Photographie personnelle de Morgan et Paty
Embrasement
Ce matin-là, le Soleil avait décidé de faire la grasse matinée, fatigué de sa grande virée de la veille qui l’avait laissé bien amer. Il avait fait la fête pour la dernière fois. Sa toute première fois était bien derrière lui : la saison s’avançait, l’hiver pointait son nez. Son ultime journée l’attendait goguenarde, bien campée sur ses pattes. Elle était jeune encore, se pensait éternelle, dédaigneuse des peurs des belles éphémères. Lui aussi avait été orgueilleux et fier, bien avant que le Temps, sournois et cauteleux ne vienne lui demander des comptes, un mouchoir à la main. Il n’y avait que le Temps, sans âge, qui s’en tirait toujours. Il attendait tranquille, au détour du chemin et son sourire sanglant disait « un jour, tu seras mien ».
Le Soleil soupira. Quand le jour aurait chaviré, il partirait là-bas, de l’autre côté du monde. Déjà la vie s’enfuyait à tire d’ailes. Son souffle devenait court et tiède. Les oiseaux ne venaient plus se brûler à sa caresse, les fleurs ne lui faisaient plus de l’œil. Il était loin le temps où le vent faisait danser leurs robes rouges et où, dans le frais matin, il venait boire les gouttes de rosées qui perlaient de leurs petits corps graciles. Il était loin le temps où, libres et irrévérencieuses, elles dressaient leurs corolles vers lui et s’offraient à la morsure de ses rayons.
Il avait mal dormi et, plus pâle que d’habitude, il n’en menait pas large. Qui donc pourrait l’aimer de l’autre côté du monde ? Pour retarder le moment des adieux, il décida alors de ne pas se lever. Mais le Temps, qui a toujours plus d’un tour dans son sac, envoya Aurore au chevet du Soleil. Toute rose d’émotion, ses grands yeux si clairs lui mangeant le visage, elle alla donc le tirer du lit. Colosse aux pieds d’argile, il se vit fort et étincelant dans son regard liquide. Voulant lui offrir la plus belle des couches, il la prit par la main et alla l’étendre sur son plus beau nuage au beau milieu du ciel. Et le Temps reprit ainsi sa course funeste.
Le Soleil écoutait sa belle Aurore qui tout bas gémissait : « Tu as vécu sans moi, mais jamais moi sans toi. Comment vivre sans toi ? Je ne veux pas d’un autre soleil. Emmène-moi avec toi. »
Elle se mit à pleurer. Le Temps, ému de son chagrin, souffla sur ses paupières et la peau d’Aurore, si fine et translucide, se fit de parchemin. Le Soleil savait qu’elle se perdait pour lui mais il ne voulait pas partir seul dans la nuit. Il l’enveloppa alors pour qu’elle devienne d’or liquide. La douleur fut telle que le sourire d’Aurore se déchira, ses lèvres devinrent velours rouge. Dans un ultime baiser, elle mêla ses lèvres aux rayons du Soleil. Celui-ci, désormais étranger dans le ciel, plongea dans l’océan et ses larmes de feu embrasèrent l’infini.
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