Anna Logon, elle caresse de son cœur les claviers et compose textes, images et notes avec talent, élégance et fantaisie
MISE EN VOIX ANNA LOGON
Anna, sa plume sergent major Son avatar est son sceau
Il y a longtemps que j’écrivais occasionnellement des poèmes, des mots aux maux. Ils n’étaient lus que par l’intimité de mes yeux. Pourtant... D’autres l’ont fait, et ont trouvé cette poésie (Ah ah ! j’en ris encore) « sublime et bouleversante ». Ces yeux sont devenus le fanal guidant ma main hésitante sur le chemin de la prose, et sont nées les premières histoires encore toutes détrempées de moi. Toujours et encore encouragée par ce lecteur, certes privilégié et magnanime, une plume est alors sortie de ce moi.
« Écris ... Écris toujours... ». « Il te faut trouver un nom de plume... ». Crois-tu ? (Allons bon !)... Alors il doit avoir en moi une résonance particulière, voire du panache ! Quoi de plus normal pour une plume ? Cela demande réflexions. Mille mots, mille noms ont tourbillonné... pour n’en retenir qu’un : « analogon », du grec ancien ανάλογον, análogon, principe philosophique signifiant « autre lui-même ».
Alors un soir de Juillet 2013, est née Anna Logon... Je me suis trouvée (enfin...) et du fond de mon cœur, je ne l’en remercierai jamais assez.
Mes influences ? Trop... Sans doute. Mes lectures sont très éclectiques.
Je crois désormais que l’écriture est telle une serpillière qui ramasse tout sur son passage. Mais, avant de pouvoir l’étaler sur un des fils à linge à l’air libre de son jardin, il faut la presser, la tordre, la débarrasser de ce trop-plein d’eau. Et la torturer encore et encore pour lui extraire ce jus de vaisselle insipide, inodore, décoloré.
Alors seulement, dans nos mains, il reste l’essentiel déshydraté et pur... les mots.
Vous comprendrez aisément que, pour moi, l’expérience sera toujours loin devant...
À gauche, les yeux malicieux semblent à leur tour provoquer leurs comparses : « Ah tu veux jouer au chat et à la souris ? Alors jouons sans angoisser l’auditoire... ». Dès la première mesure de l’Étude Opus 10 N°2 de Chopin, le public se rassoit. Sans la moindre hésitation dans leur réponse, les doigts agiles entament leur course chromatique, se pourchassent l’un l’autre sur la plaine neigeuse, voltigeant sans heurt sur les roches sombres. Primesautiers, ils vont et viennent avec adresse sur le clavier virtuose. La mélodie s’amplifie tournoyante du parquet jusqu’aux lustres. Sans s’essouffler, dans la forêt du parterre, le courant d’air tourbillonne décidé. Déjà il virevolte entre les fauteuils faisant courber les troncs, étourdissant les têtes sur son passage. Effréné, il se gonfle en spirale ascendante, arrache toute frondaison. Les feuilles s’envolent du pupitre en friponnes volutes, emportant les clés et les appogiatures. Les croches se multiplient en double, en triple en ricochant sur les velours des tentures. Les bécarres, les dièses et les bémols se dévergondent sans demi-teinte en ellipse sans fin... Puis la course s’amortit en un seizième de soupir.
En face, un regard noir le dévisage, ces tendres harmonies l’ennuient ...
CHOPIN - Étude Op.10 No.4 - C sharp minor
Comme pour répondre aux préférences dissonantes de son protagoniste, le pianiste poursuit s’exaltant sur l’Opus 10 N°4 pour porter l’estocade. Les doigts et l’instrument s’unissent, évanescents. En transe ils fusionnent en une seule onde frénétique. Le flot de musique se déchaîne, elle se fait conquérante. Les véloces triolets dévalent bouillonnant dans les allées, les gruppetto débordant descendent en cataractes des balcons. Bientôt, la salle se noie dans les vagues ondulantes, qui se ruent tumultueuses. Tels des coquilles de noix flottant sans amarre, les fauteuils voguent secoués par la houle démontée emportant les mélomanes submergés. Ils cramponnent le pavois, mais déjà chavirent sous les furieuses modulations. Échevelées, les sonorités s’élèvent en murs vertigineux, et cinglent les mezzanines. Scélérate, leur intempérance se fracasse sur les lisses, explosant en mille fougueuses tonalités. Les triolets redescendent en écumeuses cavales, se propagent avec célérité dans les coursives et le hall. Sans tremolo ni défaillance, la Musique décide alors de porter le dernier assaut, il sera crescendo ! L’espace tout entier se dilate en une puissante vibration. Le frontispice fragilisé se fend sous la dominationde ce cyclone devenu impérial ! Sous l’estoc et la taille de l’accord final, la Musique le jure, corbeille, cintres et pilastres dégringoleront sur les lambourdes !
... Quand la poussière reposa son nuage sur le parquet, ne restaient debout que deux courbes noires encore entremêlés. Trois pages de partition voltigeaient plus haut telles les feuilles d’un automne trop précoce. Adieu édifice, concert, cintres, fronton... Fauteuils arrachés, tentures par terre... ruinés... Sottise fratricide, affrontement guerrier, les noires contre les blanches, bémols et dièses déchaînés... Plastronnade achevée... Désolation...
Frère de cordes, hisseras-tu enfin pavillon blanc ?
BACH - Fugue No. 2 in C minor, BWV 847 - Tempered Clavier
Sur la gauche sortant à nouveau de l’ombre, la main tourne la page... BWV 847. Les yeux du pianiste se ferment avec délice, le visage radieux de laisser à nouveau ses mains gambader dans les blanches campagnes en triolets et sur les dièses escarpés. Ô Steinway merveilleux... offre à ses doigts le plaisir de caresser ton clavier bien tempéré. En do mineur, fais-toi délicate fugue, apaisante comme l’eau fraîche du ruisseau renaissant au printemps. Adoucit la fougue bouillonnante et furieuse de ton semblable ce soir si colérique. Calme les arpèges en mascaron dissonants de ce demi-frère qui assombrissent le contrepoint et l’harmonie. Déploie la douceur sucrée de tes feutres pour édulcorer les ardeurs des marteaux analogues rugissant sans vergogne. Cicatrise ses noires humeurs en l’enjôlant de mille boucles de tonalités bémolisées dont, seul, tu as le secret. Estompe l’emportement chaotique et cacophonique de ce jeune polisson qui affole l’auditoire par ses algarades tapageuses...
BACH - Prélude No. 21 in B flat major, BWV 866 - Tempered Clavier
La partition s’effeuille à nouveau... BWV 866. Réjouis-toi rageur jumeau de cordes ! Entends ces milliers de couleurs en si bémol majeur descendre en frétillantes tierces l’ivoire escalier, et batifolant quatre à quatre en variantes ascendantes sur quelques marches noires. Les notes claires jaillissent rieuses une à une en point piqué ! Les fringantes triples croches éclaboussent en suites legato ! Les doigts voltigent allegretto en frivoles cascades toujours plus impatientes. Più crescendo, les grisantes modulations caracolent déjà sur les dossiers de velours rouges... Les croches en gouttes cristallines enflent le cœur des baignoires, les mesures s’accrochent en perles aux balcons et composent de chatoyantes guirlandes. À nouveau, les yeux des mezzanines pétillent, les fossettes s’épanouissent en un jubilant parterre. Pourquoi vouloir attrister ces pauvres âmes attentives ?
Toi aussi, attendris tes cordes de vif acier avant que ne résonne une plus grave discordance...
« L’imagination et la sensibilité tournent naturellement l'homme vers lui-même. »
Les Romantiques.
Vous avez dit romantique ?
Mais, d’où viennent donc ces oiseaux ?
Ainsi s’interroge Nabel, le nez dans l’horizon et le regard inquiet. Il n’en a jamais vu autant; ce sont de véritables nuées qui zèbrent le ciel déjà bien obscurci par les nuages d’automne. Deux fois par semaine il vient dans cet endroit mystérieux, presque inaccessible au marcheur non averti. L’éperon rocheux sur lequel il trône ce midi est le lieu de toutes ses méditations.
En effet, au prix d’une escalade difficile, Nabel aime s’abandonner à cette solitude profonde, intense et il adore contempler les brumes voiler le fond de la vallée de géantes volutes évanescentes. Le vent y est toujours présent, généralement fort et bruyant. Il tient à rester debout, dans cette posture caractéristique du dominant ou du moins, de celui qui brave courageusement les éléments. Pour cela, il s’appuie sur son bâton en bois de houx, fidèle et unique compagnon de randonnée. Il apprécie surtout, sentir le vent le bousculer, gifler son visage offert et tenter de s’engouffrer dans ses vêtements clos.
Nabel ressent la même jouissance à chaque fois qu’il s’adonne à cette relation amoureuse avec cette nature surréaliste. D’aucuns seraient transis de peur et de froid en ce lieu surnaturel. Nabel dit à qui veut l’entendre que la solitude, ça n’est pas être seul mais c’est être enfin avec soi. Et ici, il se retrouve avec son « lui-même », total, entier. Le contexte ne fait que renforcer cette intime rencontre et tisse nombre de connexions entre toutes les facettes éparpillées de sa pensée. Il en repart généralement à regret mais comme réinitialisé, reconstitué. Et donc plus fort.
Cependant, la présence des oiseaux noirs perturbe ce processus, aujourd’hui. Ils volent en groupes successifs semblant transporter d’invisibles fardeaux d’un bout de la vallée à l’autre. Puis ils repartent vers un nouveau trajet, un autre ballet identique. Faut-il y voir une signification particulière ? Nabel se met à penser qu’ils tournent autour de…lui ! N’est-il pas le seul être vivant digne d’intérêt dans ces lieux hostiles et osant se confronter avec une réalité a priori peu favorable. Les oiseaux au prix d’un ennui probable et l’ayant aperçu lui font une sorte de ronde, d’aubade. Voilà, c’est aussi simple que cela. Il ferme donc les yeux sur cette pensée.
Comme un songe, naissent dans son écran intérieur de délicieuses images, de sensuels souvenirs récents. En effet, la volupté des sens lui sert souvent de vecteur dans ses transports méditatifs. Les mains de la belle Andar, sa compagne, sur sa peau ce matin, au réveil se mêlent petit à petit aux violentes rafales d’Eole, maître des lieux. Les désirs et plaisirs respectifs semblent si proches. Ce savant mélange de contrastes entre son imaginaire et le réel, lui procure cet infini frisson qu’il affectionne particulièrement. Sans pouvoir expliquer rationnellement ces manifestations psychologiques, physiologiques même, il en tire néanmoins tous les bénéfices et se berce lascivement de cette étrange illusion. Après ce moment singulier et sortant presque douloureusement de l’acmé de sa jouissance, Nabel ouvre les yeux.
Un oiseau perché sur une vieille souche de bois noir, à quelques mètres, le regarde.
Nabel reste un instant circonspect à la vue de cet oiseau qui ne semble aucunement effrayé, ni par sa présence, ni par son regard. On peut même dire que la situation lui échappe un instant ; il doit faire un effort de rafraîchissement de sa lucidité pour s’assurer de la réalité de ce qu’il voit. Jamais jusqu’alors, Nabel n’avait été aussi déstabilisé par un animal, non agressif s’entend. Il bouge son corps, se mobilise, change de position, fait quelques pas de côté, autant pour tester les réactions de cet oiseau bizarre que pour tenter d’échapper à cette réalité dérangeante. Revenu à sa position initiale, il se surprend à exécuter cet acte totalement incroyable : parler à l’oiseau !
- Que me veux-tu, triste animal ?
En entendant ses propres paroles, Nabel se demande soudain s’il n’est pas devenu fou et regrette déjà ses mots idiots tout en se sentant rougir légèrement. « Ça ne va vraiment plus » se dit-il intérieurement ! Au comble du ridicule, il s’apprête à tourner les talons et partir, penaud. Quelle n’est pas sa surprise d’entendre soudain :
-Pourquoi fuis-tu encore, Nabel ?
Il en a connu des émotions dans sa vie mais là… ! Il ne sait pas quelle sensation le paralyse le plus : le fait que cet oiseau lui parle ou la question elle même ! Nabel choisit instantanément, cependant, de répondre.
-Mais de quelle…fuite…parles-tu ? Tu ne me fais…pas…peur…
-Tu veux échapper à ton « réel » en venant si souvent ici, Nabel, affirme péremptoirement la voix qui émane de l’oiseau.
Plus de vent, plus de brume, plus d’horizon, plus de vallée profonde. Nabel ne perçoit plus rien de ce qui l’entoure. Seul ce maudit oiseau immobile sur sa souche pourrie existe désormais pour lui. Et ses affirmations définitives. Nabel tente de faire le point rapidement. « Echapper à son réel ? » Il est vrai, pense t-il toutefois dans sa panique, que venir sur ce promontoire au bout de la terre est une façon de s’éloigner du monde social qu’il déteste de plus en plus. Il ne peut le nier. D’ailleurs, il se répète fréquemment lors de ses escalades que « plus le chemin monte plus la densité d’imbéciles diminue… ! » Cette remarque ultra personnelle lui revient dans un éclair de lucidité. Est-ce un refus de l’obstacle ? Est-il à ce point asocial, rebelle ?
-Ta réalité ne te convient pas, Nabel, tu t’en crées une autre. Comme tous les Hommes. Tu t’inventes un double, un monde parallèle qui sert à la fois d’alibi à ta fuite, et de compensation dérisoire au seul monde possible qui est le tien* déclame l’oiseau.
Ces mots résonnent tellement dans la tête de Nabel, qu’il pense qu’elle va exploser. D’autres, plus personnels, se percutent, s’entrechoquent avec ceux de l’oiseau comme « la vraie vie, l’immanence, le bonheur…», qu’il utilise souvent quand il philosophe. Ou croit philosopher. Tous ses grands principes lui reviennent comme un boomerang et le déstabilisent complètement. « Pas faux, ce que me dit cet emplumé » se surprend-il à penser.
-Je viens ici pour…pour le paysage, pour la beauté du lieu…, pour…m’évader…, bégaye-t-il.
Cette phrase hésitante s’échappe de ses lèvres et au moment où il en prend conscience, seul le dernier mot s’impose à lui. Interdit, il fixe piteusement le volatile.
-Regarde mieux ton aimée Andar aux confins de vos moments partagés, regarde enfin les Hommes vivre et descend au fond de ta vallée, Nabel. Regarde aussi le vol des oiseaux ; s’il est circulaire, tu n’en es pas le centre. Peut-être y verras-tu naître la musique, lance sereinement l’animal. »
Avant que Nabel puisse formuler la moindre pensée, l’oiseau se détourne lentement et d’un coup d’ailes, prend son envol. Laissant l’homme pantois.
Anéanti. C’est le mot qui convient pour décrire son état, là, maintenant. Il est figé dans sa circonspection et paralysé dans ses réactions. D’ailleurs, il se demande s’il sort d’un rêve, d’un cauchemar ou d’une illusion d’optique. Péniblement cependant, il émerge lentement, relève la tête vers cet horizon qu’il vénérait jusqu’à présent et perçoit, comme une douleur lombaire renaissante, les derniers oiseaux s’effaçant dans les brouillards. S’appuyant sur son bâton qu’il serre comme une bouée de sauvetage, il fait demi-tour et entreprend la descente sur le sentier, entre les pierres humides. La tête basse.
Tel Zarathoustra descendant de sa montagne pour rejoindre le monde des Hommes, Nabel ressasse les mots échangés avec l’oiseau. Sans parler d’auspice, il repart, néanmoins avec une forme de prescription qu’il n’a nulle envie de ne pas suivre. Cela le surprend car il ne se savait pas homme à douter, à revisiter aussi facilement ses convictions. Mais ce moment, il le sent bien, sera désormais déterminant dans sa vie. Il décide pourtant de ne s’en ouvrir à personne, anticipant très bien le risque de se voir affublé d’hallucinations auditives dignes d’un schizophrène et au pire, d’apparaître faible aux yeux des autres. Il lui fallait apprivoiser une nouvelle approche de l’humilité, avec du temps, beaucoup de temps.
Parce qu’enfin, Nabel a parfaitement compris le message. Prendre conscience de son égocentrisme, de son égotisme, est douloureux. Surtout quand cela vient de sa propre introspection. Le prix à payer est lourd. La fusion avec une nature mélancolique, les passions jusqu’à la souffrance, une survalorisation du Moi entre autre, tout en lui respirait le romantisme de la meilleure époque. L’oiseau lui a finalement ouvert les yeux sur sa fuite ; il acquiesce. Il reconnaît cette évidence.
Arrivé dans la vallée, Nabel sourit. Il aperçoit Andar cueillant des fleurs dans leur jardin et… il frissonne d’une joie, toute nouvelle.
Notes de l'auteur :
Une petite recherche sur l’étymologie des prénoms peut s'avérer...utile!!
Le romantisme : parmi les nombreux sites Internet sur ce thème, celui-ci dit l'essentiel...
MISE EN VOIX ANNA LOGON BACH - Prélude No. 1 in C major, BWV 846 tempered Clavier
PARTITION N° 1
Un piano de concert possède 52 touches blanches, 36 noires
À quatre mains, cela fait 176 petites notes qui s’entremêlent...
Tour à tour, les plumes d’Anna et Java se croisent
et en canon se répondent,
Voici leurs partitions...
Le scintillement cristallin qui pendait des lustres majestueux s’estompa progressivement... Dans la clarté lactescente de la scène, les courbes fluides des deux Steinway laqués noirs s’entremêlaient. Quelques derniers raclements de gorge... trois légers chuchotements... puis le silence s’imposa, respectueux.
Sur la gauche, deux mains se soulèvent délicatement au-dessus du clavier.
Les doigts graciles caressent les touches sans effort, laissant s’échapper les premières notes vaporeuses du prélude. Patiemment, les mesures d’introduction s’installent sans espièglerie. Posément, elles drapent la salle de concert d’un voile mélodieux et apaisant comme une profonde respiration. Les tierces fluides de la main droite conversent en harmonie avec les douces variations de la main gauche. Sortant de l’ombre, une main anonyme tourne la page. Les blanches, les rondes, les noirs triolets s’évadent du papier en séraphiques vibrations berçant l’auditoire. La portée s’effiloche en fibres de soie, tissant sereinement une trame élégante. Puis un accord en septième de dominante majeure plane suspendu dans l’espace. Comme un point d’interrogation, il attend paisiblement une réponse avant de s’évanouir en un soupir...
Déjà sur la droite, deux mains se soulèvent délicatement au-dessus du clavier...