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mardi 27 janvier 2015

ALIZA CLAUDE LAHAV - LE RETOUR










Le retour





C'est au mois d'août 2003 que je suis retournée sur les traces de mon enfance. J'ai marché dans cette cité, celle des trois bornes, Paris onzième, qui a changé et qui est restée la même. J'ai marché, tête baissée, cherchant vainement les pavés anciens où j'ai sauté à cloche-pied des centaines de fois, enfouis dans ma mémoire et sous le nouvel asphalte. Tout au fond de la cité, le dernier immeuble à gauche, le numéro 11, n'a pas changé; il est toujours là, intact. Ma maison, mon passé, mes racines chancelantes perdues dans le temps.

J'ai quitté cette cité il y a soixante ans. Le petit matin sombre de notre départ est encore ancré dans mon souvenir. Ce n'est pas un départ mais une fuite, la tête rentrée dans les épaules, les yeux baissés, je ne vois que des bottes de cuir et quelques paires de souliers noirs qui montent vers nous, ma mère et moi. Je tremble de peur sans savoir exactement pourquoi, je serre très fort la main de ma maman. Je suis une naufragée, une rescapée de la rafle de juillet 1942. Inscrits dans mon corps de petite fille, les tremblements sont toujours là, à fleur de peau, dans une mémoire qui est hors de la logique.

Depuis l'année 1942, je suis revenue en ces lieux trois ou quatre fois, mais c'est la première fois que je m'y retrouve entourée de mes fils, leurs femmes et enfants; ma descendance, mes nouvelles racines. Ils sont là, curieux et silencieux, intéressés par tout ce qu'ils voient, par tout ce qu'ils pressentent. 

La cité des trois bornes n'est pas un endroit de passage, elle n'a qu'une issue qui donne sur la rue du même nom; située entre l'avenue Parmentier et l'avenue de la République, c'est un cul-de-sac. Tout est calme, pas de circulation, très peu de passants en ce début d'après-midi, qui observent notre petite troupe avec curiosité.

Je m'adosse au mur en face du numéro 11, à l'endroit même où j'ai joué à la marelle tant de fois. Je lève la tête, montre du doigt, au quatrième étage, les deux dernières fenêtres sur la droite : la chambre à coucher de mes parents et l'atelier de mon père. Mes enfants sont près de moi, je vais d'un regard à l'autre, je détecte le trouble, les questions qui, sans doute, sont là depuis toujours, cachées au fond de leurs prunelles. Tout à coup cela devient très facile de parler, de leur conter une partie de leurs antécédents, puisqu'ils sont venus " après " et qu'ils ont appris, comme tous les enfants en Israël, la Shoah à l'école. 

Je leur chantais, lorsqu'ils étaient petits, et plus tard à leurs enfants, les comptines que me fredonnait ma mère. Je disais l'odeur du tabac, mêlée à celle de la savonnette, aussi présente que les bras de mon père autour de moi. Je plaisantais à propos des moqueries de mes sœurs aînées. Je décrivais les repas de famille, les fous rires, les câlins, les petits secrets chuchotés au-dessus de ma tête, puisque j'étais la plus jeune, leur petite Claudine, Didine. Je disais aussi les difficultés de la vie mais jamais ceux de la guerre.

Leur père, mon mari-ami, faisait de même, lui qui, dans un pays encore plus dément que le mien, avait traversé une guerre si pénible... nous pensions les préserver, ces enfants réparateurs. Et surtout, nous étions occupés à vivre, projetés dans le futur, animés par un désir de reconstruction, essayant d'occulter l'impensable.

Devant cette maison, où je n'ai plus jamais habité depuis l'âge de neuf ans, je trouve des mots simples pour dire les petites choses de la vie, qui sont parfois essentielles, mais aussi les départs, les séparations, les angoisses, les attentes, les pleurs, les faux noms, les caches. La clandestinité précoce. Et le désarroi d'une petite fille qui ne comprend pas pourquoi être juif est si mal et pourquoi il faut s'en cacher.

11 Cité des trois bornes. Devant cette maison, dans la cour de cet immeuble, je me sens à l'aise, presque heureuse, réconciliée avec ces murs, satisfaite de mon cheminement. Mes enfants, près de moi, sont ma vengeance contre le racisme de tout ordre et de toute forme. Ils sont ma réparation, un baume sur mes déchirures, blessures cicatrisées mais encore douloureuses les jours d'orage. 

J'écris ces dernières lignes… à la radio un speaker à la voix chevrotante, annonce les noms des dix-neuf morts de l'attentat qui a eu lieu hier à Haïfa.

Dix-neuf noms avec les âges, cela fait une longue liste… 

Ça ne finira donc jamais ? Nous sommes le 5 octobre 2003, il est 11h40, dehors il fait un temps splendide, le soleil brille, haut dans le ciel. Quel jour d'orage !

©Aliza Claude Lahav

Octobre 2003

Texte à retrouver sur le site d'Aliza




Un texte sincère, profond et très émouvant, qu'aujourd'hui 27 janvier 2015 - 70 ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, ma très chère amie Aliza offre généreusement à ma voix. Merci d'être mon amie.

Le dernier paragraphe sonne bien cruellement en ce début d'année meurtrier. 




samedi 18 octobre 2014

ALIZA CLAUDE LAHAV



Aliza, laissez vous imprégner de ses "climats" et de la proximité de ses personnages











Chère amie lointaine
et pourtant si proche




Je m’appelle Aliza Claude Lahav, je suis psychomotricienne et thérapeute familiale retraitée depuis de longues années. Née à Paris en 1933, je vis en Israël depuis décembre 1948… toute une page d’histoire. Comme je ne suis pas encore une pièce archéologique, du moins pas tout à fait, j’aime beaucoup le théâtre, le cinéma, la lecture, l’écriture, l’informatique. J’ai un site créé comme de la broderie, à petits points et de mes propres mains ; je vous invite à le visiter « Mon cahier de brouillons » moncahier.net


J’ai commencé à écrire en 1997, après avoir pris ma retraite, parce que j’avais envie d’exprimer toutes les émotions accumulées durant ma vie. Ce n’est qu’en dévoilant des petites parcelles d’âme que l’on va à la rencontre d’autrui, il n’y a pas d’autre chemin, il n’y a pas d’autre moyen. C'est celui que j'ai choisi.


L’écriture me donne une grande satisfaction, j’aime raconter des histoires imaginaires et trouver les mots justes pour le faire. J’ai fait plusieurs ateliers d’écriture en hébreu mais finalement j’écris en français ; il faut croire que l’on ne peut pas effacer ses origines.


Je suis veuve, j’ai trois fils, trois belles-filles, sept petits-enfants… tous des amours.


Mes textes ont été édités :


Douze nouvelles chez Edilivre sous le titre « Les pantoufles ». 


Deux longues nouvelles sous le titre « Zones de turbulence » chez Elenya éditions. Quelques unes de mes nouvelles sont parues dans les « Recueils du cœur ».


J’ai également participé au recueil de nouvelles « Dentelles » édité chez Racine et Icare avec un texte qui a pour titre « Déchirure de Dentelle ».


Je vous souhaite une bonne écoute et une bonne lecture chez Tippi. 





RETROUVEZ LES TEXTES DE L’AUTEUR
 « ÉCRITS & MIS EN VOIX »  
CLASSÉS DANS L'ÉCHOTHÉQUE
AU FUR ET À MESURE DE LEUR PUBLICATION SUR CE BLOG



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vendredi 6 juin 2014

ALIZA CLAUDE LAHAV - LES PANTOUFLES - 6 JUIN 2014








06 JUIN 2014

LES PANTOUFLES


Toutes mes pensées en ce jour vers ma très chère amie Aliza et tous ceux qui comme elle et moi, prônent un langage et des actes en faveur de la paix dans le monde.

Aujourd'hui, permettez-moi de vous conter la nouvelle "Les pantoufles" d'Aliza, extraite du recueil du même nom de douze nouvelles, paru aux éditions Edilivre.


Le 6 juin 1944

la petite fille des pantoufles

avait exactement 

11 ans









En 1939 elle allait entrer à la grande école et en était très fière. Ses grandes sœurs la taquinaient en disant qu'elle n'était encore qu'un bébé, que la grande école n'était pas vraiment importante, qu'elle était trop petite pour comprendre... Mais elle, petite fille menue au visage anguleux, les lèvres tremblantes et le menton pointant en avant comme pour retenir une envie
de pleurer, les yeux grand ouverts avec un fond de bouderie, elle était froissée mais fière
malgré tout.


   Puis il y eut l'exode, le départ en catastrophe, la famille séparée et disséminée dans différentes campagnes. Papa était resté à Paris pour garder l'atelier, pour continuer à travailler, pour sauvegarder le peu de biens qu'il avait. Et toute cette agitation, tout ce monde sur les routes, tout ce bruit... elle ne comprenait pas, la petite fille, ce qui se passait autour d'elle.

   De retour à Paris il y eut enfin la grande école, l'émotion, l'angoisse du premier jour de classe. La petite fille ne comprit pas pourquoi la maîtresse d'école avait l'air si sévère en prononçant son nom, le dernier de la liste d'appel. Évidemment avec un nom truffé de Z et de K
la dame avait du s'y reprendre à deux fois. "Encore un nom à coucher dehors avec un billet de logement" avait-elle marmonné. Et la petite avait ressenti la méchanceté avant de connaître les miracles de l'alphabet. Mais elle était confiante la petite fille, car elle savait comment
obtenir l'approbation de la maîtresse d'école. En effet son papa lui avait promis une belle étoile jaune avec des lettres noires à l'intérieur pour mettre sur le revers de son petit manteau. C'est d'ailleurs papa qui lui avait cousu ce joli vêtement et pour l'étoile il avait dit: "je vais la doubler d'une toile de tailleur pour qu'elle se tienne bien; elle sera belle et tu en seras fière,tu verras".
Si la maîtresse fut impressionnée elle ne le montra pas.

   Un matin, à l'aube, la petite fille fut réveillée par des bruits de voix, des pleurs, des chuchotements; pas tellement effrayée mais surtout curieuse, sa poupée dans les bras et son pouce dans la bouche, elle fit son entrée dans la salle à manger. Papa était là entre deux hommes, les bras ballants. Il était vêtu comme pour sortir, avec son pardessus et son béret, dans son regard une impuissance ahurie et une tristesse immense. Maman pleurait doucement. Tout se passa très vite, les embrassades, les larmes, les dernières recommandations… et papa n'était plus là. Sa mère et ses sœurs étaient atterrées, il y avait comme une odeur de
catastrophe dans la maison. Les grandes se lançaient des regards entendus ; elles discutaient à mi-voix et ébauchaient des plans compliqués, excluant la petite qui ne pouvait pas comprendre. La petite fille, elle, réfléchissait gravement et se posait une question à laquelle elle n'a jamais trouvé de réponse. Son père était habillé lorsqu'il était parti, elle l'avait vu avec son manteau et son béret, mais pourquoi dans ce cas n'avait il pas mis ses chaussures? Pourquoi?

   Durant les années de guerre la petite fille fut séparée de sa mère et de ses sœurs. Elle fut cachée dans une famille chrétienne qui n'avait pas été touchée par la démence de l'antisémitisme ; elle y fut accueillie avec bonté et commisération. Malgré cela elle se sentait
bien seule, pratiquement sans nouvelles des siens, égarée dans un monde hostile. Ses points de repère s'estompaient au fur et à mesure qu'elle devait changer de nom, trois ou quatre fois pour sa sécurité. Mais la petite s'agrippait à chaque parcelle de souvenir et tous les soirs avant de s'endormir elle se forçait à penser à chacun des membres de sa vraie famille. Elle fermait les yeux et les voyait les uns après les autres, enfouie sous sa couverture, elle les appelait tout doucement, elle savait bien pourtant qu'ils ne viendraient pas.

   Ce fut la fin de la guerre avec l'euphorie de la libération. La petite fille qui était devenue fillette retrouva ce qui restait de sa famille. Elle reprit son nom avec des Z et des K, et réintégra sa vie un moment abandonnée sur une voie de garage. Elle chemina lentement et longuement, cherchant sa route dans un monde difficile à comprendre. Bien après, très tard dans sa vie de femme, elle se demandait toujours pourquoi son père qui était si soucieux de faire les choses comme il se doit, pourquoi s’en était-il allé vers sa mort en pantoufles.

    Elle ne comprit jamais.




Tous droits réservés
Le recueil
à vous procurer aux éditions Edilivre

Racine Et Icare vous en parle ici 

Et le coeur d'Aliza sur son site mon cahier de brouillon 
récemment remis à jour

dimanche 25 mai 2014

ALIZA CLAUDE LAHAV - L'ARBRE DE PANDORE












L'arbre de Pandore


Vous traversez la place de l'église, la grande place, celle où se trouve la fontaine et où se déroule le marché trois fois par semaine. Suivez la rue étroite qui monte un peu, si vous êtes en vélo vous aurez du mal parce que ça grimpe pas mal. Puis prenez sur votre droite, longez les maisons jusqu'à la sortie du village et continuez tout droit sur le chemin de terre qui traverse les vignes. A peu près un kilomètre plus loin, après un tournant, vous le découvrirez, majestueux par sa haute taille et la largeur de son tronc, planté là depuis des dizaines et des dizaines d'années, au milieu d'une verte prairie. C'est le chêne le plus ancien de la région, nul ne pourrait dire quand et qui l'a planté, il est là depuis la nuit des temps et tous les villageois le connaissent bien. Qui ne s'est pas reposé sous son ombrage par les grosses chaleurs d'été ? Qui n'a pas trinqué et mangé un bon casse-croûte, le dos calé à son tronc, durant les vendanges ? Qui ne s'est abrité sous son feuillage touffu lors d'une averse subite ? Qui n'a pas un peu folâtré auprès de lui, par une belle nuit de pleine lune ? Tant de noms, de cœurs transpercés de flèches, de mots coquins, sont gravés sur son écorce que l'on pourrait en faire un livre d'or.



Durant toutes ces années il a été témoin de tous les événements, grands et petits, qui se sont passés au village. C'est qu'il en a vu et entendu de toutes sortes ! Des pique-niques bruyants, des chuchotements doux, des bisous charmants, des transactions douteuses, des querelles d'amoureux, des disputes de couples, des divergences de voisins, des rires d'enfants, et même monsieur le curé qui venait chaque dimanche à l'aube répéter son sermon. Il a vu des liens se faire et se défaire, des visages heureux et d'autres miséreux, des disputes et des réconciliations, des amours et des haines. Il est le réceptacle des confidences des environs. Je devrais dire " il était ", on ne s'y habitue pas, mais c'est au passé qu'il faut parler de lui maintenant.



Le malheur arriva une nuit d'orage, une nuit que les habitants du village n'étaient pas prêts d'oublier, et pour cause, rien ne serait plus pareil après cette nuit houleuse. L'incident s'est produit depuis bien des années, mais pour les villageois il reste une référence dans le temps :
Ceci était "avant" ou "après" l'orage, disaient-ils d'un air entendu, certains d'un air rigolard et d'autres en baissant les yeux. 



La journée avait été exceptionnellement chaude, une chaleur lourde et sèche, des températures jamais atteintes dans cette région montagneuse. Les anciens ne se souvenaient pas d'une telle canicule depuis cinquante ans et plus. Les fermiers avaient dû cesser le travail des champs en début d'après midi tant l'atmosphère était lourde et l'air irrespirable. A la tombée du jour le ciel assombri était sillonné d'éclairs et des nuages de plomb commençaient à s'amasser au loin. On avait rentré les bêtes, seuls les chiens hurlaient la gueule pointée vers l'horizon; les chats, eux, le dos arrondi, se cachaient dans les recoins les plus obscurs. Les vieux avaient abandonné le pas de leur porte et même les enfants avaient cessé de chahuter…


C'est alors que la colère du ciel s'abattit sur la terre. La colère ? Que dis-je ? La rage… une vraie crise de folie furieuse. Tous les éléments étaient de la partie, des bourrasques de vent, des tornades de pluie, des éclairs fulgurants, des coups de tonnerre abasourdissants, tous absolument déchaînés.


Au petit matin le calme était revenu, un calme humide et froid, une aube sinistre ! Ce n'est que vers le milieu du jour que la nouvelle se répandit dans le village. Un fermier qui était monté sur ses terres, avait découvert le grand chêne abattu sur le sol, fendu sur toute sa longueur par la foudre. Le géant, le majestueux, le robuste, était là, allongé inanimé, tranché des racines au faîte, ses branches brisées, ses feuilles éparpillées sur la terre détrempée, ses glands dispersés jusqu'à plusieurs mètres de son épave. 



De son écorce malmenée, de sa chair écorchée, s'échappèrent à la débandade tous les secrets, petits et grands, que le colosse avait absorbé durant tant d'années. Quelques générations de secrets, emprisonnés jusque là dans les fibres vitales de l'arbre, se virent libérés en cette nuit d'orage par un seul coup de tonnerre. Désemparés par cette délivrance soudaine, les secrets s'envolèrent, invisibles mais bruyants, vers les maisons du village. Mais voilà, comment savoir où aller ? Comment connaître la destination de chacun, l'adresse appropriée ? Ils errèrent donc un peu au hasard dans les ruelles, sur la place du marché, sur le parvis de l'église, en jouissant de cette liberté nouvelle. Puis doucement, insidieusement, ils s'infiltrèrent dans les maisons au gré de l'instant, sans se soucier de la discrétion qui est, en général, dans leur nature. Comme une tornade ils passèrent de bouches à oreilles, se répandant dans le village plus vite qu'une épidémie de choléra et semant une zizanie collective incroyable. Les rumeurs et les ragots firent rage, souvent à voix basse mais également à la cantonade, dans les foyers et sur la place publique. Jusqu'au confessionnal qui fut à l'écoute de détresses et de repentirs quelquefois un peu tardifs. Tous les habitants participèrent à colporter les secrets soudain révélés au grand jour, comme s'ils étaient la propriété de tous, chacun les modelant à sa façon.



Durant des jours et des nuits, le village tout entier fut en effervescence. Un village entier malade de tristesse et de colère, de rancœur et d'amertume, de nostalgie et de doux souvenirs. Il y eut des cris et des pleurs, des rires et des soupirs, des mésententes et des complicités et surtout des explications à n'en plus finir.
Puis les jours passèrent, les secrets, qui n'en étaient plus pour personne, perdirent leur intérêt, et l'on s'aperçut que rien n'avait changé, le village avait résisté à la tourmente. La vie reprit son cours, au rythme des saisons, des naissances et des disparitions. Au rythme des intempéries. 



Dans les mémoires le grand chêne restait présent comme une cause de discorde, ce n'était pourtant pas ce qu'il méritait. Le monarque déchu était resté là, au milieu des champs, abandonné, sans vie. Son vieux tronc desséché et ses branches brisées restaient les dernières preuves de la violence de l'ouragan qui s'était abattu sur le village. Les enfants venaient y jouer et explorer les reliquats du géant, en contant son histoire à leur façon. Seule une petite fille à l'intelligence pointue en tira conclusion, elle dit au petit garçon qui la suivait partout où elle allait : 



" Les grands sont bêtes, ils n'ont rien compris ! Même si ça prend des milliers d'années les secrets sont toujours découverts, un jour ou l'autre… "

Et le petit bout d'homme, les yeux déjà débordant d'amour, répondit :
" Y vaut mieux rien leur dire, moi je le dirai pas, c'est promis !
Ce sera notre secret, tu veux bien ? "


A côté de l'arbre mort une pousse nouvelle sortait de la terre.




©Aliza Claude lahav

octobre 2002

à retrouver 

dimanche 13 avril 2014

ALIZA CLAUDE LAHAV - LA GOURMANDISE













LA GOURMANDISE


 Elle se nomme Angélique. Elle est de stature moyenne avec des rondeurs appétissantes. Elle a un visage avenant sous des cheveux couleur caramel et un teint de brioche dorée. Elle est pâtissière. Pierrot son époux est chef pâtissier, il confectionne les gâteaux avec compétence et talent. Ils ont ouvert boutique sur la plus belle place de la ville. Depuis plusieurs années ils s'ingénient à atteindre une production de haute qualité et leur renommée n'est plus à faire.

   Chaque jour Pierrot se lève à l'aube. Il descend au sous-sol où se trouve son atelier qui par sa lumière crue, sa netteté et ses ustensiles nickelés ressemble plus à un laboratoire qu'à une cuisine. Certaines pâtes ont été préparées la veille, d'autres seront malaxées ce matin par les apprentis sous l’œil vigilant du patron. Celui-ci sait bien que le secret de la réussite réside dans le méticuleux dosage des ingrédients et le travail scrupuleux de la confection de ces délices.

    Un peu plus tard Angélique ouvre la boutique, elle dirige comme un maestro l'activité de son équipe. Il faut que tout soit net avant l'arrivée du premier client. Elle prépare la caisse, met de l'ordre sur les étagères de confiserie, s'occupe elle-même de sa vitrine, pour rien au monde elle ne laisserait ce soin à l'une des vendeuses. C'est d'ailleurs le meilleur moment de la journée. Le magasin est encore calme et frais, reluisant de propreté.


    C'est une vraie mise en scène qu'elle organise, menant ses protagonistes d'une main de maître. Elle dirige, elle s'active, elle s'occupe de chaque détail, elle fignole. Angélique éprouve un plaisir extrême à commencer sa journée dans cet espace qu'elle considère comme son royaume. Dans son enfance elle ne pouvait rêver d'un plus beau palais.


   Elle n'a jamais manqué de chaleur humaine. Elle a grandi dans une famille aimante et laborieuse. Elle n'a jamais eu vraiment froid ou faim mais elle a connu une parcimonie courageuse. Ses robes neuves étaient trop longues car il fallait faire durer et trop courtes par la suite, afin de repousser le prochain achat. Elle portait des chaussures soit trop grandes soit trop petites suivant le même principe. Comme elle était fille unique, elle avait l'avantage de l'exclusivité, ses frères eux se passaient les galoches de l'un à l'autre. Les friandises étaient rares mais d'autant plus appréciées et les tartines du goûter légèrement beurrées et saupoudrées d'un peu de sucre étaient un régal. C'est à cette époque qu'en sortant de l'école elle avait commencé à lécher les devantures des boulangers-pâtissiers. Elle se délectait par la vue, appréciait la variété des formes et des couleurs, imaginait les goûts et les odeurs. C'est ainsi que naquit sa vocation.

   Elle aime son métier. Elle l'exerce avec art sans même s'en apercevoir. La manipulation des pâtisseries est sa peinture, son théâtre, sa musique, son rêve. En début de journée elle commence par faire ses gammes sur des douceurs. Elle vérifie les chocolats souvent amers, les pâtes d'amandes déguisées, les fruits confits multicolores, les nougats tachetés, les marrons glacés un peu givrés de la tête, les bouchées prometteuses, les truffes qui n'ont de modeste que l'apparence.

   En bas on s'agite, les premiers plateaux arrivent. Des parfums de vanille et de cannelle se répandent délicieusement dans l'air. Angélique accueille les gâteaux comme des amis qu'elle connaît bien et qu'elle apprécie. Elle va les placer avec précaution, harmonieusement, c'est l'heure de sa symphonie. D'abord les petits pains au chocolat qui cachent leur secret, puis ceux aux raisins plus ouverts. Ensuite les brioches bien en chair, les croissants à la taille épanouie, les macarons collants, il faut le dire, riches de leur saveur et sûrs d'eux-mêmes, les meringues ces coquilles sèches, mais si légères et croquantes. Et les tuiles courbées sous la malchance, qui si elles avaient confiance en elles-mêmes, pourraient se redresser, elles sont si délicieuses. Et les palmiers qui font les jolis cœurs ...

   Après s'être occupée avec soin des parents pauvres, c'est avec dévotion qu'elle mettra en valeur les pièces de maître. Elle a préparé les grands plats, les collerettes et les napperons de dentelle en papier. Elle ne fera pas jouer ses préférences personnelles mais elle n'en pense pas moins. Au milieu de la scène elle dépose le moka prétentieux, riche de ses couches de crème à la noisette ou au café et de ses rosaces de chocolat . Puis les tartes qui rivalisent d'imagination de garniture suivant les saisons. Celles aux fruits rouges et celles aux fruits jaunes. La bourdaloue au nom populaire qui en fait est une grande aristocrate, avec sa frangipane et ses poires savoureuses. Les tartelettes plus modestes mais aussi variées que les grandes soeurs, aux mirabelles, myrtilles, fraises et même à la banane. Dans un coin elle place le Paris-Brest distant, fourré de crème pralinée et parsemé d'amandes effilées. À côté elle aligne dans un ordre parfait les religieuses qui cachent leurs appâts, les éclairs virils, les mille-feuilles littéraires, les choux gonflés de leur popularité. Aujourd'hui est un jour de fête il y a donc aussi une dacquoise qui fait son intéressante avec ses trois disques de pâte meringuée aux amandes, sa crème au beurre, toute entière saupoudrée de sucre glace. Et la bûche de Noël qui sort d'un conte de fées et qui fait espérer des petits nains. Un peu à l'écart les petits fours frais, comme des enfants sages de l'école maternelle qui regardent les grands avec admiration.

   Angélique est satisfaite, les clients commencent à être attirés par son étalage gourmand. Elle sait qu'elle doit se ménager. Les vendeuses sont là, elle peut monter pour se reposer un petit moment.

   Allongée sur son lit, dans la pénombre, elle somnole, elle s'abandonne à de doux fantasmes. Elle pense à ce soir, à leur fête, à la surprise qu'elle réserve à Pierrot. Elle se sent pleine, comblée. Elle essaie d'imaginer ce que son homme va préparer pour leur plaisir à tous deux. Elle le décrypte à merveille, connaît tous ses codes. Peut-être voudra-t-il la dépayser; il préparera alors une forêt noire aux copeaux de chocolat, ou une île flottante aux pralines, ou des œufs à la neige, ou encore une omelette norvégienne. À moins qu'il ne veuille l'émoustiller avec une salade de fruits exotiques au gin, ou peut-être des poires au vin rouge pour la dévergonder. Mais s'il veut l'épater il fera une crème renversée.
   Après le dessert elle se penchera vers lui, tendrement, elle lui prendra la main pour la déposer sur son ventre à elle, où leur fruit commence a mûrir. Il comprendra, ils seront heureux. Tête contre tête ils rêveront et se demanderont quel nom donner à ce petit chou.






©Aliza Claude Lahav
Septembre 1997


dimanche 16 mars 2014

Aliza Claude Lahav - Le marché









Au marché - Demonaz




Le marché de Aliza Claude Lahav


Sur le boulevard, en bas de chez moi, le marché vient s’installer trois fois par semaine, le dimanche, mardi et vendredi . La veille, dans l’après-midi, on plante des poteaux, on installe les étals, on déplie les bâches qui protègent de la pluie ou du soleil. Le lendemain, très tôt, les marchands arrivent avec camions ou camionnettes, déballent leurs marchandises, primeurs, viandes, fromages, ustensiles, ou autres objets des plus insolites. On s’interpelle d’un stand à l’autre, on prend des nouvelles, on s’intéresse, du coin de l’oeil on jauge la marchandise des voisins. Et bien sûr on va prendre un café bien tassé, ou un petit rouge, mais pour certains c’est un petit blanc, au café du coin. On trinque avant de commencer la journée, avant que badauds et clients n’arrivent ; il faut bien s’éclaircir la gorge avant la criée, ce n’est pas avec une voix éraillée que l’on vend ses fruits et légumes. Les fromagers, eux, sont moins bruyants, du moins j’en ai l’impression, c’est plutôt par le parfum de la marchandise qu’ils attirent le client. Quant aux fleuristes et pépiniéristes, il leur suffit de déposer sur leurs étals leur richesse de couleurs, de formes et de parfums et les badauds s’arrêtent pour humer un peu de rêve d’espaces verts et de nature.

Sur ce marché il n’y a pas que des victuailles, on y trouve également un grand choix de marchandises, des plus banales aux plus étonnantes. Vêtements, parapluies, sacs à main, vaisselles neuves et usagées, bijoux, babioles de toutes sortes, jouets anciens et modernes, et sans doute bien d’autres que j’oublie… il y a même un joueur de boite à musique avec un chapeau haut de forme et sur son épaule un petit singe à l’air blasé attaché à une chaîne. Mais le plus insolite des stands, celui qui attire les curieux sans pour cela en faire des acheteurs, celui qui intrigue et qui fait sourire les plus dubitatifs, celui qui est le plus silencieux et le plus discret du marché, c’est celui du marchand de mots. Le monsieur qui le tient est vêtu d’un élégant, bien qu’élimé jusqu’à la trame, costume gris foncé enjolivé d’une cravate noire à gros pois jaunes. Il se tient un peu à l’écart, prêt à servir ou à répondre à la demande des passants, un vague sourire sur des lèvres un peu pales, un visage émacié qui laisse deviner que cet homme ne mange pas tous les jours à sa faim. Il est présent, tendu, prêt à remettre de l’ordre dans la marchandise souvent malmenée par les clients.

Sur l’étal les mots sont rangés dans un ordre parfait ; classés par catégories, chaque mot inscrit sur son petit carton, comme une carte de visite, et placés dans des dizaines de boites et coffrets de toutes formes et grandeurs et de couleurs variées. Sur chaque boite un titre qui permet de faciliter les recherches ; il y a la boite aux mots de tous les jours, celle aux mots rares et insolites, celle aux mots d’argot et une autre aux mots anciens, une aux mots tendres, une autre aux mots de colère. Les inclassables se trouvent dans une boite à chapeaux d’antan, ceux de vengeance sont sous cloche, comme des fromages à l’odeur incommodante. Quant aux mots d’amour ils sont rangés soigneusement dans un ancien coffret à bijoux muni de petites cases et tiroirs tapissés de velours rouge foncé.

Je ne vais jamais au marché sans passer par là. Je fouille, je regarde jusqu’au fond des boites, j’y trouve des merveilles. Certains mots me font sourire, d’autres éveillent des souvenirs, et puis il y a ceux qui me font rêver, ceux qui m’émeuvent un peu, beaucoup. Mes préférés sont les mots rares, ceux que l’on entend peu, que l’on écrit jamais et que l’on lit rarement. Et puis j’observe. J’observe les passants qui, curieux, s’arrêtent un moment et continuent leur chemin. Les habitués qui ont des demandes, des besoins précis, qui recherchent certains mots parce que leur mémoire leur fait défaut. Il y a aussi les amoureux des mots, ceux-là ne s’attardent pas à la signification, mais plutôt à ce que tel ou tel mot évoque en eux ; ils en apprécient l’harmonie plus que le sens. J’ai vu, je vous l’affirme, des personnes s’extasier sur de si jolis mots comme « Abeillage » ( c’est un droit seigneurial), « Érubescent » ( quelqu’un qui devient rouge), ou encore « Majolique ou Maïolique » ( si doux à l’oreille, mais qui n’est qu’une faïence ancienne italienne ou espagnole), « Panséléne » (c’est la pleine lune). Zec est un zest et Trudaine une tromperie, « Erotidies » est un nom féminin qui se met toujours au pluriel, laissez donc votre imagination vous mener vers sa signification.

Si par hasard vous passez par là en fin de matinée, heure à laquelle le marché est bondé, vous verrez beaucoup de monde autour du marchand de mots ; les gens, certains avec un regard un tant soit peu moqueur d’autres tout à fait sérieusement, regardent, fouillent dans les boites et cartons, s’inspirent ou interrogent, et laissent derrière eux une grande pagaille. On peut alors admirer toute cette ribambelle de mots dispersés sur l’étal, toutes catégories confondues, les mots d’amour ou d’amitié avec ceux de vengeance ou de guerre, les insultes avec les mots doux, les anciens avec les nouveaux… on a l’impression qu’ils vont se donner la main pour faire une grande ronde autour du marché. Lorsqu’un client désire acquérir un mot, quel qu’il soit, et qu’il demande au marchand : « c’est combien ? » celui-ci explique qu’il ne s’agit pas d’argent, mais d’un échange, si vous prenez un mot vous en déposez un qui fait partie de votre vocabulaire et le tour est joué. À cet effet le marchand indique un coffret à moitié plein, c’est là que l’on dépose sa quote-part ; à côté il y a des petites cartes vides il vous suffit d’y inscrire le mot dont vous aimeriez vous séparer. Il me semble que vous avez fait une bonne affaire n’est-ce pas ?

Le marchand, quant à lui, ce n’est pas étonnant qu’il ait l’air si décharné ; l’amour des mots ne nourrit pas son homme. Mais en apprenant son nom de famille on comprend bien qu’il avait un avenir prédestiné. Sur une plaque en cuivre placée au milieu de l’étal on peut lire :

« Marchand de mots de père en fils – Monsieur Vocabulis »

©Aliza Claude Lahav

Mai 2011



Documentation:
 "Petit dictionnaire des mots rares et anciens de la langue française"Que vous pouvez trouver ICI

jeudi 27 février 2014

Aliza Claude Lahav - Le désert






Le désert



La grande tente est silencieuse; les femmes et les enfants dorment encore. La jeune fille soulève le pan de toile et sort en prenant garde de ne pas faire de bruit; dans très peu de temps la vie va résonner à nouveau dans la tribu. Hagar frissonnante observe le ciel, les étoiles s'estompent de seconde en seconde. Les nuits sont froides dans le désert, aussi froides que les jours sont chauds, puis les aubes arrivent à pas feutrés, s'attardent peu, et très vite les matins sont glorieux. Le désert est un endroit où le soleil a des prétentions exagérées, mais le matin de bonne heure, avant qu'il ne chauffe trop fort, avant que la réverbération ne vous brûle les paupières et que le vent sec ne vous suffoque, lorsque l'air est encore doux, le sable tiède, le ciel haut au-dessus de votre tête et l'horizon à portée de mains, c'est à ce moment-là que le désert est magnifique dans sa grandeur et son silence. La roche grise va chauffer doucement au long des heures, emmagasinant les rayons brulants du soleil et changeant de couleur durant la journée. C'est le moment précieux durant lequel on peut encore différencier entre le ciel et la terre. Lorsque le soleil sera très haut, que le ciel deviendra d'un bleu presque gris très clair et qu'il se fondra avec le sable brûlant qui s'échappe à l'infini, et que l'air sera sec et lourd, les éléments se mêleront en un seul amalgame.

Hagar connait le désert, elle le découvre, l'apprivoise, y vit depuis plusieurs semaines, commence à l'aimer. Chaque aube est pour elle la création du monde, chaque soir l'émerveillement de cet univers si mystérieux et si fluctuant. Les tempêtes de sable qui déforment les dunes et les recréent à leur façon. L'eau, aussi précieuse que la vie elle-même, qu'il faut chercher loin, jusqu'à Avdat, à dos de chameaux; ou amenée en wagon-citerne de Sde-Boker. Hagar s'adapte, s'accommode, renaît. Elle a fait la connaissance d'Amine à l'université de Beer-Sheva; c'est lui qui, naturellement, lui a proposé de venir faire sa thèse de sociologie sur la vie des Bédouins dans sa tribu. Elle n'y travaille pas beaucoup d'ailleurs, par contre elle apprend le travail minutieux de ces fines broderies au point de croix; se débrouille moins bien qu'une fillette bédouine de six ans, mais elle adore se retrouver dans ce cercle de femmes. Elle ne comprend pas leur langue, mais en saisit le ton et capte les regards approbateurs qui la couvrent. La femme du scheik, Djamila, l'a prise sous sa protection, elle parle un peu l'hébreu, Hagar se met à l'arabe, elles se sont liées d'amitié.

La tribu s'éveille, le jour s'installe, déjà la fournaise s'annonce. Hagar n'a pas bougé, comme enracinée dans cette terre mouvante qui n'est pas la sienne, ses pieds nus dans le sable chaud, la tête lui tourne un peu. Elle voudrait ne pas savoir, ne pas avoir entendu la suggestion que Djamila lui a presque chuchotée à l'oreille, comme si elle savait elle-même que ce n'est pas quelque chose à émettre à haute voix. La jeune femme est malheureuse, mais en même temps elle sent une colère qui surgit et qu'elle craint de ne pouvoir contrôler. Les paroles de Djamila tournent en boucle dans son esprit:

— Hagar femme de cœur tu es, j'ai beaucoup d'estime pour toi, je t'ai reçue comme une sœur, tu es ma sœur. Je suis vieille et tu es jeune, je suis ignorante et tu es cultivée, je suis stérile et tu es pleine de santé. Je désire plus que tout au monde que mon seigneur le grand Sheikh ait un descendant et c'est toi que j'ai choisie, tu lui donneras un fils. Je te confie ma souffrance, tu es la seule en qui j'ai confiance. Ne me réponds pas maintenant, va te reposer, nous parlerons demain. Sache cependant que ton destin est tracé et qu'il est parmi nous.

Hagar bouleversée avait envie de hurler: je ne suis pas Hagar de la bible, nous sommes aux vingt-et-unième siècle. Sors de ton désert Djamila, dépasse tes coutumes archaïques, envoie les femmes de la tribu à l'université, réveille-toi Djamila, une femme est femme avec ou sans enfants… Mais elle ne dit rien, elle savait qu'elle ne serait pas entendue.

Amine s'approche, il est là, tout près. Elle parle la première:

— Tu savais?

— J'ai été envoyé pour faire un premier choix. Oui je savais, je t'ai amenée pour cela…

Il essaye de la retenir mais elle se dégage avec force. Quelques minutes à peine pour ramasser ses affaires dans la grande tente; elle ne parlera à personne, ne répondra à aucune question.

Seule, désemparée, la tête bourdonnante de larmes et de rage, elle fuira droit devant elle dans ce désert sans fin, immensité mouvante au rythme des tornades de sable aux couleurs mordorées.



©Aliza Claude Lahav


Aliza Claude Lahav - J'aime, je n'aime pas...










Aliza à Paris





À l’internaute curieux qui passe par ici…

J’aime le parfum de la terre après la pluie
Les sous-bois ombragés au petit matin
La grande Polonaise de Chopin
Le chocolat noir aux noisettes entières
L’amour, le donner, le recevoir et le faire.
La mer en hiver, lorsqu’elle se met en rage.
La vie.
J’aime mes amis et l’amitié qui circule entre nous.
Les roses jaunes, même celles qui sont fanées.
Le scrabble et les parlotes autour de la table.
L’arrivée à Paris après une longue absence.
Les librairies, celles où l’on peut fouiner.
Florence, pour les souvenirs que j’en aie.
L’écriture lorsqu’elle m’habite et demande à s’aérer.
Mon ordinateur lorsqu’il répond au moindre clic.
Les feuilles mortes qui crissent sous mes pas,
Et celles chantées par Yves Montand.
La flûte de Galway et celle de Rampal,
Toutes les musiques qui me font vibrer.



Je n’aime pas le racisme et la discrimination,
Les guerres, les attentats, les mises en garde.
Je n’aime pas les petits choux dits de Bruxelles
(rien à voir avec la ville que j’aime beaucoup).
Les ragots, les on-dit qui passent de bouche à oreille.
L’écriture lorsqu’elle est prise de paralysie infantile.
Mon ordinateur lorsqu’il fait sa tête de mule.
Faire le ménage, ranger mes tiroirs, déménager.
Je n’aime pas la mer lorsque je suis sur un bateau.
La musique moderne, non je ne l’aime pas.
La bêtise, l’entêtement, la méchanceté,
La bêtise… ah oui ! Je l’ai déjà dit.


Par-dessus tout j’aime ma vie, que j’ai tricotée comme un grand chandail, en pure laine vierge, rugueuse mais chaude, une maille à l’endroit une maille à l’envers. Un rang au point de mousse, un rang au point de ri-res. J’ai souvent perdu des mailles mais, en général, je les ai rattrapées. Les manches sont, peut-être, trop longues et les emmanchures trop étroites. Les points sont irréguliers et les rangs se chevauchent, il y a même quelques trous qui laissent passer l’air… Pourtant j’ai fait ce que j’ai pu avec les matières premières données ; ni plus ni moins. Et ce chandail, qui parfois pèse et qui est souvent mal fichu, avec ses couleurs un peu passées et ses formes avachies, a tout de même des bons côtés. Il est confortable, il a même une pointe d’originalité (évidemment puisque c’est du sur mesures), et surtout il se déploie et étreint ceux que j’aime : mes enfants, mes petits-enfants, mes amis et, bien sûr, mes aminautes. Je n’en changerais pour rien au monde… d’ailleurs de toute façon j’ai perdu le ticket de caisse.

©Aliza Claude Lahav
Décembre 2005