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mercredi 24 décembre 2014

TippiRod - LA SIRÈNE DE NOËL











Morgan - "Le lac Jacaré"



La sirène de Noël




Il était une fois en des contrées lointaines, une jolie sirène qui avait du gros chagrin.

Elle habitait au cœur du lac Jacaré en Amérique du Sud, tout près d'un très joli village.

Ses longs cheveux bruns bouclés secoués par ses sanglots faisaient frissonner l'onde.

Dans une mangrove voisine, un très vieux crabe bleu ressentit cette peine totalement imperceptible par l'espèce humaine, jusqu'au bout de ses pinces.

Bien que fatigué, il entreprit son voyage de côté pour aller rejoindre la belle enfant avant la fin de l'avent. Sa petite patte lui disait qu'il y avait mission pour lui avant la nuit du réveillon.

Dix jours entiers lui furent nécessaires pour atteindre le lac. Fort heureusement le vieux crabe épuisé ne cligna pas longtemps des yeux pour apercevoir la petite sirène chagrine.

— Ma belle enfant, une si belle journée d'été et je te trouve en pleurs ! Sais-tu que tes larmes font vacarme jusqu'à moi !

— Bonjour Crabe bleu, nous ne savons plus quoi faire, dit la reine des grenouilles

— Et nous non plus, reprend le crapaud chef de bande

— Bonjour Crabe bleu, c'est tellement gentil à vous de venir nous voir, pétillent les lucioles invisibles en plein jour

— Et toi Noëlle, tu ne me réponds pas ?

— Elle ne fait que pleurer, dit la grenouille

— Depuis des jours et des nuits, confirme le crapaud

— Et si on la laissait s'exprimer, gronde gentiment le crabe bleu

— Ah oui, c'est une belle idée, clament les lucioles en choeur

— Je t'écoute, petite, quel est ce gros chagrin qui te coupe la parole et fait perler tes jolis yeux d'ébène ?

— Je ne veux plus être « pas pareille »... sanglote la sirène

— Pas pareille que qui, que quoi ? En voilà une idée !

— Pas pareille que personne ! Pas pareille que les autres sirènes

— Bien sûr, puisque tu es la Sirène Noëlle ! C'est normal que tes écailles soient rouges. Elles sont d'ailleurs magnifiques, on dirait des rubis étincelants. Tu es la plus éclatante des sirènes

— Je ne suis pas pareille que le père Noël !

— Tu voudrais une grosse barbe blanche sur ton joli minois ! Et tout le lac d'éclater en un rire tonitruant.

— Je n'ai pas non plus de traineau...Et d'ailleurs, je n'ai même pas de cadeaux ! Vous parlez d'une Sirène Noëlle ! Qui pourrait bien croire en moi ?

— NOUS !

— Vous dites cela pour me consoler, mais moi je sais que je ne sers à rien. Je suis le vilain petit canard des sirènes !

— Parlons en du vilain petit canard, dit le crapaud, il a bien grandi, tu sais, c'est un très bel adolescent. Eh bien ! Tu serais surprise ! Il ne s'est pas plu du tout dans sa vie de cygne comme tous les cygnes. Il est revenu, penaud, demander asile chez les canards, mes cousins lointains et palmés. Depuis, il barbote comme un coq en pâte et, crois-moi, il ne fait plus ni le beau ni le vilain, il cherche simplement à faire l'heureux temps dans la mare. Il cultive les différences comme des fleurs uniques et merveilleuses.

— Moi je ne suis qu'une pauvre sirène isolée

— ET NOUS ALORS ! On compte pour des œufs de lump ?

— Non consentit-elle a sourire, vous êtes mes amis, mais vous ne pouvez rien pour moi.

— Tu n'as pas assez lu de contes de fées, petite ! Maugrée le crabe bleu

Tu as une armée de grenouilles, de crapauds, de lucioles, tu as tout ce qu'il te faut !

— Je n'ai pas de prince charmant !

— Teu teu teu ! Ne raconte pas d'histoire ! taquine le crapaud, le cavalier au cheval blanc n'est jamais loin d'ici !

— Oui, mais c'est parce qu'il vient voir son petit jacaré, pleurniche la sirène

— Quel cavalier au cheval blanc, quel petit jacaré ? interroge le crabe bleu

— Mais enfin, Crabe bleu, vous perdez la carapace ! Vous ne vous souvenez plus de cette vieille histoire. Elle est même la légende de notre lac !

— Ah ! Sois poli, Crapaud, à défaut d'être... Je ne veux pas me montrer grinçant.
Sache, vieux baveux, que j'ai une mémoire pachydermique et que je n'ai jamais eu vent de cette fable. Je devais être en fonction dans ma forêt d'Amazonie et avais bien d'autres sirènes à pincer ! Veux-tu bien me relater les faits ?

— C'est nous qui avons sauvé le beau cavalier ! S'exclament les lucioles

— Bon bon... il vous revient de raconter alors ! Grommelle le vieux crabe



L'assistance en émoi, chacun positionné sur son séant et sur le nénuphar de son choix, est tout ouïe et impatient d'entendre ou de réentendre cette légende locale dont aucun ne se lasse.



Les mille treize lucioles parlent en clignotant, de trois mots en trois mots — les treizièmes assurant toutes les ponctuations pour donner le ton.


— C'était une belle fin d'après-midi, le cavalier blanc pêchait tranquillement lorsque soudain au coucher du soleil, un bébé jacaré surgit de l'eau prêt à en découdre avec celui qui se trouvait en haut de l'asticot ! Le bébé d'un mètre de long était déjà bien vigoureux et ne badinait pas de la mâchoire. On aurait dit qu'il avait plus de mille dents. La bagarre s'annonçait rude pour le pêcheur cavalier. Il se débattit pendant plus d'une heure avec l'animal au milieu des nénuphars.


C'est alors que nous sommes apparues, habillées de nos plus belles lumières. Le cavalier blanc a raconté que l'instant fut magique et le petit jacaré totalement apaisé.


Le jeune homme réussit à le capturer sous les yeux médusés des crapauds et des grenouilles qui ne donnait pas cher de sa peau ! Il ficela la gueule de l'animal en vue de le confier à un ami qui s'occuperait un temps de ce gros bébé pas comme les autres...


Le crapaud reprend alors à l'attention du crabe et de la sirène:

— Vous nous direz, qu'est-ce qu’un jacaré ? Le jacaré est un crocodile d'Amérique du Sud, que l'on trouve plus particulièrement en forêt amazonienne ou dans le nord du Brésil.

La grenouille qui était loin d'être muette, de coasser :

— Les gens qui vivaient près de ce lac n'ont jamais oublié l'histoire du cavalier ! De ce fait, ils l'ont baptisé « le lac jacaré ». Mais attention, la légende dit qu'à ce jour, rode dans les profondeurs du lac...la maman jacare...


À cet instant l'eau se mit à bouillir en d'énormes bulles tout autour d'eux et d'un seul coup, un gigantesque jacare rugit :

— Où est mon petit ? Quel est donc cet ami qui l'a recueilli ?


Interloqués, la sirène, les crapauds, les grenouilles et même les lucioles courageuses se terrent les uns contre les autres aux bords des rives.


À grands coups de queue, la mère malheureuse se montre menaçante et tout le monde craint la vengeance du sang glacial.


Adieu, Noël, cadeaux, traineaux ! Les enfants ne seront pas gâtés cette année encore, par la sirène Noëlle, qui de toute façon n'avait rien de tout cela parce qu'elle n'était pas pareille !


Seul le vieux crabe, se montre téméraire, et d'un ton rocailleux tient tête à la dame aux grandes dents :

— Votre petit est en de bonnes pinces. Je suis l'ami à qui le cavalier blanc a confié votre tendre descendance. Mon épouse, un crabe violoniste en a pris grand soin, je peux vous l'assurer.


La surface du lac est redevenue calme. Faune et flore ont cessé de trembler.


Maman jacaré reste coite un moment puis à son tour, charmeuse, s'adresse à l'assemblée :

— Alors, amenez-le ici ! Il sera le traineau qui manque tant à Sirène Noëlle. Sur son dos embarqueront crapauds et grenouilles...

— Moi je veux six rênes comme le père Noël !

— Mais c'est toi la sirène ! Bécasse ! Vas-tu cesser de pleurnicher à la fin ? Tout le monde va croire que les nénuphars font sangloter comme des oignons ! Rouspète le crabe bleu.

— Et puis je veux de la neige, j'ai jamais vu la neige !

— Ah ça, mais quelle capricieuse ! Qui l'a éduquée celle-ci ? S'insurge la mère jacaré

— C'est nous tous, les habitants du lac. Un matin vingt-quatre décembre, nous l'avons découverte endormie dans les grandes feuilles, déposée par une perle de rosée. Éblouissante avec sa robe rubis et ses boucles foncées, elle a ouvert de grands yeux d'ébène veloutée. Nous n'avions jamais vu de sirène et ainsi tombée du ciel, elle nous semblait la plus belle. Oui, peut-être bien que nous l'avons un petit peu gâtée ! confesse gentiment la petite grenouille nounou.

— Et vous l'avez donc prénommée Noëlle ? Questionne le crabe bleu

— Oui, grâce à ses écailles rouges, nous avons imaginé qu'elle serait une bonne sirène Noëlle.

— Mais le père Noël passe, ici aussi ! Les enfants ont leurs cadeaux bien qu'ils fêtent leurs grandes vacances et que ce soit le plein été, réplique encore le vieux crabe.


Ils continuèrent à parler ainsi et à refaire le lac pendant des heures.


Pourtant quelques nuits plus tard, celle tant attendue du réveillon, un drôle d'attelage effleurait les maisons.


Comme un traineau de père Noël, le fils jacaré retrouvé, volait dans la nuit encore chaude de soleil. Tout le lac voyageait à son bord et la sirène Noëlle tenait les rênes de feuillage pour guider le crocodile par-delà les habitations. À peine le père Noël passé, les lutins grenouilles et crapauds envoyaient les lucioles distribuer les cadeaux transparents.


Une d'elles déposait une bonne idée, l'autre, une bonne intention, et voilà tour à tour, offert en un balai lumineux, un beau souvenir, une jolie pensée, une inspiration, une saveur délicieuse, un éclat de rire, un tendre sourire, une réconciliation, une géniale invention, un subtil parfum, une rencontre insolite, un savoir ancestral, des envies de partage, des désirs généreux, des projets, des projets comme s'il en pleuvait !


La sirène Noëlle riait de bonheur et ses amis se réjouissaient de la voir si heureuse.


Non loin de là, le nénuphar dressé pour l'occasion de ses plus beaux apparats, offrait les honneurs de sa table à monsieur Crabe bleu et madame Crabe violoniste son épouse, madame Jacaré mère et monsieur le cavalier blanc. Tous quatre triomphaient d'être parvenus à leurs fins et d'ainsi gâter autrement petits et grands enfants.





FELIZ NATAL !


 *          *
*



À mon fils Morgan qui m'a peint et offert ce tableau qui représente le lac Jacaré dont il m'a confié la légende et à son épouse Paty. Tous les deux vivent heureux tout près de ce lac brésilien. Je les embrasse et leur envoie la petite sirène Noëlle avec son équipage complet et surtout tous ses jolis cadeaux !



Texte et tableau protégés et déposés





samedi 6 décembre 2014

LOUYSE LARIE - ON PASSERA DES LUNES



MISE EN VOIX EVELYNE DE GRACIA





On passera des lunes !
 
Croquis caricaturé d'un enfant ébauché au stylo bille en 10 mn.
Louyse Larie




Il était une fois un petit bonhomme à la frimousse parsemée d'étoiles rousses !
On le disait étrange et dans sa bulle !
Bien que de nature peu bavarde, il lui prit l'envie de vider son cœur du trop plein un jour de vent sucré !

" Quelle drôle d'idée fut celle de mon père de me nommer Barnabé !
À l'école, on m'appelle l'Épouvantail ou Poils de châtaigne, on me regarde comme si j'étais un phénomène !
- Il est vrai que je suis coiffé d'une épaisse tignasse hirsute, tandis que les enfants pour la plupart exposent de fines mèches sur le crâne, gommées au gel ultra fixant, selon la coupe très tendance !
- Mes joues colorées ressemblent davantage à des collines bien dodues.
- Une pâte d'oie balafre celle de gauche depuis ma naissance, et des poussières ombrées constellent mes pommettes joufflues !

- Je voudrais oublier les éventails qui me servent d'oreilles !
- On ne voit qu'eux !
À tel point qu'à force de laisser pousser une toison complice pour les camoufler, ma bouille rondouillarde frise le ridicule.
- On dirait un champ de corbeaux en bataille !

- Mon petit nez se retrousse comme s'il faisait des pieds de nez et voulait décrocher les toiles d'araignée au plafond !
- Il est bien trop hardi que ce que je ne saurais le rendre plus discret, pour moi qui ne trouve refuge que dans les trous de souris !

- Je zézaye et j'ai la langue qui fourche dès que je dis le moindre mot !

- Sans compter mes yeux de teinte claire écarquillés qui transforment mon regard quelque peu oblique, pour mieux cautionner les mystères en un hublot ouvert sur le monde, avec en prime des sourcils formant des arcs-en-ciel en biseau sur un front bombé tel un potiron rose.

- Par dessus le marché, quand je souris et que ma vivacité embrase mes prunelles, ma bouche grimaçante affiche une rangée de râteaux en zigzag, plutôt que des dents de lait polies comme celles des autres enfants.
- C'est sûr que la grimace flotte davantage sur mes lèvres que le sourire, mes camarades de classe se moquent de moi à loisir !

- Pour autant, il parait que je possède des armes secrètes qu'ils n'ont pas !
- Il se dit que dans le reflet de mes yeux jailli de la palette du ciel, on y perçoit  des  papillons de satin qui s'illuminent comme des vers luisants, que l'on chevauche à volonté pour dessiner le chemin du rêve !

- Je comprends mieux que je puisse repeindre de mes cils roux les nuages lorsque je contemple le soleil, mais aussi pourquoi je peux m'envelopper d'un rideau de neige sur un tapis de saisons sans avoir froid, car elles ne me trahissent jamais parce que je laisse dormir la nuit !

- Mes livres sont mes oreillers, mes oreilles gigantesques s'y blottissent, appréciant  le doux confort - j'en oublie même leur disgrâce !

- Fagoté bizarrement, je sais ! Je le suis !
-Oui, ma mère s'obstine à m'affubler d'un nœud papillon rayé et d'un pantalon de velours hiver commeété, sous prétexte que ça me rend élégant, alors que la plupart des écoliers portent des survêtements en vogue. Ce qui renforce le festival des moqueries au grand galop, à mon grand désespoir !

- Mais j'ai les guiboles très lestes et j'en use comme des ressorts !
- Je traverse un tunnel de ronces sans une égratignure et je protège mon corps de toutes blessures, pendant que les gamins de la ville ont la hantise de la bogue et de la nature imprévisible.

- C'est ainsi que j'utilise ma cervelle aussi bien que mes muscles pour me faire accepter, et  que j'anime mon semblant de sourire naissant d'un air amusé, car je suis l'as de numéros de haute voltige, tant il est vrai que l'on découvre ma grande  agilité !
À croire que j'ai hérité de pouvoirs que n'ont pas les autres !

- J'habite dans une grande caravane !
Les sorcières y séjournent secrètement et récoltent à la pelle mes larmes autant que mes joies, qu'elles recueillent soigneusement dans un coffret comme de précieuses pierres.

- Vous l'aurez compris, toutes les occasions me sont offertes pour monter à califourchon sur l'une d'entre elles, lorsqu'il leur arrive de deviner l'odeur humide de l'un de mes chagrins muet, car elles savent que mon cœur ne fabrique pas la cruauté, mais des bulles de tendresse et qu'il bat la mesure de l'amitié !

- Et mes yeux s'embuent comme tout le monde, tandis que les soirs de firmament, mes mains nouées àcelles de mes copains se réjouissent de la joie de la ronde enfantine !

- Pourtant, dans la cour de récréation, on me fuit et on ricane de mes oreilles d'éléphant, mais l'on recherche ma compagnie en contre partie sur les terrains de jeux ou lors de sorties en campagne grâceà mes prouesses sportives.

- Nos différences ne forment alors plus de barrières entre nous ; bien au contraire, elles les font tomber et tissent le lien, celui que les adultes déclarent vital sans se donner les moyens de le créer.

- Et ce, dans le meilleur des cas, le regard de mes copains sur moi change totalement !

- C'est dire que chacun possède ce que l'autre n'a pas, y compris ceux qui semblent les plus fragiles et les plus démunis."


On passera des lunes avant que le territoire de l'enfance ne devienne plus conciliant, et il s'y trompera encore sans revoir pour autant les codes du clan des bambins, mais le temps se chargera de changer le cours des choses !




Texte protégé et déposé

sur le site iPagination

avec cette dédicace de Louyse pour son ami 

Quelques mots  s'imposent pour vous expliquer l'objet de la composition de ce texte.
Jean-Marc (Administrateur) qui a quitté le site en début d'année, m'avait proposé d'écrire un texte sur le thème de la caricature, et de l'illustrer d'un croquis d'enfant (croquis que je fais  d'un seul jet au stylo bille), afin de le destiner aux enfants du site ÉducationIPAGINATION, dans lequel je suis animatrice. Notre sympathique "Singe malicieux" comme il se désignait sur le site étant parti avant que je ne puisse le publier, mon texte est resté au fond d'un tiroir. Après un échange avec Liliane Baron, Administratrice dudit site, il s'est avéré que le thème caricature n'était plus d'actualité.  J'ai donc décidé de le publier en ce lieu destiné aux GRANDS ENFANTS que nous sommes. En conséquence, j'ai fait le choix en cette rentrée 2014 de le sortir de mon tiroir avant qu'il ne devienne suranné, et comme le dit l'adage "Rendons à César ce qui est à César";   je le dédie très chaleureusement à Jean-Marc qui savait jouer de son âme d'enfant sur le site,  à qui il revient en toute amitié pour avoir stimulé ma motivation ainsi que pour le bon état d'esprit et la dynamique qu'il a su impulser au sein de l'équipe.
Louyse


dimanche 22 juin 2014

ALLISON - PETIT-ANGE 2 (ADOLESCENCE)














Petit-Ange 2 (Adolescence)



Le silence est d'or.

Couchée au fond de la piscine, Petit-Ange fixe les formes qui s'agitent autour d"elle.

Le mur liquide qui les sépare amortit le bruit, sans pour autant parvenir à le noyer totalement:

"Elle devrait se faire interner..."

"Elle ne parle pas. Il parait qu'elle est autiste..."

Comme des coups de bélier dans un mur que Petit-Ange entretient depuis maintenant plusieurs années, l'élévant à la gloire du vide qui la gouverne. Protection illusoire, Mur des Lamentations dont les fentes abritent ses biens les plus précieux...

Petites perles que Petit-Ange enfile sur un fil de fer trouvé dans un recoin méconnu de son être; perles de vies sur fil imaginaire, vies fictives enmêlées dans une bibliophilie désespérée pour vaincre l'idée d'une mort de plus en plus espérée; éclats de personnages qui peu à peu commencent à prendre pied dans la réalité déformée de Petit-Ange.

Les mots des autres s'effacent sous la pluie des années de collège, mais la honte est un sentiment tenace...indélébile, crasse noire sur un coeur à vif d'avoir voulu être purifié, normalisé.

C'est pour ça que Petit-Ange ne va plus manger à la cantine, jamais.

Elle n'aime pas manger toute seule, Petit-Ange. Le collège est si grand, il y a tant de monde. Pourtant, personne ne veut venir manger avec elle, et tout le monde refuse de venir s'assoir à côté d'elle. Pire, ils l'espionnent, déposent leurs plateaux vides à sa table avant de s'enfuir en riant. Oui, la honte, ça ne part pas. Une fois que c'est là, ça ne part plus. Une tache de plus.

Alors, Petit-Ange s'interroge: au lieu de la soigner, les pillules qu'elle prenait pour la Fée Bleue n'ont pas fait d'elle une vraie petite fille; ce qu'elle comprend, c'est que plus elle guérit, plus elle dérive, plus elle périt aux yeux des autres.

Le collège, loin de la faire grandir, devient un lieu dévoué à son humiliation quotidienne: bourreaux scrupuleux, camarades et professeurs la condamnent sans possibilité de remise de peine: "Cette fille est mauvaise. Protègons les gens normaux contre elle."

Mais le mur tient bon, préserve une hibernation du cœur qui commence à durer...

Petit-Ange se tait toujours, même quand on lui arrache son livre pour le jeter sur le bitume glacé et trempé qui griffe les précieuses pages de ses aspérités.

Elle se tait, elle mérite ce qui lui arrive. Sinon, pourquoi chacun aurait-il au même instant le même élan de violence à son égard ?

Alors Petit-Ange se cache pour regarder les autres, non pas avec envie, mais pour essayer de comprendre ce qui ne va pas chez elle.

A vrai dire, ce n'est pas particulièrement dur à saisir: alors que tout contact physique lui est refusé, (par crainte de contagion?) la tactilophilie des autres la rejette toujours dans une sorte de brouillard, espace-temps social à l'air vicié.

Couchée au fond de la piscine, Petit-Ange voit ses bulles d'espoir s'envoler vers la surface, tandis que son corps tout entier se révolte contre le traitement que l'âme lui inflige.

"Pourrais-je un jour oublier? Trouver le bonheur...la paix?"

ALLISON - PETIT-ANGE 1 (ENFANCE)






Les malheurs de Sophie - La contesse de Ségur
(souvenir "Tippique" de lectures d'enfance)



Petit-Ange 1 (l'enfance)



Petit-Ange est une petite fille. Une petite fille comme toutes les autres.

Ou pas.

Petit-Ange regarde les autres, les autres la regardent aussi. Que pensent-ils? Ils n'hésitent pas à le lui dire: "Tu es bizarre".

Alors Petit-Ange frappe, alors Petit-Ange détruit. Elle frappe pour punir, pour se libèrer du mal que les autres essaient de mettre en elle. Elle détruit ce qui l'entoure, pour le reconstruire avec les morceaux de rêves qu'elle tisse en secret.

A la maison, Petit-Ange regarde. Sans un bruit, elle écoute. Papa dit: "tu vas sur tes sept ans! tu dois prendre sur toi."

Papa, il est convoqué à l'école quand Petit-Ange se bat. Papa qui l'aime, mais qui a renoncé à la comprendre, Papa qui attend d'elle qu'elle se comporte comme une grande personne, même si elle n'est pas une grande personne.

Alors Papa et Maman emmènent Petit-Ange chez tout un tas de médecins... de "psychologues". Elle joue à la pâte à modeler, mais elle se tait. Elle ne comprend pas pourquoi Papa et Maman finissent toujours par se disputer avec eux. On ne dit jamais rien à Petit-Ange, parce que ce n'est qu'une petite fille.

Mais Petit-Ange n'est pas qu'une petite fille. Elle se tait, mais elle regarde. Elle voit ce que les autres ne voient pas dans les yeux de ses parents. Et ça, ça la brûle si fort qu'elle ne peut s'empêcher de pleurer lorsque la nuit la laisse seule, démunie face à ses démons.

"Qu'ai-je fait pour mériter ça? Pourquoi je n'ai pas une fille normale, celle qui invite ses copines le week-end, qui joue à la poupée dans la cours au lieu de se bagarrer? Pourquoi c'est tombé sur moi?"

C'est ça que Petit-Ange comprend. Elle n'est pas normale, elle est une erreur. Un fardeau pour ses parents, une source de honte et pour eux, et pour elle.

Alors, une semaine durant, Papa et Maman emmènent Petit-Ange dans un très grand hôpital, dans lequel elle se retrouve en compagnie d'autres enfants.

"Sont-ils comme moi?" se demandent Petit-Ange. "Eux aussi, ils ne sont pas normaux?"

Au bout d'une semaine, et une batterie de tests où elle a dû lire, décrire, répondre... Petit-Ange découvre un nouveau mot pour la décrire: "Hyperactivité".

C'est un mot long, et compliqué, mais ça sonne encore plus comme un nom de maladie. Sinon, pourquoi la forcerait-on à prendre deux pillules par jour?

Petit-Ange a 12 ans.

Les autres enfants qui la trouvaient bizarre ont eux aussi enrichi leur vocabulaire: la folie, les calmants, la drogue. Il pointe maintenant Petit-Ange du doigt, la folle qui prend des médicaments pour se calmer.

Mais si Petit-Ange semble plus calme, ce n'est qu'une apparence. La rengaine de Papa revient constamment, comme une mélodie lancinante: "Tu vas sur tes X ans, tu dois prendre sur toi!" suivi d'un "l'hyperactivité c'est dans ta tête".

Alors, le coeur de Petit-Ange se remet à saigner. Si fort, si violent, chaque pulsation comme une vague de destruction qui sape peu à peu les fondations de son être. Ni confiance ni peur, un mur sans couleur ni une réelle forme qui l'éloigne des autres.

Loin de tenter de le briser, elle s'y cramponne, s'accroche avec la force du désespoir au silence qu'elle instaure en elle.

Peu à peu, l'âme de Petit-Ange s'endort...





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ALLISON - L’HYPERACTIVITÉ PAR PETIT-ANGE (EXTRAIT 1)












L'hyperactivité par Petit-Ange 

(Extrait 1)




C’est comme lorsque tu pars en vacances. Tu es sur la route, et parfois tu passes devant quelque chose dont tu te souviens, un repère. Tu ne sais pas où se trouve ce repère avant d’y arriver, c’est seulement quand tu passes devant que tu t’en souviens. Les gens autour de moi sont comme ça, des repères dans ma vie, sans qu’ils en fassent vraiment partie. Je passe de l’un à l’autre sans vraiment me sentir liée, alors que tout le monde a au moins une personne qui le connait vraiment. Moi, personne ne me connait, même si beaucoup en sont persuadé. J’ai sans arrêt l’impression que c’est trop tard, que cette partie de moi est définitivement tronquée.

Je ne sais pas à quel moment de ma vie j’ai commencé à prendre en compte le TDAH dans mon comportement, à me demander si mes actes étaient réellement le résultat de mes désirs ou une simple conséquence neurobiologique, mais la différence a toujours influencé mes pensées, et mon rapport aux autres.

Il existe tant de manières de faire comprendre à quelqu’un qu’il est différent, chaque nuance semble trouver en nous un écho, une couleur, une note : un instant immobile auquel nous revenons sans cesse pour comprendre. Les gens pensent que se taire suffit à cacher ses pensées, ou que les expliciter ne changera rien à leur vie ; les parents pensent que la remarque nous fera changer… par amour pour eux, mais l’inverse existe-t-il ? Leur autorité nous transperce.

Seulement, transpercer, c’est passer au travers, et on esquive tout ce qui vient d’eux, brisant le lien. L’empathie des enfants, surtout des enfants hyperactifs, rend tellement précaire leur relation avec ceux qui les élèvent, sans que personne ne s’en rende compte. Cette sensation d’incompréhension n’est pas un mot, comment le dire ? Qu’en faire ?
Chacune des parties pense être la défaite, l’échec de l’autre : mauvais parents, ou mauvais enfant ? J’ai ressenti ce questionnement chez mes parents, en particulier chez mon père : loin d’être ce que je devais être, j’étais tout de même, et ces deux moi ne faisaient qu’accentuer ma différence.

Mon besoin de comprendre, de me comprendre, n’a jamais été pris en compte durant mon enfance. Peut-être n’ai-je pas été capable d’exprimer clairement ce désir, peut-être même n’ai-je pas été capable de m’en rendre compte alors, aussi clairement qu’aujourd’hui ; néanmoins, je pense que cela m’a manqué, et a nettement influencé mon rapport aux autres : aime ton prochain comme toi-même…
Tout ce qu’on me renvoyait, c’était que j’étais un concentré de trop : trop bruyante, trop violente, trop dispersée. Pourtant, je ne me suis pas sentie particulièrement différente avant d’arriver au collège, mes difficultés scolaires bien moins importantes que par la suite, même si le fait que mes résultats ne soient pas à la hauteur de mes capacités soit souvent revenu dans mes bulletins, années après années. Le reste était flou, vague. Je ne me voyais pas, tout simplement.

Le sentiment de différence est venu progressivement, au fur et à mesure que mes intérêts se précisaient, car je pense que ce sont eux qui m’ont réellement éloignée des autres enfants. J’aimais particulièrement les livres, passion encouragée par mes grands-parents, anciens libraires. Le temps que je passais chez eux était considérable… temps hors du temps, stable et immuable. Je ne me sentais pas totalement seule alors, parce que je me sentais connectée à mon grand-père : calme, toujours calme face au encore jeune homme tourmenté qu’était mon père, qui n’a d’ailleurs guère changé. Je n’ai pas les mots pour exprimer ce lien qui me liait à lui, pas plus que pour expliquer les raisons qui m’ont poussée à m’en détacher.

Mon hyperactivité n’est pas tombée du ciel, contrairement à ce que mon père a toujours voulu croire. C’est lui qui me l’a transmise, et son refus de l’admettre résonna longtemps comme un rejet, avant que je me rende compte qu’il était aussi seul que moi, enfermé dans un masochisme qui le pousse à détruire tout ce qui pourrait lui apporter du bonheur : que ce soit dans ses relations amoureuses ou familiales, son impulsivité et son refus de dialogue, ses incessants retours aux périodes difficiles de sa vie poussaient quiconque à restreindre ses conversations avec lui. Il ne semblait jamais s’en rendre compte, préférant certainement se persuader qu’il était quelqu’un de particulièrement épanoui.

Cependant, cette attitude était douloureuse pour moi, qui n’avais aucun mot à mettre sur cette sensation de déchirure que m’inspiraient les souffrances ignorées de mon père, associées à mon impuissance à l’en soulager ; et je n’appréhendais que davantage celles dont j’étais l’origine.
Mon père n’était pas le genre de père calme, modéré, conscient d’avoir en face de lui des enfants, à la fois sensibles et en cours d’apprentissage : il nous demandait sans cesse de nous conduire en adultes, alors que mon frère et moi n’avions pas dix ans. Chaque erreur d’enfant prenait avec lui figure d’échec d’adulte, tandis qu’il nous abreuvait de ses rancœurs liées à son service militaire ou à son divorce d’avec notre mère, et je lui en voulais de nous imposer ça : mon petit frère, alors très proche de notre mère, souffrait de l’entendre dire qu’elle nous avait mis dehors, qu’elle ne voulait plus de nous, qu’elle préférait s’amuser avec ses copains et copines au lieu de s’occuper de nous ; et moi, je lui en voulais de se servir de moi comme réceptacle de sa douleur, m’obligeant à porter une croix qui n’était pas la mienne. Mon empathie démesurée me forçait pourtant à me l’approprier, à faire mienne cette sorte de colère qui, à défaut de se diriger contre une cible concrète, explose dans toutes les directions et touche les êtres qui nous sont le plus chers.

Cette empathie, ce pouvoir d’invoquer en nous des sensations et des émotions qui ne nous appartiennent pas, qui ne sont ni justifiés par une situation, ni même le souvenir d’une situation passée, est une des caractéristiques qui montrent à quel point notre vie psychique est à la fois instable, intense, riche et impersonnelle.
Instable, car nous avons conscience, simultanément, de toutes les possibilités et combinaisons du comportement des autres au même niveau que de nous-même, si bien que la frontière entre la particularité de notre être et l’universalité dont nous faisons l’expérience nous apparait floue dès notre plus jeune âge, nous donnant cet aspect rêveur : nous nous perdons dans des milliards de nuances que nous vivons simultanément et totalement.

Intense, car cette expérience nécessite une intervention de notre part, sans quoi ce brouhaha silencieux viendrait parasiter la plus infime de nos pensées : c’est un compromis que nous devons faire avec nous-même ; comme tout roi, dans toutes ses prétentions à gouverner, ne peut réaliser sa tâche (et donc se réaliser lui-même en tant que souverain) s’il ne tient pas compte des phénomènes qui forment et régissent ceux et ce sur quoi il règne, l’hyperactif doit s’ouvrir à l’ensemble des évènements qui l’influencent, trouver dans cette succession d’idées les moyens de se démarquer par la justesse de ses réflexions sur des sujets qu’il n’a pas étudiés : c’est là la plus grande force de l’hyperactivité, cette faculté de pouvoir prendre position et discuter « sérieusement » de choses auxquelles nous n’avons jamais pensé auparavant.

Riche, donc, puisque ces expériences internes nous permettent de créer nous-même du savoir, processus favorisé par le rejet dont nous sommes dans l’ensemble victime : là où la sociabilité semble pousser à s’oublier au profit de l’autre, l’hyperactif aura une meilleure connaissance de ses capacités, le poussant à expérimenter des choses difficiles, voire dangereuses : contrairement à ce que pensent les psychologues, cela tient moins à notre désinhibition (qui s’exprime autrement), qu’à un besoin de réussir ce que nous avons besoin de réussir : nous possédons une force énorme qui, à défaut de nous protéger des dommages physiques, nous permet d’évoluer à travers la difficulté : nous avons conscience du danger, mais nous voyons également au-delà, contrairement à notre entourage.
Cette connaissance de nos capacités nous permet également (malheureusement ?) de prendre conscience de l’écart entre celles-ci et celles que l’on attend de nous : être capable de nous intéresser à des choses jugées importantes, mais dont la puissance émotionnelle est faible, voire nulle ; seules les choses provoquant un élan émotionnel fort peuvent retenir une personne qui a en elle-même un fonctionnement purement émotionnel.
Impersonnelle, enfin, car la possibilité de ressentir des choses qui ne sont pas des stigmates de notre vie réelle, de comprendre tant de mécanismes sans pour autant parvenir à les faire fonctionner en dehors, nous donne l’impression d’exister davantage en favorisant l’invention constante qu’en utilisant exclusivement les choses qui sont soit provoquées par des évènements réels, physiques, soit le fruit d’un enseignement concret dont nous devons pourtant rendre compte ; c’est dans l’ailleurs que nous trouvons ce dont nous avons besoin pour rester en mouvement dans notre existence, une drogue dont nous ne pouvons pas nous délivrer sans avoir l’impression de nous gâcher : ni nous ni l’autre, nous ne pouvons vivre qu’à travers l’ailleurs, c’est-à-dire ce que je conçois sans connaitre.



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ALLISON - L’HYPERACTIVITÉ, PAR PETIT-ANGE (EXTRAIT 2)

















L'hyperactivité, par Petit-Ange 



(extrait - Partie 2)





On commence alors à chercher chez les autres des manifestations de cet ailleurs qui se trouve dans notre tête, tant le besoin de partager ce dont nous n’arrivons pas à parler est fort en nous ; nous cherchons un écho, une sorte de résonance d’un autre esprit sur notre fréquence, et c’est pour cela que nous n’avons la sensation de nous épanouir pleinement qu’à travers des relations que l’on qualifie de fusionnelles : cela débloque quelque chose en nous, nous aide à nous localiser dans le temps et l’espace en nous affirmant dans la réalité.
Une relation fusionnelle crée de la difficulté, et cette difficulté naturelle détruit l’ennui qui restreint nos capacités : le meilleur moyen de stimuler un enfant hyperactif est à mon avis de créer de la difficulté autour de lui, des épreuves, des occasions pour lui de prouver et développer ses compétences de manière ouverte. Il est important que les parents se rendent compte que leur enfant découvre le TDAH en même temps qu’eux, et qu’il est nécessaire qu’ils fassent l’effort de mener leurs recherches sur ce trouble conjointement avec l’enfant pour que celui-ci prenne conscience qu’il peut en parler et poser des questions qui l’aideront à se construire une identité concrète.
Et éviter une phrase trop facile : « Je ne suis pas médecin, je ne peux pas t’aider/comprendre ».
Être seule face à mes parents ne m’a pas empêchée d’être sensible à leur influence ; mais, une fois encore, c’était tout ou rien…
En effet, bien que je ne me sois jamais sentie liée à mon père, je le comprenais tellement que je me sentais toujours obligée de revenir psychologiquement à lui : sa personnalité forte, en prenant pied dans mon esprit, est devenue une étrange schizophrénie que j’ai mis du temps à maîtriser sans pour autant parvenir à la faire disparaître. D’autres ont suivi, les personnalités les plus fortes continuant à vivre de manière autonome dans un coin de ma tête ; c’est un sentiment d’intrusion que certaines personnes provoquent en moi sans le savoir, et je dois sans cesse lutter pour ne pas être submergée par ces caractères qui ne sont pas moi.
Alors, malgré la fatigue, je dois me forcer à maintenir une sorte d’attention interne afin de combler chaque faille dans laquelle pourrait s’engouffrer quelque chose que je ne saurai contrôler.
Cet aspect de l’hyperactivité est pour moi le plus perturbant, celui dont je n’ai jamais parlé lorsque l’on m’a demandé ce que je ressentais en tant qu’hyperactive. Les autres ont déjà si peur de nous, certains établissements nous refusant même dès l’enfance, ou nous acceptant à contrecœur ; savoir que nous sommes en permanence sur le point de basculer dans un état tel que seule la terreur qu’il nous inspire nous permet de lutter à chaque instant de notre existence ne ferait que nous exclure davantage, nous obligeant à nous haïr nous-même en absorbant la haine des autres envers nous et leur peur pour nous fragiliser encore plus.
Et oui, même les monstres peuvent pleurer.

J’ai eu la chance d’avoir été acceptée en primaire en dépit de mes problèmes de comportement, et n’en avoir jamais été exclue ; mais je me suis récemment sentie impliquée émotionnellement dans un fait divers qui m’a rappelée cette période : un enfant s’était pendu à un porte-manteau de son école après avoir été humilié par son institutrice (qui fut blanchie lors de son procès.).
J’ai eu quelques institutrices qui ont essayé de m’aider et me comprendre, et que j’aime recroiser à l’occasion ; cependant, je me souviens des heures passées seule dans le couloir silencieux et, plus encore, des après-midi dans le bureau de la directrice.
Assise par terre, le dos contre la surface lisse de l’armoire, posée là comme quelque plante verte et de telle manière que personne, en entrant dans la pièce, n’aurait pu m’apercevoir. Les motifs du sol sont à jamais incrustés sur ma rétine, chaque détail, jusqu’au calendrier délaissé mais toujours accroché au mur contre lequel je posais ma tête en essayant d’oublier mes membres qui perdaient lentement leur sensibilité, oublier le désespoir que j’éprouve chaque fois que je ne suis pas assez forte.
Je vivais ça comme un rejet de mon existence : là où une punition s’étend rarement au-delà d’une dizaine de minutes, j’étais ainsi « oubliée » pendant tout l’après-midi sans rien, et mon cœur d’enfant en a beaucoup souffert : aujourd’hui encore, lorsque je me retrouve seule, je ressens ce besoin étrange que quelqu’un me rassure en reconnaissant mon existence, en m’assurant que même seule je ne suis pas oubliée.




Les motifs s’incrustent dans la rétine de Petit-Ange, s’immiscent sous les paupières closes.
L’inertie est douloureuse, laisse trop d’espace à ses pensées vagabondes et désespérément indéfinies.
Elle-même se sent bien trop petite pour cette pièce trop grande. Trop d’espace dans un espace étranger, dans lequel elle est réduite à l’état de meuble, chose immobile posée dans un coin, entre une armoire et deux murs.
Petit-Ange ne se sent même plus humaine, si être humain c’est être comme eux. Elle n’est pas comme ça, pas ça, et elle sent la fracture en elle sans pour autant parvenir à mettre des mots sur son malaise, sa souffrance, mais aussi ses questions : sorte de « qui suis-je ? » abstrait qui résonne entre les murs du bureau vide. Lui non plus ne peut pas sortir.
Petit-Ange n’aime pas cette punition qu’elle est seule à subir, elle le sait. Le silence et l’inaction sont un blanc qu’elle doit mais ne peut couvrir.
Alors s’écoule un temps qui n’existe pas, au rythme d’un calendrier qui depuis bien longtemps ne compte plus, ni les mois.
Parfois, c’est dans le couloir que Petit-Ange cultive ses lacunes, mais debout, piétinant dans le vide. Parfois.
Ce n’est pas une mauvaise élève, pourtant ; et la rengaine des maîtresses est reprise trop facilement par les parents de Petit-Ange : « Tu pourrais faire tellement mieux si tu t’en donnais les moyens ! »
Des efforts qu’ils demandent sans cesse, l’effort d’être reconnaissant envers ceux qui lui font du mal.
Sous prétexte d’éducation…





Si la violence de notre vie nous perturbe, celle de nos actes nous condamne : enfant violent, enfant méchant ? La frontière est fine et aisément franchie, chemins de traverse pour une synthèse bâclée.
La violence sert à provoquer une action pour tromper l’ennui… certes. Mais aussi, surtout, à nouer un contact avec l’autre : notre incapacité à communiquer verbalement nos pensées nous pousse à chercher chez l’autre une réaction vis-à-vis de nous ; ainsi, notre conception de la violence, surtout dans ce qui touche la vie en communauté (comme l’école ou la famille), ne contient pas la notion de souffrance, de faire du mal à l’autre, même si nous mettons du temps à apprendre à nous contrôler, à ne pas nous laisser submerger.
Être à l’origine de la souffrance de quelqu’un d’autre, quel qu’il soit, peut nous bouleverser sans aucun rapport avec la gravité réelle des faits, et ce à n’importe quel âge ; des tâches de regret sur la peau de chagrin qu’est notre cœur d’enfant méchant.
Et pauvres parents ! En dépit de tous leurs efforts, ils ne peuvent pas changer cet enfant ingrat qui leur cause tant de soucis…
Il suffirait de pas grand-chose, pourtant, mais c’est beaucoup plus facile de payer un psy : au fil des séances, l’impression d’avancer dissuade de s’impliquer, puisqu’après tout « c’est une affaire de professionnels » ; et puis, le psy « a l’habitude ».
Oui, vous avancez. Vous avancez même si vite que vous ne nous entendez même plus vous appeler loin, loin, loin derrière.
Enfant méchant qui traine des pieds sur le chemin de la vie ou du supermarché, bloc de matière presque vivante, presque morte. Trop d’énergie, pour être sûr de ne pas s’effondrer sous le poids d’une tête de plus en plus lourde. L’énergie de se distraire sans la volonté d’aller plus loin.
Mais tout n’est pas toujours comme ça.
Parfois, aussi, la lumière jaune de fin d’après-midi s’échappe des nuages noirs pour caresser une façade familière ; ou alors un mot, un son, une porte vers quelque chose de nouveau, simple mais immense : plaisirs rares et solitaires car incompris, bras ouverts ou fermés de déjà grande personne.
Le temps qui s’écoule semble nous ignorer : hier, aujourd’hui et demain fusionnent pour ne plus former qu’un ensemble informe qui prend parfois la couleur d’un rêve ou deux.
Je suis ça aussi, parfois.
Incapable comme le vieux calendrier de mon enfance de compter les mois qui nous séparent de ton départ : c’est tout comme, mais tu es là encore, quand même…
Amour inconditionnellement étouffant, déficit profond d’attention de la part d’amis versatiles, imaginaires ou inaccessibles : est-ce un crime pour un enfant que de vouloir se faire aimer de n’importe qui, enfant ou adulte, pour peu que l’on sente chez cette personne une douceur, une prédisposition à nous aimer ? Et que nous ressentions spontanément une sorte d’élan affectif qui nous fasse transgresser quelques principes d’une morale d’adulte que ne comprenons même pas ?
Trop jeune pour les adultes, trop différente pour les enfants, j’ai pris le surnom d’Avalon au collège ; prisonnière d’un espace-temps entre deux mondes si opposés, sans appartenir ni à l’un ni à l’autre.
Beaucoup de punitions, la violence me permettant seule d’exprimer des choses que j’éprouvais sans pour autant les comprendre, ni parvenir à mettre des mots dessus : chacune est si vaste, si forte et pleine d’autres choses, si complexe qu’aucun mots, même les plus scientifiques, puissent me permettre de la partager dans son ensemble.
C’est une frustration permanente pour nous, et une véritable source de peine très tôt dans notre vie : nous aimerions tellement pouvoir partager cela avec ceux qui nous entourent, alors que ceux-ci voient dans notre silence un refus de communication ; quand on veut, peut-on toujours ?
Notre côté perfectionniste nous pousse alors souvent à adopter le raisonnement suivant : si je ne peux me faire comprendre qu’en partie, ou mal, alors pourquoi ? Pourquoi s’acharner, pourquoi lutter dans une guerre qui ne nous apportera rien, hormis de nouvelles blessures ?
Moi aussi, j’ai abandonné.
Parce que je pouvais faire des choses impossibles. Parce que j’avais tellement de choses en moi qu’ils n’avaient pas. Des idées, des défis, la force et le pouvoir de créer, de voir, de comprendre.
J’étais tellement mieux qu’eux, préférant toujours la difficulté pour récolter la gloire que je méritais.
Parce que j’étais possessive, aussi. Je ne supportais pas que mes amies aient d’autre amie que moi, et l’idée qu’elles m’abandonnent m’a obsédée dès l’école primaire.
J’ai abandonné parce que c’était facile. « J’y peux rien, ils ne savent pas. Ils ne comprennent pas, ne peuvent pas comprendre ».
Parce que ça me donnait quelqu’un à blâmer quand je tombais. Perdre, alors, m’apportait davantage que réussir, parce que je pouvais regarder mes parents et penser : « si j’ai abandonné, c’est à cause de vous. »
J’ai abandonné, et passé ma vie à faire des conneries en baissant les yeux.

Tristesse, fatigue, frustration, injustice parfois ; autant d’émotions qui peuvent paraitre banales pour n’importe qui, mais qui nous poussent à renoncer à toutes les tentatives potentielles de communication assez jeune ; pour autant, si nous avons l’impression qu’une personne est « ouverte » (sensation dont nous avons conscience aussi intensément que du rejet), nous avons besoin de nous lier à elle dans un élan expansif spontané, si passionné et absolu que ça tranche avec notre attitude habituelle : nous avons conscience, quelque part, que ce n’est pas dans les règles comportementales des autres que de se conduire ainsi, mais l’espoir que représente cet espoir de partage nous submerge, nous pousse à ne pas en tenir compte ; notre conduite sera alors qualifiée de choquante, inappropriée, effrayera par l’intensité et l’intimité que l’autre pensera percevoir dans cette offrande d’affection.
C’est pourtant ce qu’il y a de plus pur en nous, d’une sincérité absolue, et je pense que le simple fait d’éveiller cela suffit à réparer quelque chose en nous, quelque chose qui n’a pas de nom.



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