaux de roi. Le réveillon
est succulent et il se régale sans retenue.
Mais
il faut faire vite avant que quelqu'un ne s'alerte. Un câlin par ci,
un ronron par là, et il se glisse sous les tables. Les convives
parlent et boivent des bulles. Quelle drôle d'idée. Des bulles, ça
ne nourrit pas !
D'un
bond, il escamote un chapon. Un autre bond, une langouste, puis deux,
un rôti, de la charcuterie descendent sous la table. Un chat blanc
sur la nappe immaculée, qui y prêterait garde ? Personne ne l'a vu.
Plus vite que l'éclair, Poubelle a amassé un butin de roi.
Il
va et vient, et sort faire pipi, passant comme un prince devant le
sbire des méchants qui ne se questionne pas. D'un miaulement, il
appelle ses compagnons qui accourent. Une étole pour La Grise, un
pompon doré pour Carcasse, et la famille entre dignement dans la
fastueuse demeure. Enfin presque, car Carcasse fait une glissade
extraordinaire sur le sol brillant comme une patinoire.
Comme
par enchantement, il s'attire les bravos des dames qui s'extasient
devant cet adorable chaton.
—
Mais, très chère, vous savez bien ! C'est le petit chat de
Carlotta. Elle m'a fait voir sa photo l'autre jour.
—
Qu'il est mignon, un amourrrr de peluche !
—
Oui, je crois qu'il a le même âge que sa petite fille, c'est un
cadeau de la Reine?
Chacun
regarde Carcasse avec toute la considération qui lui est due.
La
Reine ! Carcasse en a le tournis et s'étale à nouveau pour le plus
grand bonheur de La Grise et de Poubelle qui profitent de
l'attroupement pour esbigner les provisions sous le nez du laquais
qui n'en peut mais.
Comment
pourrait-il pourchasser de nobles animaux offerts par la Reine ?
En
fait, il rit sous cape de voir ces imbéciles se faire chaparder les
victuailles de leur réveillon par leurs chats, et il a résolu de ne
rien dire.
Un
miaulement donne le signal de la poudre d'escampette et Carcasse fait
la boule de poils jusqu'à la porte dans l'hilarité générale.
Les
gens sont retournés à leurs bulles. Les laquais ont remplacé les
victuailles sans mot dire, et les chats s'en sont retourné
tranquilles, le ventre bien rebondi.
Mais
les méchants méritaient punition. On ne vole pas impunément le
réveillon !
Et
de toutes parts, la nouvelle a couru. Les chats sont arrivés de
partout. Tous les chats perdus, les abandonnés, les galeux, sont
venus.
Les
inutiles décorations arrachées aux arbres ont paré leur maigreur
et leurs puces de mille feux et la horde grimée est entrée en masse
dans la grande salle du festin.
Oh,
ils n'ont pas fait les yeux doux !
Oh,
ils n'ont pas amusé la galerie !
Ils
se sont rués sur le buffet, dérobant les plus beaux morceaux,
piétinant les saumons, arrachant les cuisses des poulardes.
Miaulant
farouchement, ils ont arraché les nappes blanches.
Ils
se sont agrippés aux belles robes des dames qui tentaient de les
arrêter.
Ils
ont lacéré la peau des hommes qui s'interposaient.
Ils
ont brisé les bouteilles de bulles, mais les bulles ne bullaient
plus sur le sol glacé. Ils ont arraché les tentures et emporté
tout ce qui était consommable sans que les gens puissent les en
empêcher.
En
quelques minutes, tout était dévasté. Les chiens endormis dans
leur chenil ne pouvaient être lâchés dans l'affolement hystérique
des gens.
La
caméra filmait sans états d'âme le carnage du réveillon.
La
horde des chats eut tôt fait de sortir du parc des maudits, et toute
la nuit, la fête bat son plein dans le hangar à bateaux.
C'est
le plus beau des réveillons ! Miaulaient les chats galeux.
Brr,
brr, crotte de rat !
Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ !
Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
La
chanson de Poubelle a fait le tour de la ville.
C'est
la chanson des galeux, des exclus, des laissés pour compte, des
fainéants, des crasseux, des drogués, des alcooliques, des pédés,
des femmes, des parasites, des jeunes, des vieux, des artistes, des
taulards, des gouines, des apprentis, des Noirs, des piétons, des
Arabes, des Français, des chevelus, des fous, des travestis, des
anciens communistes, des abstentionnistes convaincus, tous ceux qui
ne comptent pas pour les voleurs de réveillon.
C'est
la chanson de l'espoir, celle qui nous dit que, dans l'adversité,
tout est possible, et que les gueux ne sont pas toujours ceux que
l'on croit.
En
hommage à Coluche, parce qu'on ne doit pas baisser les bras.
Poubelle
voit bien le petit rôti de porc sur la gazinière, mais il y en a
juste pour trois chats de bonne taille, pas pour des gens ?
La
fenêtre d'à côté ne fait entrevoir que la solitude d'un
grand-père assoupi devant la télévision. Ici, pas de
réveillon.
Poubelle
commence à s'inquiéter. Mais
aussi, pourquoi décorer les maisons s'il n'y a pas à manger ?
Non,
ils ont dû se tromper de jour ? Pourtant, les gens passent avec des
paquets.
Des
petits paquets,
se dit le chat blanc. Tout à sa faim, il n’a pas fait attention.
Il y a moins de cadeaux.
Poubelle
se rappelle ce que la télévision du Bar Tabac raconte. Les gens
sont devenus pauvres. Déjà, il y en a qui dorment, comme eux, dans
les poubelles.
—
Ah non ! Si personne ne remplit les poubelles et que les gens
viennent y habiter, ça ne va pas !
La
Grise reste interdite. Elle n'avait jamais cru ça possible. Ce que
dit Poubelle est effrayant. Vivre avec les gens, bien sûr, mais si
personne ne remplit les poubelles, que va devenir Carcasse ?
Une
idée horrible lui traverse l'esprit.
— Si
les gens n'ont plus rien, crois-tu qu'ils nous mangeront, comme les
poules et les lapins ?
Poubelle
miaule de fureur et de crainte. Il ne faut pas que les gens
deviennent trop pauvres. Il en va de leur survie.
Manger
du chat ? Oui, ils en sont capables. Ça vous caresse un jour et le
lendemain vous êtes dans la casserole en miroton.
Brr,
brr, crotte de rat !
Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
Carcasse
chante en jouant avec une tomate roulée du sac plastique. Poubelle
redresse la tête. Non, il faut garder espoir, rien n'est perdu !
—
Continuons, ordonne-t-il !
Le
froid se fait glace, les cristaux de givre ornent les fenêtres.
Les
trois chats se sont enfoncés dans l'ombre d'un parc, à la recherche
de quelque souris égarée. Une immense maison allumée de toutes
parts attire nos compères. Ici, la fête est fastueuse. Poubelle
n'en revient pas.
Des
jambons, des buissons de langoustines, des langoustes décorées de
papillotes blanches, des rôtis juteux, longs comme une limousine,
des chapons, des pains de lotte?
Les
chats hument avec délice les délicieux fumets. Ainsi, c'était donc
ça. La fête, c'est ici et ces gens ont dû inviter tout le monde
pour déguster ces somptueuses victuailles. Les braves gens !
Les
matous vibrent d'envie. Ils se dirigent vers les cuisines, persuadés
de recevoir un plantureux festin de Noël.
Las,
quelle ne fut pas leur terreur !
De
hideux cerbères affublés de livrées ridicules se jettent sur eux
et les chassent à coups de matraque.
D'énormes
Bas-Rouges, de gigantesques Dogues se lancent à leur poursuite dans
une ronde infernale. Les Rottweilers arrivés en renfort hurlent et
déchirent les arbres de leurs crocs férocement acérés.
Les
matous n'ont dû leur salut qu'à la proximité du parc. Les troncs
généreux ont tendu le dos pour les réfugiés, et les basses
branches ont fouetté les chiens. Carcasse a pissé de peur. Poubelle
n'en dira rien, mais il s'est fait dessus aussi.
Les
molosses ont hurlé, hurlé. Ils ont assailli les arbres en vain. Le
refuge était sûr.
Lorsque
les gens, fatigués de leurs cris, les ont renfermés, nos amis n?ont
pas demandé leurs restes?
Ce
parc était maudit. La lanterne de bienvenue n'était que mensonge.
Ici, pas de partage.
—
Ces gens ont volé le réveillon ? Dis, maman ? Ils ont volé toute
la nourriture ?
—
Oui mon petit chéri, je crois que tu as raison. Ces gens n'ont pas
de cœur. Ils ont tout pris pour eux, alors qu'il y en aurait pour
tous. Ce sont eux, les coupables !
Parvenu
à la poterne, Poubelle se chauffe sous la lanterne en réfléchissant.
Il a sur les babines le goût des chapons. On ne va pas partir sans
se battre, ce n'est pas juste !
D'un
bond, il saute sur la poterne et regarde au loin. Ses yeux perçants
trouent la nuit.
—
Il y aura réveillon cette année ! Restez en sécurité, je sais
comment faire pour éviter les laquais et les chiens.
Poubelle
se frotte les moustaches. Atchâ ! Qu'il fait froid !
- J'ai
les pattes toutes engourdies. Atchâââ?
Poubelle
a les moustaches humides et le bout du nez gelé. Vite, cherchons une
cachette abritée pour ronronner en paix... La rue est noire, presque
verte, comme un crapaud de terril. Poubelle en a assez de cet hiver
qui ne fait que commencer. Mais,
les poubelles sont pleines de bons restes. Les femmes préparent les
fêtes de Noël et donnent de bons morceaux, même pas pourris. Bien
sur, elles donnent moins que du temps de l'arrière grand chatte
Lulu. Elles ne font plus cuire le fumet de poisson qui embaumait les
arrières cuisines. Le magasin le prépare pour elles et les belles
arêtes de Noël deviennent rares. Poubelle sait bien qu'il n'y perd
pas au change, après les fêtes, les queues de langoustines,
crevettes, homards vont lui emplir la panse...
Ce
qu'il adore, c'est le bon gras jaune du foie gras de canard. La mère
Poulard lui en donne de beaux morceaux dans une petite écuelle. La
mère Poulard vend des volailles délicieuses. Elle les expose en
vitrine, la tête cachée sous l'aile comme si elles dormaient.
Poubelle
s'en pourlèche les babines, assis sur l'avancée de la vitrine. Les
clients rient de le voir gratter à la vitre, et parfois, ils lui
jettent un petit bout de jambon en sortant.
C'est
que Poubelle est un beau chat. Une magnifique bête au poil blanc
comme la neige. Les dames fondent devant ses yeux bleus et les
enfants caressent son poil tout doux. Poubelle vit dehors, depuis que
sa maîtresse est partie. Elle a oublié de l'emmener dans le camion,
mais elle lui a laissé son panier au bas de l'immeuble. L?ennui,
c'est que le méchant concierge l'a jeté.
Alors
Poubelle a rejoint la Confrérie des Chats Hurlants. Pas besoin de
changer de quartier et de fournisseur. Qui aurait pu soupçonner que
ce beau matou tout propre vivait seul, abandonné, en rêvant de son
canapé ? La
mère Poulard, peut-être. Mais
ce soir, Poubelle se sent bien seul dans le froid mouillé. Les
vitrines brillent. Les maisons habillées de couleurs se remplissent
de bruits joyeux. C'est
le soir du réveillon. C'est
le deuxième réveillon que Poubelle passe dehors. Il est triste. Sa
maîtresse lui manque, les bons petits plats aussi. Une
boule de poils le heurte en miaulant. -
Carcasse ! Une
chatte efflanquée court derrière la boule. Elle s'arrête net en
voyant Poubelle. -
Qui es-tu ? Je ne te connais pas ? La
chatte souffle. ? Pscht, pscht?
Poubelle
répond par une chanson :
Brr,
brr, crotte de rat ! Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ! Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
Surprise,
la chatte cesse de souffler. Le chaton curieux dresse ses oreilles
pour apprendre la chanson.
Brr,
brr, crotte de rat ! Pscht,
pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ! Rrrr,
Rrrr, gla, gla, gla.
La
glace est brisée, et La Grise conte son histoire. La même que celle
de Poubelle, ou presque. Elle était cachée dans le hangar à
bateaux depuis quelques mois, avec ses petits. Il
ne lui reste que Carcasse. Les autres ont disparu,
mystérieusement. La
faim et les odeurs du réveillon l'ont fait sortir de son abri, mais
Carcasse ne tient pas en place.
Brr,
Brr, caca de rat ! Chante
Carcasse en sautillant.
Un
bruit de porte. Une dame sort une poubelle. Vite, les trois félins
se précipitent. Les petites pattes de Carcasse s'activent à
déchirer le plastique. -
Le petit se débrouille bien ! Admire Poubelle qui trie dans le sac
éventré. Déception?
Le sac sent bon, mais il ne contient que du plastique et des briques
de carton. Carcasse lèche un sachet de sauce. Rien d'autre que des
plats préparés, pas de bonnes choses. Tristement,
les chats errent de maison en maison. Pas de gras doré, pas de
crevettes odorantes, pas d'os à rogner.
Maman
? Qui a volé le réveillon ? Questionne le chaton.
La
Grise ne sait pas quoi dire, elle ne comprend pas. D'autres
maisons, des chants, mais pas de réveillon.
D'un
bond, Poubelle est sur une fenêtre. Il en aura le cœur net ! Les
gens causent fort. Ils boivent ce vin qui a la couleur du miel, ce
vin qui les rend fous. Sur la table, des gâteaux secs, du saucisson
et des olives. En cuisine, une femme s'affaire. Elle ouvre quelques
huitres. Maigre
pitance pour des matous, mais ce sera toujours ça de pris. En fin de
soirée ils pourront revenir lécher les coquilles. Pas de bonnes
odeurs. Mais que vont-ils manger ces gens ? Poubelle voit bien le
petit rôti de porc sur la gazinière, mais il y en a juste pour
trois chats de bonne taille, pas pour des gens ?
Il est une
légende perdue dans les rus du ciel, entre rires et larmes, sur la
terre de Guérande – celle de l’étang de Sandun, ou plutôt,
celle de l’amoureuse de Sandun.
Son prénom
s’est égaré dans les gerçures des temps anciens, mais il n’est
pas besoin de définir ce qui est. Venez à Sandun, son empreinte s’y
dessine, vous la reconnaîtrez, lors que vous me lisez. La révolution
gronde et si les chouans, à plus de six mille mirent à mal la
nouvelle République, la noblesse connut ses heures de déchante et
de larmes.
Les
chouans de Vendée sillonnaient la contrée en ces temps troublés
d’affrontements. La Bretagne était belle et l’or coulait dans
les pichets, à peine troublé. Les hommes fiers frappaient d’estoc
et les femmes pleuraient. La demoiselle de Sandun était de
celles-là, qui craignaient chaque jour le fracas des sans-culottes
aux hauts de chausse des servants du roi.
Son
amoureux, bien né, était de ceux-là. Il ne dédaignait pas se
frotter aux corvées, remonter les cordées et botteler le foin et se
frottait souvent aux gueux des galetas – nés comme lui sur la
terre fertile, aux falaises rouges, parfois.
Ses amis
d’autre endroit l’avisaient, bons enfants, des menaces tricolores
en pays penestois. Il
s’éclipsait alors en terres fortifiées sur le roc haut perché
d’ar
Roc'h-Bernez,
fief encore sûr au roi. La fougue impétueuse du jeune homme se
lassait vite du goulet majestueux de l’estuaire et du calme de la
Vilaine. Il s’élançait alors, d’un galop, droit devant vers sa
belle, sans souci, ignorant du ricanement des armes et du lys, le
sang.
Il
s’en fût, des batailles auxquelles il échappa, et son impatience
lui valut la vie sauve, à l’assaut d’ar
Roc'h où cordes et cris
résonnent encore aux joints des pierres lavées.
Sa chance était telle que sa
réputation dépassa la région, de Nantes à Quimper, de Brest à
Saint-Brieuc, et suivant la Vilaine de l’Oust au Meu, de la Seiche
au Don, du Semnon à l’Isac – courant en pays chouan telle une
traînée de poudre à canon.
Sa
belle en fut bien chagrine, craignant plus chaque instant à mesure
que sa renommée grandissait, frémissant plus, chaque nuit, aux
bottes des chouans qu’il recevait. Ses amis, pour les foins, se
passèrent de lui. Ils en prirent quelque ombrage et, chafouins,
omirent de l’aller quérir lorsqu’en grandes manœuvres la
République se mit.
Il
ne s’en soucia point et alla de sa mie, à l’envi, vanter tous
les délices aux chouans ébahis. La cour de la demoiselle s’en vit
agrandie, à l’effroi qu’en toute raison elle avait. Les
batailleurs aguerris retrouvaient quelque lustre aux pieds d’une
dame qu’ils savaient illustre.
Las !
Les gueux, aventureux et autres besogneux en firent babillage et l’on
sut partout qu’en pays de Guérande, les suppôts du roi faisaient
affront au bon peuple et à sa révolution.
Dès
lors, la machinerie huila ses rouages et s’ourdit le complot.
Un soir
d’été limpide où crissaient les grillons — à l’heure où
rougit le ciel et lors qu’en sa demeure la belle donnait fête, sa
maisonnée, assaillie, fut réduite au silence. Les genêts s’en
trouvèrent écarlates de honte et périrent en un instant. Les
hortensias, livides, en perdirent la tête et les bruyères seules,
en leur modeste parure se tinrent pour témoins de sinistre
devanture. L’assaut fut donné de toutes les fenêtres et les
chouans, si vaillants, pourfendant les manants s’écroulèrent sous
le nombre, rendant sang aux tapis et tripes au couchant. Les oiseaux
s’enfuirent vers le large, laissant place à ceux de proie. Une
mare sur le chemin accueillit avocettes élégantes, aigrettes et
pluviers, laissant aux mouettes les embruns des rochers. Le ciel
nappé de nuages tira le voile sur la demeure, mais le cri de la
demoiselle s’étira jusqu’à l’estuaire, s’effilocha par les
criques et les anses aux heurtées de granit, par les falaises
rouges, en crescendo de honte et de douleur à l’odieux arc-boutage
des gueux blanc-bleu. Le rouge fut sa couleur, maculant sa blancheur.
De tous les outrages qu’elle subit, elle ne dit pas un mot et s’en
fut dans la nuit en tout abandon, délaissée, déflorée et grosse
jusqu’au cœur du fruit de leur labeur.
Jamais
elle ne dira, au croisé de leurs yeux qu’elle en a reconnus, des
natifs de ces lieux. Leur fureur lubrique nourrie de bolées d’or
n’a pas eu chagrin pour celle qui, naguère, leur servait à boire
aux assemblées, au bras de cet ami, par la grâce de la guerre,
ennemi devenu. Elle a lavé sa honte à l’océan rageur, ouverte au
ressac qui l’a rejetée sur la grève, inondée de pleurs. Elle l’a
cherché, lui, son cœur empli de craintes pour l’aimé en péril,
car c’est lui qu’ils cherchaient, Lui, pour le tuer.
Elle a
couru sans fin, de Guérande à Pénestin, taillant dans les fougères
odorantes à travers bois et champs. Elle a laissé sa trace sur le
sable humide des plages, déchiré ses pieds nus aux rochers, sous la
lune étonnée de cette ombre blanche aux bras qui tournoyaient.
Ivre de
folie et de chagrin, elle marchait de nuit au matin, sans larmes, et
les gueux s’écartaient devant cette folle sacrée que rien
n’arrêtait. Car la honte qui tenaille les tenants de la trahison
leur rongeait les entrailles et nul ne se prit d’en finir une bonne
fois.
Elle a
suivi sa trace, celle de Lui, son amoureux en fuite qui par les bois
sans fin la cherchait, Elle, son âme aimée qu’il n’avait su
protéger. Il avait su les cris. Il avait vu le lit, les cadavres
éventrés, les têtes découronnées. Chaque corps il a soulevé,
autant de coups de pistolet, craignant de l’y trouver. C’est une
fillette qui lui a conté avoir vu sa dame, en chemise se fondre dans
la nuit sans fond. Pris d’un espoir insensé, il s’est résolu à
la trouver et, du matin à la nuit, bravant les gueux et les
estourbis il a suivi les sentes, les ruelles et les rochers,
haranguant marées, crabes et mouettes, les sommant de lui montrer la
route vers le cœur de sa bienaimée.
De
Pénestin à Guérande, il a marché sans fin, les yeux noirs de
supplice, le ventre serré de colère, sous la cime des pins. Dans le
creux des fougères parfois, il a cru la trouver, reconnaître sa
couche, humer son parfum, mais en vain. À la nuit, épuisé, il
tombait en pleurs sous le couvert des forêts, gravant, éperdu, ses
affres aux troncs puissants des géants chenus.
C’est
ainsi qu’un soir, il a chu, s’abreuvant à la mare de Sandun
après une longue marche qui le laissait fourbu.
Las !
Dans son harassement, il n’avait pas vu le pas des chevaux dans la
vase, l’empreinte des bottes imprimée en outrage sur les herbes
couchées, brisées, piétinées. La lueur des sabres sous la lune,
reflétée sur l’eau sage, lui ouvrit les yeux, mais bien tard.
Quatre gueux mal fagotés dans des uniformes si bleus lui firent fête
à coups de lame et de mousquets qu’il contra tant et si bien que
trois, il trancha ! Le quatrième, bon couard, se prit à bramer
si fort que le val en trembla et s’empressa de pousser loin la
vocifération qui sentait fort la pisse et l’effroi.
Las !
Une escouade proche s’y rua et sans plus réfléchir, pourfendit le
capon, le chie-en culotte, dépouillé dans l’affaire de l’uniforme
si bleu qui ne lui seyait guère. L’alangui se crut un instant
sauvé, mais la clameur qui résonnait encore vint tout droit aux
conscrits. Forts de son entendement et de la duperie, ils en furent
bien aigris et entrèrent en furie.
Loin, trop
loin, Elle, avait compris. Qui d’autre que son aimé aurait pu
susciter tant d’épouvantement en son pays ? Il était donc
ici, à Sandun où elle passait pour la neuvième fois, Sandun, où
il avait, près de la mare aux vœux, scellé leur amour d’un
baiser sur les yeux.
Elle court
à perdre haleine, prise d’un effarement immense. Le fracas de la
troupe la pousse vers le guêpier, vers Lui, qu’enfin ! elle
va retrouver.
Le galop
des haridelles fuyant sur l’eau la fait défaillir. Elle surgit,
silhouette blanche en lambeaux sur le champ de bataille et le voit,
étendu, les yeux vers le ciel, moucheté par la mitraille. Elle
crie, il tressaille. Couchée sur son côté, de sa bouche elle
reçoit son premier baiser, terre bleuie de fer en épousailles. Ses
yeux tournent au vitrail – elle le serre, le réchauffe, le couvre
de ses cheveux en oriflamme, ferme de ses doigts les plaies et
fredonne à son oreille une comptine tendre. Il chuchote sa flamme en
répons, il s’étiole, et d’un dernier baiser reçoit pour le
passage le souffle de ses lèvres en ultime message.
De son
corps nu elle a couvert le sien, les yeux rivés au ciel, y cherchant
son étoile. De sa robe blanche en marée étale elle a paré sa
couche en linceul à son âme. Elle s’est évadée, perdue dans les
nuages, le lait de ses seins en fleuve intarissable. Le lait de son
ventre meurtri a submergé les prés et noyé les vilains. Le lait de
sa vie a enfanté la vallée de cette eau limpide qui plaît aux
oiseaux. Aigrettes et avocettes s’en firent gorges chaudes et de ce
jour, naquit une blanche oiselle, la Tippistrelle picoreuse qui
parcourt les rives sur ses fines pattes rouges dans une quête sans
fin, celle de Lui, celui qui jamais ne reviendra.
Car le
fruit de cette eau est celui de la forfaiture des traîne-misère,
des assassins, des faucheux et si la mare originelle s’étend
désormais jusque vers la Brière en chevelure dense aux reflets de
ciel bleu, hébergeant hérons et busards au même gîte que la
gracieuse Tippistrelle, ce n’est pas qu’Elle a pardonné, non.
Elle veille sur la rive, le corps offert en roc, glorieuse en
manifeste pour nous dire qu’en ce pays comme ailleurs, la femme est
et restera.
Ses seins
se sont creusés pour avoir trop pleuré mais ils gardent de cette
eau pour les plus assoiffés. Son ventre arrondi s’offre au siège
des promeneurs pour une rêverie dont je sors après vous y avoir
promenés.
Les
blanches Tippistrelles suivent les sentes sur les pas des amoureux,
du couvert des fougères aux cosses des genêts, rappelant leurs
origines aux hommes de ce temps, fruits de guerres fratricides et
d’amours meurtris, et les hampes roses des herbes folles qui
frissonnent de nos émois déclinent au vent les strophes d’une
rengaine que l’on entend, parfois, quand se tend l'étole du
couchant.
CLIQUER SUR LA VIDÉO SONORE
De
Guérande à Pénestin
Je
t’ai cherché en vain,
Mon
tendre, mon aimé, digue dondaine
Tu
gisais à Sandun.digue don don.
Le
cidre coulait à flots
Aux
mâles râles, sanglots
Des
lames, aux sangs mêlés, digue dondaine
Au
baiser de la faux, digue don don.
Le
cidre coulait à cris
Je
te cherchais en vain,
De
Guérande à Sandun, digue dondaine,
Tu
gisais, mon chagrin, digue don dé.
Mes
cheveux sur tes yeux bleus
L’horizon
dans les miens
J’ai
vu mon ventre rond, digue dondaine,
Et
les pleurs de mes seins, digue don don
Et
la terre de mes larmes
A
uni nos destins
Mon
tendre, mon aimé, digue dondaine,
Une
Tippistrelle est née, digue don dé. Bis
Ève
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