Le mot du jour

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LA VOIX DE L'ÉCHO

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jeudi 14 mai 2015

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS - SUITE 45







Le Petit Train Rébus




Suite 45



Il se demanda si Charlotte n’avait pas décidé de lui pourrir l’existence. Il contempla sa fille qui, armée d’une petite cuillère, tentait de faire ingurgiter à la poupée du chocolat chaud au risque de ruiner la précieuse robe blanche dont celle-ci était vêtue. Il renonça à s’y opposer, craignant de provoquer une nouvelle crise de larmes. Les paroles de Christine lui revinrent en mémoire ainsi que la crainte que les tribunaux ne confient sa fille à sa mère. Jules, de par son éducation, avait une confiance aveugle dans la justice. Pourtant il n’ignorait pas que dans le bien de l’enfant, les jugements rendus allaient dans le sens de la mère. Avait-il réellement le choix ? Tout en mastiquant le croûton de la baguette, il parvint à la conclusion qu’il valait mieux trouver un arrangement à l’amiable que de se voir retirer la garde de Charlotte. En réalité, depuis la visite de Michèle, cette idée ne le quittait plus, en dépit des coups de colère, du sentiment de révolte qu’elle déclenchait à chaque fois. Une bataille perdue d’avance que l’attitude de Charlotte ne faisait que confirmer. Il décida de s’accorder encore un peu de temps de réflexion avant de téléphoner à son ex-femme. Du temps aussi pour trouver les bons mots, les meilleurs arguments qui lui permettraient de négocier au mieux, de préserver les liens passionnés qui l'unissaient à sa fille, le tout sans perdre la face. Une goutte de chocolat macula la robe blanche de la poupée. Charlotte couina. Jules la consola en l’assurant qu’il y avait des choses plus graves et plus importantes dans l’existence.

Les fêtes de fin d’année se passèrent dans une relative indifférence. La municipalité pour respecter le deuil de son maire avait renoncé à faire tirer depuis les remparts du bourg le traditionnel feu d’artifice du 31 décembre. Quelques rares privilégiés réveillonnèrent en regardant sur leur poste de télévision La piste aux Étoiles jusqu’à ce qu’un incident technique n’interrompe sa diffusion, cédant la place au Petit train-rébus qui tourna en boucle de longues minutes, mettant à l’épreuve des neurones déjà anesthésiés par des excès d’alcool. Des pétards éclatèrent vers minuit, mais le froid intense et le vent glacial qui sifflait dans les ruelles, découragèrent les plus intrépides des gamins et les renvoyèrent dans leurs pénates. Dernier signe indiscutable de la sobriété des festivités, le bar « Aux Demoiselles » régurgita ses derniers poivrots un peu avant une heure du matin.

 Dès les premières semaines de janvier, Arsène dut se rendre à l’évidence. Il s’ennuyait chez Jules comme un rat mort. Une expression qui ne le faisait guère saliver. Son hôte et ami, trop occupé par la suite à donner à la lettre de l’avocat de Michèle, délaissait l’enquête. Quant à Charlotte, elle avait repris le chemin de l’école et l’instituteur lui confiait des exercices, toujours les mêmes, à faire le soir chez elle. Cela devenait lassant. Il proposa au cantonnier d’aller rôder du côté de la Marthe plus par besoin d’activité que dans le réel espoir de glaner de nouvelles informations. Le bonhomme n’essaya ni de l’encourager, ni de l’en dissuader. Le chat frustré par ce qu’il interpréta comme du désintérêt, se décida à agir sans l’aide du cantonnier. Il attendit un jeudi où Jules devait s’absenter et où Charlotte n’avait pas école pour mettre son plan à exécution.  Profitant des bonnes dispositions de la fillette à son égard, il lui proposa une petite promenade récréative dans les environs du bourg.

- On ne va pas rester enfermés toute la journée ici. Regarde par la fenêtre Charlotte. Regarde ce beau soleil ! Cela te dirait de rendre visite à une charmante dame qui habite dans une ferme avec plein d’animaux ?

La gamine délaissa sa poupée et sauta de joie dans sa chambre.

- Oh oui ! Une dame ! Des animaux ! Oui, oui, oui…

Arsène fut surpris et chamboulé par ce débordement de joie aussi spontané que bruyant. Ne commettait-il pas une erreur en l’entraînant dans son plan ? Charlotte ne tenait plus en place. Il était  trop tard pour faire marche arrière. Il hésita un dixième de seconde, puis finit par lâcher :

- Oui Charlotte, une dame adorable qui sera très heureuse de faire ta connaissance. Et encore plus heureuse si nous lui apportons un petit message écrit par ton papa.

Voilà, c’était dit. Arsène avait franchi la frontière qui lui aurait permis de laisser Charlotte en dehors de son enquête. Un frisson lui parcourut l’échine. La gamine était si heureuse et si loin d’imaginer ce qu’il avait dans la tête.

- Un message ? De papa ?

- Oui, un message pour la dame. Il l’a rangé dans la commode de sa chambre. Moi, avec mon corps de chat, je ne peux pas le récupérer, mais toi, tu le trouveras sans difficulté. C’est un papier qu’il a plié en deux. Un tout petit mot de rien du tout, mais qui fera très plaisir à la dame.


Arsène se sentit terriblement honteux de mentir à Charlotte.

- Mais j’ai pas le droit ! Papa ne veut pas que je fouille dans ses affaires.

-  Ce n’est pas fouiller, c’est juste récupérer un bout de papier. Tu connais ton papa. Toujours la tête un peu en l’air, surtout quand il abuse de son eau-de-vie. Un petit verre par ci, un petit verre par là… Ce papier, il aurait dû l’apporter à la dame depuis bien longtemps. Seulement, il a oublié. Tu verras, il sera très content que nous l’ayons fait à sa place…

Arrivé à ce stade de mensonge et de félonie, si un chat avait pu rougir, Arsène aurait ressemblé à un tas de braises ardentes. L’espoir que Charlotte refuse de chercher dans la commode de Jules traversa son esprit. C’était sans compter sur son pouvoir d’attraction et de persuasion sur la gamine. Sans plus tergiverser, elle se précipita dans la chambre de son père. Arsène entendit le grincement d’un tiroir que l’on ouvre, puis un cri de joie qui déchira son cœur. Charlotte réapparut en tenant à la main le papier où Jules avait écrit en massacrant l’orthographe : « Celui qui a donné Ronald s’apele Le Fox ».

- J’ai trouvé, j’ai trouvé ! chantonna-t-elle, en agitant le papier.

- C’est parfait, répondit le chat d’une voix étranglée. Maintenant habille-toi chaudement et mets tes bottes fourrées. Range le papier dans l’une de tes poches et dépêche-toi. Il ne faut pas traîner. Nous devons être rentrés avant le coucher du soleil.

Arsène faillit ajouter « et avant le retour de ton père ». Il attendit que la petite se change et enfile manteau et bottes, en s’interdisant de penser aux conséquences de son initiative. Sans s’en rendre compte, il sombrait dans le déni. Quand Charlotte fut prête, il avait réussi à se convaincre qu’il l’emmenait faire une balade de santé.

Sous les rayons du soleil, la neige accumulée sur les toits fondait et de grosses gouttes d’eau tombaient des gouttières les obligeant à marcher au milieu de la chaussée pour éviter de se mouiller. Ils croisèrent quelques villageois qui ne s’étonnèrent pas de les voir se promener ensemble sans la présence protectrice de Jules. Le chat avait gagné une renommée qui forçait le respect et inspirait confiance. Ils empruntèrent les escaliers qui descendaient jusqu’au bar de l’Augustin. Arsène fut surpris de constater que le rideau de fer n’était pas levé, puis s’en réjouit car cette fermeture leur évitait de se retrouver face à de nouveaux curieux, ou pire, face à Jules. Après avoir traversé la départementale, il guida la fillette vers le chemin vicinal qui menait au Portefeuille et longeait par la gauche les prés et la ferme de la Marthe. L’épaisse couche de neige qui en recouvrait la surface était labourée par de profonds sillons, traces de larges pneus et des scories de boue projetées sur la base des troncs des ormiers signalaient le passage récent de lourds engins ou véhicules d’importance. À peine, avaient-ils parcouru une vingtaine de mètres qu’une sirène stridente les plongea dans l’effroi. Surgissant d’un virage, une longue voiture équipée d’une alarme lumineuse et clignotante fonçait sur eux. Ils eurent juste le temps de se jeter dans le bas fossé pour échapper à l’accident. Le chat reconnut dans le monstre de ferraille hurlante, une ambulance semblable à celle qu’il avait vue le jour où Jérôme avait perdu la vie. Tandis qu’il suivait des yeux le véhicule qui regagnait la grand-route, Charlotte en larmes, les fesses profondément enfouies dans de la neige fondue, réclamait son père. La balade virait au drame. Arsène parvint grâce à des mots affectueux à calmer Charlotte, mais au moment où enfin rassurée elle acceptait de continuer à le suivre, un fourgon de la gendarmerie déboucha à son tour du virage et s’arrêta à leur hauteur. Un gendarme en descendit pour s’adresser à la fillette.

- Qu’est-ce que tu fais là petite, avec ton chat ? Tu habites le bourg ? Comment t’appelles-tu ?

Charlotte renifla un grand coup, bredouilla son prénom et son nom, donna son adresse en précisant qu'elle était la fille d'un célèbre cantonnier, puis présenta avec fierté au gendarme Arsène comme la mascotte du bourg. Le pandore ne parut nullement impressionné par le pedigree du matou. En revanche la présence de l’enfant, qu'il jugea un peu simplette, sur le chemin vicinal l’inquiétait et il lui conseilla de rentrer au plus vite chez elle. Au moment de remonter dans le fourgon, il se retourna, les sourcils froncés.

-  Rentre je t’ai dit, ce n’est pas un conseil, c’est un ordre. Ce qui s’est passé là-bas ne te concerne pas. Ce n’est pas un truc pour une gamine et ce n’est pas un truc non plus pour un adulte, même pour un gendarme. Allez rentre chez toi, ou je te fais monter dans ce fourgon de force et te ramène chez ton père en moins de deux.

Son visage était aussi blanc que la neige qui ensevelissait les prés de la Marthe, et ses yeux légèrement humides.



à suivre...



©Catherine Dutigny/Elsa, mai 2015
Texte à retrouver sur iPagination








Des wagons de souvenirs !




Jamais trop tard !

Chacune des images animées ci-dessous vous mènera aux liens de ce roman d' Elsa, pour le savourer dès son prologue ou tout simplement pour vous souvenir de tous les bons moments passés en compagnie de notre ami Arsène ! 









mardi 12 mai 2015

MARCEL FAURE - 0261 à 0265 de La danse des jours et des mots







Vendredi 8 juin 2012 

Alors, avant tout était en noir et blanc, nos yeux devaient être bien tristes. Mélina, pensive sur une photo en noir et blanc, s'imagine une vie sans couleurs. Comment expliquer toutes les nuances du gris ?
Derrière cet étonnement, ta question revêt une pointe d'angoisse, comme si l'on pouvait revenir en arrière et qu'un jour, toi aussi, tu ne verrais plus qu'au travers de ces deux extrêmes de notre palette visuelle.
Oui, poussinette, un jour nous reviendrons en arrière puisque nous cassons tout et que nous vivons à crédit sur les ressources naturelles. Mais rassure- toi, dans le brouillard permanent de la pollution, les couleurs seront toujours là. Il y a des choses que, malgré notre acharnement, nous ne détruirons jamais.



Samedi 9 juin 2012 

La couleur est là, dans la lumière, dessinée par l’ombre qui l’encadre. Une brassée d’éclats d’or sur des fenêtres, fermées. Dans l’obscurité absolue, l’innommable se cache. Dans l’ombre s’enfouissent les amours interdites. Dans la lumière, il ne se passe rien. Plus rien. Tout est trop visible, repérable. Surtout pas de vague, pas de plage, pas d’air. Ici l’on ne vit pas, Monsieur, on survit en attendant la nuit. Et c’est déjà beaucoup.
La nuit tombée, l’ombre est totale, le noir absolu, une première patrouille part en reconnaissance, presque timidement. Des fois que la lumière nous jouerait des tours, se cacherait un court instant derrière la lune. Mais non, feu le jour abandonne la rue. Et ça s’électrise. Et ça scintille. Voici que de l’ombre jaillit la civilisation. S’ouvrent les fenêtres, s’interpellent des voix. Des regards se dessillent. On rassemble quelques voitures pour un grand brasero. Odeurs de merguez et de frites. Raï, rap ou valse, on danse, on s’amuse, vite, vite avant que l’aube ne nous surprenne et ne jette ses premiers traits mortels.
Déjà les guetteurs crient les premiers avertissements. D’abord sans se hâter puis de plus en plus vite, la foule se précipite vers les couloirs, vers la sécurité. Les rayons assassins frappent en premier le haut des immeubles. Vite, vite, se ferment les volets sur les fenêtres closes hermétiquement. Plus un pouce de peau ne doit être exposé. L’astre, dieu déchu, s’élance à l’assaut de la terre qui a perdu sa couche d’ozone.
Deux traits noirs soulignent l’éclatant désastre de la vie, condamnée à la nuit. Dans la clarté, nos vieux rêves esseulés s’ennuient. Dans l'album de vieilles photos couleurs, synthèse d’une Babel morte. J’entends le jour qui pleure dans les rues désertées.



Dimanche 10 juin 2012 

Le désir ... Comme un bourgeon jamais rassasié ... Une puissante émotion printanière, même en plein hiver ... Bouillonnement qui balaye la réalité ... la raison ... Quelle raison ?
Je suis profondément humain et déraisonnable et si mon corps bien sagement assis, offre l'illusion d'un grand calme, dans mon crâne, quelle tempête !
Non pas l'envie, le désir ... immense, inexplicable ... Inexpliqué. Comme un cheval qui soudain s'élance au galop. Sentir ses muscles jouer, ouvrir à fond la vanne des poumons ... L'air dehors, dedans, partout. L'heure vient caresser mes tempes ... Et le monde à refaire.
Alors je ris de ce qui coule en moi, de ce qui me confond avec ma terre ... et me satisfaire de la menue monnaie de quelques secondes.



Lundi 11 juin 2012 

Au-dessus des nuages, bien au-dessus des nuages, planent des rêveurs au long cours. Bien enracinés dans la terre nous espérons les voir passer, mais nous n'avons pas la patience des tournesols. Toute la journée, ils tendent leur cou vers le soleil. Voici que le regard du rêveur s’attache un instant à eux. De longs filaments de mots s’échappent, tissent une puissante trame. Et recommence la lente migration quotidienne de la lourde tête brune, auréolée d’or.
Au-dessus des nuages, bien au-dessus, un rêveur bien rodé, propose avec humour et douceur, un chevalet, quelques pinceaux et des couleurs.
Avant de peindre, l'homme s'interroge sur ce mouvement immuable de la plante. Avec patience, avec passion, s'élabore un dialogue de gestes. Quel instant saisir. Juste à l'aube où la tige redresse le buste, plein midi, plein soleil et l'ombre écrasée et brûlante, où ( ? ) le soir alors que le cou se tend vers les dernières lueurs.
L'homme empli d'incertitudes et fatigué de chaleur, plie le chevalet, rassemble les pinceaux et dans un grand soupir, s'en va. Sous son bras, une toile vierge.
Avec un grand sourire, là-haut dans le ciel, Van Gogh s'endort.



Mardi 12 juin 2012 

Ici, tout est en place. La colline verdoyante, le soleil par-dessus, l'appartement sans luxe mais confortable et la fenêtre ouverte sur la canopée qui masque les immeubles proches, la fraîcheur matinale qui nous rend plus léger.
Le présent debout, calibre une douce journée. Et je suis, dans mon habit de terre, à labourer mon cœur et le tien. Notre vieux désir de l'autre craque un peu mais n'a rien perdu de son sel. En tutoyant ta langue, j'élargis la fente du bonheur.















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dimanche 10 mai 2015

EMECKA - AU-DESSUS DU JE-NOUS










Au-dessus du je-nous




Conseil au lecteur: Respire profondément, détends toi et laisse toi aller...il est possible que tu aies besoin de toute ta concentration...Bonne lecture.






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Cette histoire avait pourtant bien commencé.
Le couple se promène sereinement en voiture, toutes vitres ouvertes laissant ainsi l’air vivifiant pénétrer au plus profond de chacun. Il fait bon vivre l’instant, l’esprit apparemment libéré. Le silence s’est imposé entre eux comme une évidence, nul ne voulant perturber la quiétude de l’autre. Les paysages et les magnifiques villages successifs se suffisent à eux-mêmes laissant planer cette doucereuse impression que rien ne peut venir altérer ce "bucolisme". Une simple question va toutefois gripper la belle harmonie de façade.
« On est bien, non ? dit JE 
- Ce « on » me semble bien indéfini, répond SOI »
A ce stade de l’histoire, il nous faut faire connaissance avec les personnages. En effet, JE cohabite avec SOI depuis qu’ils sont nés. C’est dire s’ils se connaissent ! Enfin, le pensent-ils encore en cet instant anodin. Leur vie commune serait somme toute bien banale si d’aventure, nombre de gêneurs ne venaient pas troubler leur relation. Les linguistes en premier, qui prétextant leurs différences, souhaitent les assimiler à des jumeaux indifférenciés. Certains préconisent donc l’adjonction de « même » à Soi ; ainsi JE devient plus proche de SOI-même. Il n’est nul besoin de préciser plus avant que l’armée des « psys » de toute confession, s’écharpent depuis leur naissance à ce sujet. Sans parler du Moi!
« Tu préfères que je parle de « nous »  mais, sommes nous pluriels rétorque JE ?
- Tout de suite les grands mots, ironise SOI.
- D’autant que ça ne me paraît pas si simple cette histoire de je-nous insiste JE
- Ah ! Et pourquoi ? questionne SOI
- Car j’ai un doute lâche JE, soudain grave.
-Explique-toi donc enfin réplique SOI un tantinet agacé. »
Et voilà, c'est reparti! Nos deux compères recommencent à se chamailler, se questionner, s’introspecter ce qui avouons-le est plus facile que seul. Naturellement, cela engendre nombre de cogitations et de réparties mais globalement, nous pouvons dire qu’ils s’aiment bien. Attentif l’un à l’autre, JE prend soin de SOI et lui prête généralement sa confiance.
« Qui suis-je est une question qui me tourmente commence JE. Pourtant ce doute me confirme que j’existe, puisque je pense. Pour douter il faut être, n’est-ce pas ?
- Mais si tu le penses, donc tu es, mon pauvre ami insiste SOI
- Dans ton « donc » je trouve toutes les raisons de mes doutes. Voilà ! rétorque JE. »
L’échange est bien parti pour se prolonger mais survient le panneau d’un village portant un joli nom : « Ipséité. »
 « Tu ne voulais pas t’arrêter visiter ce village ? interroge dubitatif SOI
- Si bien-sûr, le prochain également. Ces deux villages collés presque l’un à l’autre sont singuliers et représentent la particularité de la région explique JE.
- Ah ! Et comment s’appelle l’autre ? demande SOI
- « Altérité », je crois répond JE. »
Effectivement, la jolie route de campagne traverse ces deux beaux sites qui après bien des luttes intestines sont devenus finalement très complémentaires. Chacun voulait aux temps anciens, exister par lui-même. Mais une logique humaniste finit par triompher pour le bien de chacun de leurs habitants. Quelle est donc cette raison qui a prévalu ? La prise de conscience d’être lui-même - devise de l’Ipséité - s’est confrontée à celle de l’Altérité « qualité de ce qui est autre ». L’ipséité a donc compris qu’elle ne pouvait exister sans l’autre et que précisément, sa propre existence passait par l’autre village. 
JE est sur le point d’expliquer tout cela à SOI quand celui-ci interrompt brutalement son intention :
« Figure toi que moi aussi je me pose une question existentielle. 
- Bien ! Quelle est-elle ? s'étonne JE, interloqué.
- Pour moi, tu es un autre. Un autre que je crois connaître et qui peut être ne me connaît pas. Ma question est pour toi, l'Autre : Qui suis-je ? Comment me vois-tu? Puis, c'est ici à mon tour d'être l'Autre. Car je suis un autre. Tu comprends JE ? poursuit SOI
- Oui, je te comprends. En fait, je ne suis moi que parce que je me distingue des autres, parce que mon histoire est différente de celle des autres. Il faut beaucoup de SOI pour parvenir à l'Autre, n’est-ce pas ? lui réplique malicieusement JE
- « Oui et…Soi-même comme un autre » devise SOI, satisfait de son effet !
- Tu as raison SOI. Comme ces deux villages. Tu vois, « l'Ipséité du soi-même  implique l'Altérité à un degré si intime que l'une ne se laisse pas penser sans l'autre, que l'une passe plutôt dans l'autre reprend JE en citant pour l’occasion une réflexion de Paul Ricœur.
- Hum ! Tu n’as pas l’impression que notre discussion devient un petit peu trop philosophique ? plaisante SOI en éclatant d’un rire sincère.
- Oui, répond JE en se joignant à l’hilarité de son compagnon, restons-en là ! »
La voiture poursuit ainsi sa route jusqu’à une intersection. Tournant à droite, le pilote, JE,  s’exclame soudain à l’attention de SOI :
« - Tu as vu ? La route que nous prenons s’appelle « Reconnaissance ». 



« Que le lecteur veuille bien me pardonner, je ne parle de moi que pour chercher le plus loyalement du monde ce qu'il en est de lui ».
Michel Serres





Pour aller plus loin : Paul Ricœur « Soi-même comme un autre », René Descartes « Le discours de la méthode » et l’article « Le paradoxe de l’ethnologue » Ipséité et altérité par M. Martial Villemin..








Montage Tippi-que  sur une photographie originale de Emecka à visiter dans sa collection personnelle "De si beaux villages".

En cliquant sur l'image, vous y serez immédiatement téléportés!






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vendredi 8 mai 2015

JOËLLE & LOŸS PÉTILLOT - LES JOURS DIFFÉRENTS







Les jours différents


L'histoire commence de façon à la fois banale et sereine : un long week-end passé avec des gens choisis. Ces personnes cumulent : amis et famille à la fois.


Il se trouve qu'avec l'un d'entre eux nous avons une grand-mère trait d'union, comme il sied à des cousins.


Nous nous trouvons dans une maison vénérable, une maison ancienne qui sent le bois, la soupe, le feu de cheminée, l'hiver au chaud, l'enfance. Ses murs chargés d'histoires accueillent la fille de passage que je suis avec des souvenirs posés, des choses qui font entendre un chœur doux de clochettes fêlées. Une boite s'ouvre, le passé en surgit. Photos, lettres. Les traces des disparus sont les mêmes partout et partout singulières.


Tu y es très présent, mon père: l'homme qui vivait ici et que j'ai peu connu était ton frère aîné. Je te vois dans cette maison où tu n'as jamais été; sur les murs, par tes dessins, quelques peintures...


Soudain, de la boite, surgissent des feuillets pliés transparents d'usure. Dactylographiés, sans doute sur une machine tapante dont les marteaux se soulevaient à chaque touche avec une énergie rieuse et ce bruit si reconnaissable.


Pour moi qui avais lu tes carnets de prisonnier, manuscrits ceux-là, je devine que tu avais commencé à taper ces notes, que ce "journal" est rétrospectif. Sans doute pris par ton retour à la vie civile après tant d'années de stalag, par tes charges de père (un troisième enfant dit "du retour" né en toute fin de guerre) tu ne l'as jamais terminé.


La femme du cousin est désignée d'ordinaire par les termes "cousine par alliance".


Ces mots, ici, pourtant banals, prennent sens à plein .


C'est bien d'une alliance qu'il s'agit, puisqu'elle referme avec pudeur ces papiers si fragiles et me dit avec son sourire de douze ans - elle en a plus, forcément, mais vrai, quand elle sourit, je vois avec une netteté parfaite l'enfant qui est restée : "ça te revient".


Depuis, ces feuilles usées l'ont été plus encore par mes lectures dans le silence de ma maison, où ta voix par ces mots-là bat dans ma poitrine, mes oreilles, mes mains qui te gardent à paume précautionneuse au travers de cette histoire, la tienne; cette plume, cet humour, cette élégance, les tiennes...ce début de chronique dont je sais la suite par mémoire interposée. Pourtant, en te lisant, je plonge tête première dans la vie d'un jeune homme dont je suis issue que j'ai su autrement, et au fond, si peu.


On n'a pas eu assez de temps.


Extrait :


Un journal de bord ? Pourquoi pas ? Une guerre, ça compte tout de même dans la vie d'un homme.


Je n'ai pas fait la guerre, à vrai dire. Brillant cavalier du Train Hippomobile, je n'ai fait en somme qu'exercer divers métiers sous l'uniforme de cavalier, pour terminer par celui de prisonnier. Et celui-ci me permet d'en apprendre encore d'autres.


24 août 39 : ... V... et les petits sont à M... Mes rapides vacances sont terminées depuis 10 jours.


J'ai passé je crois ma soirée au cinéma avec jacques et Paulette, au Studio Universel. On jouait "vous ne l'emporterez pas avec vous", une bien plaisante histoire.


Une moins plaisante histoire m'attend chez moi où je trouve en rentrant une invitation "n° 3" à me rendre "sous les drapeaux."


J'en vois le lendemain matin deux naïves effigies entrecroisées au bout d'une affichette (qui n'a rien de publicitaire) lesquelles confirment mon invitation (qui n'a rien de personnel).


Je vais dire au revoir à l'avenue Lamarck et retrouve l'agréable Quartier Fontenoy après être passé avertir le patron et les copains.


30 août 39 - On moisit à l'Ecole de la rue Miollis habillé du splendide bleu horizon des réservistes. Après avoir, en tant que Brigadier, surveillé le déchargement d'un camion d'effets et de matériels neufs (je n'aime pas çà) je deviens Garde-Mîtes en compagnie de ce bon vieux Radig que j'ai retrouvé là après l'avoir perdu de vue depuis cinq ans.


Grosse effervescence. On démarre demain. On obtient, in extremis la permission du capitaine d'aller chez soi pour l'adieu du départ. Je suis Kaki de neuf et botté de houseaux de cuir brut, les talons ornés d'éperons réglos assez incommodes pour la marche à pied dans les couloirs du métro.


31 août 39 - casques, musettes, bidons, masques, capotes, cartouchières, revolvers, mousquetons, chevaux voitures, harnachements gueulantes et pagafe : on est fin prêt pour partir en retard sur l'horaire prévu.


Papa vient me donner, dans la cour de l'école, un ultime au revoir (...) malgré les vilains souvenirs que ces troufions lui rappellent et les conjectures que je puis faire.


Il s'en va, et sa 202 coupe le dernier lien qui m'attache à la vie civile. ...





Les jours différents






Tous droits réservés



Texte à retrouver sur le blog de Joëlle :






mercredi 6 mai 2015

BOUQUET DE VOIX POUR LOUYSE LARIE !


BANDE AUDIO DE L'INTRODUCTION ICI









Sous chacune des images ci-dessous se cache un texte de Louyse Larie interprété tour à tour par Naïade, Mathieu LaManna, Java, Aubrée, Evelyne De Gracia, et moi Tippi votre voix de l'écho !




































Vous avez apprécié votre visite ? 

Vous pouvez la poursuivre en cliquant sur l'image animée ci-dessous et accorder un vote de sympathie et de soutien à Louyse Larie qui est en compétition sur Short Edition et qui saura vous remercier.




LOUYSE LARIE - JE SAIS BIEN








TOUS DROITS RESERVES
Ciel d'orage - Houmeau





Je sais bien


Mon amertume noircie

D'évanescentes images

Ne m'effraie qu'en ce qui l'entretient,

Et ma seule idée

En la pensée apeurée

M'occasionne tant d'inquiétudes

Que je n'ose m'égailler

Au risque d'écorcher l'émail

Des astres de l'éclair !



Sous un climat de désolation,

La folie dépouille l'arbre de son calice,

La raison de son visage meurtri

Perd tous ses tièdes espoirs,

La nuit se trouve châtiée

Par la félonie du jour,

Et la paupière du ciel

Noyée de larmes fébriles

Ne sait plus abreuver le lys assoiffé.



Quand l'impunité verra

L'humanité suspendue

Au feu du désespoir,

Quand la nature

Criera aux abois,

Une fois son salut

Abandonné au désordre,

Il faudra que la flamme rende

Des comptes à la conscience !


Mais le chagrin,

Qui le peut ravir ?

Je sais bien

Que toutes les espérances

Eussent-elles subodoré le doute

Ne convaincront point

L'âme du soleil abusé

De le délivrer

De son affliction !


Si tant est que le repentir universel

Ne promette une ardente guérison

Du crime et de l'indifférence

À genoux devant la Terre,

Après l'avoir fait mourir,

Je n'attendrai point qu'il s'annonce

Pour lui prodiguer comme soin

Le déverrouillage du courroux

Pour m'enticher de sa félicité !





Louyse Larie



Le 5/11/2014






Texte protégé et déposé 
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