06
JUIN 2014
LES PANTOUFLES
Toutes mes pensées en ce jour vers ma très chère amie Aliza et tous ceux qui comme elle et moi, prônent un langage et des actes en faveur de la paix dans le monde.
Aujourd'hui, permettez-moi de vous conter la nouvelle "Les pantoufles" d'Aliza, extraite du recueil du même nom de douze nouvelles, paru aux éditions Edilivre.
Le
6 juin 1944
la petite fille des pantoufles
avait exactement
11 ans
En 1939 elle
allait entrer à la grande école et en était très fière. Ses
grandes sœurs la taquinaient en disant qu'elle n'était encore qu'un
bébé, que la grande école n'était pas vraiment importante,
qu'elle était trop petite pour comprendre... Mais elle, petite fille
menue au visage anguleux, les lèvres tremblantes et le menton
pointant en avant comme pour retenir une envie
de pleurer, les yeux grand ouverts avec un fond de bouderie, elle était froissée mais fière
malgré tout.
de pleurer, les yeux grand ouverts avec un fond de bouderie, elle était froissée mais fière
malgré tout.
Puis
il y eut l'exode, le départ en catastrophe, la famille séparée et
disséminée dans différentes campagnes. Papa était resté à Paris
pour garder l'atelier, pour continuer à travailler, pour sauvegarder
le peu de biens qu'il avait. Et toute cette agitation, tout ce monde
sur les routes, tout ce bruit... elle ne comprenait pas, la petite
fille, ce qui se passait autour d'elle.
De
retour à Paris il y eut enfin la grande école, l'émotion,
l'angoisse du premier jour de classe. La petite fille ne comprit pas
pourquoi la maîtresse d'école avait l'air si sévère en prononçant
son nom, le dernier de la liste d'appel. Évidemment avec un nom truffé
de Z et de K
la dame avait du s'y reprendre à deux fois. "Encore un nom à coucher dehors avec un billet de logement" avait-elle marmonné. Et la petite avait ressenti la méchanceté avant de connaître les miracles de l'alphabet. Mais elle était confiante la petite fille, car elle savait comment
obtenir l'approbation de la maîtresse d'école. En effet son papa lui avait promis une belle étoile jaune avec des lettres noires à l'intérieur pour mettre sur le revers de son petit manteau. C'est d'ailleurs papa qui lui avait cousu ce joli vêtement et pour l'étoile il avait dit: "je vais la doubler d'une toile de tailleur pour qu'elle se tienne bien; elle sera belle et tu en seras fière,tu verras".
Si la maîtresse fut impressionnée elle ne le montra pas.
la dame avait du s'y reprendre à deux fois. "Encore un nom à coucher dehors avec un billet de logement" avait-elle marmonné. Et la petite avait ressenti la méchanceté avant de connaître les miracles de l'alphabet. Mais elle était confiante la petite fille, car elle savait comment
obtenir l'approbation de la maîtresse d'école. En effet son papa lui avait promis une belle étoile jaune avec des lettres noires à l'intérieur pour mettre sur le revers de son petit manteau. C'est d'ailleurs papa qui lui avait cousu ce joli vêtement et pour l'étoile il avait dit: "je vais la doubler d'une toile de tailleur pour qu'elle se tienne bien; elle sera belle et tu en seras fière,tu verras".
Si la maîtresse fut impressionnée elle ne le montra pas.
Un
matin, à l'aube, la petite fille fut réveillée par des bruits de
voix, des pleurs, des chuchotements; pas tellement effrayée mais
surtout curieuse, sa poupée dans les bras et son pouce dans la
bouche, elle fit son entrée dans la salle à manger. Papa était là
entre deux hommes, les bras ballants. Il était vêtu comme pour
sortir, avec son pardessus et son béret, dans son regard une
impuissance ahurie et une tristesse immense. Maman pleurait
doucement. Tout se passa très vite, les embrassades, les larmes, les
dernières recommandations… et papa n'était plus là. Sa mère et
ses sœurs étaient atterrées, il y avait comme une odeur
de
catastrophe dans la maison. Les grandes se lançaient des regards entendus ; elles discutaient à mi-voix et ébauchaient des plans compliqués, excluant la petite qui ne pouvait pas comprendre. La petite fille, elle, réfléchissait gravement et se posait une question à laquelle elle n'a jamais trouvé de réponse. Son père était habillé lorsqu'il était parti, elle l'avait vu avec son manteau et son béret, mais pourquoi dans ce cas n'avait il pas mis ses chaussures? Pourquoi?
catastrophe dans la maison. Les grandes se lançaient des regards entendus ; elles discutaient à mi-voix et ébauchaient des plans compliqués, excluant la petite qui ne pouvait pas comprendre. La petite fille, elle, réfléchissait gravement et se posait une question à laquelle elle n'a jamais trouvé de réponse. Son père était habillé lorsqu'il était parti, elle l'avait vu avec son manteau et son béret, mais pourquoi dans ce cas n'avait il pas mis ses chaussures? Pourquoi?
Durant
les années de guerre la petite fille fut séparée de sa mère et de
ses sœurs. Elle fut cachée dans une famille chrétienne qui n'avait
pas été touchée par la démence de l'antisémitisme ; elle y
fut accueillie avec bonté et commisération. Malgré cela elle se
sentait
bien seule, pratiquement sans nouvelles des siens, égarée dans un monde hostile. Ses points de repère s'estompaient au fur et à mesure qu'elle devait changer de nom, trois ou quatre fois pour sa sécurité. Mais la petite s'agrippait à chaque parcelle de souvenir et tous les soirs avant de s'endormir elle se forçait à penser à chacun des membres de sa vraie famille. Elle fermait les yeux et les voyait les uns après les autres, enfouie sous sa couverture, elle les appelait tout doucement, elle savait bien pourtant qu'ils ne viendraient pas.
bien seule, pratiquement sans nouvelles des siens, égarée dans un monde hostile. Ses points de repère s'estompaient au fur et à mesure qu'elle devait changer de nom, trois ou quatre fois pour sa sécurité. Mais la petite s'agrippait à chaque parcelle de souvenir et tous les soirs avant de s'endormir elle se forçait à penser à chacun des membres de sa vraie famille. Elle fermait les yeux et les voyait les uns après les autres, enfouie sous sa couverture, elle les appelait tout doucement, elle savait bien pourtant qu'ils ne viendraient pas.
Ce
fut la fin de la guerre avec l'euphorie de la libération. La petite
fille qui était devenue fillette retrouva ce qui restait de sa
famille. Elle reprit son nom avec des Z et des K, et réintégra sa
vie un moment abandonnée sur une voie de garage. Elle chemina
lentement et longuement, cherchant sa route dans un monde difficile à
comprendre. Bien après, très tard dans sa vie de femme, elle se
demandait toujours pourquoi son père qui était si soucieux de faire
les choses comme il se doit, pourquoi s’en était-il allé vers sa
mort en pantoufles.
Elle
ne comprit jamais.
Tous droits réservés
Le recueil
à vous procurer aux éditions Edilivre
Racine Et Icare vous en parle ici
Et le coeur d'Aliza sur son site mon cahier de brouillon
récemment remis à jour
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