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dimanche 29 juin 2014

DURANDAL - LA MAIN















LA MAIN



Elle contemplait sa main sans vraiment la reconnaître. Elle la regardait comme si elle ne lui appartenait pas, comme si elle la voyait pour la première fois. Un objet étranger dont elle détaillait, émerveillée, les phalanges et les articulations.


Pour la Saint-Nicolas, la directrice de l’école avait invité une artiste-mime, elle passait un quart d’heure dans chaque classe. C’était un moment de bonheur dans la grisaille de décembre, un moment de poésie avant le passage de Saint Nicolas.


L’intervention de Catherine dura un quart d’heure. Quinze minutes, c’est peu mais c’est parfois suffisant pour bouleverser une vie. Elle portait un pull sombre et tenait une main gantée derrière son dos. L’autre manche était garnie jusqu’au poignet de deux bandes couleur chair au bout desquelles sa main nue semblait accrochée. Elle fit tout son spectacle avec cette main unique. Elle nous montra toutes les merveilles qu’elle contenait.


Les enfants regardaient la main de Catherine. Catherine faisait jouer ses doigts, elle portait sur son visage l’étonnement d’Adam et Ève face à la beauté de la Création. Les machines les plus sophistiquées étaient tout à coup des objets désuets par rapport à une simple main. Ses cinq doigts étaient les acteurs d’une troupe de théâtre, ils saluaient le public tous ensemble, puis chacun leur tour puis par couple et parfois à contretemps. Elle les réprimandait, leur faisait les gros yeux et ils obéissaient à ses injonctions. Elle incita les écoliers à participer à l’exercice, ils essayèrent avant de s’apercevoir incrédules que leurs doigts ne répondaient pas exactement à leurs ordres.


La main de Catherine dirigeait la manœuvre et elle la tira vers un chevalet. Elle gribouilla quelques portraits sur une feuille mais ils n’étaient guère convaincants, ceci fit rire les élèves. Elle arracha les feuilles et morigéna sa main. Elle se lança sur une nouvelle feuille de papier et en deux ou trois coups de feutre, elle dessina un vrai portrait, un modèle équilibré, l’ensemble était très harmonieux. Un visage de gamin étonné aux cils surdimensionnés éclairait le coin de la salle de classe si terne tout à l’heure et si beau maintenant. Il était évident qu’elle avait dû s’entraîner des centaines de fois pour arriver à ce niveau de dextérité mais les enfants ne le soupçonnaient pas. Son dessin était tombé comme un cadeau du ciel. Les oh d’admiration avaient d’autant plus de force qu’ils succédaient à des rires moqueurs. 


Catherine jouait la scène sur l’estrade, sa main droite était son unique partenaire, une main qu’elle réprimandait, encourageait, applaudissait avec son autre main gantée qu’elle claquait contre le bureau. Le spectacle avait une dimension poétique très forte, Catherine nous montrait quelques-unes des multiples portes qu’une main pouvait ouvrir. La classe était subjuguée, Catherine faisait régner dans la classe un silence ce que nous avions, parfois, tant de mal à obtenir. Même les garnements, réputés dissipés, étaient attentifs.


Elle saisit un pipeau, un instrument rudimentaire, un bout de roseau emmanché sur un mauvais sifflet. Il était plus court qu’une flûte. Elle le porta à sa bouche et avec une seule main, elle sortit de l’instrument un morceau de musique, cela devait être du Mozart, l’entrée en matière d’une œuvre… Cela tenait de la magie, l’air était si simple, si frais… les enfants étaient tout ouïe.


Les élèves regardaient leur main, peut-être par mimétisme, ils semblaient leur demander si elles-aussi sauraient un jour dessiner, faire des ombres chinoises, jouer de la musique… J’ai réussi à prendre quelques photos de leur mine interrogatrice, ce sont des clichés que je conserve précieusement.


Catherine a mis un bandeau sur ses yeux et elle s’est promenée telle une aveugle dans la salle de classe, elle se guidait à tâtons avec sa main unique. Elle butait sur les pieds de table et caressait parfois la tête d’un écolier, ses grimaces suffisaient à provoquer l’hilarité de la classe enchantée. Son masque devait être transparent mais les enfants y croyaient. Elle regardait de côté et avançait tirée par sa main comme un chien récalcitrant mené par son maître. Elle nous dit au revoir en agitant la tête, elle avançait malgré elle, elle semblait vouloir rester avec nous mais elle était impitoyablement tractée par sa main qui dirigeait la manœuvre, elle en était le jouet. Elle ne regardait plus sa main, elle ne voyait plus rien.



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Juin 2014





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