L'autre jour, je lui demande d'aller faire des photocopies et le voilà qui revient tout penaud en me disant qu'il ne peut pas parce que le temps est à l'orage. Je le regarde, éberlué, et je décide donc d'y aller moi-même. Vous ne devinerez jamais ! L'appareil avait seulement besoin de toner.
Toner, tonnerre ? Non mais, franchement ! Peut-on être aussi bête ?
Quand on y pense, je suppose que ses parents, cette nuit-là, ont du le fabriquer au pied levé. Vite fait bien fait. Reste à espérer qu'ils ont, au moins, pris leur pied. Son enfance n'a sûrement pas été facile. Les enfants ne sont pas les derniers à mettre le pied à l'étrier dès qu'il s'agit d'être cruel envers un demeuré.
Quant à son adolescence, je n'ose pas l'imaginer. Mais il raconte lui-même que, plus d'une fois, il s'est retrouvé à faire le pied de grue pour les beaux yeux d'une dulcinée. Enfin, il a tout de même trouvé chaussure à son pied. Ce sont ses parents qui ont dû être soulagés. Son épouse leur a enlevé une sacrée épine du pied. En tous cas, la voilà pieds et poings liés maintenant. S'est elle bien rendu compte du personnage qu'elle épousait ?
Parce qu'il faut vous dire en plus que Simon se lève souvent du pied gauche. Les jours de mauvaise humeur, rien ne l'arrête. Pour pouvoir déverser sa bile, il se mêle de tout et surtout des conversations qui ne le regardent pas. Il ne peut pas s'empêcher de mettre les pieds dans le plat. On est obligé de discuter pied à pied parce qu'il ne lâche jamais le morceau. La seule solution pour stopper ces interminables discussions, c'est de le prendre à contre-pied. Ça le déstabilise. Ça lui coupe l'herbe sous le pied.
Mais un jour, le patron descendra au mauvais moment et Simon risquera la mise à pied. Ce serait quand même dommage parce que, dans ses bons jours, il est le roi du classement. Ces jours-là, il a bon pied bon oeil. Bien sûr, il ne faut pas lui en demander beaucoup plus. Mais, je l'ai vu à pied d'oeuvre, le travail est parfaitement effectué. En fait, s'il n'y avait pas cette immense bêtise, il ne serait pas un trop mauvais collègue.
Enfin ? Voulez vous que je vous raconte sa dernière ânerie ? Simon croit avoir le pied marin. On ne sait pas d'où peut bien lui venir une telle idée. Sa famille est enracinée depuis des générations aux pieds du Jura. Le voilà parti en Bretagne durant ses dernières vacances. Le trajet a été rondement mené, il a aussi le pied un peu lourd sur l'accélérateur. Arrivé sur place, il loue un petit bateau. Un dix-huit pieds, environ cinq mètres quarante. Il ne fait ni une ni deux, il entre de plain-pied sur l'esquif. Evidemment, l'embarcation se retourne, Simon tombe à l'eau non sans avoir heurté le ponton avec la tête. Sa femme, restée sur la jetée car elle a un peu plus les pieds sur terre, se précipite. Elle hurle et ameute tous les estivants croyant que son mari a déjà un pied dans la tombe. Mais il sort dégoulinant et sans une égratignure.
Vous savez ce que je crois, moi ? Cet homme est un pied nickelé, un filou. Il laisse croire qu'il est bête comme ses pieds mais il se sort de toutes les situations avec un pied de nez !
Il était une fois une princesse nommée Gara amoureuse d’un prince qu’on appelait Jonay. Ils vivaient éloignés l’un de l’autre car chacun habitait une île différente au large des côtes marocaines. Et cette séparation les chagrinait fort. Un jour, le fils du roi fabriqua un radeau de fortune fait de peaux de chèvres pour aller retrouver sa belle. Il vogua ainsi sur une dizaine de lieues et rejoignit sa dulcinée, la belle Gara. Mais leurs parents respectifs n’approuvaient pas cette union. Et, prenant pour un mauvais présage les fumerolles du volcan, ils condamnèrent et pourchassèrent les malheureux amants. Gara et Jonay s’enfuirent au plus vite et trouvèrent refuge sur la plus haute montagne de l’île. Pourtant leurs poursuivants les y retrouvèrent bientôt. Se voyant alors acculés au bord du ravin, ils taillèrent aux deux bouts une fine branche de laurier. Ensuite, ils pointèrent cette lance, ensemble, sur chacun des leurs deux cœurs. Puis, ils s’enlacèrent en une dernière étreinte ; la lance les transperça et les unit à jamais.
Ainsi naquit la légende de Garajonay et ainsi fut nommé ce lieu, fusion de leurs deux âmes.
Sur cet archipel au nom d’oiseau, leur amour éternel perdure dans la douceur du climat. Et en ce paradis naturel, où règne sereinement le végétal, domine une ancestrale forêt de laurier. Tout ici apaise les âmes tourmentées dans une profusion de verts d’une infinie déclinaison. La nature luxuriante offre, encore et sans compter, les richesses d’un passé ailleurs révolu. La laurisilva vit, depuis la nuit des temps, dans chaque branche tortueuse, dans chaque brin de mousse charnue et dans chaque feuille vibrante de chlorophylle. La végétation baigne dans une chaleur tempérée d’humidité au gré du climat subtropical. Goutte à goutte, la vie essentielle se répand sur l’exubérance verte. Chaque perle d’eau cristalline reflète alors en milliers d’éclats la splendeur solaire et en diffuse la lumière nourricière.
Au cœur de cet Eden primaire, bruit la musique originelle du Monde. Le tendre chant des oiseaux répond en écho aux murmures du vent. Les mélodies roucoulent une impérissable chanson d’amour en vocalises séraphiques. Les notes joyeuses ou passionnées se posent délicatement sur les portées de pluie. Et la douceur de l’air plane sur les ailes d’un malicieux zéphyr caressant la végétation. Au moindre frémissement, le cœur de la forêt palpite à l’unisson.
Dans l’air transcendé, flottent les enivrants parfums d’une profusion de fleurs parées de mille couleurs. Les odeurs fortes d’humus se font entêtantes et imprègnent les lieux d’une note plus puissante. Le bois et la mousse se conjuguent intimement et se distillent en fragrances sylvestres et envoutantes. Ici, tout rappelle la suprématie généreuse et bienveillante de la Nature jusque dans la plus fine particule odorante.
En ce jardin primordial, survivance de l’ère tertiaire, nul ne serait surpris de découvrir l’Arbre de Vie évoqué dans la Genèse. Nul ne serait étonné, non plus, de croiser, au détour d’un sentier, un joyeux lutin assis sur une souche d’arbre. Et, si par hasard, les volutes d’un voile diaphane apparaissaient derrière un tronc, nul ne douterait d’avoir aperçu la danse gracieuse d’une fée. Sous la canopée, le majestueux élan des arbres engendre et préserve un monde enchanteur de sérénité. Le spirituel le dispute alors au magique lorsqu’une mer de nuages ouatée enveloppe subrepticement toute chose.
Dans une merveilleuse alchimie, elfes et ondines s’enlacent et se mêlent sur une chorégraphie d’Hélios. Subtil mélange et complétude de Dame Nature, l’eau hyaline se transforme en vapeur et en énigmatiques exhalaisons. À Garajonay, la Terre et le Ciel se donnent alors l’un à l’autre sur une couche de brume éthérée. Etroitement liés et indissociables, ils réinventent, à chaque fois, l’harmonie parfaite et recréent l’éternel instant de tous les possibles.
Il était une fois un prince et une princesse unis à jamais