Mardi 29 mai 2012
Le
petit trou de tes yeux n'est pas un lac, je ne m'y jetterai pas.
C'est un champ de mines dit l'ophtalmologiste lorsqu'il les observe
avec le grossissement de ses appareils. Alors je me fais démineur.
Même lorsque tu les fermes, l'obscur n'est pas en toi.
De
chair et d'os, bien loin de la Dame évaporée et un peu désuète
des poèmes courtois, tu pimentes mes jours. En avouant cela, je ne
prouve rien. Comment parler alors de ce discret picotement qui me
saisit quand nous sommes dans la même pièce, comment retranscrire
l'émotion de ton regard posé sur moi. Non, je ne me noie pas dans
tes yeux, je les bois. Tu es ce grain de poussière qui m'arrache des
pleurs. Alors je ris de toi, de moi, de nous.
Mercredi 30 mai 2012
Une
image marche à ma rencontre. D'où sort-elle celle-là dans son
habit de vers. Verlaine ou Baudelaire, dans ses souliers de vair
quelque peu démodés, elle marmonne et semble scander la mesure de
ses pas.
J'ai
vécu, dit-elle suffisamment distinctement, en me croisant. Surtout
ne pas se retourner, ne pas la suivre, si fluide et belle soit-elle.
Je vivrai, dis-je en réponse, continuant à aller de l'avant. Et même
si je sens l'Histoire, plantée dans mon dos et me taraudant les
côtes comme un couteau, jamais je ne retournerai sur mes pas.
Au
loin une autre image encore floue, battante comme un cœur amoureux.
Lorsque j'arriverai à sa hauteur, je m'imprimerai et j'espère que
la dernière photo de moi ne sera pas ratée.
Jeudi 31 mai 2012
Je
suis dans un long couloir. Devant moi Lloydia avance rapidement sans
jamais se retourner. Sur mon dos, je porte un lave-linge, sans effort
me semble-t-il. Il faudrait prendre l'ascenseur, mais il est en
panne. Alors ce seront les escaliers.
Lloydia
m'attend dubitative. Les escaliers sont effondrés. Lambeaux de
marches reliées entre elles par des échelles, paliers encombrés de
gravats. L'immeuble est pourtant habité, j'ai aperçu, par une porte
ouverte, une vieille connaissance. Qui donc ? Je ne sais déjà
plus.
Je
refuse consciemment de quitter ce cauchemar. Je veux comprendre.
Mon dos supporte très bien cette charge inouïe de linge sale, le
lave-linge déborde, presque entièrement masqué par toute ma saleté
accumulée. Toute une vie, pensez donc ! Je me croyais plus blanc que
cela ! Grosse déception.
Lloydia
me montre la direction du hall d'entrée, tout en haut, sur le toit,
puis elle grimpe sans plus attendre. Aide-moi, aide-moi. Je la
supplie à plusieurs reprises mais je l'ai depuis longtemps perdue de
vue.
Me
voici enfin à l'extérieur. Je n'ai plus mon fardeau sur le dos.
Lloydia a disparu. Je cours en tous sens dans une ville plate, c'est
à dire sans relief. Je suis plus grand que les maisons, je devrai la
voir. Rien, pas même un chat auprès de qui se renseigner. Lloydia,
Lloydia, mon cri affolé résonne dans le silence de cette ville
morte. Il est temps de sortir de ce cauchemar.
Bonjour
mon amour, dis-je en me réveillant.
Vendredi 1er juin 2012
Je
souhaite à tous d'avoir eu, au moins une fois dans sa vie, une belle
grappe de tendresse pendue autour de son cou. Cette expérience, je
l'avais déjà vécue avec mes petits enfants, il y a déjà quelques
années, mais aujourd'hui, la grappe était énorme, triple pour être
précis.
Tout
avait cependant débuté calmement, les bisous étaient plus appuyés
que d'habitude, cela faisait trois jours que nous n'avions pas vu les
poussinettes. Alors oui, il y avait plus d'engouement, plus
d'empressement, plus de bonheur à se revoir.
C'est
alors que j'ai proposé une coupe de glace avec de la crème
chantilly. Ce fut comme une envolée d'anges se précipitant à mon
cou, un de ces moments exceptionnels, hors du temps, où toute la
douceur du monde se retrouve concentrée dans six petits bras qui
m'emmitouflaient de tendresse, accompagnée d'un babil enthousiaste
entrecoupé de bisous.
Voilà
l'effet magique que peut provoquer une glace vanille chocolat
abondamment saupoudrée d'une crème industrielle vendue en bombe.
Certaines mauvaises langues pourraient insinuer que nos poussinettes,
comme les chats, n'ont que la reconnaissance du ventre. À ceux-là,
je ferai remarquer que ces mignonnes petites chattes n'ont pas de
griffe et ne s'endorment pas dès qu'elles ont le ventre plein.
Samedi 2 juin 2012
"
Quand il se réveilla le poème
Était
toujours
Là"
Citation
provenant d'un site, sous la signature de Gryphon.
Il
en est ainsi des poèmes. Ils prennent leur envol à la recherche
d'un œil où se poser. Dans le mien, ils trouvent toujours un nid
pour faire escale. Je rends ainsi hommage à tous ces grands oiseaux
migrateurs qui traversent les poèmes.
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