Suite 1
Autant dire qu’il l’avait bien cherché. Lorsque l’on est choisi dès sa prime enfance pour devenir l’étalon reproducteur d’une basse-cour, il vaut mieux mettre du cœur à l’ouvrage et se livrer aux débordements sexuels que l’on attend de vous : forniquer de l’aube au coucher du soleil, sans jamais rechigner à la tâche. Mais voilà, ce coq-là ne l’entendait pas de cette ouïe. Une seule poule bénéficiait de ses faveurs, et il n’affichait que dédain pour le restant de la volaille. Cela avait eu pour conséquences fâcheuses de hâter la mort de la poule élue, définitivement épuisée par les débordements de son amoureux emplumé et de ruiner l’espoir du père Baillou de devenir le premier producteur de poules noires du Berry. Un comportement aussi sélectif, chez un animal réputé pour avoir autant de jugement dans ses attirances sexuelles qu’un jeune bonobo en quête de paix sociale, avait semé le doute dans l’esprit du paysan. Bien plus que le manque à gagner d’un élevage qui tardait à prendre de l’ampleur, c’est la certitude de ne pas avoir introduit un coq, mais un follet dans la basse-cour, qui l’avait décidé, ce fameux soir de novembre, à sortir son grand couteau. Les follets sont connus pour prendre souvent l’apparence d’un coq à la crête rouge écarlate et, comme la plupart des farfadets et des trolls, de ne pouvoir prononcer trois fois de suite le même mot. Or celui-ci ne savait enchaîner de suite que deux cocoricos. Le père Baillou, ne pouvait donc que se rendre à l’évidence et en sacrifiant la bête, il ne songeait qu’à la prospérité de sa ferme, à l’épanouissement de ses gallinacés et à son propre repos. À son repos, tout autant qu’à sa gourmandise, car sa femme ne l’avait point gâté d’un jau au sang depuis belle lurette ; le coq serait donc coupé en morceaux, puis flambé, son sang mis à cuire à feu doux avec de la crème épaisse, un jaune d’œuf et mélangé au foie pilé, de manière à en faire une sauce tout aussi onctueuse que goûteuse. Un pâté de pommes de terre, rehaussé de pointes d’ail et de tranches de lard, transformerait bientôt le plat de base en un repas de fête. Il y a des coqs qui se feraient eunuques pour finir ainsi.
Le décollement de la tête se fit d’un seul geste, comme certains savent sabrer une bouteille de champagne au nouvel an. Belzébuth, c’était le nom du coq, un bien funeste présage, n’eut guère le temps de regretter sa courte vie sur terre. Il battit des ailes, sans grande conviction, avant de rendre l’âme.
Le père Baillou préleva dans la bassine sacrificielle quelques gouttes de sang d’un rouge aussi étincelant que celui de jeunes branches d’aulnes fraîchement coupées. Il les dispersa dans l’enclos en marmonnant quelques vieilles formules destinées à écarter le diable de ses précieuses poulettes et referma doucement la porte du poulailler, le cœur en paix, avec le sentiment d’avoir accompli de la bonne et belle besogne.
Pourtant, sans le savoir - l’eut-il su qu’il serait allé aussitôt à confesse – ces quelques gouttes de sang étaient assurément d’origine démoniaque et c’est à ce moment précis que les choses commencèrent à prendre un cours peu ordinaire et que la magie se mit en branle.
Alors que la pleine lune se jouait de l’obscurité en baignant le bourg d’une lumière froide et aveuglante, tandis que peu à peu les lourds volets de bois se refermaient sur l’intimité de villageois pressés de se lover sous des draps bassinés, un léger murmure envahit les ruelles, glissa sur les pavés luisants, fouina le long des murs, escalada la façade d’une demeure médiévale. Il fut rejoint dans sa course vagabonde par d’autres voix aux tonalités différentes, tant et si bien, qu’engrossé de tous ces sons, il enfla jusqu’à devenir un brouhaha infernal. Une odeur âcre de fumée se glissa dans les anfractuosités des pierres, s’insinua dans les interstices des tuiles et la nappe grise volatile vint former un coussin douillet sur les toits de la ville où les voix finirent enfin par se rassembler. Nul humain ne se rendit compte du phénomène, tout le monde devant dormir du sommeil du juste à cette heure, sauf mon ami cantonnier qui revenait de son pénible travail, l’échine courbée, la besace vide, éreinté, fourbu et légèrement pompette. Que le bougre se soit arrêté peu de temps auparavant en remontant la côte au petit bar « Aux Demoiselles », ne peut expliquer qu’il ait eu en arpentant les rues de la cité, des hallucinations. Je le crois sur parole et s’il avait l’habitude sur le chemin du retour, de s’accouder au comptoir et d’y savourer une ou parfois deux fillettes de vin gris, je l’ai vu tenir droit sur ses jambes et garder toute sa tête après l’absorption de quantités d’alcool beaucoup plus importantes. Ivre, il ne l’était pas. Enfin, pas totalement…Sans doute aurait-il dû se méfier de l’enseigne de l’estaminet, car chacun sait dans le Berry que les «Demoiselles » ont plus d’un tour dans leur sac, mais restent inoffensives, à condition de ne pas les provoquer.
Pourtant ce qu’il allait voir et entendre en cette nuit de pleine lune, ainsi que les semaines qui suivirent jusqu’à la Noël, resterait gravé dans sa mémoire jusqu’à son trépas. C’est donc à peu près sain de corps et d’esprit, juste un peu coloré par le rosé de la piquette, qu’il fut le témoin involontaire de ce qui suit…
©Catherine Dutigny/Elsa mars 2014
à retrouver sur le site iPagination
à suivre...
Pauvre cantonnier !!! Il n'avait pourtant pas demandé à être le drôle de témoin de ce qui se tramait dans la tranquille cité ! Un régal tout simplement !!!! A déguster sans modération aucune !
RépondreSupprimerIl reste quelques corrections à apporter, c'est tout le problème avec un roman-feuilleton écrit au fur et à mesure... Oui, Jules n'est pas au bout de ses peines... Tes commentaires sont aussi un vrai régal!
RépondreSupprimerQue de travail je t'ai donné, point n'était mon idée !!!! Je persiste et signe : à consommer sans modération aucune ! Merci !!!
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