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LA VOIX DE L'ÉCHO

POUR LE PLAISIR DE TOUS: AUTEURS, LECTEURS, AUDITEURS...

samedi 28 juin 2014

EMECKA - LA NOTE BLEUE.



MISE EN VOIX PAR ELSA





Baroque - Acrylique Emecka





La note bleue.



     Révolutionnaire !

     Nous sommes dans une époque où il est de bon ton de bousculer les habitudes, les instances établies depuis des lustres et les conventions universellement acceptées. Et cet esprit rebelle se loge parfois dans des univers que nous ne soupçonnons d’aucune façon. C’est précisément ce que j’aime ressentir sur les barricades invisibles à l’œil nu…

     Ce matin là, comme d’habitude je presse le bouton « on » de ma radio fidèle. Après quelques informations d’usage, est donné un morceau de Chopin. Une nocturne. Pour un réveil c’est contestable, je vous l’accorde mais ce piano seul et ses notes qui dansent introduisent en moi ce soupçon d’énergie dont j’ai besoin pour démarrer ma journée sous de bons auspices. Après une entame un peu lente, certes, la « numéro vingt » s’anime tant, que mon humeur vire au guilleret, quasi instantanément. Est-ce cela ? Etais-je encore dans l’étrange fusion de ma fin de nuit avec cette nocturne de Chopin? Pourtant quelque chose d’inattendu se produisit…

     Des taches bleues s’échappent, sortent de ma radio ! Enfin, quand je dis des taches, ce n’est pas exactement cela…Plutôt des petits éclairs comme de minuscules oiseaux bleus prenant leur envol, propulsés par les ouïes de mon poste. Interloqué dans un premier temps, je me concentre sur mon café et ses arômes, feignant mépriser cette vision. Certain de mon réveil un peu difficile, je me frotte les yeux, sûr que quelques résidus de sommeil parviennent à troubler la lucidité de mon regard. Celui-ci désormais opérationnel selon moi, exerce un large travelling dans la pièce et là, stupéfaction ! Au rythme du piano, une nuée de notes bleues envahissent délibérément mon espace… Et disparaissent, instantanément dès que Frédéric laisse mourir sa dernière trille nocturne.

     Pour le moins désappointé, je n’en continue pas moins mes activités quotidiennes et j’ouvre ma revue artistique favorite. Outre articles picturaux et photographies analysées et commentées de mille façons, ce mois-ci sont présentés des partitions anciennes, d’œuvres de compositeurs célèbres. Quelle n’est pas ma surprise que de percevoir ces mêmes minuscules « oiseaux bleus » s’évader des ma page désormais ouverte ! Cette fois j’en suis convaincu, il vient de se produire un évènement singulier dans le monde des notes de musique…

     Je tente de reprendre mes esprits et prête l’oreille à cette nouvelle nuée de points bleus qui me tournent autour. Force est de constater que le réquisitoire auquel je suis soudain l’auditeur privilégié est renversant. Point de musique mozartienne ni romantique, seulement un discours clair et empressé. J’apprends que les notes et signes musicaux sont saturés de noirs et de blancs. Des siècles d’écriture se sont acharnés à les transcrire à l’aide de jolies et talentueuses plumes, mines graphites ou encres des meilleurs fabricants mais désespérément en noir. Au mieux quelques fois, des chiffres ont eu droit aux teintes rougeâtres mais ce ne sont que des chiffres ! Alors, un vent de contestation est né.

     Noires, blanches, rondes, croches et dièses se sont réunies et ont décidé d’une action commune. Désormais, l’invisibilité de leur existence sera remplacée par toutes les couleurs de l’arc en ciel. Fini l’enfermement dans de tristes portées, finies les partitions ennuyeuses, finis les uniformes et place au bigarré, au « multicolorisme ». Un premier essai est en cours ce matin. Une première couleur est adoptée à l’unanimité pour les noires : le bleu.

     Et j’ai cette chance incroyable d’être le témoin privilégié de cette révolution. J’ai vu la première note bleue.

     Fallait-il que ça « tombe » sur moi, l’amoureux des couleurs ? Dans un chant bien mal maitrisé je leur confirme mon adhésion et l’engagement d’en faire part au reste de la population. Je suis donc, ce matin, l’heureux messager des notes et diffuse avec toute mon énergie, leur révolution. Sera-ce suffisant pour remettre de la joie dans nos têtes pleines ?



     Fermez les yeux en écoutant votre musique préférée et vous verrez certainement danser de multiples points colorés sur votre rétine intime. Dansez avec elles…





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 "Barenboim - Chopin Nocturne  N°20"

EMECKA - ELLE NE ME LÂCHE PAS



MISE EN VOIX LOUYSE LARIE











Elle ne me lâche pas…



Je veux parler de mon imagination ! Au début, quand j’étais enfant, je veux dire, elle était ma sœur. Enfin, la vraie, celle avec qui je pouvais discuter, celle avec qui je pouvais jouer. Quand je lui parlais, elle me répondait, systématiquement. O pas toujours aimablement ! Mais comme une sœur parle à son petit frère, avec des mots, des réponses, des répliques. Nous avancions ensemble et elle me permettait de ne pas être seul à décider. Je lui demandais toujours son avis.

Un jour, par un après midi d’été pluvieux, de ceux qui vous collent un vêtement d’ennui sur le dos et qui vous rendent mélancolique, je cherche « quelque chose à faire »… ! Mon regard se porte soudain sur une buche de bois, courte, droite et d’un bon diamètre. Je questionne instantanément ma compagne. Elle me dit :

- « Tu pourrais bien en faire une sculpture de ce machin… »

Dans un premier temps je ne réponds pas, bloquant quelque peu sur le terme « sculpture ». Mais finalement elle a mis un vers dans mon fruit cérébral. Je vais sculpter ce bout de bois. Je réunis rapidement divers outils pouvant servir à cureter, à couper, à poncer cette future « œuvre d’art. » Elle me guide, me force à réfléchir, à reculer, à penser et naturellement, elle fait apparaitre en moi, l’image d’un visage, d’une tête plus exactement. Plusieurs heures plus tard, trône sur l’établi de mon père une statue de bois, lisse, expressive et fine. Elle et moi, sommes très satisfaits du résultat. J’ai toujours gardé cette figure initiatique.

Par la suite, au cours de ma vie d’adolescent, d’adulte elle m’a constamment proposé « des choses » à faire. Ainsi, avec elle j’ai osé dessiner, peindre, écrire, parler, discourir, animer, enseigner bref, toutes ces activités où il faut être créatif. Elle est fidèle et toujours prête. Enfin presque toujours !

Il m’arrive de m’installer simplement devant une feuille blanche, une toile blanche, mon ordinateur et lui dire gentiment : « j’attends » ! Puis, rien ! … Elle ne répond pas ! Alors, comme dans un vieux couple, je lui demande : « qu’est ce qui se passe, tu boudes ? » Pensant l’avoir froissé par maladresse lors d’un texte où je me suis aventuré un peu seul, lors d’un dessin insipide, lors d’une réflexion totalement stéréotypée, je lui fais quelques marchandages en guise d’excuses… « Passe moi une petite étincelle, juste pour démarrer, après je ne t’embête plus, promis ! »

Comme d’habitude, car elle connait par cœur mes viles promesses, elle ne dit rien pour ne pas envenimer le dialogue mais je sais que dans les minutes qui vont suivre, ma main, mes doigts vont s’animer. Et une histoire va démarrer…

Elle ne me lâche pas et j’en suis étonné !

Je n’ose pas lui dire en face, par orgueil, mais sans elle…je ne serais pas grand-chose ! Chut…Et j’en serais réduit à fouiller dans le réel mes sources d’inspiration ! Mais je me demande quand même, à l’instant, là, si elle…elle ne puise pas dans « mes affaires » pour me sortir des idées aussi délirantes !



         Ne me lâche pas…



Sculpture de Emecka




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EMECKA - EN PENSANT À CUPIDON (SONNET)



MISE EN VOIX JAVA




Venus et Cupidon - Pastel tendre - Propriété Emecka





En pensant à Cupidon (Sonnet)



Par ces hasards précieux ou concours délicieux 
Elle est toujours présente quand je t'entrevois ;
Je la sais dans mes yeux, je la sens dans ma voix
Qui déjà te couvrent, d'un parfum capricieux.

Belle inconnue vois-tu, combien je déraisonne,
Combien j'oublie enfin la prudence de mise !
Au risque de brouiller  mes paroles transmises
Je m'avance vers toi, car soudain tu frissonnes.

Enfin j'ai cru le voir dans ton sage regard.
Je m'impatiente tant de lire à mon égard
Un autre signe doux aidant mon ambition.

L'attente ô divine, l'Angoisse tu me tiens
Singulier sentiment, nécessaire soutien,
Tu es ma flèche d'or, fragile séduction.




                                              
 MK 2012

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EMECKA - LE COIN "POÈME RÉVOLUTIONNAIRE" & BLUETTE



MISE EN VOIX ZIBELYNE




Photographie personnelle de Emecka - De si beaux villages





Le coin "Poème révolutionnaire"



Le coin
Lors de votre balade en ce jardin,
Quelle ne fut pas votre surprise
De trouver des pavés dans ce coin
Qui d'ordinaire ici, ne sont pas de mise.

Point besoin, vous vous dites, de ces parements
Pour défendre quelconque barricade
Puisque ici, de révolution n'existe vraiment
Que celle du jardin, votre promenade.

Alors peut-être, est-ce un coin de ralliement
Dévoué aux fidèles péripatéticiens
Qui, pris de plaisir ou d'épuisement
Reposent leurs sens sur ce banc ancien.

Bienvenu, profite de ce coin de pavés !
Pense alors, à la quiétude du recoin
Même si d'aventure, il te prend de rêver
De jeter à l'adversité, les pavés du coin.



~~~


Photographie personnelle de Emecka - Chatoiements



Bluette


Toi, s'il te venait l'idée, bien cavalière
Après quelques boissons goulûment consommées,
Contre le pied de cet auguste réverbère
De t'oublier, en d'autre terme d'uriner ;

Saches, vile et grossière engeance,
Que, sans nulle autre formalité
Tu rendras compte de ton incontinence
Par là, précisément, où tu as fauté.

Quoi de pire en réalité qu'une miction,
Observée par toute la lumière érigée ;
Puisse t-elle rendre impossible la mission
Qu?avant ces mots tu avais engagée.

Ranges donc ton idée buissonnière
Que tu sois chien, chat ou homo erectus
Passe ton chemin et tes basses manières
Pour un autre lieu digne de tes reflux.


Moralité :
Pisser contre ce lampadaire
Se regrette la vie entière !...





MK
« Poèmes de jardin et fables pour qui veut les entendre »


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jeudi 26 juin 2014

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS SUITE 13















Suite 13


L’hiver avait décidé d’épandre ses gelées et frimas ailleurs. Un soleil que l’on pouvait qualifier de printanier avait séché les dernières traces de l’humidité nocturne et l’odeur entêtante des petites poires blettes des cormiers centenaires, bordant la Place du Donjon, enivraient la tête des villageois aux abords du marché. Samedi était jour à traîner le long des étals et à remplir les cabas de fruits et légumes qu’un début de saison malicieux avait muris et gorgés de sucs et saveurs puissantes. Arsène détecta dans cet embrouillamini d’odeurs, le parfum délectable de la chair de pageot. Le poissonnier était l’un des premiers à tendre ses bâches, à déployer sur la surface lisse et blanche d’une grande toile huilée, les trésors écaillés d’une faune méditerranéenne miroitante. Un autre samedi, Arsène aurait succombé à la tentation d’aller rôder autour de cette manne offerte à sa convoitise et d’attirer l’attention du marchand par de petits miaulements parfaitement étudiés, dans l’espoir de récolter quelques têtes succulentes. Il dut se faire violence et se répéta dix fois dans sa tête qu’il ne devait en aucun cas se laisser distraire. Jules lui avait confié une mission et il se devait d’honorer la parole donnée.

Il abandonna la Place du Donjon à regret, non sans jeter un dernier regard sur l’objet de son désir. Le domaine de la Marthe étendait ses murs lourds et épais à deux lieues du bourg. Ce n’était pas la distance qui le rebutait, ni les terrasses escarpées à franchir pour descendre jusqu’à la vallée où le Portefeuille avait creusé son lit. Il connaissait le chemin ainsi que tous ses pièges. Un chat n’avance jamais droit devant lui, mais emprunte des voies dictées par son instinct de survie. Ainsi devait-il contourner nombre demeures où des dogues détachés des liens les reliant à leurs niches, exécutaient la tâche qui leur était assignée : défendre le territoire de leurs maîtres. Arsène, après plusieurs tentatives infructueuses, avait renoncé à s’en faire des amis. Il serpenta, déroula le labyrinthe mental qui lui permettait de trouver à défaut du parcours le plus court, celui qui le protégeait de leurs crocs mortels. Il lui fallut une bonne demi-heure pour enfin apercevoir l’architecture vernaculaire de la ferme. Installé sur un talus, il observa les lieux. La maison principale sans étage, à façade en gouttereau, aux briques jaunes serties de croisillons de bois, se poursuivait des quatre côtés d’une cour centrale par de vastes dépendances aux moellons calcaires de forme irrégulière et parfois grossièrement crépis. À chaque angle de la cour, une ouverture permettait de pénétrer dans l’espace autrefois réservé à la préparation du fumier. Du haut de son perchoir, il pouvait également scruter les prés et pâturages qui encerclaient les bâtiments, et deviner au loin le Portefeuille niché derrière un écran de haies vives, de charmes et d’alisiers. Un calme rassurant, juste troué de manière intermittente et brutale par les cris sonores des troupes de grues cendrées en migration vers l’Espagne, régnait sur la ferme.

Arsène commençait à s’assoupir, comme le font ceux de son espèce en proie au désœuvrement, lorsque son ouïe fut attirée par le grincement d’une porte métallique auquel répondit le bêlement saccadé de chèvres. Il vit une femme vêtue de noir sortir d’une grange qui devait faire office de chèvrerie. Un grand fichu cachait sa tête, mais il sut immédiatement à la description donnée par Jules, qu’il s’agissait de la Marthe. Elle avançait d’un pas sûr vers le corps d’habitation, les deux mains tenant des seaux  remplis à ras bord d’un onctueux liquide blanc crème.

Le chat se tapit pour passer inaperçu. Il attendit de la voir disparaître dans la maison pour oser quitter son point d’observation, en s’assurant qu’aucun chien ne lui barrerait le passage et le corps caressé par l’herbe courte d’un pré à pâture, il louvoya en direction de la porte qui venait de se refermer. Une fois entré dans la cour, il repéra un grand pot sur le rebord d’une fenêtre qui avait dû contenir des géraniums deux saisons d’affilée et qui pourrait en partie masquer sa silhouette tout en lui permettant d’espionner la Marthe. D’un bond rapide et précis, il atteignit son poste de vigie. La fenêtre était fermée et une occasion de pénétrer dans la demeure sans que la propriétaire ne s’en aperçoive, lui était refusée. Instantanément ses pupilles se dilatèrent et l’intérieur sombre de la demeure apparut avec autant de netteté que si les rayons du soleil y resplendissaient.

La première chose qui retint son attention fut la cheminée où il crut discerner, au fond de l’âtre, des braises éteintes. Il se pencha un peu plus pour essayer de repérer la Marthe, mais sans succès. En orientant avec soin ses oreilles, droit dans l’axe de la pièce, il entendit des bruits, chocs et tintements de casseroles, tiroirs ouverts puis refermés, autant de sons qui lui étaient familiers et qui d’ordinaire aiguisaient son appétit. Il en déduisit qu’elle avait dû se rendre dans une pièce dont la porte était restée entrebâillée et que cet endroit devait être une cuisine. Sans doute préparait-elle un repas et cette noble occupation lui laissait le temps d’essayer de trouver une ouverture, porte ou fenêtre mal fermée pour se glisser à l’intérieur de la demeure.

À patte gauche, il repéra une autre fenêtre basse, dont les volets clos interdisaient a priori toute possibilité d’effraction, à ceci près que le vieux bois avait joué avec le temps et qu’un interstice assez large entre les deux panneaux autorisait un minime espoir. Il sauta dans la cour de la ferme et se dirigea vers son nouveau poste d’observation. Le rebord de la fenêtre étréci par l’épaisseur des volets ne laissait guère d’espace libre où s’installer confortablement. Pour la première fois de sa vie, juste avant de calculer la trajectoire et la force de son bond, il pensa qu’un petit régime ne serait pas superflu s’il souhaitait devenir enquêteur à plein-temps.

Une fois installé en équilibre instable, il glissa sa patte entre les volets et tenta d’élargir l’espace pour accéder au crochet qui les maintenait fermés. Au terme d’une dizaine de tentatives qui auraient découragé un matou moins déterminé, il réussit à le dégager de l’œilleton et put enfin s’offrir une vue dégagée sur l’intérieur. Ce qu’il vit le laissa perplexe. Trônant au milieu de la pièce, un berceau col de cygne en hêtre patiné, empanaché de tulle d’un blanc immaculé patientait dans l’attente de son petit hôte.

Perdu dans sa contemplation, il n’entendit pas l’étranger s’approcher de lui et tout son poil se hérissa quand une main ferme empoigna son échine.




©Catherine Dutigny/Elsa, mai 2014




à suivre...

mardi 24 juin 2014

MARCEL FAURE - 0081 à 0085 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX DE MARCEL FAURE


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Lundi 12 décembre 2011 

Pour mes poussinettes :

L'oiseau et la plume

Un oiseau gris
Dans une cage
Je pleure

Un oiseau bleu
Sur le soleil
Je chante

Un oiseau vert
S'envole
Je cours

Plume d'or
Sur le sol
J'écris



Mardi 13 décembre 2011 

Eh là ! Excusez-moi, je file à la poursuite de mon ombre, ce satané Breton qui me tire à hue et à dia. Depuis que je lui préfère son ex-ami Philippe, celui du manifeste surréaliste, il se comporte avec moi comme un charretier. Je cavale après lui comme un malade.
Nous voilà dans le quartier du Soleil et, au lieu de prendre l'autoroute à droite direction Lyon — Paris, nous la traversons pour rejoindre les crassiers Nord qui rappellent le passé minier de la ville noire. Dans l'ombre portée du côté opposé à l'autoroute, assis sur de vieilles traverses, une communauté grise se réunit ici. Tous morts depuis longtemps, leurs yeux exorbités grimés de houille, ils mangent, sortis de leurs gandos, ce que les rats ont bien voulu laisser. Nous partageons avec eux un bol de café coupé de vin.
Indifférents à notre présence, ils ruminent leurs amis décédés dans des accidents, coup de grisou après coup de grisou. Leurs poumons silicosés crachent un sang noir qui se confond avec le sol. Un vieux cheval aveugle racle un reste de foin dans la mangeoire et la Sainte Barbe, pas trop fiérote, implore qu'on ne l'égorge pas.
Mon ombre pousse au crime, révolte, grève, et l'on part en chantant se faire fusiller au Brûlé en ramassant au passage les camarades des autres puits. Je note tout cela sur un cahier que me tend Breton. Il me suggère : comment écrire ce que nous sommes si nous ne savons pas d’où nous venons.
Voilà, je suis d'ici, poing levé, banderoles, calicots, mon sang coquelicot.



Mercredi 14 décembre 2011 

Ce soir, je regarde dans le ciel, toutes ces lampes de mineurs allumées. Un grand silence chaud et solidaire m'envahit. Dans ce ciel encombré, chaque génération a son étoile du berger. Bien souvent, il suffit de laisser remonter le mot bonheur à la surface du jour. Tout s'éclaire.



Jeudi 15 décembre 2011 

Parler de tes silences ... Ceux où tu t'absentes, qui plongent dans des contrées où je ne peux te suivre. Je n'y suis pas autorisé. ... ceux un peu tristes, meublés de reflets gris et de peines ... la maladie de ta mère, sa mort physique, mais surtout toute cette période trop longue où son esprit vide naviguait déjà loin de toi.
Tes silences reposés, vidés de toute substance, l'eau apaisée et claire d'un étang sans les rides du vent. ... Ceux productifs, dont je sens bien qu'ils vont exploser en idée qu'il te faudra exploiter rapidement.
Tes silences gourmands lorsque tes yeux parlent pour toi devant une envie de chocolat ou de pizza ... ceux qui invitent à la confidence et qui écoutent ... Ceux indécis qui tournent en ronds et s'entrechoquent en longs soupirs. ... Ceux prêts à se rompre et qui ne rompent pas.
Tes silences, ceux qui chantent, qui rient, qui dansent et qui me font chavirer dans tes bras. ... ceux qui se confondent avec la patience des arbres, la beauté des campanules ou celle d'une Lloydia, cette beauté qui te pare dès que ta main s'égare le long d'une tige et que tu respires l'odeur du lilas ou du genêt.
Et ce silence, posé maintenant sur tes lèvres souriantes, que je contemple béatement et qui a la délicatesse et l'agilité d'une libellule.



Vendredi 16 décembre 2011 

Lorsque je sors avec toi, j'emporte toujours un livre. Si la maison s'écroule en notre absence, j'aurai sauvé l'essentiel.








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lundi 23 juin 2014

AMARANTHE - EMBRASEMENT





Photographie personnelle de Morgan et Paty


Embrasement


Ce matin-là, le Soleil avait décidé de faire la grasse matinée, fatigué de sa grande virée de la veille qui l’avait laissé bien amer. Il avait fait la fête pour la dernière fois. Sa toute première fois était bien derrière lui : la saison s’avançait, l’hiver pointait son nez. Son ultime journée l’attendait goguenarde, bien campée sur ses pattes. Elle était jeune encore, se pensait éternelle, dédaigneuse des peurs des belles éphémères. Lui aussi avait été orgueilleux et fier, bien avant que le Temps, sournois et cauteleux ne vienne lui demander des comptes, un mouchoir à la main. Il n’y avait que le Temps, sans âge, qui s’en tirait toujours. Il attendait tranquille, au détour du chemin et son sourire sanglant disait « un jour, tu seras mien ».  

Le Soleil soupira. Quand le jour aurait chaviré, il partirait là-bas, de l’autre côté du monde. Déjà la vie s’enfuyait à tire d’ailes. Son souffle devenait court et tiède. Les oiseaux ne venaient plus se brûler à sa caresse, les fleurs ne lui faisaient plus de l’œil. Il était loin le temps où le vent faisait danser leurs robes rouges et où, dans le frais matin, il venait  boire les gouttes de rosées qui perlaient de leurs petits corps graciles.  Il était loin le temps où, libres et irrévérencieuses, elles dressaient leurs corolles vers lui et s’offraient à la morsure de ses rayons.

Il avait mal dormi et, plus pâle que d’habitude, il n’en menait pas large. Qui donc pourrait l’aimer de l’autre côté du monde ? Pour retarder le moment des adieux, il décida alors de ne pas se lever. Mais le Temps, qui a toujours plus d’un tour dans son sac, envoya Aurore au chevet du Soleil. Toute rose d’émotion, ses grands yeux si clairs lui mangeant le visage, elle alla donc le tirer du lit. Colosse aux pieds d’argile, il se vit fort et étincelant dans son regard liquide. Voulant lui offrir la plus belle des couches, il la prit par la main et alla l’étendre sur son plus beau nuage au beau milieu du ciel. Et le Temps reprit ainsi sa course funeste.

Le Soleil écoutait sa belle Aurore qui tout bas gémissait : « Tu as vécu sans moi, mais jamais moi sans toi.  Comment vivre sans toi ? Je ne veux pas d’un autre soleil. Emmène-moi avec toi. »

Elle se mit à pleurer. Le Temps, ému de son chagrin, souffla  sur ses paupières et la peau d’Aurore, si fine et translucide, se fit de parchemin. Le Soleil savait qu’elle se perdait pour lui mais il ne voulait pas partir seul dans la nuit. Il l’enveloppa alors pour qu’elle devienne d’or liquide. La douleur fut telle que le sourire d’Aurore se déchira, ses lèvres devinrent velours rouge. Dans un ultime baiser, elle mêla ses lèvres aux rayons du Soleil. Celui-ci, désormais étranger dans le ciel, plongea dans l’océan et ses larmes de feu embrasèrent l’infini.





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dimanche 22 juin 2014

ALLISON - PETIT-ANGE 2 (ADOLESCENCE)














Petit-Ange 2 (Adolescence)



Le silence est d'or.

Couchée au fond de la piscine, Petit-Ange fixe les formes qui s'agitent autour d"elle.

Le mur liquide qui les sépare amortit le bruit, sans pour autant parvenir à le noyer totalement:

"Elle devrait se faire interner..."

"Elle ne parle pas. Il parait qu'elle est autiste..."

Comme des coups de bélier dans un mur que Petit-Ange entretient depuis maintenant plusieurs années, l'élévant à la gloire du vide qui la gouverne. Protection illusoire, Mur des Lamentations dont les fentes abritent ses biens les plus précieux...

Petites perles que Petit-Ange enfile sur un fil de fer trouvé dans un recoin méconnu de son être; perles de vies sur fil imaginaire, vies fictives enmêlées dans une bibliophilie désespérée pour vaincre l'idée d'une mort de plus en plus espérée; éclats de personnages qui peu à peu commencent à prendre pied dans la réalité déformée de Petit-Ange.

Les mots des autres s'effacent sous la pluie des années de collège, mais la honte est un sentiment tenace...indélébile, crasse noire sur un coeur à vif d'avoir voulu être purifié, normalisé.

C'est pour ça que Petit-Ange ne va plus manger à la cantine, jamais.

Elle n'aime pas manger toute seule, Petit-Ange. Le collège est si grand, il y a tant de monde. Pourtant, personne ne veut venir manger avec elle, et tout le monde refuse de venir s'assoir à côté d'elle. Pire, ils l'espionnent, déposent leurs plateaux vides à sa table avant de s'enfuir en riant. Oui, la honte, ça ne part pas. Une fois que c'est là, ça ne part plus. Une tache de plus.

Alors, Petit-Ange s'interroge: au lieu de la soigner, les pillules qu'elle prenait pour la Fée Bleue n'ont pas fait d'elle une vraie petite fille; ce qu'elle comprend, c'est que plus elle guérit, plus elle dérive, plus elle périt aux yeux des autres.

Le collège, loin de la faire grandir, devient un lieu dévoué à son humiliation quotidienne: bourreaux scrupuleux, camarades et professeurs la condamnent sans possibilité de remise de peine: "Cette fille est mauvaise. Protègons les gens normaux contre elle."

Mais le mur tient bon, préserve une hibernation du cœur qui commence à durer...

Petit-Ange se tait toujours, même quand on lui arrache son livre pour le jeter sur le bitume glacé et trempé qui griffe les précieuses pages de ses aspérités.

Elle se tait, elle mérite ce qui lui arrive. Sinon, pourquoi chacun aurait-il au même instant le même élan de violence à son égard ?

Alors Petit-Ange se cache pour regarder les autres, non pas avec envie, mais pour essayer de comprendre ce qui ne va pas chez elle.

A vrai dire, ce n'est pas particulièrement dur à saisir: alors que tout contact physique lui est refusé, (par crainte de contagion?) la tactilophilie des autres la rejette toujours dans une sorte de brouillard, espace-temps social à l'air vicié.

Couchée au fond de la piscine, Petit-Ange voit ses bulles d'espoir s'envoler vers la surface, tandis que son corps tout entier se révolte contre le traitement que l'âme lui inflige.

"Pourrais-je un jour oublier? Trouver le bonheur...la paix?"

ALLISON - PETIT-ANGE 1 (ENFANCE)






Les malheurs de Sophie - La contesse de Ségur
(souvenir "Tippique" de lectures d'enfance)



Petit-Ange 1 (l'enfance)



Petit-Ange est une petite fille. Une petite fille comme toutes les autres.

Ou pas.

Petit-Ange regarde les autres, les autres la regardent aussi. Que pensent-ils? Ils n'hésitent pas à le lui dire: "Tu es bizarre".

Alors Petit-Ange frappe, alors Petit-Ange détruit. Elle frappe pour punir, pour se libèrer du mal que les autres essaient de mettre en elle. Elle détruit ce qui l'entoure, pour le reconstruire avec les morceaux de rêves qu'elle tisse en secret.

A la maison, Petit-Ange regarde. Sans un bruit, elle écoute. Papa dit: "tu vas sur tes sept ans! tu dois prendre sur toi."

Papa, il est convoqué à l'école quand Petit-Ange se bat. Papa qui l'aime, mais qui a renoncé à la comprendre, Papa qui attend d'elle qu'elle se comporte comme une grande personne, même si elle n'est pas une grande personne.

Alors Papa et Maman emmènent Petit-Ange chez tout un tas de médecins... de "psychologues". Elle joue à la pâte à modeler, mais elle se tait. Elle ne comprend pas pourquoi Papa et Maman finissent toujours par se disputer avec eux. On ne dit jamais rien à Petit-Ange, parce que ce n'est qu'une petite fille.

Mais Petit-Ange n'est pas qu'une petite fille. Elle se tait, mais elle regarde. Elle voit ce que les autres ne voient pas dans les yeux de ses parents. Et ça, ça la brûle si fort qu'elle ne peut s'empêcher de pleurer lorsque la nuit la laisse seule, démunie face à ses démons.

"Qu'ai-je fait pour mériter ça? Pourquoi je n'ai pas une fille normale, celle qui invite ses copines le week-end, qui joue à la poupée dans la cours au lieu de se bagarrer? Pourquoi c'est tombé sur moi?"

C'est ça que Petit-Ange comprend. Elle n'est pas normale, elle est une erreur. Un fardeau pour ses parents, une source de honte et pour eux, et pour elle.

Alors, une semaine durant, Papa et Maman emmènent Petit-Ange dans un très grand hôpital, dans lequel elle se retrouve en compagnie d'autres enfants.

"Sont-ils comme moi?" se demandent Petit-Ange. "Eux aussi, ils ne sont pas normaux?"

Au bout d'une semaine, et une batterie de tests où elle a dû lire, décrire, répondre... Petit-Ange découvre un nouveau mot pour la décrire: "Hyperactivité".

C'est un mot long, et compliqué, mais ça sonne encore plus comme un nom de maladie. Sinon, pourquoi la forcerait-on à prendre deux pillules par jour?

Petit-Ange a 12 ans.

Les autres enfants qui la trouvaient bizarre ont eux aussi enrichi leur vocabulaire: la folie, les calmants, la drogue. Il pointe maintenant Petit-Ange du doigt, la folle qui prend des médicaments pour se calmer.

Mais si Petit-Ange semble plus calme, ce n'est qu'une apparence. La rengaine de Papa revient constamment, comme une mélodie lancinante: "Tu vas sur tes X ans, tu dois prendre sur toi!" suivi d'un "l'hyperactivité c'est dans ta tête".

Alors, le coeur de Petit-Ange se remet à saigner. Si fort, si violent, chaque pulsation comme une vague de destruction qui sape peu à peu les fondations de son être. Ni confiance ni peur, un mur sans couleur ni une réelle forme qui l'éloigne des autres.

Loin de tenter de le briser, elle s'y cramponne, s'accroche avec la force du désespoir au silence qu'elle instaure en elle.

Peu à peu, l'âme de Petit-Ange s'endort...





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ALLISON - L’HYPERACTIVITÉ PAR PETIT-ANGE (EXTRAIT 1)












L'hyperactivité par Petit-Ange 

(Extrait 1)




C’est comme lorsque tu pars en vacances. Tu es sur la route, et parfois tu passes devant quelque chose dont tu te souviens, un repère. Tu ne sais pas où se trouve ce repère avant d’y arriver, c’est seulement quand tu passes devant que tu t’en souviens. Les gens autour de moi sont comme ça, des repères dans ma vie, sans qu’ils en fassent vraiment partie. Je passe de l’un à l’autre sans vraiment me sentir liée, alors que tout le monde a au moins une personne qui le connait vraiment. Moi, personne ne me connait, même si beaucoup en sont persuadé. J’ai sans arrêt l’impression que c’est trop tard, que cette partie de moi est définitivement tronquée.

Je ne sais pas à quel moment de ma vie j’ai commencé à prendre en compte le TDAH dans mon comportement, à me demander si mes actes étaient réellement le résultat de mes désirs ou une simple conséquence neurobiologique, mais la différence a toujours influencé mes pensées, et mon rapport aux autres.

Il existe tant de manières de faire comprendre à quelqu’un qu’il est différent, chaque nuance semble trouver en nous un écho, une couleur, une note : un instant immobile auquel nous revenons sans cesse pour comprendre. Les gens pensent que se taire suffit à cacher ses pensées, ou que les expliciter ne changera rien à leur vie ; les parents pensent que la remarque nous fera changer… par amour pour eux, mais l’inverse existe-t-il ? Leur autorité nous transperce.

Seulement, transpercer, c’est passer au travers, et on esquive tout ce qui vient d’eux, brisant le lien. L’empathie des enfants, surtout des enfants hyperactifs, rend tellement précaire leur relation avec ceux qui les élèvent, sans que personne ne s’en rende compte. Cette sensation d’incompréhension n’est pas un mot, comment le dire ? Qu’en faire ?
Chacune des parties pense être la défaite, l’échec de l’autre : mauvais parents, ou mauvais enfant ? J’ai ressenti ce questionnement chez mes parents, en particulier chez mon père : loin d’être ce que je devais être, j’étais tout de même, et ces deux moi ne faisaient qu’accentuer ma différence.

Mon besoin de comprendre, de me comprendre, n’a jamais été pris en compte durant mon enfance. Peut-être n’ai-je pas été capable d’exprimer clairement ce désir, peut-être même n’ai-je pas été capable de m’en rendre compte alors, aussi clairement qu’aujourd’hui ; néanmoins, je pense que cela m’a manqué, et a nettement influencé mon rapport aux autres : aime ton prochain comme toi-même…
Tout ce qu’on me renvoyait, c’était que j’étais un concentré de trop : trop bruyante, trop violente, trop dispersée. Pourtant, je ne me suis pas sentie particulièrement différente avant d’arriver au collège, mes difficultés scolaires bien moins importantes que par la suite, même si le fait que mes résultats ne soient pas à la hauteur de mes capacités soit souvent revenu dans mes bulletins, années après années. Le reste était flou, vague. Je ne me voyais pas, tout simplement.

Le sentiment de différence est venu progressivement, au fur et à mesure que mes intérêts se précisaient, car je pense que ce sont eux qui m’ont réellement éloignée des autres enfants. J’aimais particulièrement les livres, passion encouragée par mes grands-parents, anciens libraires. Le temps que je passais chez eux était considérable… temps hors du temps, stable et immuable. Je ne me sentais pas totalement seule alors, parce que je me sentais connectée à mon grand-père : calme, toujours calme face au encore jeune homme tourmenté qu’était mon père, qui n’a d’ailleurs guère changé. Je n’ai pas les mots pour exprimer ce lien qui me liait à lui, pas plus que pour expliquer les raisons qui m’ont poussée à m’en détacher.

Mon hyperactivité n’est pas tombée du ciel, contrairement à ce que mon père a toujours voulu croire. C’est lui qui me l’a transmise, et son refus de l’admettre résonna longtemps comme un rejet, avant que je me rende compte qu’il était aussi seul que moi, enfermé dans un masochisme qui le pousse à détruire tout ce qui pourrait lui apporter du bonheur : que ce soit dans ses relations amoureuses ou familiales, son impulsivité et son refus de dialogue, ses incessants retours aux périodes difficiles de sa vie poussaient quiconque à restreindre ses conversations avec lui. Il ne semblait jamais s’en rendre compte, préférant certainement se persuader qu’il était quelqu’un de particulièrement épanoui.

Cependant, cette attitude était douloureuse pour moi, qui n’avais aucun mot à mettre sur cette sensation de déchirure que m’inspiraient les souffrances ignorées de mon père, associées à mon impuissance à l’en soulager ; et je n’appréhendais que davantage celles dont j’étais l’origine.
Mon père n’était pas le genre de père calme, modéré, conscient d’avoir en face de lui des enfants, à la fois sensibles et en cours d’apprentissage : il nous demandait sans cesse de nous conduire en adultes, alors que mon frère et moi n’avions pas dix ans. Chaque erreur d’enfant prenait avec lui figure d’échec d’adulte, tandis qu’il nous abreuvait de ses rancœurs liées à son service militaire ou à son divorce d’avec notre mère, et je lui en voulais de nous imposer ça : mon petit frère, alors très proche de notre mère, souffrait de l’entendre dire qu’elle nous avait mis dehors, qu’elle ne voulait plus de nous, qu’elle préférait s’amuser avec ses copains et copines au lieu de s’occuper de nous ; et moi, je lui en voulais de se servir de moi comme réceptacle de sa douleur, m’obligeant à porter une croix qui n’était pas la mienne. Mon empathie démesurée me forçait pourtant à me l’approprier, à faire mienne cette sorte de colère qui, à défaut de se diriger contre une cible concrète, explose dans toutes les directions et touche les êtres qui nous sont le plus chers.

Cette empathie, ce pouvoir d’invoquer en nous des sensations et des émotions qui ne nous appartiennent pas, qui ne sont ni justifiés par une situation, ni même le souvenir d’une situation passée, est une des caractéristiques qui montrent à quel point notre vie psychique est à la fois instable, intense, riche et impersonnelle.
Instable, car nous avons conscience, simultanément, de toutes les possibilités et combinaisons du comportement des autres au même niveau que de nous-même, si bien que la frontière entre la particularité de notre être et l’universalité dont nous faisons l’expérience nous apparait floue dès notre plus jeune âge, nous donnant cet aspect rêveur : nous nous perdons dans des milliards de nuances que nous vivons simultanément et totalement.

Intense, car cette expérience nécessite une intervention de notre part, sans quoi ce brouhaha silencieux viendrait parasiter la plus infime de nos pensées : c’est un compromis que nous devons faire avec nous-même ; comme tout roi, dans toutes ses prétentions à gouverner, ne peut réaliser sa tâche (et donc se réaliser lui-même en tant que souverain) s’il ne tient pas compte des phénomènes qui forment et régissent ceux et ce sur quoi il règne, l’hyperactif doit s’ouvrir à l’ensemble des évènements qui l’influencent, trouver dans cette succession d’idées les moyens de se démarquer par la justesse de ses réflexions sur des sujets qu’il n’a pas étudiés : c’est là la plus grande force de l’hyperactivité, cette faculté de pouvoir prendre position et discuter « sérieusement » de choses auxquelles nous n’avons jamais pensé auparavant.

Riche, donc, puisque ces expériences internes nous permettent de créer nous-même du savoir, processus favorisé par le rejet dont nous sommes dans l’ensemble victime : là où la sociabilité semble pousser à s’oublier au profit de l’autre, l’hyperactif aura une meilleure connaissance de ses capacités, le poussant à expérimenter des choses difficiles, voire dangereuses : contrairement à ce que pensent les psychologues, cela tient moins à notre désinhibition (qui s’exprime autrement), qu’à un besoin de réussir ce que nous avons besoin de réussir : nous possédons une force énorme qui, à défaut de nous protéger des dommages physiques, nous permet d’évoluer à travers la difficulté : nous avons conscience du danger, mais nous voyons également au-delà, contrairement à notre entourage.
Cette connaissance de nos capacités nous permet également (malheureusement ?) de prendre conscience de l’écart entre celles-ci et celles que l’on attend de nous : être capable de nous intéresser à des choses jugées importantes, mais dont la puissance émotionnelle est faible, voire nulle ; seules les choses provoquant un élan émotionnel fort peuvent retenir une personne qui a en elle-même un fonctionnement purement émotionnel.
Impersonnelle, enfin, car la possibilité de ressentir des choses qui ne sont pas des stigmates de notre vie réelle, de comprendre tant de mécanismes sans pour autant parvenir à les faire fonctionner en dehors, nous donne l’impression d’exister davantage en favorisant l’invention constante qu’en utilisant exclusivement les choses qui sont soit provoquées par des évènements réels, physiques, soit le fruit d’un enseignement concret dont nous devons pourtant rendre compte ; c’est dans l’ailleurs que nous trouvons ce dont nous avons besoin pour rester en mouvement dans notre existence, une drogue dont nous ne pouvons pas nous délivrer sans avoir l’impression de nous gâcher : ni nous ni l’autre, nous ne pouvons vivre qu’à travers l’ailleurs, c’est-à-dire ce que je conçois sans connaitre.



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