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dimanche 22 juin 2014

ALLISON - PETIT-ANGE 2 (ADOLESCENCE)














Petit-Ange 2 (Adolescence)



Le silence est d'or.

Couchée au fond de la piscine, Petit-Ange fixe les formes qui s'agitent autour d"elle.

Le mur liquide qui les sépare amortit le bruit, sans pour autant parvenir à le noyer totalement:

"Elle devrait se faire interner..."

"Elle ne parle pas. Il parait qu'elle est autiste..."

Comme des coups de bélier dans un mur que Petit-Ange entretient depuis maintenant plusieurs années, l'élévant à la gloire du vide qui la gouverne. Protection illusoire, Mur des Lamentations dont les fentes abritent ses biens les plus précieux...

Petites perles que Petit-Ange enfile sur un fil de fer trouvé dans un recoin méconnu de son être; perles de vies sur fil imaginaire, vies fictives enmêlées dans une bibliophilie désespérée pour vaincre l'idée d'une mort de plus en plus espérée; éclats de personnages qui peu à peu commencent à prendre pied dans la réalité déformée de Petit-Ange.

Les mots des autres s'effacent sous la pluie des années de collège, mais la honte est un sentiment tenace...indélébile, crasse noire sur un coeur à vif d'avoir voulu être purifié, normalisé.

C'est pour ça que Petit-Ange ne va plus manger à la cantine, jamais.

Elle n'aime pas manger toute seule, Petit-Ange. Le collège est si grand, il y a tant de monde. Pourtant, personne ne veut venir manger avec elle, et tout le monde refuse de venir s'assoir à côté d'elle. Pire, ils l'espionnent, déposent leurs plateaux vides à sa table avant de s'enfuir en riant. Oui, la honte, ça ne part pas. Une fois que c'est là, ça ne part plus. Une tache de plus.

Alors, Petit-Ange s'interroge: au lieu de la soigner, les pillules qu'elle prenait pour la Fée Bleue n'ont pas fait d'elle une vraie petite fille; ce qu'elle comprend, c'est que plus elle guérit, plus elle dérive, plus elle périt aux yeux des autres.

Le collège, loin de la faire grandir, devient un lieu dévoué à son humiliation quotidienne: bourreaux scrupuleux, camarades et professeurs la condamnent sans possibilité de remise de peine: "Cette fille est mauvaise. Protègons les gens normaux contre elle."

Mais le mur tient bon, préserve une hibernation du cœur qui commence à durer...

Petit-Ange se tait toujours, même quand on lui arrache son livre pour le jeter sur le bitume glacé et trempé qui griffe les précieuses pages de ses aspérités.

Elle se tait, elle mérite ce qui lui arrive. Sinon, pourquoi chacun aurait-il au même instant le même élan de violence à son égard ?

Alors Petit-Ange se cache pour regarder les autres, non pas avec envie, mais pour essayer de comprendre ce qui ne va pas chez elle.

A vrai dire, ce n'est pas particulièrement dur à saisir: alors que tout contact physique lui est refusé, (par crainte de contagion?) la tactilophilie des autres la rejette toujours dans une sorte de brouillard, espace-temps social à l'air vicié.

Couchée au fond de la piscine, Petit-Ange voit ses bulles d'espoir s'envoler vers la surface, tandis que son corps tout entier se révolte contre le traitement que l'âme lui inflige.

"Pourrais-je un jour oublier? Trouver le bonheur...la paix?"

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