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Jeudi 9 février 2012
Je
ne suis pas préparé à cette intrusion de souvenirs anciens qui
viennent télescoper le présent. J'ai recherché en vain, une
vieille photographie en noir et blanc de mon père, histoire de
vérifier. Peine perdue.
Vanessa
P., interrogée à la télé, n'avait pourtant fait que confirmer
toute la distance qui nous sépare. Pourtant cette poupée de mode me
fascine. Il en est ainsi de certains êtres qui nous captivent par
leur beauté, leur voix ou ce qu'ils écrivent. Ils sont très
différents de notre univers, ils peuvent avoir des idées aussi
diamétralement opposées que Sollers, d'Ormesson ou Bobin. Cette
sympathie irraisonnée peut nous surprendre au coin d'une rue en
croisant un inconnu, associer un couple comme Montant et Signoret,
s'attacher encore à un Lino Ventura, même lorsqu'il joue les brutes
épaisses dans des films de seconde zone.
Pourquoi
eux ? Pourquoi Emmanuelle Béart aussi. Evidemment, vous pourriez me
reprocher une attirance sexuelle bien compréhensible envers ces
magnifiques actrices. Mais non. Homme ou femme, lorsqu'ils parlent,
lorsque je les lis, c'est à la fois une sensation d'apaisement et
d'exaltation et, depuis que j'en ai pris conscience, une volonté de
résistance.
Je
ne résiste pas très longtemps. Heureusement, ils sont peu nombreux
dans mon panthéon. Et trop inaccessibles ou morts, pour avoir une
influence réelle sur ma vie.
Papa,
les racines que tu m'as données sont solides. La vie simple et
souriante, c'est peut-être cela que tu confiais à Vanessa P. dans
un rêve, au bout de la rue des Deux Amis.
Vendredi 10 février 2012
-
Madame, je n'entends plus aboyer votre chien, vous avez trouvé une
solution ?
Cet
animal prénommé Délivrance par ses maîtres, nous bourrait les
tympans de sa solitude plusieurs fois par semaine, surtout le soir,
comme s'il avait peur du noir. Nous en étions arrivés à proposer
de le garder chaque fois qu'il était seul et le gentil mastodonte
n'était pas contre, à condition qu'il puisse, sans réserve,
sentiner notre entre cuisses. Pourquoi s'en offusquer, c'est sommes
toutes, une façon assez banale de se saluer chez la gente canine.
-
Oh oui, cher monsieur, on allume la télé, il s'installe dans le
fauteuil, cette compagnie lui convient.
-
Et quelle chaîne lui mettez-vous ?
-
TF1
-
Vous êtes dure avec lui !
Samedi 11 février 2012
Battements
du sang dans mes tempes.
Archipels
de nuages dans le ciel.
L'aube
donne peu à peu de l'épaisseur au jour.
Je
flotte au-dessus d'un café noir.
J'aime
les matins qui palpitent dans mes veines.
Dehors
le temps claque de froid.
La
glace s'applique à lustrer la chaussée.
C'est
un moment précaire, rare, évident.
Pendant
une seconde,
Je
suis le seul survivant d'un monde disparu.
Dimanche 12 février 2012
Comment
naît un poème ? Un battement de sang à mes tempes ? Une alchimie
qui me dépasse. Peut-être la force d'inertie du premier vers ou
cette fissure dans nos pensées. Des mots s'élèvent par densité
jusqu'à la surface des choses. Un coup d'épuisette, le poème est
fait.
Rythme, pulsation, respiration, mais aussi refuge d'où je regarde la
réalité pour mieux l'affronter. Je fais le compte de mes réserves.
J'erre, air, aire, ère, pauvre hère, comme un jeune hère je me
frotte le front contre un tronc imaginaire pour que me pousse plus
vite les bois que j'espère. Alors je fais des gammes sur mon piano
dictionnaire.
Lundi 13 février 2012
Tu
es partout présente. Chaque objet, ici, c'est toi qui l'as choisi.
Les livres aussi. Ta crainte, ton désespoir : ne plus pouvoir lire.
Et c'est arrivé. D'abord sur l'œil où tu voyais le plus, puis
l'autre. Cette tache au milieu qui t'a volée une partie de ta vie.
Gamine
déjà tu lisais beaucoup. Une passion qu'adulte tu as voulu faire
partager. Avec ton amie vous avez créé une bibliothèque pour
enfants dans cette commune de la Loire, le seul chef-lieu de canton
qui n'avait pas d'école publique dans le bourg. De petits moyens,
mais un choix réfléchi qui fait de l'ombre au maire et conseiller
général chargé de la culture à l'assemblée départementale.
Les
chars russes dans notre commune. Oui, oui, dans les années 80 on
osait encore dire cela dans nos campagnes, mais pas l'écrire. La
rumeur plus puissante que l'armée rouge ... et peu à peu le mur de
Berlin autour de la bibliothèque qui était pourtant dans des locaux
municipaux. "Les barbelés de la culture", vous connaissez
? C'est lui, c'est le titre de son livre.
L'activité
s'est poursuivie pendant trois-quatre ans. Les lecteurs, maintenant
adultes, abordent encore Lloydia pour dire leur plaisir. La plus
acharnée d'entre eux a eu un jour cette expression avec elle "
tu es ma maman intellectuelle".
Lloydia
lit à nouveau beaucoup, plus avec ses yeux mais avec ses oreilles.
Jamais nous ne remercierons assez les donneurs de voix pour ce
plaisir intense de rentrer dans une histoire romanesque, rêver sur
un poème, se documenter sur un sujet... Et puis, en tordant ses yeux
dans tous les sens, en s'aidant du télé agrandisseur, elle arrive
tant bien que mal à décoder quelques phrases.
Même
dans la nuit la plus noire, nous arriverons toujours à capter des
instants de lumière. En chacun de nous, sommeille une luciole, il
suffit de la réveiller.
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