Suite 11
Christine s’était penchée sur le bonhomme qui restait prostré sur sa chaise, les yeux perdus dans le vague.
- Ce n’est qu’une photo et je vous jure qu’elle est à peine abîmée. Vous voulez que je vous la montre ?
Jules battit des paupières, croisa le regard de la jeune femme et tenta de se donner bonne figure avant de lui répondre. Il chercha Arsène en quête du moindre signal de réconfort. Il eut beau explorer la pièce, il ne trouva aucune trace du chat.
- Vous n’avez pas vu le chat ?
Anne pointa le doigt en direction de la table.
- Il est là, Monsieur Gaillard, sous la table, à côté de votre pied droit…
« La chipie ! » pensa le matou qui déglutit la dernière bouchée de lièvre avec une telle rapidité qu’il faillit s’étrangler.
- Ha bon ! déclara Jules, sans se donner la peine de vérifier.
L’abattement continuait à flétrir son visage creusé de rides. Il tripota nerveusement sa serviette puis porta, de façon machinale, son verre vide à ses lèvres. Son chagrin en fut décuplé. Les secondes de silence s’égrenèrent… l’image floutée par le temps de Michèle partant au petit matin, une méchante valise à la main, sans un regard en arrière, plongeait toujours son âme dans un désarroi amer.
- Monsieur Gaillard, vous êtes vraiment sûr d’aller bien ?
Christine s’était assise en face de lui et l’inquiétude qu’il lut enfin dans ses yeux, le ramena du songe à la réalité.
- Oui, oui… juste un petit coup de fatigue… Je me fais vieux et je vais devoir me ménager. La journée a été dure… Christine, soyez rassurée, je ne parlerai pas à Charlotte de la photo. Mais, vingt dieux ! il est déjà plus de minuit, ajouta t-il, en regardant la pendule accrochée sur l’un des murs de la cuisine. Rentrez-vite chez vous avec votre gamine et oubliez tout ça… Demain matin, je ne travaille pas. J’emmènerai Charlotte se balader le long des rives du Portefeuille et s’il fait beau, je lui apprendrai à pêcher la truite, ça lui changera les idées… les miennes aussi, par la même occasion. Puis, je vous la déposerai pour l’heure du déjeuner… vous n’êtes pas de garde à la pharmacie, demain ? Demain, c’est bien samedi ? j’sais même plus quel jour on est.
Christine éclata de rire.
- Oui, demain c’est samedi et Nicole me remplace à la pharmacie. Je vous attends avec Charlotte… comme d’habitude…
Le ton n’était pas sarcastique et, une fois de plus, Christine paraissait prendre un réel plaisir à s’occuper de la petite. Jules voulut raccompagner la jeune femme et sa fille jusqu’à la porte, mais elle l’en dissuada et lui conseilla de prendre un bon repos s’il voulait être en forme le lendemain pour tâter de la ligne sur la rivière. Il attendit que le bruit des pas s’estompe dans les ruelles avant de s’adresser à Arsène.
- Allez, sors de dessous la table… On a des choses à mettre au point.
« Que voulait-il dire ? s’inquiéta Arsène. Je n’ai fait que nettoyer le carrelage en le débarrassant de débris de viande. Pas de quoi en faire tout un fromage… » Il rampa à découvert, méfiant, mais repu, le ventre rempli de délicieux gargouillis.
- On a du travail sur la planche, le chat… je vais faire bref, car je ne sais pas si toi aussi, mais je pense qu’un bon roupillon ne serait pas superflu. Je commence à avoir un sérieux mal de crâne. Par contre demain… Ah oui… demain…
Les yeux de Jules se plissèrent de malice.
- Faut d’abord que je comprenne si je suis le seul à avoir vu ces fumées… enfin si les autres… tu vois de qui je parle… ont eux aussi au moins ressenti quelque chose d’anormal. Une petite enquête… Oui ! je vais faire une petite enquête demain après-midi pendant que Christine garde Charlotte. M’en vais fureter du côté des Blandin, de Cormaillon et si j’ai le temps, du côté du père Baillou. Pour l’Augustin, pas de problème… il serait le premier surpris de ne pas me voir trinquer à sa santé et jouer en fin d’après-midi au tarot. Pendant ce temps-là, Arsène, je te confie une mission difficile, voire impossible… Tu vas devoir, toi aussi, mener une enquête…
Arsène bomba le poitrail. Son heure était venue… Les premiers accords d’Arsenic bluesretentirent dans ses oreilles et la trogne de l’inspecteur Bourrel envahit son cerveau. Son bon maître ne manquait sur sa télévision aucun des épisodes des Cinq dernières minutes et Arsène confortablement installé sur un coussin trouvait souvent, avant le célèbre « Bon Dieu !... mais c’est… Bien sûr ! », la clé de l’énigme, ainsi que le nom du coupable. Et voici que Jules lui confiait une mission impossible ! Si Belzébuth ne l’avait pas gratifié de la parole, il serait encore réduit au rôle de spectateur… les diableries recélaient finalement de fameuses surprises délectables.
- À vos ordres patron! De quoi s’agit-il ?
Il avait surjoué le rôle en prenant l’intonation de l’inspecteur Dupuy, autre héros de la série. Lui-même s’en rendit compte et, un bref instant, la honte l’envahit.
©Catherine Dutigny/Elsa, mai 2014
à suivre...
Mais c'est bien sûr !!! Que de bons souvenirs et comme j'attendais ces cinq dernières minutes fatidiques !! Voilà Arsène promu au rang de détective !!!!! Merci Elsa
RépondreSupprimerOui Eponine... il va devoir être à la hauteur de son nouveau job... Pour l'instant, il se prend pour un héros de série télé... Ce chat... il faudrait qu'il garde les pattes sur terre... il se prend pour qui, celui-là, ... :-)
RépondreSupprimerOui, c'est vrai qu'il est un peu imbu de lui-même mais après tout, il a bien raison !!!! Bises chère amie !
RépondreSupprimer