"Nous irons nous promener le long de la jetée..."
La maladie et l'orpheline
Je n’ai pas compris quand le médecin a parlé de maladie orpheline, j’ai éclaté en sanglots, j’ai cru que cela recommençait. Ce n’est pas ma faute si mes parents sont décédés dans un accident de voiture, je n’y peux rien. « Orpheline, la petite est orpheline », c’est la rengaine que j’ai toujours entendue chuchoter derrière mon dos. Je suis la coupable idéale, je me suis toujours sentie coupable. C’est vrai que j’ai eu une aventure mais cela faisait un moment que Jérôme ne me touchait plus. Moi je rêvais de faire à Pierre un petit frère pour qu’on ait une vraie famille mais Jérôme ne voulait rien entendre. Il voulait améliorer son classement au tennis. Est-ce qu’on passe ses dimanches matins au club quand on a une famille à la maison !
Jérôme me dit que nous ne pouvons rien faire de plus, qu’à l’hôpital Pierre est entre de bonnes mains. Je ne l’ai jamais vu aussi triste, aussi pâle sur son lit blanc et ce docteur qui nous dit qu’il n’y aucun traitement pour la maladie de Pierre. Elle est extrêmement rare, il n’a jamais vu le cas. Mais Pierre n’est pas un cas. Comment peut-on rester comme cela sans rien faire et attendre? Cela va peut-être passer avec le temps ! Il veut me rendre folle ce médecin, et si rien ne se passait et si cela empirait et s’il maigrissait encore. On ne peut laisser pas Pierre en observation sans rien faire. Maladie Orpheline, j’ai l’impression d’être toute seule, punie, le bourreau à mes trousses. Pierre ne peut pas passer ces après-midi à regarder tristement la télé. Je joue aux cartes avec lui mais rien ne remplace pour un enfant le rire d’un autre enfant. Et qu’est-ce que cela veut dire ces analyses qui sont quasiment normales ?
Mais pourquoi Jérôme ne réagissait pas, il devait bien sentir que quelque chose n’allait pas. L’indifférence s’installait et cela ne l’inquiétait pas. Cela semblait lui suffire, il espérait peut-être que cela dure.
Mais pourquoi moi, je n’ai pas les épaules pour porter tout cela. Nous nous retrouvons tous les trois dans la chambre de Pierre, c’est peut-être pour retrouver ses parents autour de lui que Pierre me joue ce vilain tour, je suis certaine qu’il a senti avant Jérôme que ma main se réfugiait de temps en temps dans celle d’un autre homme. Je te le promets… Pierre, mais reviens-moi, ne me laisse pas toute seule. Tu es ma seule famille. Comment peux-tu avoir pensé que nous allions partir chacun de notre côté et t’abandonner ? Jamais, jamais tu ne vivras l’enfance que j’ai vécue, j’ai trop besoin de te donner ce que je n’ai pas reçu. J’ai besoin de toi, Pierre.
Je ravale mes pleurs, je suis assise sur le lit de Pierre, je souris, je ne veux pas l’effrayer mais la nuit dans mon lit, je sanglote.
« Ayez confiance, priez ! » Mais comment pourrais-je à croire à ce Dieu qu’on agitait à tout bout de champ pour qu’on rejoigne les rangs de leur horrible pensionnat. Est-ce que la vie est vraiment une punition ? Et pourquoi n’est-ce pas moi qui suis punie cette fois? Pourquoi s’acharner sur Pierre ? Il n’a rien fait.
Pierre, tu sais, je pensais à toi, j’aurais voulu que tu me voies sourire et rire. Mais à la maison ce n’était plus possible. Je redoutais que tu ne sois enseveli sous cette chape de tristesse et de silence qui menaçait de tous nous écraser. Nous aurions pu être heureux. Nous serons heureux, tu sais.
Je ne vais pas te laisser ici dans ces couloirs de souffrance. S’ils ne peuvent rien faire, je vais t’emmener à la maison, je te préparerais les plats que tu aimes, tu reprendras des forces et je te raconterai les histoires que personne n’a jamais lues. Tu ne peux pas rester ici tout seul, je sais ce que c’est, je ne veux pas que tu dormes loin de moi, je connais trop cette solitude, ces couloirs vides si froids aux pieds la nuit, ce n’est pas ce que j’ai voulu pour toi. Les couloirs sont propres ici mais ils sont plus tristes que ceux de mon orphelinat. Aucun cri, aucune cavalcade n’y résonnent. Le calme n’est pas fait pour les enfants. Je te ferai ces morceaux de pain beurrés sur lesquels j’éclaterai un morceau de chocolat avec mon couteau. Tu reprendras des forces. Ici, les plateaux-repas sont encore plus sinistres que les gamelles de la cantine de notre orphelinat mais au moins nous riions à table et cela nous mettait en appétit et nous oubliions les pleurs de nos dortoirs. Je m’occuperai de toi. Nous irons nous promener le long de la jetée, le vent nous fouettera le visage, tu auras de belles couleurs, tu feras même faire voler ton cerf-volant et nous mangerons une glace aux fraises.
À trois, nous rebâtirons notre maison, ton père nous aidera. Nous y arriverons, je te le promets. Je chanterai à nouveau, je ferai danser ton père pour te voir sourire, nous te prendrons dans nos bras, tu éclateras de rire dans nos bras et tu guériras. Je t’en supplie, Pierre, souris-moi !
C'est tellement touchant cette façon d'essayer de prendre de la distance en essayant de sourire. Quel texte merveilleux et si triste pourtant..
RépondreSupprimerQuoi de plus triste qu'une chambre d'hôpital. J'en ai rajouté un peu et Tippi, la gorge nouée, a su lui donner encore plus de force. Merci
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