MISE EN VOIX MARCEL FAURE
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Vendredi 2 décembre 2011
Je
me
lève.
J'enfile
ma
robe
de
chambre.
Je
m'assieds
sur
une
chaise
ou
dans
un
fauteuil.
J'attends.
Un
mot
passe.
Je
souffle
dessus
pour
attiser
sa
braise,
je
tisonne
le
fourneau.
Le
bois
s'enflamme.
Le
feu
crépite
doucement.
Le
spectacle
se
met
en
place.
D'autres
lieux,
la
nuit,
un
feu
de
camp,
quelqu'un
chante.
Une
grosse
branche
bien
sèche
ravive
la
flamme,
projections
incandescentes,
lucioles
rougeoyantes.
Plus
tard,
allongés
dans
un
sac
de
couchage,
nous
espérons
des
étoiles
filantes.
Mais
très
haut,
un
nuage
ronge
notre
ciel
de
lit.
Qui
donc
s'est
endormi
le
premier.
Ici,
dans
un
mot,
un
seul,
il
y
a
toute
une
nébuleuse
de
signes
à
explorer.
Dans
chaque
bouche
il
se
réinvente,
et
si
la
bouche
est
tendre,
des fruits mûrs
s'envolent et séduisent.
Et
celui-ci de mot,
entièrement
utilitaire,
— bois
– que
j'allais
négligemment
ajouter
au
bûcher,
le
voici
sculpture,
maison,
piano,
jouet,
chaise,
table,
buffet, ou bien vivant et
encore arbre
à
pain,
cerisier,
frêne,
chêne,
épicéa,
ébène,
sapin, forêt, ...
– bois
– et
l'onde
se
répand
en
cercles
concentriques.
Bois,
un
mot
initiatique
qui
se
cache
dans
chaque
essence,
dans
chaque
utilisation.
Samedi 3 décembre 2011
Pourquoi
cette
odeur
de
fumée
dans
mes
narines
?
Chauffage
collectif
par
le
sol,
cuisinière
électrique,
dans
cet
univers
aseptisé, toute
odeur
inquiète.
Rien
ne
doit
s'échapper
de
la
hotte
aspirante,
Sur
la
colline,
dans
les
jardins
ouvriers,
quelqu'un
brûle
des
feuilles
mortes,
Légère
et
entêtante,
l'odeur
s'insinue
jusqu'au
cœur
des
maisons.
Ailleurs,
il
y
a
longtemps,
la
cheminée
refoule,
toute
la
bande d'amis
tousse.
Pour
que
le
tirage
se
fasse,
il
faut
ouvrir
la
porte
extérieure
qui
donne
sur
une
cour
pavée
de
lauzes
disjointes.
Nous
avons
25-30
ans,
nous
sommes
heureux,
nous
refaisons
le
monde.
Aujourd'hui,
toujours
à
refaire
le
monde.
Aller
de
l'avant
même
si
chacun
de
nos
pas
est
minuscule.
Le
nez
en
l'air,
suivre
la
piste
du
jardinier,
nettoyer,
remettre
en
état,
préparer
imperceptiblement
le
sentier
que
d'autres
emprunteront.
Demain
l'air
sera
libre
de
droits.
Dimanche 4 décembre 2011
Un
héron
passe
dans
mon
ciel
de
ville.
Perdu ?
Non,
il
part
là
bas
en
direction
de
la
Loire
et
des
étangs.
Que
cherchait-il
ici ?
L'étal
d'un
poissonnier ?
Il
calligraphie
son
message
d'ailes
sur
les
courbes
de
l'air.
Cette langue scintillante juste en dessous des dernières collines,
c'est elle, ma belle encore sauvage. Elle file, vers Orléans, les
châteaux et Saint-Nazaire, pour mêler son tumulte à celui de
l'océan.
Une ballade que chante Serge Kerval, décrit la Loire comme une jeune
fille peu farouche qui se donne volontiers, au roi comme au roturier.
Les berges effrontées abritent bien des amours ingénus. À chaque
méandre son doux secret.
Lundi 5 décembre 2011
—
Mais
il
fait
un
temps
épouvantable
aujourd'hui !
Je
ne
parle
pas
de
ce
froid
glacial
qui
court
sous
les
nuages
plombés.
Non, non, mais
de ce
choc
au
réveil, de
cette
joie
à
faire
fonctionner
tes
muscles,
la
fraîcheur
de
l'eau
sur
ton
visage,
le
goût
rouge
de
l'été
dans
la
confiture
de
cerises,
la
tendresse
du
baiser
matinal
de
tes
enfants,
la
porte
de
l'immeuble
que
cette
jeune
fille
a
retenu
pour
t'attendre
malgré
la
morsure
du
froid
sur
ses
doigts, le bus qui patiente
avant de se refermer sur toi … je continue ? L'arbre qui
s'ébroue de son givre, la fontaine et sa langue de cristal, le
trottoir où danse un acrobate de la glisse, l'odeur des marrons
grillés …
Non,
tu n'es pas frigide au bonheur, mais comme moi, souvent, tu
l'oublies. Ce soir, quand tu rentreras, tes enfants tout excités
t'entraîneront dans une sarabande folle avec ce rayon d'or dans les
yeux qui, si enfin tu le vois, te fera dire en souriant :
—
Ça sent la neige pour demain.
Mardi 6 décembre 2011
Parfois,
je suis condamné au divan. En face de moi, tes yeux soudain gris
sombre. Je suis désarmé. Tu parles de l'ennui qui te prend, de la
chemise qui me vieillit, de tes regrets, de ton désarrois de me voir
rivé à mon stylo, de cette droite qui n'en finit pas de nous sucer,
de ta mère qui te hante encore. Tout. Pêle-mêle.
Avec
toi, je ne sais plus être original, inattendu. Une carte postale par
jour pour te dire mon amour ? Éculé. Un colis de pâtes, chaque
paquet différent de l'autre, pour surprendre ta gourmandise ? Déjà
fait. Une question pour réveiller ta passion botanique ? Je suis à
sec. Un projet qui te donnerait
un peu de tonus ? pas d'idées. Ah, béni soit le téléphone s'il se
décidait à sonner.
—
Tiens, chérie, c'est pour toi.
Mais
depuis quelque
temps, tu as peur du téléphone. Une mauvaise nouvelle est si vite
arrivée. Une amie qui épuise ta gentillesse à force de se répéter,
un importun qui voudrait te vendre ce dont tu n'as pas besoin ... non
pas aujourd'hui.
Et
je reste coincé dans ce fauteuil, les yeux perdus dans ce bouquet de
chrysanthèmes. Jetons-le, il est fané. Bouger coûte que coûte,
sortir de cette léthargie nostalgique, actionner le bouton du
bonheur.
Tu
te lèves, tu tries, tu coupes pour sauver quelques tiges, un nouveau
vase. Tu souris devant cette épure de bouquet, presque un Ikebana.
Tu cherches le bon angle pour mieux l'admirer. J'acquiesce d'un
signe.
Apaisée
par le refrain des couleurs que tu perçois de biais, tu reposes
doucement ta tête sur mon épaule.
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