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Samedi 8 octobre 2011
Je
me rabote les neurones pour trouver quelques copeaux. Je suis vide,
absolument vide. Ce soir je ferai un saut en arrière de près de
quarante ans. Un cousin retrouvé s'en vient dîner. Enfants, nous
étions souvent ensemble. Peu de souvenirs. Ses parents oui, lui non.
Nous n'avons pourtant que deux mois de différence. J'aimais pourtant
beaucoup aller lui rendre visite. Que faisions-nous ... qu'est ce
qu'on se racontait ... nos premières histoires avec les filles ...
nos jeux ...
Ah
si, c'est avec lui que j'ai fumé ma première cigarette. Il me
l'avait offert. Il était plus déluré que moi. Mes parents avaient
encore cet esprit des paysans du début du siècle ... enfin je parle
du précédent ... même s'ils habitaient et travaillaient en ville
depuis déjà longtemps.
Et
puis ceci. Ma mère avait accouché de justesse avant sa jeune nièce.
Qui donc avait donné quelques conseils à l'autre. La nièce, sans
aucun doute.
Et
demain je ne pourrai pas vous dire la paupière d'une rose en train
de me faire une œillade, avec sa femme, ils apportent le dessert.
Dimanche 9 octobre 2011
Très
bonne la tarte. Nous avons jeté
quelques mots sur la table pour attiser le feu de la mémoire. Des
anecdotes que Marc prenait plaisir à raconter. Je me redécouvrais,
jouant au patronage, avec des chars, chacun son tour tirant l'autre.
Une enfance tranquille et sans heurt. L'été je gardais les vaches
chez mon oncle. Marc et moi dans les prés à s'ennuyer un peu.
Courir après les poules dans la cour de la ferme et l'oncle nous
jetant sa pantoufle pour ramener le calme. Mais le plus souvent
j'étais seul. Mon cousin passait aussi du temps avec sa grand-mère,
ma tante qui " prenait l'air" à l'autre bout du village.
J'étais
loin de la poésie enfantine, ne m'émerveillais de rien et souffrais
un peu de l'absence de ma mère restée en ville. Se réinventer une
enfance où chaque objet devient un jeu, chaque rencontre une
découverte et chaque
jour vécu avec avidité.
Vers onze douze ans, la découverte de la lecture a tout débloqué.
Aujourd'hui, j'invente chaque instant et chaque instant me réinvente.
Il me suffit de donner un coup de pied dans la fourmilière des mots
endormis. Mon horizon chavire et se dore au soleil.
Lundi 10 octobre 2011
Je
n'invite pas que la famille à partager un repas. Les amis bien sûr.
Je reçois aussi très souvent de grandes personnalités de la
poésie. C'est à ma table de chevet que je grignote avec eux un
poème. Ensemble nous sirotons quelques mots. Chapiteau dit l'un
d'eux. S'allume les projecteurs d'un cirque où chacun fait danser
son théâtre d'ombres. Tout en haut d'une colonne, les plus habiles
sculptent une treille où je m'enivre. D'autres, atteints de vertiges
invoquent les dieux.
La
tête à peine hors de l'eau, je vague à l'âme dans cette mer de
cocagne qui m'absorbe. Je m'abandonne aux astres descendus qui
scintillent dans mon ciel de lit. Je ne sais pas pourquoi, certains
se plaisent en ma compagnie et ne s'irritent pas, si demain, glissé
sous mes paupières, ils trouvent un auteur qui n'est pas de leur
cercle.
Parfois
l'un d'eux s'incruste. Je crois qu'André Breton s'est glissé dans
mon ombre.
Mardi 11 octobre 2011
La
nuit, cette ombre s'ennuie et vagabonde. Pour me réveiller, elle va
frapper une voiture sous mes fenêtres. Du coup, la pauvre automobile
prend peur. À grands cris stridents, elle bouscule la torpeur du
quartier. Son maître n'est jamais loin. Il rapplique illico. Calmée
elle se tait. Dès qu'il s'éloigne, elle hurle à nouveau. Son
maître doit alors la sermonner longuement, jusqu'à ce qu'elle
sombre enfin dans le sommeil.
Ces
chevaux mécaniques accaparent tant de soins et de tendresses. Ils
pourrissent la nuit des amants. Certains ne quittent plus le siège
arrière pour s'ébattre.
Les belles carrosseries tressautent et grincent de tous leurs
amortisseurs.
Et moi, je n'arrive plus à fermer l'œil. Mon ombre ricane. Je lui
balance un oreiller. Faudra que j'aille l'enfermer dans la tour d'un
vieux château hanté.
Dédales
de la nuit où je m'égare. Laboratoire des rêves où tout s'arrange
et s'ordonne avant de s'oublier. Parfois l'éveil fait le deuil de la
nuit. Le sable s'incruste et l'oeil crisse et pleure.
Mercredi 12 octobre 2011
J'aimerais
payer chaque jour nouveau d'un poème. Une sorte de crème à bronzer
étalée sur les heures qui se succèdent. Ma méthode Coué
pour conjurer les mauvaises surprises. Une sorte de glissement
progressif de l'aube pour attraper le soleil.
Dehors la pluie peut cingler mon visage, le froid engourdir mes mains
ou la canicule dessécher ma gorge et ma peau. J'ai payé mon tribut
plus rien de grave ne peut m'arriver. Cela n'empêche nullement les
déconvenues, les mauvaises nouvelles, mais je leur trouve des
circonstances atténuantes.
Il y a certainement un aspect religieux à cela, un relent de petite
enfance, cette prière du matin pour louer ce qui nous dépasse, ce
que l'on ne comprend pas vraiment, le miracle d'être en vie.
Il
me faut souvent aller chercher au plus profond de moi un éclat, une
forme nouvelle, une musique qui brisera la distance qui me sépare
encore de l'éveil.
Parfois rien ne vient et je suis tristement suspendu dans l'attente.
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