Carnets secrets
Prologue
La
tentation est grande, au moment où je trempe ma plume dans
l’encrier, d’écrire sur la page blanche, cette phrase tant de
fois lue et tant de fois prononcée : il était une fois…
Libre
à vous de penser que l’usage d’une plume Sergent Major et d’un
vieil encrier m’autorise l’emprunt de cette phrase à Charles
Perrault et que des fées vont bientôt au fil de ces pages agiter
leur baguette magique sous le nez de dragons crachant de la lave.
Il
vous est également autorisé d’imaginer - un lecteur a presque
tous les droits - que j’inscris ces mots sur un antique grimoire,
aux pages jaunies et à la tenace odeur de moisi. Mais il serait
pourtant dommage qu’emportés par cette même imagination, vous
attendiez des lignes qui vont suivre un catalogue de recettes
magiques, de pratiques sulfureuses. Non, je ne vais pas vous livrer
la quintessence d’un savoir ésotérique que j’aurais, toujours
selon votre fantaisie, accumulé tout au long d’une vie bien
remplie d’alambics et de cornues fumantes. Désolé de vous
décevoir, je n’ai nul talent divinatoire, pas le moindre globule
rouge de Nostradamus ne coule dans mes veines et si j’habite une
contrée peuplée de fades, de pierres-sottes et de meneux de nuées,
je vous assure avoir les pieds bien calés sur le plancher des
vaches, la tête qui raisonne à l’endroit et non à l’envers.
Tout
ce que je m’apprête à vous conter, je le tiens d’un cantonnier,
pardon… d’un « Agent de travaux des Ponts et Chaussées »
aujourd’hui disparu, qui venait, il y a fort longtemps, reposer ses
os usés par de laborieux travaux départementaux, dans un fauteuil
Voltaire auprès d’un feu de cheminée dans ma demeure et
réchauffer ses entrailles assoiffées du vin épicé que j’avais
coutume de lui préparer.
Point
de grimoire, non plus ; c’est sur un cahier d’écolier à
petits carreaux que je vide ma mémoire, ou plutôt la sienne, pour
la simple et bonne raison que je dispose d’un stock de cinq cents
cahiers vierges, modestes reliques d’une vie consacrée à tenter
d’alphabétiser. Oui, ne vous en déplaise, j’aime entendre
l’acier crisser sur la surface du papier, et je n’ai jamais pu
m’habituer à la raideur d’un Bic et encore moins à la froideur
d’un feutre, soit-il à gel, en nylon, à la pointe extra-fine,
fine, moyenne ou large... Ces instruments glissent, alors qu’il
faut qu’une plume bataille, livre une lutte sans merci pour trouver
les mots justes, traduire les sentiments avec finesse, décrire les
situations simples comme les plus compliquées. Il faut qu’elle
interpelle son maître, lui brise le poignet pour tester sa
résolution à aller au bout de son récit. Mon cantonnier n’aurait
guère apprécié que je me serve d’un ordinateur. D’ailleurs, il
est décédé bien avant que je n’en fasse l’acquisition. Ce
qu’il m’a confié est trop étrange, pour que je prenne le risque
qu’un hacker vienne violer mon disque dur, lire ce texte à mon
insu et le diffuser sur internet. Pourquoi pas le signer de son nom,
par-dessus le marché ? Remarquez, je ne vois guère ce qui
pourrait dans cette histoire l’intéresser. Il ne trouvera ici,
rien de ce qui le fait saliver sur la toile. Et s’il aime l’univers
des mangas, les films d’Hayao Miyazaki, que je ne dédaigne pas,
loin de moi cette pensée, il risque d’être rapidement déçu par
l’univers que je tente de ressusciter.
Tiens,
je n’avais pas envisagé cette possibilité ! Si je commence
mon récit par « il était une fois », et que je sois un
jour dans l’obligation de le transformer en tapuscrit, tout pirate
informatique laissera vite tomber son chapardage. Trop ringard ?
Tant mieux ! Et puis, j’aime bien cette formule qui traduit
exactement le doute dans lequel je suis immanquablement plongé
lorsque je feuillette mes notes prises lors des interminables
monologues de mon vieil ami et confident. Toutes ces confidences…
les a-t-il réellement vécues ou les a-t-il rêvées ? Par
prudence, étant donné le contenu délicat de certaines des
révélations qui émailleront ce texte, et mon incapacité à en
assurer la véracité, je suis contraint de changer les noms des
lieux et des protagonistes. Certains d’entre eux ont engendré une
descendance procédurière ; je suis bien placé pour le savoir,
la plupart d’entre eux ayant râpé leur fonds de culottes sur les
bancs de mon école !
Employons
donc cette formule toute faite, qui laisse la place au doute, au
merveilleux et au cruel…
Il
était une fois, un petit village du Berry niché sur un éperon de
granit, au cœur de la contrée du Boischaut qui surplombe une vallée
profonde où le bocage dense et sinueux épouse les courbes
naturelles d’une rivière. À le voir ainsi perché, vigie de
pierre sur la mer verte des haies, des buissons sarmenteux, des
roches moussues, surveillant nonchalamment les troupeaux de chèvres
rousses paissant au pied des cormiers séculaires, guettant le vol
des canards sauvages, serpentin aérien qui projette son ombre sur
les chemins creux, on a le sentiment que la vie à cet endroit s’est
figée à jamais. On pense à ceux qui s’y établirent en des temps
immémoriaux et chaque tertre de terre, possible cachette d’une
précieuse sépulture, avive nos sens tandis que les vers d’Hésiode
affleurent à notre bouche :"Ils vivaient comme des dieux,
le coeur libre de tout souci… Lorsqu'ils mouraient on eût dit
qu'ils tombaient endormis." Tandis que ses toits se pressent les
uns contre les autres en une mosaïque carmin et ocre brune, ses
terrasses cascadent, lourdement chargées de plantes médicinales et
lorsque l’on tend l’oreille avec juste ce qu’il faut de
finesse, il est possible d’entendre le murmure discret du ruisseau
que nous nommons traîne et
les plaintes des martes, ces esprits mâles et femelles qui
poursuivent de leurs imprécations flutées les laboureurs des
champs de la plaine. Si les lourds murs de granit de nos demeures
s’appuient et se confondent aux remparts de l’ancienne cité
médiévale, c’est pour concentrer leurs forces et dresser un mur
inviolable à la Grand’bête ou chien blanc dont le seul souffle
décime les hommes et les troupeaux. C’est là que tout commença
une tiède soirée de novembre quand le coq noir du père Baillou se
fit couper la tête.
à
suivre...
J'avais oublié de laisser un commentaire, je voulais dire que je m'étais délectée et que ce préambule augure bien des mystères !! Que va t'il se passer dans ce village si tranquille....... Suspense assuré !!!!
RépondreSupprimerUne mise en bouche Eponine... en espérant que la suite va te plaire autant... Merci d'avoir laissé un commentaire... chose assez rare pour le souligner avec gratitude.
SupprimerC'est plaisir pour moi que semer mes mots à l'envie sous tes superbes écrits, appel au magnifique et à la rêverie !! Merci chère amie !
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