Ma jambe hésite et je vacille, titubant comme si j'étais prise de vertige, emportée par un tourbillon que je ne maîtrise pas.
Ma jambe est là, elle monte une marche qui n'existe plus et m'entraîne toute entière dans le vide.
Je plonge. Où suis-je, pas encore noyée, anéantie, mes jambes n'existent plus et je ne reçois que de violents coups au niveau de l'aine qui m'indiquent que je ne peux plus marcher. Il n'y a plus de sol, la terre molle et accueillante s'est dérobée sous moi et je suis dans une sorte de vide où rien n'existe plus que des coups violents que je reçois chaque fois que j'essaye de marcher.
Il est tard, il est temps de dormir.
Demain sera mieux, bien mieux .
Demain ne sera jamais comme l'avenir que nous avions prévu, il sera autre.
Comment l'inventer et retrouver la terre ferme? Tous les jours j'essaye et m'accroche à des marches qui s'écroulent sous mon poids. L'escalier n'est toujours pas reconstruit. J'attends et ne perds pas patience.
C'était hier où pour la première fois je me suis dit" il faut te faire confiance", comme si je n'avais plus confiance en moi.
Alors là, c'est trop!
L'escalier est démoli, le pont pour traverser n'existe plus et mes idées partent en sucette.
Ma pauvre fille, ressaisis-toi, sinon tu vas tomber pour de bon.
Je m'invente des titres de noblesse comme Être très forte, Avoir à nouveau confiance, pour trouver l'escalier.
Ça marchera et quand j'aurai trouvé, l'escalier tiendra et je pourrai monter les marches comme avant.
Avant...
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Retrouvez ICI la page hommage à Véronique, un havre d'amour et de dialogues entre deux sœurs séparées brutalement l'été dernier.
Ci-dessous la vidéo "Les fils des étoiles" de Erik Satie. Merci d'y rendre visite avant de quitter cette page :-)
C'est au mois d'août 2003 que je suis retournée sur les traces de mon enfance. J'ai marché dans cette cité, celle des trois bornes, Paris onzième, qui a changé et qui est restée la même. J'ai marché, tête baissée, cherchant vainement les pavés anciens où j'ai sauté à cloche-pied des centaines de fois, enfouis dans ma mémoire et sous le nouvel asphalte. Tout au fond de la cité, le dernier immeuble à gauche, le numéro 11, n'a pas changé; il est toujours là, intact. Ma maison, mon passé, mes racines chancelantes perdues dans le temps.
J'ai quitté cette cité il y a soixante ans. Le petit matin sombre de notre départ est encore ancré dans mon souvenir. Ce n'est pas un départ mais une fuite, la tête rentrée dans les épaules, les yeux baissés, je ne vois que des bottes de cuir et quelques paires de souliers noirs qui montent vers nous, ma mère et moi. Je tremble de peur sans savoir exactement pourquoi, je serre très fort la main de ma maman. Je suis une naufragée, une rescapée de la rafle de juillet 1942. Inscrits dans mon corps de petite fille, les tremblements sont toujours là, à fleur de peau, dans une mémoire qui est hors de la logique.
Depuis l'année 1942, je suis revenue en ces lieux trois ou quatre fois, mais c'est la première fois que je m'y retrouve entourée de mes fils, leurs femmes et enfants; ma descendance, mes nouvelles racines. Ils sont là, curieux et silencieux, intéressés par tout ce qu'ils voient, par tout ce qu'ils pressentent.
La cité des trois bornes n'est pas un endroit de passage, elle n'a qu'une issue qui donne sur la rue du même nom; située entre l'avenue Parmentier et l'avenue de la République, c'est un cul-de-sac. Tout est calme, pas de circulation, très peu de passants en ce début d'après-midi, qui observent notre petite troupe avec curiosité.
Je m'adosse au mur en face du numéro 11, à l'endroit même où j'ai joué à la marelle tant de fois. Je lève la tête, montre du doigt, au quatrième étage, les deux dernières fenêtres sur la droite : la chambre à coucher de mes parents et l'atelier de mon père. Mes enfants sont près de moi, je vais d'un regard à l'autre, je détecte le trouble, les questions qui, sans doute, sont là depuis toujours, cachées au fond de leurs prunelles. Tout à coup cela devient très facile de parler, de leur conter une partie de leurs antécédents, puisqu'ils sont venus " après " et qu'ils ont appris, comme tous les enfants en Israël, la Shoah à l'école.
Je leur chantais, lorsqu'ils étaient petits, et plus tard à leurs enfants, les comptines que me fredonnait ma mère. Je disais l'odeur du tabac, mêlée à celle de la savonnette, aussi présente que les bras de mon père autour de moi. Je plaisantais à propos des moqueries de mes sœurs aînées. Je décrivais les repas de famille, les fous rires, les câlins, les petits secrets chuchotés au-dessus de ma tête, puisque j'étais la plus jeune, leur petite Claudine, Didine. Je disais aussi les difficultés de la vie mais jamais ceux de la guerre.
Leur père, mon mari-ami, faisait de même, lui qui, dans un pays encore plus dément que le mien, avait traversé une guerre si pénible... nous pensions les préserver, ces enfants réparateurs. Et surtout, nous étions occupés à vivre, projetés dans le futur, animés par un désir de reconstruction, essayant d'occulter l'impensable.
Devant cette maison, où je n'ai plus jamais habité depuis l'âge de neuf ans, je trouve des mots simples pour dire les petites choses de la vie, qui sont parfois essentielles, mais aussi les départs, les séparations, les angoisses, les attentes, les pleurs, les faux noms, les caches. La clandestinité précoce. Et le désarroi d'une petite fille qui ne comprend pas pourquoi être juif est si mal et pourquoi il faut s'en cacher.
11 Cité des trois bornes. Devant cette maison, dans la cour de cet immeuble, je me sens à l'aise, presque heureuse, réconciliée avec ces murs, satisfaite de mon cheminement. Mes enfants, près de moi, sont ma vengeance contre le racisme de tout ordre et de toute forme. Ils sont ma réparation, un baume sur mes déchirures, blessures cicatrisées mais encore douloureuses les jours d'orage.
J'écris ces dernières lignes… à la radio un speaker à la voix chevrotante, annonce les noms des dix-neuf morts de l'attentat qui a eu lieu hier à Haïfa.
Dix-neuf noms avec les âges, cela fait une longue liste…
Ça ne finira donc jamais ? Nous sommes le 5 octobre 2003, il est 11h40, dehors il fait un temps splendide, le soleil brille, haut dans le ciel. Quel jour d'orage !
Un texte sincère, profond et très émouvant, qu'aujourd'hui 27 janvier 2015 - 70 ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, ma très chère amie Aliza offre généreusement à ma voix. Merci d'être mon amie.
Le dernier paragraphe sonne bien cruellement en ce début d'année meurtrier.
Je vois ta détresse mais je vois aussi les progrès considérables que tu as faits et si tu entends une petite voix qui résonne à l'intérieur de ta tête, c'est la mienne!
Eh oui ma petite sœur chérie, je suis toujours là bien haut, bien ailleurs, mais toujours là pour t'admirer!
Tu as manqué de ces regards qui vous donnent confiance mais le mien est sincère, cruel ou aimable, mais vrai. C'est celui de ta grande sœur.
J'ai commencé là haut une sorte de thérapie car Ils veulent que je sois totalement apte et désintéressée lorsque je rentrerai en mission.
C'est intéressant à plein d'égards et j'apprends beaucoup sur les erreurs que j'ai faites sur terre.
Et qui donc n'en fait pas? Les Anges, et ceux que nous devenons doivent grandir aussi dans ce monde spirituel .
Oups.. Je crois qu'il faut que je me taise!
Tu dois sentir par moments la protection divine et je peux t'assurer que c'est vrai, même si tu as l'impression pour l'instant qu'avec tous tes problèmes de santé, rien ne s'améliorera jamais. Mais si!
Je suis partie là haut il y aura quatre mois, jour pour jour le 24 décembre.
Toutes ces dates cultes qui s'inscrivent au calendrier marqueront à jamais ton calendrier de famille.
Si je pouvais te confier un secret...
Essaye de réfléchir un peu !
Mama dodo est partie le jour de mon anniversaire et je rejoins Papa à deux jours de sa venue sur terre. Veux-tu que je te rafraîchisse la mémoire?
Petite sœur, reste calme !
Ah si je pouvais, si je pouvais seulement donner un grand coup de pied pour montrer ce que je ressens...
Les magouilles, les caractères de chacun et leurs objectifs, c'est toujours très dur à mélanger. Nos ego...
Ici, on m'a appris à la jouer collectif, le bien de chacun se mêlant à l'intérêt de tous.
Je vous vois de là-haut par temps calme. La lumière baigne cette terre où tout le monde s'affaire.
Tout ce clinquant, ces paillettes, ces lumières ridicules qui clignotent sont si pathétiques, mais quand elles s'éteignent c'est qu'on est plus là pour les allumer.
Vue d'en haut il y a des gens merveilleux et d'autres qui le sont moins.
Cliquez sur ce violoniste dessiné par Loÿs Pétillot pour découvrir également son talent et son humour de plume
Puis cliquez maintenant sur ces si jolis traits esquissés de l'amour d'un père pour sa fille émerveillée et heureuse, et ainsi découvrir mots et passions de la petite Joëlle Pétillot devenue grande!
Tous droits réservés sur ces deux dessins de l'artiste Loïs Pétillot
C'est le nom du stalag où un tout jeune homme a passé cinq ans barbelés en Allemagne, loin des siens, ,entre 1939 et 1944. Ce poème, écrit en ces temps difficiles, portait son espoir. Il nous est transmis par sa fille, Joëlle Pétillot. "
XI B
Ils
surgirent tout d'un coup après le pain d'épices en passant
par le vasistas (l'habitude des portillons automatiques) Ce
fut d'abord un vélophage de la Garennes-Colombes qui humait
l'Auto avec un tarin à piquer des gauffres un vrai museau de
resquilleur Il atterrit, les pieds dans le plat, (le vieux plat
qui n'a qu'une oreille et où mourait doucement une pomme de
terre chaque jour renaissante) Un gentil zéphyr
d'avant-guerre l'avait raflé au métro St Lazare alors qu'il
sortait par l'entrée pour attraper le midi vingt-trois. Nous
le serrions sur notre coeur notre
coeur poussiéreux gros de larmes de quatre ans quand il
s'écria : "poussez pas !"
Un petit
vieillard serrant d'une manche prudente une serviette
fatiguée le téléscopait par derrière Il s'excusa
vaguement le saluant d'un melon myope et partit d'un
pas menu et circonflexe de professeur de mathématiques tourner
autour du poêle qu'il prenait pour une vespasienne
"De
la belle !de la belle ! rien que de la belle ! eraillait une voix
de vin blanc-citron C'était la marchande de laitues. Le
corsage blanc étalé sur son commerce, elle ombrait le trottoir
de la rue Lepic d'une jupe en cloche Un accroche-coeur bien
ciré posait sur son front un point d'interrogation
castillan Une grosse bulle d'indifférence où se reflétaient
les arches du Palais Royal enfermait une sarrigue séculaire tâtant
dune main de momie la liste des lots non réclamés qui
passait la tête par la poche de son ventre
Sémaphore
aux armes de Lutèce double comète argentée, l'agent
Leclerc stoppait d'un trille impérieux une cohorte de scarabés
ronflant se flairant le croupion se tâtant du pare-choc La
Simca, poisson pilote collait au ventre du
Madeleine-Bastille requin vert au nez de bull-dog. Le cabriolet
deux cent un louchait de ses yeux jaunes sur une
matrone-panhard en robe de mariée tirant ses jupes sur des
pieds ballons Un éphèbe casqué de gomina contenait,
d'un discret gant de pécari, une mercédès écarlate ; elle
rotait à petits ronrons par un oesophage annelé lui
traversant six fois
un
nez en ciseau à froid.
Un
insecte équilibriste à thorax de laine
sinuant
comme un toréro, se bloquait des deux roues devant une ligne
de champignons blancs. Il repartit, à l'arraché, pour
essaimer la "sixième" dans des séchoirs où des
dames mangées d'ombre pendaient une presse cosmopolite avec
des pinces à linge. Un Noir de la place Blanche corps de
flanelle grise glissant sur des fuseaux crevettes
arborait
une petite tête de Prosper brûlé
coiffée
d'épinards. Une
fille aux lèvres impossibles promenait un incendie d'Oréal à
travers des vieillards truqués et des sauterelles
asexuées sorties du fashionable; elle fendait la foule d'un
sein cônique, comme une figure de proue.
Derrière
un bouquet de coucous un cocu à carreaux montait un tandem
aluminium gréé
d'une poupée aux cuisses de café crème (Toto de Billancourt qui
la filait depuis Fontainebleau avait découvert ce jour là qu'il
y avait des biches au bois)
Un Potawe au golf courait
la gueuse, Yves le Boulanger la soulevait entre le pouce et
l'index le front frangé comme un bébé japonais et le clairon
au poing gauche Un Jules à la sauvette sortait d'un pébroque
subtil des thunes de cravates (Allez la p'tite dame, rien que
d'la qualité !)
Le zouave de l'Alma attendait
d'un pied immuable le prochain raz de marée... Une
péniche bicolore à contre-courant exhalait une âme de
mazout en
forme de pneu...
Un télégraphiste illuminé essayait de
capturer une ablette entre Bercy et le viaduc d'Auteuil...
Les
bouquins séchaient dans des boites incolores, qui faisaient la
queue sur le parapet...
Notre Dame s'envolait sur un
nuage de pigeons
"Je vais chercher le jus" Dit
l'homme de vaisselle, d'un oeil humide
Pour Véronique, les mots de sa sœur Evelyne de Gracia
Un texte sous chaque image...
Mise en voix Louyse Larie
Des étoiles de Noël, quatre mois, nuit pour nuit...
Merci à vous chers lecteurs et auditeurs pour les commentaires que vous aurez la gentillesse de bien vouloir laisser ci-dessous. Ils seront un soutien et réchaufferont le cœur blessé d'Evelyne par ce deuil récent.
- bon Mamita, cette fois ci, je suis bel et bien arrivée. Je ne pensais pas partir si loin pour mon prochain voyage, mais on ne m'a pas laissé le choix. Autant te dire qu'ici, il n'y a pas de frais vestimentaires, tu vois le genre la robe couleur de lune et celle couleur d'étoiles dans le conte de Peau d'âne, eh bien, c'est un peu ça.. Par contre, dis donc, je trouve que toi tu te laisses un peu aller. Tu as du poil aux pattes, c'est quoi ce genre. Pas beau! Ton rasoir, je te le rappelle, est dans ta salle de bains, juste au- dessus de la baignoire.. Pas difficile à trouver quand même! J'te dis quand même un p'tit truc, même si je n'ai pas trop la permission. Au lieu de pleurnicher bêtement, profite, car ça passe drôlement vite! Alors s'il te plait, retrousse tes manches et va de l'avant. Tu as des trucs sympas qui t'attendent même si y a aussi du pas très drôle. T'arrête pas sur des choses qui n'en valent pas la peine et concentre toi sur l'essentiel, d'accord?! Bon pour now, je te laisse à tes activités, tu as bien entendu, j'ai dit activités et pas épanche mente stériles, divagations inutiles , car je suis très bien, là bas, et je reviendrai pas. On a fait plein de trucs et aussi, on s'est fait plein de vacheries, comme deux sœurs qu'une mère avait mise en compétition. C'est comme ça, et l'essentiel, c'est qu'on était les meilleures amies du monde envers et contre tous et ça vois- tu, c'est peut être aussi un peu une impulsion céleste. Aie.. Ils me tirent par la manche, mais on dirait des enfants, bon j'y vais... Oui, j'arrive, j'arrive.. Bises célestes.
Hello ma gentille et "jeune petite sœur" J'ai oublié de te dire que tout le monde est là! En fait c'est assez rassurant.. Pour l'instant ils me laissent finir ma mission, de loin, mais après, je ne vais plus te parler, il faudra faire avec.. J'ai vu mama dado, qui m'a passé un de ces savons, tu vois le genre, elle n'a rien perdu, ni de sa voix, ni de son autorité. Ça ce fut pour l'accueil.. Mais après, figures- toi que j'ai quand même eu quelques compliments et même des palmes et je me sens des ailes... Concernant papou, eh bien, il est assez bizarre, mais je sais qu'il bosse beaucoup. Bon, tu vois, je découvre aussi un univers dont je n'avais aucune conscience. Ici pas de petit apéro, (dommage!), tu sais comme j'aime ce moment.. Des parties de fous rires, évidemment pas, car c'est sérieux et même hyper sérieux, à une nuance près, c'est que notre action n'est validée que si elle est vraiment utile, ce qui évite, bien sur, les pertes de temps et les erreurs. Bon dis moi, trêve de plaisanterie, si tu pouvais t'occuper un peu de Pauline et même un peu aussi de Colin, ce serait bien et je serais un peu plus tranquille. Merci au fait, tu sais pourquoi , et là dessus, je ne te laisserai pas tranquille car j'y tiens! Est- ce que tu t'es aperçue que mama dodo était là quand tu es venue me voir? Eh oui, on était toutes les deux là à veiller sur vous qui croyaient veiller sur nous.. Nous on souriait. Tu sais, la vie et la mort ne sont qu'une ronde où chaque état est étroitement lié à l'autre. Alors s'il te plait, hauts les cœurs! Dis donc, tu bosses pas aujourd'hui? C'est l'heure d'y aller ma vieille. Allez Mamita, je te laisse pas tomber, t'inquiète pas...
MON CORPS CÉLESTE
Quand je suis arrivée, un peu vite quand même, je me suis retrouvée toute nue avec juste assez d'énergie pour voir.. On m'a habillée de ciel avec une robe que même le plus grand couturier ne pourrait imaginer. Ça c'est vraiment chouette. Elle est fluide et les couleurs sont splendides. Je ne savais pas trop si j'arrivais en prison ou si j'en sortais, mais ça dure une seconde. Je sais que tu aimes les stylos, mais ici, il n'y en a pas, car nos pensées sont inscrites et ouvertes à tous, ce qui évite bien des problèmes... Ah, on ne fait pas tout ce qu'on veut... Et pourtant, vois- tu, j'ai un sentiment de liberté totale mais surtout d'amour et ça c'est immense. Je te laisse for now! Je prendrai bien un petit café avec toi, ce sont de bons souvenirs. Ici, on n'en a pas besoin, c'est immensément cool et beau. Take care of yourself. Take care of everyone you love et n'oublie pas que le temps t'est compté, alors avance et n'attends pas Mamita!
Là aujourd'hui, j'arracherais volontiers tous les papiers peints pour en faire des mots, les poser sur une ligne, comme une portée de notes qui s'envolerait jusqu'à toi, petite sœur.
Je ferais enfin des listes de ce, ceux, qui en valent la peine, pour éliminer tout le reste.
Je mettrais du ciel un peu partout dans ma maison et du blanc, rien que du blanc, même si maintenant la mode nous incite tous aux murs noirs.
Je n'aime plus le noir.
Du blanc partout et pour inscrire ton nom que t'inspire la Lumière
Il y a, subrepticement dans les moments difficiles de la vie, des éclaircissements sur ce que l'on devine d'un ciel bleu au travers des rideaux, avec la lumière qui brille sur les feuilles des peupliers.
Il y a ce que l'on discerne dans le décolleté du vent, la respiration tendre d'un ange invisible.
Il y a de fines particules qui projettent sur tout paysage la perspective du ciel infini, de l'infiniment Grand.
Nous sommes au milieu de cet univers vaste, avec notre aptitude à recevoir des signes qui ne trompent pas.
Il y a ce geste inattendu de notre part, mais qui nous l'a dicté, ne serait-ce qu'un guide spirituel, inconnu de nous, cette parole chaude que l'on reçoit et qui n'est pas conventionnelle, et qui sont les marques de reflets divins, et puis nous retombons dans notre pesanteur d'hommes.
La vie reprendra le dessus après bien des révoltes en ayant à l'esprit ces parcelles d'espoir.
C’est comme lorsque tu pars en vacances. Tu es sur la route, et parfois tu passes devant quelque chose dont tu te souviens, un repère. Tu ne sais pas où se trouve ce repère avant d’y arriver, c’est seulement quand tu passes devant que tu t’en souviens. Les gens autour de moi sont comme ça, des repères dans ma vie, sans qu’ils en fassent vraiment partie. Je passe de l’un à l’autre sans vraiment me sentir liée, alors que tout le monde a au moins une personne qui le connait vraiment. Moi, personne ne me connait, même si beaucoup en sont persuadé. J’ai sans arrêt l’impression que c’est trop tard, que cette partie de moi est définitivement tronquée.
Je ne sais pas à quel moment de ma vie j’ai commencé à prendre en compte le TDAH dans mon comportement, à me demander si mes actes étaient réellement le résultat de mes désirs ou une simple conséquence neurobiologique, mais la différence a toujours influencé mes pensées, et mon rapport aux autres.
Il existe tant de manières de faire comprendre à quelqu’un qu’il est différent, chaque nuance semble trouver en nous un écho, une couleur, une note : un instant immobile auquel nous revenons sans cesse pour comprendre. Les gens pensent que se taire suffit à cacher ses pensées, ou que les expliciter ne changera rien à leur vie ; les parents pensent que la remarque nous fera changer… par amour pour eux, mais l’inverse existe-t-il ? Leur autorité nous transperce.
Seulement, transpercer, c’est passer au travers, et on esquive tout ce qui vient d’eux, brisant le lien. L’empathie des enfants, surtout des enfants hyperactifs, rend tellement précaire leur relation avec ceux qui les élèvent, sans que personne ne s’en rende compte. Cette sensation d’incompréhension n’est pas un mot, comment le dire ? Qu’en faire ? Chacune des parties pense être la défaite, l’échec de l’autre : mauvais parents, ou mauvais enfant ? J’ai ressenti ce questionnement chez mes parents, en particulier chez mon père : loin d’être ce que je devais être, j’étais tout de même, et ces deux moi ne faisaient qu’accentuer ma différence.
Mon besoin de comprendre, de me comprendre, n’a jamais été pris en compte durant mon enfance. Peut-être n’ai-je pas été capable d’exprimer clairement ce désir, peut-être même n’ai-je pas été capable de m’en rendre compte alors, aussi clairement qu’aujourd’hui ; néanmoins, je pense que cela m’a manqué, et a nettement influencé mon rapport aux autres : aime ton prochain comme toi-même… Tout ce qu’on me renvoyait, c’était que j’étais un concentré de trop : trop bruyante, trop violente, trop dispersée. Pourtant, je ne me suis pas sentie particulièrement différente avant d’arriver au collège, mes difficultés scolaires bien moins importantes que par la suite, même si le fait que mes résultats ne soient pas à la hauteur de mes capacités soit souvent revenu dans mes bulletins, années après années. Le reste était flou, vague. Je ne me voyais pas, tout simplement.
Le sentiment de différence est venu progressivement, au fur et à mesure que mes intérêts se précisaient, car je pense que ce sont eux qui m’ont réellement éloignée des autres enfants. J’aimais particulièrement les livres, passion encouragée par mes grands-parents, anciens libraires. Le temps que je passais chez eux était considérable… temps hors du temps, stable et immuable. Je ne me sentais pas totalement seule alors, parce que je me sentais connectée à mon grand-père : calme, toujours calme face au encore jeune homme tourmenté qu’était mon père, qui n’a d’ailleurs guère changé. Je n’ai pas les mots pour exprimer ce lien qui me liait à lui, pas plus que pour expliquer les raisons qui m’ont poussée à m’en détacher.
Mon hyperactivité n’est pas tombée du ciel, contrairement à ce que mon père a toujours voulu croire. C’est lui qui me l’a transmise, et son refus de l’admettre résonna longtemps comme un rejet, avant que je me rende compte qu’il était aussi seul que moi, enfermé dans un masochisme qui le pousse à détruire tout ce qui pourrait lui apporter du bonheur : que ce soit dans ses relations amoureuses ou familiales, son impulsivité et son refus de dialogue, ses incessants retours aux périodes difficiles de sa vie poussaient quiconque à restreindre ses conversations avec lui. Il ne semblait jamais s’en rendre compte, préférant certainement se persuader qu’il était quelqu’un de particulièrement épanoui.
Cependant, cette attitude était douloureuse pour moi, qui n’avais aucun mot à mettre sur cette sensation de déchirure que m’inspiraient les souffrances ignorées de mon père, associées à mon impuissance à l’en soulager ; et je n’appréhendais que davantage celles dont j’étais l’origine. Mon père n’était pas le genre de père calme, modéré, conscient d’avoir en face de lui des enfants, à la fois sensibles et en cours d’apprentissage : il nous demandait sans cesse de nous conduire en adultes, alors que mon frère et moi n’avions pas dix ans. Chaque erreur d’enfant prenait avec lui figure d’échec d’adulte, tandis qu’il nous abreuvait de ses rancœurs liées à son service militaire ou à son divorce d’avec notre mère, et je lui en voulais de nous imposer ça : mon petit frère, alors très proche de notre mère, souffrait de l’entendre dire qu’elle nous avait mis dehors, qu’elle ne voulait plus de nous, qu’elle préférait s’amuser avec ses copains et copines au lieu de s’occuper de nous ; et moi, je lui en voulais de se servir de moi comme réceptacle de sa douleur, m’obligeant à porter une croix qui n’était pas la mienne. Mon empathie démesurée me forçait pourtant à me l’approprier, à faire mienne cette sorte de colère qui, à défaut de se diriger contre une cible concrète, explose dans toutes les directions et touche les êtres qui nous sont le plus chers.
Cette empathie, ce pouvoir d’invoquer en nous des sensations et des émotions qui ne nous appartiennent pas, qui ne sont ni justifiés par une situation, ni même le souvenir d’une situation passée, est une des caractéristiques qui montrent à quel point notre vie psychique est à la fois instable, intense, riche et impersonnelle. Instable, car nous avons conscience, simultanément, de toutes les possibilités et combinaisons du comportement des autres au même niveau que de nous-même, si bien que la frontière entre la particularité de notre être et l’universalité dont nous faisons l’expérience nous apparait floue dès notre plus jeune âge, nous donnant cet aspect rêveur : nous nous perdons dans des milliards de nuances que nous vivons simultanément et totalement.
Intense, car cette expérience nécessite une intervention de notre part, sans quoi ce brouhaha silencieux viendrait parasiter la plus infime de nos pensées : c’est un compromis que nous devons faire avec nous-même ; comme tout roi, dans toutes ses prétentions à gouverner, ne peut réaliser sa tâche (et donc se réaliser lui-même en tant que souverain) s’il ne tient pas compte des phénomènes qui forment et régissent ceux et ce sur quoi il règne, l’hyperactif doit s’ouvrir à l’ensemble des évènements qui l’influencent, trouver dans cette succession d’idées les moyens de se démarquer par la justesse de ses réflexions sur des sujets qu’il n’a pas étudiés : c’est là la plus grande force de l’hyperactivité, cette faculté de pouvoir prendre position et discuter « sérieusement » de choses auxquelles nous n’avons jamais pensé auparavant.
Riche, donc, puisque ces expériences internes nous permettent de créer nous-même du savoir, processus favorisé par le rejet dont nous sommes dans l’ensemble victime : là où la sociabilité semble pousser à s’oublier au profit de l’autre, l’hyperactif aura une meilleure connaissance de ses capacités, le poussant à expérimenter des choses difficiles, voire dangereuses : contrairement à ce que pensent les psychologues, cela tient moins à notre désinhibition (qui s’exprime autrement), qu’à un besoin de réussir ce que nous avons besoin de réussir : nous possédons une force énorme qui, à défaut de nous protéger des dommages physiques, nous permet d’évoluer à travers la difficulté : nous avons conscience du danger, mais nous voyons également au-delà, contrairement à notre entourage. Cette connaissance de nos capacités nous permet également (malheureusement ?) de prendre conscience de l’écart entre celles-ci et celles que l’on attend de nous : être capable de nous intéresser à des choses jugées importantes, mais dont la puissance émotionnelle est faible, voire nulle ; seules les choses provoquant un élan émotionnel fort peuvent retenir une personne qui a en elle-même un fonctionnement purement émotionnel. Impersonnelle, enfin, car la possibilité de ressentir des choses qui ne sont pas des stigmates de notre vie réelle, de comprendre tant de mécanismes sans pour autant parvenir à les faire fonctionner en dehors, nous donne l’impression d’exister davantage en favorisant l’invention constante qu’en utilisant exclusivement les choses qui sont soit provoquées par des évènements réels, physiques, soit le fruit d’un enseignement concret dont nous devons pourtant rendre compte ; c’est dans l’ailleurs que nous trouvons ce dont nous avons besoin pour rester en mouvement dans notre existence, une drogue dont nous ne pouvons pas nous délivrer sans avoir l’impression de nous gâcher : ni nous ni l’autre, nous ne pouvons vivre qu’à travers l’ailleurs, c’est-à-dire ce que je conçois sans connaitre.